Chapitre 3
Début de chapitre corrigé !
Un jour passa, puis deux. Finalement, ce fut au tour des semaines de s'écouler, tels de longs fleuves monotones. De mars, nous passâmes à juin, et de début juin au commencement des épreuves anticipées du Bac. J'étais tétanisée à l'idée de passer mon écrit et mon oral de Français et littérature. Il en était de même pour les Sciences, mais cette épreuve-là n'était pas aussi importante pour mon cursus que la première.
Les TPE étaient déjà terminés depuis un moment et nous avions présentés notre sujet, deux garçons de ma classe et moi, devant un jury composé de plusieurs professeurs de notre lycée. Au début, j'avais dû batailler ferme pour ne pas être la seule à travailler sérieusement sur notre sujet. Autant dire qu'avec ma timidité maladive, ça n'avait pas été simple de les remettre dans le droit de chemin. Mais ils avaient fini par s'investir et nous avions bouclé notre dossier à temps. Nous n'avions pas encore les résultats, mais je savais que nous aurions une note largement au-dessus de la moyenne.
Je passais mes soirées et mes journées de libres dans le Sanctuaire, à trimer comme une folle sur mes cours. Nala m'envoyait une cinquantaine de textos par soirée pour que nous sortions avec Dylan voir un film en VO, ou que nous allions manger au restaurant chinois.
Je lui répétais inlassablement que, jusqu'à la fin des épreuves, je vivrais en ermite chez moi et resterais plongée dans mes livres d'étude, comme un rat de bibliothèque.
Elle bougonnait un moment puis se joignait à moi pour m'aider à réviser.
Lorsque j'avais beaucoup de veine, Dylan rappliquait une heure plus tard et mon Sanctuaire se transformait en cabinet de révision intensif, ponctué de batailles de coussins entre Dylan et Nala, et de rires hystériques lorsqu'un des deux dégringolait de mon lit après s'être reçu un oreiller en pleine face. Il s'agissait généralement de celle de Nala, puisque son basketteur de petit copain avait l'habitude de lancer des objets en l'air et de faire des paniers.
Autant dire que je n'arrivais pas beaucoup à me concentrer.
Je rappelais à Nala, lorsque cela s'avérait nécessaire, qu'elle aussi allait devoir passer des examens, même si ce ne serait pas forcément dans les mêmes matières. Elle se contentait de hausser les épaules, pas impressionnée le moins du monde.
Nala n'avait jamais révisé de sa vie. Elle avait toujours obtenu de bons résultats à tous ses contrôles, sans jamais avoir jeté ne serait-ce qu'un coup d'œil à ses cours. Et je la détestais pour ça. Je finissais par abandonner mes protestations et la laissais se comporter comme bon lui semblait. Dylan était d'une plus grande aide qu'elle, cela dit. Il m'aidait à comprendre certaines notions de maths que je n'avais jamais réussi à assimiler et me racontait avec beaucoup de détails les événements qui avaient mené à tel ou tel conflit historique. Il était passionné par la géopolitique et, quand il partait dans un récit, généralement on n'arrivait plus à l'arrêter.
Sauf avec un oreiller. Ce qui menait à un cercle vicieux plutôt infernal.
La veille des épreuves, alors que mon estomac était descendu dans mes chaussettes depuis un moment, Nala me posait des questions sur les cellules et leur façon de se multiplier. Pour elle, brillante élève de première S, le sujet était aussi simple qu'additionner 2+2 mais, pour moi, c'était un vrai casse-tête. J'avais énormément de mal à relier entre elles toutes les informations à retenir et j'avais la sensation que mon cerveau était devenu un bloc de gélatine.
Tout à coup, n'y tenant plus, je pris ma tête entre mes mains et poussai un gémissement qui devait être sinistre, vu l'expression de Nala. Elle avait l'air de croire que ma vie était en danger.
— Quoi, qu'est-ce que t'as ? s'enquit-elle en se penchant en avant pour accrocher mon regard.
Je secouai la tête et me frottai le visage, à deux doigts de fondre en larmes. Mes nerfs étaient à vifs, je voyais des molécules danser devant mes yeux, sans parler des spermatozoïdes. J'étais en train de devenir totalement folle à étudier cette fichue bio.
— Rien Lionne Noire, c'est juste que je n'en peux plus. Je suis fatiguée, je stresse et je sais que je vais perdre tous mes moyens demain, devant ma fichue feuille. Je suis en train de me demander si je ne devrais pas me jeter par ma fenêtre, là, tout de suite.
Nala me fixa un instant, perdue dans ses réflexions. Elle finit par ouvrir la bouche :
— D'une part, il te serait totalement inutile de te défenestrer, puisque ta chambre se trouve à un mètre cinquante du sol. D'autre part, je sais EXACTEMENT ce dont tu as besoin.
