Chapitre 52


Neven était en larmes.

Soen, quant à lui, n'avait aucune réaction. Il se contentait de fixer le plafond de son expression dure et indéchiffrable. Il avait réenfilé son masque d'indifférence. C'était la première fois que Soen racontait son histoire et il ne ressentait rien. Il pensait qu'il pleurerait comme Neven, que ses propres mots déclencheraient ce déclic dans sa tête, mais non.


- Je, je m'en veux de t'avoir dit que je pouvais te calmer tout à l'heure... Je ne voulais pas te forcer à faire l'amour ou à te déshabiller... Si tu savais comme je m'en veux... Je suis sincèrement désolé...

- Ne t'excuse pas pour le comportement des autres. Sinon, tu passerais ta vie à t'excuser.

- Non, je...

- Je ne veux pas de pitié, le coupa Soen.


Il tourna enfin la tête vers Neven. Son visage était ravagé. Ses yeux étaient rouges et il donnait l'impression de ne pas avoir dormi depuis plusieurs jours. Soen se releva pour s'asseoir sur ses talons, adoptant la même position que son petit ami. Il attrapa le bras de Neven pour l'attirer contre lui. Ils restèrent ainsi durant de longues minutes. Les pleurs de Neven se calmèrent petit à petit. Soen finit par reculer un peu et déposa un léger baiser sur ses lèvres.

D'une main, le chanteur tenait celle de son assistant. Tandis que de l'autre, il tira doucement sur le bas de son tee-shirt pour le remettre correctement.


- Non... souffla Neven, encore les larmes aux yeux.

- Je ne suis pas encore prêt à montrer mon corps à quelqu'un. Je ne peux pas l'aimer après ce qu'il a subi. Il est comme mon cœur, il est cassé. Ils sont tous les deux meurtris et moi avec. Je déteste mon corps parce qu'il représente mon passé.


Soen se détacha entièrement de Neven. Avec ses doigts, il toucha son épaule gauche et écarta légèrement le col de son tee-shirt. Les yeux de Neven se posèrent sur la fine cicatrice alors que ceux de Soen restaient posés sur lui.


- Il m'a fait une entaille avec un tesson de bouteille. J'avais huit ans. Ma mère n'était au courant de rien. J'ai dû m'arranger avec les parents de Faël pour avoir des points de suture à l'hôpital. Ils se sont fait passer pour mes tuteurs.

- Tout ceci... a duré combien de temps ? demanda Neven, des trémolos dans la voix.

- Jusqu'à mes douze ans.


Son calvaire avait duré neuf ans. Soen avait souffert durant neuf années de sa vie. Elles l'avaient traumatisé et certaines blessures ne s'étaient jamais refermées. Elles ne se refermeraient peut-être sans doute jamais...


- Quand j'étais plus petit, je ne pouvais pas me laver tout seul. Maman travaillait comme serveuse dans un bar et par conséquent, elle était rarement là le soir. Personne me lavait et il était donc le seul à voir mon corps. Les rares fois où ma mère me faisait prendre un bain ou me changeait, elle remarquait mes blessures. Sauf qu'elle en riait. Nous avions un grand jardin dans notre ancienne maison. J'avais toujours l'habitude de courir comme un fou dehors et il n'était pas rare que je m'écorche les genoux et les coudes. Comment pourrais-je lui en vouloir ? Elle ne pouvait pas imaginer que l'homme qu'elle aimait depuis plus d'une quinzaine d'années était en réalité un monstre. Je ne lui en veux pas.


Soen était sincère. Jamais il n'en voudrait à sa mère de ne pas avoir compris. S'il avait été à sa place, il n'aurait pu croire cela. Devant Elea, il était le parfait époux et le père modèle. Il ne dévoilait pas cette autre facette devant son ex-femme.


- A la naissance d'Ethan, j'avais cinq ans. J'avais très peur qu'il lui fasse subir les mêmes choses qu'à moi. J'ai tout fait pour le protéger au maximum. Je l'aime énormément et s'il lui arrivait la moindre chose, je m'en voudrai énormément.

« Quelques semaines avant mon dixième anniversaire, maman en a eu marre des crises à répétions de Personne. Il était très souvent colérique et passait son temps à nous menacer, tous les trois. Alors nous sommes partis une nuit. Maman a pris nos affaires et nous avons quitté la ville sans prévenir qui que ce soit. Je me souviens qu'elle avait une balafre sur la joue quand elle m'a réveillé. Ethan était encore un bébé de quatre ans...


Soen soupira.


- Le divorce a été prononcé quelques temps plus tard. Malheureusement, le problème de la garde a été abordé. Au tribunal, il a dit qu'il ne voulait pas de celle d'Ethan. Il a insulté ma mère en disant que ce n'était pas son fils et qu'elle l'avait sûrement trompé. Elle a dû attester devant la loi qu'Ethan était bien leur enfant à tous les deux, mais elle s'est rendue compte que Personne ne s'était pas déclaré comme étant le père d'Ethan a sa naissance. Juridiquement, Ethan n'a que notre mère.

