24 | Repos éternel
Je ne cesse de fixer l'horloge depuis plusieurs heures, attendant impatiemment l'arrivée de Coralie, le seul moment de la journée où je ne déprime pas.
Certes les médecins et infirmiers sont très sympas, mais ils ne restent pas longtemps avec moi, et c'est normal.
Même Ophélie m'a envoyé un message pour me souhaiter un bon rétablissement. Cela me fait repenser à la jalousie de Coralie au repas de Noël et j'en souris.
« - Bonjour jeune homme. »
Je tourne la tête et aperçois Janine, canne à la main et dos voûté, un grand sourire aux lèvres. À côté d'elle se trouve Coralie qui l'aide à s'avancer.
« - Alors comme ça un peu de pluie et on ne sait plus conduire ?
- C'est pas exactement ça...
- Peu importe, faut vraiment être un crétin pour partir en pleine nuit après s'être fâché. La vie est trop courte pour faire ça. »
Je lui souris et acquiesce, sachant très bien au fond qu'elle a raison.
« - Et sinon mon garçon, comment te sens-tu ?
- Comme un crétin qui a pris la route en pleine nuit bien pluvieuse. »
Une chose est sûre, Janine sait mettre l'ambiance. Elle n'a pas arrêté ensuite de parler des "bêtises" de son défunt mari qui réfléchissait toujours après avoir agi et non avant.
« - Il me fait penser à vous, à part que vous êtes bien plus jeune et plus beau. Si j'avais 50 ans de moins je vous aurais bien épousé.
- Je suis convaincu que vous m'auriez fait beaucoup d'effet.
- Oh c'est certain. Sans me vanter, j'étais la plus belle fille de la ville à cette époque.
- Et vous l'êtes toujours.
- Quel flatteur ! Mais faites attention, ce n'est pas bien correct de rendre jalouse une demoiselle. »
Je sais très bien qu'elle parle de Coralie mais un seul regard dans sa direction me suffit pour savoir si elle l'est vraiment. Mais, avec Janine, c'est impossible. Les femmes aussi mûres ce n'est pas mon genre et Coralie le sait. Même si, à 87 ans, elle a gardé un esprit de jeune femme. Si son corps ne la faisait pas tant souffrir, je la verrai bien danser toute la nuit et draguer des jeunes en boîte de nuit.
« - Bon, il se fait tard, je ne veux pas vous déranger plus longtemps.
- Je vais vous raccompagner.
- C'est gentil ma belle. En tout cas merci pour cette distraction fort intéressante mon garçon.
- Je vous en prie Janine, ma porte vous sera toujours ouverte.
- La mienne aussi. »
Elle me lance un petit clin d'œil et j'explose de rire. Cette femme ne perds vraiment pas le nord !
~
Janine m'indique son adresse et je la dépose devant chez elle. Mais quand elle tente de se redresser, elle manque de tomber.
« - Attendez ! »
Je descends vite de la voiture et fais le tour pour l'aider. Je l'aide également à gravir les deux marches qui mènent à sa porte d'entrée.
Mais à peine arrive-t-elle à ouvrir sa porte que je la vois mettre la main à son cœur et se tenir contre l'encadrement de la porte.
« - Vous avez besoin d'aide ?
- Aide-moi à entrer s'il te plaît. »
Elle me tutoie ?
Je l'aide donc à se déplacer une nouvelle fois et elle m'indique un grand fauteuil moelleux en plein milieu de son salon.
« - Là ça ira très bien, merci.
- Je vous en prie Janine. »
Je m'apprête ensuite à partir mais elle me retient par la main et pose l'autre sur son cœur encore une fois tout en respirant fort.
« - Je vous appelle un médecin. »
Mais elle refuse de lâcher ma main.
« - Non, non... C'est mon cœur.
- Raison de plus pour...
- Non ma belle non, il ne pourra rien faire à part me rabâcher de me faire opérer, ce que je ne veux pas.
- Et vous n'avez pas de traitement ? De médicaments ?
- Si mais ce n'est pas très efficace chez moi comme tu peux le voir.
- Janine...
- Je ne veux pas de ta pitié, je veux juste un peu de compagnie, s'il te plaît.
- Bien-sûr. »
Je m'installe sur son canapé tout en continuant de lui tenir la main. Lorsqu'enfin les battements rapides de son cœur ralentissent, elle commence à me parler de son mari, encore, puis de ses enfants, tous morts bien trop tôt.
« - J'ai une faveur à te demander.
- Tout ce que vous voudrez.
- Prends un papier et un crayon et écris-moi vos noms et prénoms à toi et ton compagnon ainsi que votre adresse.
- Mais nous ne sommes pas...
- Et écris bien gros. »
Je sais qu'elle n'est pas sourde, juste très têtue et cela m'amuse un peu je l'avoue.
Je fais ce qu'elle me demande puis lui tend le papier. Je lui demande ensuite pourquoi et elle me dit que c'est pour son notaire mais qu'elle ne m'en dira pas plus.
« - Tu es libre maintenant, tu peux rentrer chez toi. Je vais me reposer.
- D'accord, prenez soin de vous Janine. Et au cas où j'ai également écrit mon numéro sur le papier. Appelez-moi dès que vous avez besoin de quelque chose. »
Elle me fait un signe de la tête avant de fermer les yeux.
~
Les jours suivants je n'ai pas revu Janine au café, je pensais qu'elle aurait aimé rendre de nouveau visite à Léandre mais elle ne s'était pas non plus rendu à l'hôpital depuis cinq jours. Cinq jours sans nouvelle, cela me suffit amplement pour m'inquiéter.
Maintenant que Léandre peut sortir, nous nous sommes mis d'accord pour passer directement chez elle avant que je ne le ramène chez lui.
« - Janine ? Vous êtes là ? »
Je sonne une deuxième fois à sa porte mais toujours aucune réponse. C'est alors qu'une voix d'homme s'élève derrière la haie. Nous nous approchons tandis qu'il lève la tête pour nous fixer.
« - Que voulez-vous à ma voisine ?
- Nous sommes des amis, on veut juste s'assurer qu'elle va bien.
- Des amis vous dites ? »
Le vieillard nous scrute en fronçant les sourcils puis soupire.
« - En soit, on peut dire qu'elle va mieux en effet, son cœur ne la fera plus jamais souffrir.
- Que voulez-vous dire ?
- Elle est décédée il y a deux jours, sûrement dans son sommeil. Je l'ai retrouvé allongée sur son lit, tenant entre ses mains la photo de son mari. Pour une femme qui disait ne l'aimer que peu, cela m'a donné l'impression du contraire. »
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top