Je posai ma joue sur mon poing et la considérai avec lassitude.
— Et de quoi est-ce que j'ai besoin exactement, marraine la bonne fée ?
Elle ignora superbement mon sarcasme et se leva pour se diriger vers mon armoire. Immédiatement, une alarme retentit dans mon crâne.
Nala sortit une petite robe fleurie de ma penderie, très courte et très décolletée. C'est elle qui me l'avait fait acheter, ainsi que les escarpins assortis. Je l'avais payée une fortune et ne l'avais jamais portée. De toute façon, elle plaisait plus à ma meilleure amie qu'à moi.
Je fronçai les sourcils et secouai la tête.
— Ah non, Lionne Noire, c'est hors de question ! Je ne mettrai pas ta robe Mary Karpatruc. Je t'ai déjà dit mille fois qu'elle était trop courte pour moi. Je te la donne d'ailleurs, je sais que tu l'adores.
Nala ouvrit la bouche à s'en décrocher la mâchoire.
— Louanne, c'est une robe de créateur, et elle est magnifique ! Si je te l'ai faite acheter c'est parce que j'ai l'œil et qu'avec ces escarpins, tu seras sublime ! Non mais pourquoi je discute, moi ? Tu vas m'enfiler ça tout de suite et après je te coiffe et je te maquille. On va passer une bonne soirée.
— C'est ça oui, cause toujours. Je n'ai pas envie de sortir, Lionne Noire. Je te signale que je passe l'épreuve de SVT et de français, demain. Je dois être en forme, ce qui implique ne pas aller faire la nouba avec toi. Tu ne pourrais pas aller jouer à la poupée avec ton petit copain, pour changer ?
Elle me lança un grand sourire, tout en continuant à farfouiller dans mon armoire. Elle en sortit un blouson en cuir et des escarpins à talons stiletto, ouverts au bout.
— Impossible. Lui aussi doit passer des partiels toute la semaine et il est d'un grognon ! En plus de ça, ce soir il dispute un match apparemment important et je préfère qu'il se défoule en courant après un ballon, comme le mâle primitif qu'il est.
En comprenant qu'elle ne lâcherait pas le morceau, je me levai en grognant et la rejoignis devant mon lit.
— OK, mais tu es sûre que je ne vais pas totalement me ridiculiser, si je mets cette robe ? Elle est quand même drôlement courte et super colorée. Je vais ressembler à une danseuse du carnaval, là-dedans. Ça fait pas un peu trop pour aller boire un verre ?
Nala me lança un regard féroce qui me donna des frissons dans le dos.
— Tu ne seras PAS ridicule. Personne ne peut être ridicule avec des jambes d'un mètre dix, fines comme des mikados. Avec ça ma vieille, tu vas faire un massacre.
Elle fit mine de fouiner dans mon placard à chaussures avant de sortir, du bout des lèvres :
— Et puis, on ne va pas juste boire un verre. On va au Tigre.
Je fixai obstinément ses lèvres en espérant qu'elle se répète, persuadée d'avoir mal lu ses paroles. Comme elle se contentait de continuer à sourire d'un air profondément satisfait en trifouillant mes chaussures, je lui tapotai le bras, partagée entre l'excitation et la terreur.
— Tu rigoles, là ? C'est la boîte de nuit secrète dont on a entendu parler ? Celle qui change d'emplacement tous les soirs ? Je croyais qu'il fallait faire partie des membres pour obtenir une invi...
Comme par enchantement, deux cartes apparurent dans la main de Nala et elle papillonna des paupières, malicieuse.
— Tu te souviens de Malika, ma cousine au troisième degré ?
— Vaguement.
— Mais si, celle qui t'avait découpé une mèche de cheveux quand on était en sixième !
— Ah, effectivement, maintenant que tu le dis...
— Eh bien figure-toi que son petit-ami est un des barmen de la boîte ! Elle n'arrêtait pas de déblatérer à ce propos depuis des mois, j'avais une de ces envies de l'étrangler ! Mais du coup je lui pardonne sa vantardise parce qu'elle a pu m'obtenir deux invitations. Une pour moi et une pour ma mei-lleure a-mie ! scanda-t-elle en gigotant.
Moi, je fixais les cartes avec ahurissements :
— Attends, je croyais que Malika et toi vous vous détestiez ?
— C'est le cas ! Mais ma mère m'a traînée chez elle la dernière fois et, alors que je visitais très innocemment sa chambre, j'ai découvert des taaaaas de petites pilules bleues sous son matelas. Une menace soufflée au coin de son oreille pendant le repas et hop ! j'obtenais deux invitations pour la boîte la plus branchée et la plus mystérieuse de ce coin-là de la France.
— Tu es diabolique.