« Quoiqu'il en soit, maman a eu la garde complète d'Ethan. Ce qui est normal. Pour moi, cela a été un peu plus compliqué. Personne a exigé de m'avoir tout le temps. Maman était contre car avec ses excès de violence, elle avait peur qu'il finisse par lever la main sur moi. Enfin, si elle savait... Finalement, le juge a décidé de partager ma garde en me faisant aller une semaine chez l'un et une semaine chez l'autre. Je n'avais pas le droit de décider de moi-même chez qui je voulais aller tant que je n'avais pas douze ans.

« Une fois maman et lui officiellement divorcés, elle a fait les démarche pour changer notre nom de famille. Elle ne voulait plus qu'on soit associé à lui. Alors nous avons récupéré son nom de jeune fille. Nous n'étions plus les Gelbero, nous devenions les Richards.


Soen déglutit. La suite de son récit serait difficile. Il le savait. Ce qu'il avait évoqué était la partie... facile. Neven sembla le comprendre puisqu'il lui prit la main. Soen le remercia d'un seul regard.


- Le dimanche après-midi, j'étais toujours malade. Je vomissais de la bile, j'étais incapable d'avaler quoique ce soit. Je savais que les choses seraient pires. Nous étions partis de la maison comme des voleurs. Personne ne nous aurait crus capable de l'abandonner. J'avais dix ans et je savais que ce serait encore plus dur qu'avant. Et j'avais raison...

« Les coups. J'en ai tellement pris, qu'un jour je me suis demandé si ma plus vieille cicatrice allait partir. Il me blessait constamment. Avec les poings, avec des débris de verre, avec ses cigarettes... Je faisais tout pour que ni maman, ni Ethan, ni mes amis ne le remarquent. J'avais trop peur de ce qu'on pourrait me dire. J'étais petit et je pensais qu'on m'aurait séparé de ceux que j'aimais. Pour moi, à ce moment-là il était inimaginable de me retrouver loin de maman et d'Ethan. Alors je me suis tu.


Soen ouvrit la bouche, mais aucun son n'en sorti. Doucement, Neven s'approcha un peu plus de lui pour le prendre de nouveau dans ses bras. Soen émit d'abord un mouvement de recul, avant de se laisser faire. Neven les fit s'allonger sur les draps encore défait. Son cœur se fissura un peu plus quand Soen se roula en boule contre lui. Il ressemblait à un enfant. A cet enfant à qui l'innocence avait été arrachée bien trop tôt.

Neven berça avec tendresse et amour son petit ami. Soen ferma les yeux. Il se sentait très mal. Finalement, le déclic arrivait petit à petit. Il réalisait ce qui lui était arrivé seulement maintenant. Le poids de la souffrance lui pesait sur les épaules.


- Prends ton temps, lui murmura Neven.


Soen acquiesça. Sa respiration était forte. Durant plusieurs minutes, il tenta de lui faire retrouver un rythme normal. Quand il réussit, il poursuivit :


- Les... viols...


Soen se racla la gorge.


- Les viols, reprit-il plus distinctement, se sont multipliés... Je n'en pouvais plus... Mon corps n'arrivait pas à suivre et je souffrais, en plus des coups... Je me dégoûtais... J'avais l'impression d'être la honte de la famille, une honte de la nature tout simplement... Pourtant, je sais que c'était faux. Une personne victime de viols n'est pas coupable. Ce sont tous ces pervers détraqués qui...


Soen frémit et grimaça.


- Ne parlons plus de ces... actes.

« Ethan est malheureusement au courant de quelques choses. Il ne sait pas que j'ai été maltraité dans mon enfance et dans ma préadolescence. Après tout, il était tout petit. Ce dont il se souvient, ce sont les crises de colère. Quand je m'énerve, certains souvenirs qu'il a oublié remontent et je lui fais peur. Et ça m'effraye. Je ne veux pas devenir comme lui...

- Tu n'es pas et ne seras jamais comme ce... cette ordure, rétorqua Neven entre ses dents.


Soen releva la tête vers lui en haussant les épaules doucement.


- Il fumait constamment, reprit-il, il m'a brûlé le corps avec ses cigarettes... Pourtant, aujourd'hui, je m'enfile presque un paquet par jour. Je détestais l'odeur de la fumée, avant...


Neven lui caressa la joue. D'autres larmes avaient coulé. Il se sentait affreusement mal pour son petit ami.

Soen quémanda un baiser. Une fois obtenu, il se cala un peu plus confortablement contre Neven. Il dit :


- Il est maintenant temps que je te parle de Twill et de l'été de mes douze ans...




« Je suis exténué. » - Soen

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top