Chapitre 1
Cinq ans plus tôt
Le tic-tac incessant de la pendule.
Les doigts du batteur donnant la mesure sur son genou.
La bassiste froissant et défroissant un papier où une heure et un lieu étaient griffonnés, en noir.
Le guitariste faisant les cent pas dans la petite pièce exiguë, laissant son regard vagabonder d'un mur à l'autre pour y contempler les affiches exposées.
Tous ces sons parasites faisaient monter la nervosité de Soen de plusieurs crans. Il agitait sa jambe gauche un peu trop rapidement. Ses yeux ne se posaient pas sur une surface précise. Ses ongles maltraitaient la fine peau de la paume de ses mains. Sa pomme d'Adam descendait et remontait au rythme de ses déglutitions.
Soen bascula sa tête en arrière pour que son crâne prenne appui contre le dossier du canapé où il était assis. Un léger soupir passa la barrière de ses lèvres. Il tenta de se concentrer sur sa respiration pour calmer son pouls qui s'était emballé. Il entendit quelqu'un se lever. Il pouvait aisément deviner qu'il s'agissait de son amie Maëva qui le rejoignait. Son pas, bien qu'un brin nonchalant, était plus léger que les deux autres garçons de leur bande, Alanis et Faël.
Soen jeta un regard à Maëva, sans bouger d'un centimètre pour autant. Son amie le scrutait avec inquiétude. Il la connaissait si bien, qu'il savait déjà ce qu'elle allait lui dire. Et la réponse restait catégoriquement la même.
- Tu te sens bien ? le questionna Maëva.
- Oui.
Réponse brève et sèche. Maëva avait l'habitude, tout comme Alanis et Faël. Ils s'étaient rencontrés au collège, sauf avec Faël qui s'était lié d'amitié dès la plus petite école avec Soen. Immédiatement, les trois enfants se rendirent compte du tempérament froid et cassant de Soen. Cependant, au lieu de le fuir comme le faisait la plupart de ses camarades, Maëva, Alanis et Faël furent attirés par lui. Ils avaient eu l'intelligence de ne pas s'arrêter à l'apparence pour sympathiser avec Soen. Bien sûr, cela avait été bien plus simple pour Faël qui avait eu affaire à un simple gamin de son âge, à peu près comme les autres. Heureusement que Faël avait été là pour dissuader Alanis et Maëva de fuirent face à la sociabilité inexistante de Soen... Personne n'avait jamais su pourquoi il rejetait si violemment ceux et celles qui osaient l'approcher.
Soen adressa ce qui était censé ressembler à un sourire à Maëva pour la rassurer. Ils tournèrent la tête au même moment à l'instant où ils entendirent une porte s'ouvrir, presque avec fracas. Soen détailla le nouvel arrivant des pieds à la tête, les sourcils légèrement froncés. L'homme devait être proche de la cinquantaine, à la vue de ses cheveux légèrement grisonnants et de sa barbe mal rasée. Contrairement au cliché habituel, l'homme ne possédait pas d'imposante bedaine. C'était même plutôt le contraire. Bien que son corps ne soit pas aussi athlétique que Soen, Alanis ou Faël.
Quoiqu'il en fut, l'homme semblait sonder les quatre adolescents du regard. Ou plutôt, il les regardait de haut avec ses yeux bleu polaire. Il leur indiqua d'entrer sur un ton grinçant.
Soen se leva avec lenteur. Il passa le premier, devant ses trois amis. Quand il rejoignit l'autre pièce, plus grande et lumineuse, le regard de Soen croisa celui de l'homme. Un rictus étira les lèvres de Soen en le voyant tiquer. Si cet homme savait identifier une personne à l'aide d'une simple observation, il n'allait pas être déçu en découvrant la nature de Soen.
Soen, Alanis, Faël et Maëva prirent place sur les fauteuils disposés face au bureau, qui était tellement immense qu'il prenait un bon quart de la pièce. C'en était même impressionnant.
L'homme s'installa en face d'eux, avant de croiser ses mains et de poser son menton dessus. Un lourd silence planait dans l'air, jusqu'à ce que Faël se racle la gorge. Il avait croisé ses bras sur son torse.
- Donc on...