— C'est vrai. Mais bon, il faut être complètement débile pour planquer sa came à cet endroit. Sa mère l'aurait très certainement envoyée en camp militaire, si elle l'avait appris. Je lui ai rendu service, en quelque sorte.
— Et... et Beau ? l'interrogeai-je en utilisant le nom-signé de Dylan.
Son sourire mauvais réapparut.
— Il a eu le malheur de dire que Malika avait de la conversation. Alors il est puni. Pas de boîte de nuit branchée.
— De la conversation ??
Je ne me souvenais pas de Malika comme de quelqu'un de particulièrement brillant...
— Un cul et des nibards proéminents, si tu préfères.
Ah. Ce genre de conversation. D'accord.
— Et comme je suis extrêmement jalouse et que je ne supporte pas qu'il dise d'une autre fille qu'elle a de la... conversation, surtout quand il s'agit de cette courge de Malika, je lui fais comprendre qu'il ne doit pas recommencer. Tu apprendras, Louanne, qu'un homme ça se dresse.
Je gloussai, hystérique. J'allais peut-être même entendre de la musique ! Ça m'arrivait tellement rarement que chaque occasion était un peu une première fois.
— Bon ben tant pis pour l'exam de Bio !
(Reprise de la partie non corrigée)
Nala, voyant mon enthousiasme se mit à sautiller dans toute la pièce.
-Tu l'as dit Bouffi! Allez habille-toi Cendrillon, toi et moi on part au bal !
Une heure plus tard, nous descendions l'escalier quatre à quatre en gloussant comme des dindes. Enfin dans mon cas, vu les vibrations que je ressentais dans ma gorge, c'était sans aucun doute des gloussements. Et à voir la tête de Nala, il en était de même pour elle.
Je fis signe à Nala de m'attendre à l'entrée et courus jusque dans la cuisine où mes parents et ma petite sœur se tenaient. Papa et Maman étaient adossés à la cuisinière et discutaient tranquillement.
Alice dessinait avec concentration sur son cahier. Une future artiste, pensai-je en souriant.
Maman et Papa tournèrent la tête vers moi et s'immobilisèrent complètement dans leurs gestes lorsqu'ils remarquèrent que j'étais habillée, coiffée et maquillée comme une star du cinéma sur le tapis rouge de la remise des oscars.
Je déglutis et leur lançai mon plus beau sourire. Immédiatement, je perçus leurs muscles se décontracter. Cela faisait une éternité que je n'avais pas souris de la sorte.
- Maman, Papa, commençai-je, Nala et moi on voudrait sortir boire un verre, ça ne vous dérange pas ?
Sans m'en rendre compte, je joignis mes mains en signe de supplication.
-S'il vous plaît !
Mes parents échangèrent un regard entendu et un sourire se dessina sur leurs lèvres, sourire qu'ils tentèrent en vain de dissimuler.
Mon père s'adossa confortablement au buffet derrière lui.
-Boire un verre, hein ? Bon, je suppose qu'il n'y a rien de mal à aller boire un verre habillée comme pour aller au festival de Rio. »
Je levai les yeux au ciel ce qui ne fit qu'élargir leur sourire.
-Allez, il faut que je me détende, je ne rentrerai pas tard, d'accord ?
Mes parents redevinrent sérieux.
-D'accord, reprit mon père. Mais souviens-toi, Boucle d'Or, que tu as une épreuve importante du Bac demain. Ta mère et moi on te fait confiance. Alors promets-moi de ne pas trop boire et de rester près de Lionne Noire, OK ? Et tu ne rentres pas plus tard que 22h30.
-Papa, tu sais bien que je ne peux pas boire, je n'ai que 16 ans, signai-je avec un peu d'emphase.
Ce que je me gardai bien de préciser, c'est que Nala et moi avions une fausse carte d'identité, spéciale urgence. Merci Dylan.
-On est d'accord? continua mon père sans prêter attention à ma dernière remarque. Je hochai vivement la tête, de peur qu'ils ne changent d'avis.
Mes parents sourirent, amusés, et je les quittai avec un petit signe de la main.
Je remerciai intérieurement Nala d'être ma meilleure amie. Mes parents avaient une confiance indéfectible en sa personne et me laissait faire presque tout ce que je voulais, du moment qu'elle était de la partie.
L'intéressée se trouvait à l'entrée, comme prévue, et examinait avec minutie ses ongles parfaitement manucurés. Elle avait enfilé une de mes robes Givenchy, trop petite pour moi et m'avait empruntée des escarpins que je ne mettais plus depuis des lustres, étant donné que même mon talon refusait d'y entrer.
Le petit 38 de Nala y allait parfaitement, lui.
Et comme à son habitude, elle était sublime. Mille fois plus que je ne le serais jamais, même avec tous les vêtements de marque du monde sur le dos.
Elle s'aperçut enfin de ma présence et me demanda, sans la moindre appréhension :
-Alors ?
