Chapitre 18

Et le 18.

Le docteur Stuart se releva en grimaçant. Il retira le stéthoscope de ses oreilles et me lança un regard bienveillant. C'était un homme tout en rondeur, au visage poupin et aux traits doux. Je le connaissais depuis que j'avais eu ma méningite, puisque c'était lui qui me l'avait diagnostiqué et m'avait envoyé en urgence à l'hôpital. Depuis mes parents n'avaient jamais changé de médecin traitant et cela me convenait très bien. Je l'aimais bien, ce docteur Stuart.

- Ma chère Louanne, dit-il en articulant consciencieusement, comme à son habitude, je pense que tu as fait une belle baisse de tension et je dirais même que tu es passée très près du Burn-out. C'est la mode en ce moment chez les jeunes, les burn-out. On dirait que vous n'avez que ça à faire, vous autres, me dit-il avec espièglerie. Bon je te conseille de rester tranquillement chez toi le reste de la semaine et tout va rentrer dans l'ordre.

Je hochai la tête, tête qui me faisait drôlement mal, d'ailleurs. Une conséquence malheureuse de toute la tension qui s'était accumulée ces dernières semaines, selon le docteur Stuart. Il m'avait rassuré en me disant qu'avec un doliprane, le mal de crâne passerait facilement.

Le docteur me fit un clin d'œil et se dirigea vers l'entrée de la chambre, où attendaient mes parents, l'air grave. Il se mit dos à moi, de sorte que je ne pus lire sur ses lèvres, mais je vis papa hocher la tête plusieurs fois et maman se détendre légèrement. Il avait dû leur dire la même chose qu'à moi. De toute façon je m'en moquais un peu. J'avais l'esprit ailleurs. Déjà à ma migraine qui me vrillait les tempes, et puis je pensais à mon comportement ces derniers jours. On ne pouvait pas dire que j'avais agi de façon rationnelle. J'avais l'impression que tout ce qui s'était passé n'était qu'un rêve flou et que je pourrais reprendre ma vie normale dès qu'il se serait estompé. J'avais fait une crise existentielle couplée avec une peine de cœur et cela m'avait tout simplement mis hors de moi. Dans tous les sens du terme.

Mais je me sentais déjà mieux. Savoir que je n'étais pas folle, juste un peu perturbée par les évènements, me rassurait. Et puis j'avais l'impression que j'avais passé un cap, une espèce d'obstacle qui me bloquait la vue depuis que j'étais sourde et que j'avais franchi, me permettant de voir enfin clair dans mon futur. Je ne dis pas que je m'étais transformée en Irma et que je lisais l'avenir, mais tout me semblait beaucoup plus... évident. J'étais sourde ? OK. J'avais un handicap qui me pénalisait par rapport aux autres ? Pas de problème. Le seul homme qui m'ait jamais attiré avait décidé de m'ignorer ? Tant pis pour lui.

J'avais décidé d'avancer et de ne plus m'arrêter sur tout ce que je n'avais pas, mais plutôt me concentrer sur tout ce que je pouvais avoir. Et croyez-moi, la vie me paraissait beaucoup plus lumineuse, tout à coup.

Le docteur et mes parents descendirent au rez-de-chaussée et je me détendis, bien au chaud sous ma couette. Mon portable était posé sur ma table de chevet juste à côté de moi et clignotait. J'avais un message. Il s'agissait de Nala, qui ne cessait de me harceler depuis que j'avais pété un plomb et allumé un feu de joie avec des toiles et des dessins que j'avais mis des heures à peindre, pour savoir comment j'allais. Je n'avais pas envie de regarder tout de suite. J'étais trop bien, là tout de suite, dans mon lit, à rêvasser sur mon futur et sur toutes les possibilités qui s'offraient à moi. J'allais devenir la Louanne que j'avais toujours rêvé d'être, celle qui ne se laisserait plus marcher sur les pieds, celle qui se battrait pour son avenir, celle qui aurait désormais la niaque et qui en voudrait pour obtenir ce qu'elle veut. Mais je ne voulais pas pour autant changer ce que j'étais, et ça, pensé-je, ce serait le plus dur.

Je m'étirai en baillant et en pensant aux cinq jours de tranquillité qui s'offraient à moi. Manquer trois jours d'école ne me ravissait pas plus que ça, vu que je devrais tout rattraper en revenant, mais en même temps je savais que j'allais apprécier de rester dans le calme apaisant du Sanctuaire, que j'allais me ressourcer. C'était ça, une nouvelle Louanne, gonflée à bloc, voilà comment j'allais revenir en cours.

Cette pensée me fit sourire.

Je rejetai sur un coup de tête la douceur satinée de mes draps et me levai avec peine. J'avais encore les jambes flageolantes et je me sentais terriblement fatiguée. Heureusement, le doliprane commençait à faire son effet et ma migraine s'estompait petit à petit. Ce devait être un simple mal de crâne. Je fis quelques pas hésitants vers ma fenêtre, là où trônait toujours mon chevalet, l'air nu et solitaire sans une toile coincée dans son cadre.

Je le caressai avec amour, un léger sourire désolé aux lèvres.

- Je m'excuse mon beau, murmurai-je, de t'avoir délaissé ces dernières semaines, et je m'excuse pour le sacrilège que j'ai accompli. Je jure que je ne détruirais plus jamais une seule toile de toute ma vie.