- Alors c'est vous le groupe d'adolescents prépubères, futures rocks stars, que m'a conseillé mon assistant ? coupa l'homme en ricanant.
Soen se renfrogna. Sa jambe recommença à tressaillir nerveusement. Il fusillait du regard celui qui deviendrait leur manager. A condition qu'il décide de les prendre sous son aile pour les faire percer dans le milieu très fermé qu'était celui de la musique. De ce qu'il pouvait voir, ce n'était pas gagné d'avance.
- Vous avez quel âge ? Treize, peut-être quatorze ans ?
- On a seize et dix-sept ans, répondit sèchement Maëva.
- C'est pareil, rétorqua le manager en balayant l'air de sa main. Je suis James Parker. J'imagine que vous savez pourquoi vous êtes ici ?
- On nous a dit que nous devions passer un casting pour montrer nos compétences, dit Alanis.
Parker hocha lentement la tête. Il s'adossa à son siège, tout en touchant son menton du bout des doigts. Il semblait réfléchir.
- Normalement... oui. Mais là, ce n'est pas ce que nous allons faire.
- Pourquoi nous avoir demandé de venir alors ? soupira Faël.
Parker se leva pour s'approcher de l'immense baie vitrée qui s'étalait tout le long du mur, à droite de la pièce. De là, une superbe vue sur la ville était visible.
Soen commençait à s'impatienter. Il détestait qu'on lui fasse perdre son temps. Aussi, il bondit sur ses pieds, faisant légèrement racler sa chaise sur le sol.
- Vous allez nous dire ce que vous nous voulez à la fin ? demanda-t-il froidement.
Sa voix était basse, lente et grave. Son timbre rare provoquait toujours des frissons à ceux qui l'écoutaient parler ou fredonner. Il possédait un talent indéniable qui lui avait valu la place de chanteur dans leur petite bande. Ses trois amis n'eurent à l'entendre qu'une seule fois pour se rendre compte de la magnificence de son organe. C'était aussi cela qui avait donné l'envie à Maëva, Alanis et Faël de commencer l'apprentissage d'un instrument de musique. Et aujourd'hui, ils en étaient là. Dans le riche bureau d'un important manager après avoir été repérés dans un bar par son assistant. Au départ, ils avaient cru à une blague, mais il s'était avéré que non.
Soen trépignait sur place. Ses sourcils étaient froncés, comme à leur habitude. Les doigts de sa main droite, plongés dans la poche ventrale de son sweat-shirt trop large, jouaient avec son briquet, plus par tic que par réel désir de fumer. Ses cigarettes coincées dans la poche de son jean ne le démangeaient pas pour le moment. Il cilla quand Faël posa une main sur son bras pour lui intimer silencieusement de rester calme.
Finalement, Parker se retourna vers eux.
- Former un groupe, quelle question.
Soen roula des yeux. Il défia un instant Parker du regard, avant de se rasseoir avec lenteur sur sa chaise. Le manager fit de même.
- Bien... Vous avez de belles gueules et si mon assistant m'a refilé votre numéro, c'est que, forcément, vous avez un minimum de talent. Aussi, j'ai déjà rédigé un contrat qui pourrait nous lier pendant une durée déterminée. Je peux vous le fournir pour que vous lisiez et, ainsi, vous pourrez prendre votre temps pour réfléchir.
Faël et Alanis échangèrent un regard, tandis que Soen ne lâchait pas celui de Parker. Il ne savait pas pourquoi, mais il sentait que quelque chose clochait. Cependant, il n'aurait su dire quoi.
- On doit vous donner notre réponse dans combien de temps, exactement ? reprit Maëva.
- D'ici une à deux semaines, maximum.
Elle hocha lentement la tête.
- Vous êtes tous d'accord ? les questionna James en embrassant ses futures stars du regard.
Alanis, Faël et Maëva acquiescèrent.
De son côté, Soen ne répondit pas. Il se contenta d'observer le manager en silence, les lèvres pincées. Il finit par donner son approbation, malgré une légère réticence. Parker leur offrit un sourire. Il ouvrit un tiroir pour en sortir une feuille qu'il fit glisser sur la surface du bureau, jusqu'aux quatre adolescents.
Ce fut Soen qui ramassa le contrat, avant de se lever et de partir sans jeter un regard en arrière.
« Je suis indécis. » - Soen
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