Je lui souris de toutes mes dents et répondis :
-A ton avis ? Allez on y va !
Elle sourit et ouvrit la porte en grand.
-Attention, Bordeaux, accroche-toi à ton slip, les bombes de la ville sont de sortie !
Je ris silencieusement, et la suivis jusqu'au taxi qui stationnait de l'autre côté de la rue.
Nous nous installâmes sur les sièges en cuir confortables et Nala donna l'adresse au chauffeur.
Il nous considéra un instant avec curiosité, puis mis le contact et démarra sans plus nous accorder un regard.
Je regardai l'heure sur ma montre : 19h30. Ce qui nous laissait en tout 3h pour nous amuser. Si on retirait le temps d'aller et de retour, il nous resterait environ 2h30. C'était largement suffisant.
Nala et moi parlâmes durant tout le trajet, excitées comme des puces à l'idée de nous rendre à l'endroit le plus branché du moment, sans que nous soyons le moins du monde des stars ou des célébrités quelconque. Et le plus excitant dans tout ça, c'était que l'endroit en question était méconnu de la plupart des gens de cette ville. Ça promettait d'être une soirée mémorable.
Le taxi s'engagea dans une rue sombre et sans le moindre signe de vie et je me demandai une seconde s'il ne s'était pas trompé d'endroit.
Nala surprit ma gêne et me rassura d'un regard.
-C'est bien là. La boîte est au sous-sol d'un immeuble, d'après ce que m'a dit le Barman.
Je secouai la tête d'incrédulité. L'endroit n'avait vraiment pas l'apparence d'une boîte de nuit réputée.
Le taxi s'arrêta en face d'un bâtiment sombre et inquiétant. La faible lueur des réverbères suffisait à peine à éclairer l'endroit et de vieux journaux jonchaient la chaussée mouillée. Jamais de ma vie je n'aurais cru qu'un endroit aussi étrange puisse être le lieu à la mode du moment. Comme quoi, les apparences sont trompeuses.
Nala descendit, aussitôt suivit par moi. Elle tendit un billet au chauffeur et lui demanda s'il était possible qu'il repasse nous chercher aux alentours de 22h15.
Il hocha la tête et repartit sans autre parole.
Je me tournai vers ma meilleure amie, me tordant les mains d'anxiété.
-Et maintenant ?
Elle plissa les yeux et prit un air de connaisseuse.
-Et maintenant admire et prends en de la graine.
Elle réussit à m'arracher un sourire et se dirigea sans hésiter vers une porte sans prétention, sur le vieux bâtiment devant lequel notre taxi s'était arrêté. Je la suivis et dès que je fus près d'elle, Nala retourna son attention devant elle.
Elle frappa du poing sur le métal de la porte.
Des secondes interminables s'écoulèrent et Nala s'apprêtait à frapper de nouveau lorsqu'elle suspendit son geste à mi-chemin. Je suppose qu'un bruit de loquet s'était fait entendre. Nala me lança un sourire qui signifiait « tu vois, je te l'avais bien dit ». N'empêche que pour la connaître depuis des années, je savais qu'elle n'en menait pas large. Et moi ça ne me rassurait pas vraiment.
La porte s'ouvrit enfin sur un torse large comme mon dressing. Et c'est un très grand dressing.
Je levai mes yeux exorbités vers le visage qui était attaché à ce corps et découvrit une tête de taille proportionnelle au torse. Le type avait une cicatrice sur la joue et un regard noir comme l'obsidienne, pas commode.
Il nous toisa de haut en bas, les bras croisés. Je pouvais difficilement imaginer plus intimidant comme rencontre.
Armoire-A-Glace plissa les yeux et j'eus la soudaine envie de déguerpir en courant. Mais comme toujours, Super-Nala avait lu dans mes pensées.
Elle m'attrapa le bras et lança un sourire enjôleur au type, qui le laissa de marbre. Premier vent de la vie de Nala. Je supposai qu'elle n'allait certainement jamais s'en remettre mais elle ne se démonta pas.
-On a deux invitations pour le Tigre, minauda-t-elle en faisant une moue espiègle avec sa bouche.
N'importe quel type normalement constitué se serait mis à baver. Armoire-A-Glace se contenta de détendre d'une micro pression ses muscles impressionnants. Peut-être avait-il subi un entraînement spécialisé contre les armes des femmes fatales.
Nala agitait les petites cartes sous son nez et il les saisit d'un geste adroit. Ma meilleure amie croisa les bras en souriant. Comment pouvait-elle garder une telle assurance devant autant de frigidité ? Moi j'avais envie de courir après le taxi pour qu'il me ramène chez moi.
Après avoir étudié les cartes comme s'il cherchait à savoir si elles n'étaient pas fausses, il leva légèrement les yeux et nous observa par-dessus les deux cartons d'invitations.
-Elles sont vraies. Comment avez-vous eu ces cartes ?
Je sursautai lorsqu'il se mit à parler. Je commençai à croire qu'il était muet comme moi. Nala pencha la tête sur le côté, son sourire espiègle toujours collé aux lèvres.
-Persuasion féminine, ça vous dit quelque chose ?
Je m'attendais à ce qu'Armoire-A-Glace nous jette dehors, ou encore plus dehors que nous ne l'étions déjà, mais il se contenta de nous rendre les cartes.
Je crus même apercevoir un minuscule début de sourire, qu'il retint de justesse, entraînement intensif oblige.
Il redevint stoïque.
J'attendis qu'il nous demande nos cartes d'identités, mais le fonctionnement de cette boîte de nuit ne semblait pas répondre aux règles des autres.
-C'est bon vous pouvez passer, dit-il. Vous prenez l'ascenseur au bout du couloir et vous descendez au dernier sous-sol.
Une fois les consignes éditées, il s'écarta pour nous laisser passer. Nala lui fit un clin d'œil et lui susurra un merci du bout des lèvres.
Nous nous dirigeâmes vers l'ascenseur. Le monde autour de moi était silencieux, comme à son habitude. Je commençais à appréhender l'entrée dans la boîte. Et si ça ne se passait pas comme je l'avais prévue ?
Nous entrâmes dans la boîte exiguë et Nala écrasa le dernier bouton. C'était marqué -2.
Je l'observai un moment, anxieuse et soupirai de soulagement lorsque sa tête se mit à dodeliner au rythme de la musique. Lorsque l'ascenseur s'arrêta brusquement, mon cœur se mit à battre à toute allure dans ma poitrine.
Les portes s'ouvrirent et tout mon corps sembla reprendre vie, comme après un sommeil d'une éternité.
Je n'entendais toujours rien, mais c'était tout comme. Nous venions d'atterrir dans une pièce vide dans laquelle il y avait une porte au fond. Je suppose que c'était de là que venait les vibrations que je ressentais.
C'était un pur bonheur. L'impression que, pour un court moment, j'allais pouvoir percevoir le monde comme la plupart des gens.
Un léger boum-boum-boum battait dans mes veines, masquant la cadence rapide de mon cœur. Je pouvais presque imaginer ce qu'était une mélodie.
Pour une fois, je devançai Nala et m'approchai de la porte. Je posai la main sur la poignée, savourant le rythme des basses qui s'infiltrait dans mon corps, comme une drogue qui me rendait euphorique.
Je tournai la poignée.
Mon cœur explosa sous la puissance des basses.
La porte s'ouvrit sur un monde d'une autre dimension. Des lumières en kaléidoscope balayaient la pièce de rouge puis de bleu puis encore du rouge, dans une succession sans fin. La musique devait être tellement forte que les basses résonnaient dans mon corps à m'en faire vibrer les dents. Un immense bar s'étendait à notre gauche, tandis qu'au fond à droite un DJ trifouillait son matériel de musique. En face de nous, une scène s'étendait, et juste en-dessous une masse de personnes dansait, les unes collées aux autres.
Le décor était très moderne, futuriste même, et contrastait presque douloureusement avec le reste du bâtiment. Des colonnes aux formes ondulées soutenaient le plafond. Le bar partait en arc-de cercle et couvrait un coin et presque deux pans de murs de l'immense pièce. Le plafond était blanc mais les rayons UV le faisait paraître fluorescent. Toutes les couleurs claires de ma robe avaient explosé dans une mosaïque de fluorescent.
Je sentis mon sang bouillir dans mes veines alors que l'adrénaline prenait le contrôle de tous mes membres.
Je sentis une main m'agripper le bras et je tournai la tête vers son propriétaire. Nala avait la bouche grande ouverte et les pupilles dilatées à l'extrême. On aurait dit qu'elle venait de découvrir la raison d'être de son existence.
Et je suis prête à parier que je faisais exactement la même tête.
Elle se tourna vers moi et me fit le plus grand sourire que j'avais jamais vu s'épanouir sur son visage.
-OH MY GOODNESS Lou, on est au paradis !
Elle avait certainement hurlé pour couvrir le bruit qu'il y avait dans la pièce, et j'eus envie de rire en pensant que je l'aurais comprise de toute façon, puisque je lisais sur les lèvres.
Elle balança la tête en arrière et poussa un cri qui devait être complètement extatique. J'aurais voulu l'imiter mais je n'avais pas pour habitude de crier.
Et puis je dois avouer que la scène qui se déroulait sous nos yeux m'intéressait trop pour que je m'attarde longtemps sur le pas de la porte.
Nala devait penser la même chose parce que, sa main toujours sur mon bras, elle me tira vers le bar.
Une foule compacte de gens était sur la piste de danse, mais le bar était comble aussi. En passant devant la masse de chair qui se dandinait au rythme des boums boums, je crus apercevoir une grande star de l'équipe des Girondins de Bordeaux.
Mais Nala ne s'arrêta pas et je n'eus pas le temps de vérifier mon hypothèse.
Arrivée devant le barman, elle se faufila entre deux hommes accoudés au bar et fit un petit coucou au type derrière le comptoir. Elle semblait avoir oublié qu'elle n'était pas toute seule et qu'à force de me tirer vers elle j'allais finir par tomber sur les genoux d'un des deux mecs entre lesquels elle s'était incrustée.
Je compris qu'elle s'était mise à parler au barman, car le visage de celui-ci, jusque-là inexpressif, s'éclaira comme si Nala était un véritable rayon de soleil dans une matinée pluvieuse.
C'était un jeune homme dans la petite vingtaine, les cheveux coupés en brosse, des grands yeux marron. Et des muscles saillants sous son T-Shirt G-star.
Il était vraiment mignon, si on aime le genre homme parfait.
Comme elle se trouvait de dos, je ne sus pas ce qu'elle lui racontait. Je me contentai de lire les réponses du type qui semblait hurler pour que Nala puisse l'entendre par-dessus le bruit de la musique, des voix et surtout des basses, que même moi j'arrivais à sentir parfaitement.
-Salut la Belle, alors tu t'es décidée à venir me rendre visite ?
Une pause. Son sourire s'élargit. Je levai les yeux au ciel en imaginant ce que Nala avait bien pu lui susurrer.
-OK. C'est gentil. Qu'est-ce que je te sers ?
Une nouvelle pause.
-Non, pas besoin, ici c'est du freestyle. Pas de réglementation bébé. Les flics on les a à la bonne. En plus, ils ne nous rendent pas visite souvent. Le patron a des potes chez eux.
Bébé ? Pensai-je, désabusée. Ce type était-il sérieux ? Les années 80 étaient révolues depuis à peu près trente ans, si je ne m'abuse, et il y avait encore des gars pour parler comme ça aux filles qu'ils tentaient de draguer ? Hallucinant.
Son sourire s'évapora tout d'un coup et je crus lire un immense désarroi dans son regard.
-Deux Mojitos ? T'es venue avec quelqu'un ?
La main de Nala se souleva par-dessus son épaule et elle me désigna de son pouce.
Le barman sembla me remarquer pour la première fois. Après l'instant où le soulagement se lisait dans ses yeux, il m'observa avec curiosité.
-Elle est jolie ta copine. Si elles sont toutes comme ça, va falloir que je te donne plus d'invitations.
Je rougis comme une pivoine.
Nala se retourna et rit en surprenant l'expression de mon visage. Elle s'accouda de nouveau sur le comptoir et dit quelque chose.
Les yeux du type s'agrandirent de surprise et il m'observa avec plus d'attention, comme s'il s'attendait à voir marqué « sourde et muette » sur mon front.
Je croisai les bras. Je commençais à en avoir assez de leur petit échange et j'attendais mon Mojito.
-Sérieux ? Demanda le type, incrédule. Elle lit sur les lèvres ? Vraiment tout ?
Je vis Nala hocher la tête.
Il se tourna vers moi et se gratta la tête.
-Ça veut dire que là, tu...
Je hochai la tête à mon tour, maintenant amusée de voir son embarras.
-Ah euh, ben désolé, je pensais ce que je disais en tout cas.
Je haussai les épaules et tentai un sourire au gars à ma gauche. Il me sourit à son tour et se décala légèrement pour me laisser un peu de place.
La vache, ça marchait ! Nala avait raison, le pouvoir d'un sourire ne devait jamais être sous-estimé. Le pauvre devait penser que j'allais lui taper la conversation, sauf que je me tournai vers le barman et appuyai mon menton dans ma main.
-Alors, ce Mojito ? articulai-je silencieusement, mais assez clairement je l'espérais, pour qu'il me comprenne.
Peine perdue. Il me fixa, l'air totalement paniqué. Est-ce que je faisais si peur que ça ? Je soupirai et me tournai vers Nala en haussant les sourcils, ce qui signifiait « Bon, vas-y explique-lui, il ne me comprend pas ».
Nala opina du chef et se mit à dessiner sur le nœud d'un bois. Comment pouvait-elle donner à un geste aussi banale autant de sensualité, cela restait un mystère pour moi.
-Il faut l'excuser, dit-elle au type. Elle est sourde et muette. Et, tout comme moi d'ailleurs, elle attend son Mojito avec impatience.
Je ris. J'aimais la façon dont Nala parlait de mon handicap. Pas de gant, pas de tabou. C'était normal pour elle et elle le faisait savoir très clairement.
Le Barman acquiesça, non sans un dernier regard dans ma direction et alla choisir les bouteilles sur les étagères derrière lui pour nous préparer notre cocktail.
J'observai avec grand intérêt la façon dont elles étaient disposées. Il y avait des centaines d'alcool différent qui couvrait presque deux pans de murs. Le barman se trouvait en fait dans le coin entre ces deux murs. Chaque bouteille disposait de sa petite étagère en forme de rectangle, qui brillait d'une couleur différente de celle qui était à côté d'elle.
C'était très joli et je me demandai si c'était le matériau qui s'illuminait ainsi, ou si on avait placé un néon dans le plastique blanc des étagères.
Une fois notre boisson entre les mains, Nala et moi nous retournâmes vers la scène qui se déroulait en face du bar.
Des dizaines de personnes dansaient sur la piste. Beaucoup transpiraient et la plupart des filles étaient collées à un partenaire. Je me concentrai sur leur mouvement et sur le boum boum qui résonnait toujours dans mon cœur. J'essayai de comprendre comment ils faisaient. Ils avaient l'air de suivre le rythme, et j'étais sûre que si je tentais ma chance, je n'aurais pas trop l'air ridicule.
Ça ne donnait pas l'impression d'être compliqué.
Nala surprit mon regard, et après avoir avalé une grande gorgée de son Mojito, elle désigna la piste du menton.
-On tente le coup ?
Elle avait parlé en signes, pour la première fois depuis des lustres. Mais il faut dire qu'avec le kaléidoscope et la pénombre qui régnait dans le lieu, j'avais quand même du mal à lire sur les lèvres.
Le sens de ses signes me frappa soudain. Mon cœur se mit à battre plus fort.
Non, certainement pas, non. Je ne pouvais pas faire ça. C'était vraiment idiot, comment avais-je pu seulement y penser ?
Je secouai la tête, complètement paniquée.
Elle haussa les épaules et répondit, toujours en signes.
-Comme tu veux.
Je me sentis rassurée, mais un sentiment plus fort encore me fit soupirer. J'étais déçue. J'aurais peut-être préféré que Nala m'encourage.
Je me tournai et fit comprendre au barman que je désirais un nouveau Mojito. Il acquiesça et me fit un clin d'œil.
Un clin d'œil !
Ben dis donc, pensai-je avec amertume. Un peu de rouge à lèvre et de crayon noir et voilà que je n'étais plus invisible aux yeux du sexe masculin.
Nala et moi discutâmes avec enthousiasme pendant une demi-heure, rigolant et se moquant des nanas qui se la jouait gogo danseuses avec leur copain. S'il s'agissait réellement de leur copain.
Les Mojito avaient fait effet. Je m'étais arrêtée à deux mais Nala en avait pris un troisième. Sauf qu'elle tenait beaucoup mieux l'alcool que moi, vu qu'elle y était habituée dans une large mesure. Moi, on pouvait dire sans exagération que c'était plus qu'occasionnel.
Je commençai à voir le monde avec beaucoup plus d'optimisme.
A la fin du deuxième Mojito, je décidai que danser n'était pas une si mauvaise idée. Nala, cette traîtresse, qui j'en suis sûre m'avait fait boire dans le seul et unique but de m'amener à cette conclusion, me proposa une nouvelle fois d'aller danser.
J'acceptai, non sans appréhension.
Nous nous dirigeâmes vers la piste de danse et Nala se mit à bouger au rythme de la musique.
Rien que la regarder faire me fila des complexes. Un mini cercle s'était formé autour d'elle et la plupart des garçons quittaient leur partenaire pour venir danser à ses côtés.
Si la déesse de la sensualité et du sex-appeal existait, j'étais persuadée qu'il s'agissait de ma meilleure amie.
Je l'observai un moment alors que des mecs plus sexy les uns que les autres tentaient à tour de rôle de poser leurs mains sur ses hanches ou de se coller un peu trop à elle.
Inlassablement et avec une subtilité telle qu'on aurait dit qu'elle le faisait malencontreusement, elle les repoussait.
Cela me fit sourire car, malgré tout ce qu'elle pouvait dire ou faire, il était claire qu'elle était raide dingue de Dylan, qu'elle ne désirait pas que d'autres mains que celles de son copain viennent se poser sur son corps, et qu'elle le respectait, malgré tout.
Je soupirai alors que ma volonté venait de prendre une douche froide. Il était hors de question que je me mette à danser alors qu'une divinité de la beauté et du rythme se dandinait sur la piste. Déjà que tous les mecs présents étaient en admiration, pour ne pas être vulgaire, et que les filles regardaient Nala avec un mélange de jalousie haineuse et d'envie, je n'avais pas envie de me ridiculiser en me donnant en spectacle. J'aurais l'air d'une dinde aux côtés d'un cygne.
Je me rendis compte tout à coup que j'avais très, très envie d'aller aux toilettes. Merci les Mojitos, pensai-je.
Je me tournai vers Nala pour la prévenir, mais la foule l'avait encerclée et elle était maintenant hors de vue.
J'inspirai profondément et me dirigeai vers les toilettes. Je pouvais faire ça toute seule, j'étais une grande fille.
J'entrai dans la salle d'eau. Elle était aussi moderne que le reste de l'immense pièce, et très bien entretenue.
Les vasques étaient en verre transparent et brillaient d'un reflet fantomatique, sous les néons UV.
Plusieurs cabines en bois de merisier s'étendaient de chaque côté de la porte.
J'en choisis une au hasard et fis ce que j'avais à faire. Une fois rhabillée, je sortis de la cabine et tombai sur deux filles en train de se refaire une beauté devant l'immense miroir qui surplombait les six vasques.
Elles étaient tellement concentrées sur leur visage, ou sur la conversation, qu'elles ne me remarquèrent pas.
Je me fis discrète et lus ce que je pus sur leurs lèvres.
-Non, mais tu as vu cette fille ? Elle n'est même pas jolie. Et elle danse comme un pied. Franchement je ne sais pas ce qui me retient d'aller lui botter son joli petit cul de black.
Je sursautai en comprenant qu'elles parlaient de Nala.
-Pff, ouais t'as raison. C'est vraiment pitoyable sa façon d'essayer d'attirer toute l'attention sur elle. Elle doit être encore pucelle, à tous les coups. Si je ne me retenais pas, j'irai lui balancer ses quatre vérités à la figure.
Leur venin était simple à analyser : elles crevaient de jalousie. Bien sûr que Nala était belle. Quant à ce qui les retenait d'aller lui cracher ce qu'elles pensaient d'elle en face, j'en avais comme une petite idée.
Elle ne savait pas comment calmer leur colère, alors elles crachaient sur le dos de ma meilleure amie, sans la connaître. C'était tellement lâche et écœurant que j'en eu la nausée.
Je devais faire quelque chose, la défendre. Mais comment ? Elles ne me comprendraient pas, et ne feraient que se moquer de moi en plus.
Mais je devais réagir. Nala était la personne qui comptait le plus au monde pour moi, avec ma famille. Elle n'aurait pas hésité une seconde, à ma place. Je ne pouvais pas laisser deux nanas baver sur elles, les bras croisés !
Je pris mon courage à deux mains et me redressai de toute ma hauteur. Mais alors que je m'apprêtais à apostropher les filles, un mouvement à ma gauche attira mon attention.
Nala était adossée au chambranle de la porte, les bras croisés sur la poitrine et un sourire amusé sur les lèvres.
Les deux filles, qui parlaient toujours d'elle, se retournèrent pour sortir des WC. Elles se figèrent dans leurs gestes et leurs paroles, en apercevant Nala.
Elle, toujours adossée avec nonchalance sur le chambranle, ouvrit la bouche. « Aïe », eus-je le temps de penser.
-Ben voilà, les filles. Votre vœu est réalisé, on va pouvoir régler ça en face à face, comme des adultes.
Ne leur laissant pas le temps de sortir de leur hébétude, elle s'approcha, jusqu'à avoir sa poitrine contre la-leur. Elles étaient plus grandes et plus nombreuses, pourtant ce furent elles qui reculèrent.
Moi, je craignais qu'elle en vienne aux mains, ce qui arrivait plutôt rarement. Nala savait se contenir et blesser avec ses mots, mais parfois elle frappait. Et c'était aussi douloureux que ses insultes.
Les deux filles restèrent silencieuses.
-Bandes de lâches, vous n'êtes même pas capable de déballer ce que vous pensez devant moi. Même une gamine de trois ans en aurait plus dans le pantalon que vous deux réunie. Vous me faites pitié. Ne me regardez plus jamais dans les yeux ou je vous écrase comme les deux bouses que vous êtes.
« Aïe », repensai-je en réprimant mon envie de rire.
Elle se tourna vers moi et me fit signe de la rejoindre. J'obtempérai en secouant la tête, remarquant la surprise des filles qui ne m'avaient toujours pas aperçue.
Une fois éloignée des toilettes, j'arrêtai Nala.
-J'allais intervenir, tu sais.
Son regard, jusque-là dur comme de la pierre, s'adoucit.
-Oui j'ai vu. Merci ma belle, ça m'a vraiment touchée.
Le poids qui pesait sur ma conscience s'envola lorsqu'elle me sourit.
-Bon, la blonde, on rentre ? Dit-elle en me bousculant malicieusement. Ce taudis ne mérite pas d'accueillir mon joli petit derrière de black plus d'une heure.
J'acquiesçai, amusée et soulagée de rentrer chez moi.
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