Vous me prenez peut-être pour une folle, à parler toute seule à mon chevalet, un objet inanimé et non pensant. Mais j'essayais plus de me pardonner moi que ce pauvre cadre en bois. Et croyez-moi c'était dur. Je regrettais amèrement d'avoir brûlé les portraits de Théo. Pas parce que j'espérais encore avoir de ses nouvelles, mais plutôt parce que j'avais l'impression de brûler une partie de moi avec ces dessins. Et qu'elle ne réapparaitrait jamais.

Je laissai ma main glisser sur le panneau en bois, puis sur mon large secrétaire avant de la laisser tomber sur le premier tiroir. Je ne sais pas pourquoi, mais j'avais envie de l'ouvrir. Une intuition, quelque chose me disait que je devais ouvrir ce tiroir.

Je fronçai les sourcils et cédai à cette impulsion sans trop savoir ce que j'allais chercher. Tout était en ordre à l'intérieur. Il y avait mes différents dossiers, ceux de l'été dernier, avec tous les portraits que j'avais fait de Nala, Dylan et Sam, lorsque nous étions allés à Lacanau. Il y avait des dizaines d'autres dossiers intitulés et classés par ordre alphabétique.

Tout était en ordre, à part un petit détail qui attira immédiatement mon attention. Il y avait une toile qui n'était pas rangée dans un dossier et qui dépassait d'entre deux chemises. Je fronçai les sourcils et tirai doucement sur le coin coloré et légèrement corné qui débordait. Je portai la toile à mes yeux, la tenant à bout de bras, le souffle coupé.

C'était un portrait de Théo. Leportait de Théo, plus précisément. Celui que j'avais peint la toute première fois, lors de notre toute première rencontre, mon tout premier coup de cœur. Il était légèrement abîmé, laissé à l'abandon tel quel au fond de mon tiroir, mais il était toujours aussi beau, aussi mystérieux. Théo me regardait encore comme s'il me voyait telle que j'étais réellement, et pas comme les autres ont tendance à me voir.

Je sentis ma gorge se serrer en pensant que le destin m'adressait un petit clin d'œil complice. Peut-être que je ne reverrai jamais le beau métis aux yeux verts, peut-être qu'il n'avait été qu'un mince chapitre dans mon existence, mais je m'en moquais. Je me rendis compte tout à coup de tout ce que j'avais accompli grâce à lui ces derniers mois. J'avais réappris à parler, je m'étais ouvert aux autres, j'avais abandonné mes craintes quant au monde extérieur et j'étais devenue quelqu'un d'autre, celle que j'avais toujours voulu être, celle que je ne pensais jamais devenir.

Peut-être que Théo avait définitivement disparu, mais finalement je lui devais une fière chandelle.

Je pris une chemise vierge et rangeai amoureusement le portrait à l'intérieur, puis glissai le dossier dans le tiroir. Je soufflai profondément et me sentis tout à coup plus légère. Même mes jambes me semblaient plus fermes. Je voyais l'avenir avec réalisme, mais avec tellement plus d'optimisme qu'auparavant ! Théo allait me manquer, et il faudrait que je fasse un travail sur moi-même pour l'oublier. Non, pas l'oublier, me repris-je avec un sourire, pour tourner la page de ce petit chapitre qui avait changé ma vie.

***

Je me dirigeai à pas lents vers mon lit et m'assis distraitement sur le matelas, continuant de rêvasser. Je jetai un coup d'œil à mon portable, qui clignotait toujours inlassablement, me suppliant d'ouvrir le message de Nala.

Je soupirai et l'attrapai d'un geste maladroit où perçaient encore la faiblesse et les tremblements dont j'étais la victime ces derniers temps. J'ouvris ma messagerie et remarquai que j'avais deux messages, et pas seulement de Nala. Un numéro inconnu s'affichait.

Je ne vais pas vous mentir en disant que mon cœur ne s'est pas mis à battre plus vite, que mes mains ne se sont pas soudainement mises à trembler violemment que je n'ai pas eu des sueurs froides. Non je ne vais pas vous mentir en vous disant que je n'ai pas de suite pensé à ce que cela pouvait être, au destinataire qui pouvait m'avoir envoyé ce message.

Non je ne vais pas vous mentir.

Je cliquai finalement sur le message en question et ne pus retenir un hoquet d'excitation :

« Salut, Lou. Je suis vraiment désolé de ne pas t'avoir contacté plus tôt. Si tu tiens toujours à me voir, je serai devant le cinéma « le Festival » de Bègles ce soir à 19h30. Théo. »

Je restai interdite un moment, les yeux écarquillés, le souffle court. Mais qu'est-ce que j'allais faire, bon sang ? Qu'est-ce que j'allais faire ?

D'une main tremblante, sans comprendre ce que je faisais, et sans me dire que c'était complètement stupide, je composai le numéro de Nala, que je connaissais par cœur.

J'attendis quelques secondes, puis je m'écriai, d'une voix chevrotante :

- Nala, si tu m'entends, si tu as décroché, je t'en supplie j'ai besoin de toi, tout de suite maintenant !

Je raccrochai et me laissai tomber sur mon lit, les yeux toujours exorbités. Est-ce que cette situation était réelle où étais-je encore sous l'influence d'un de mes rêves ?

Mon portable vibra dans ma main, me confirmant qu'il s'agissait bien de la réalité. Je le sortis de veille si précipitamment qu'il faillit m'échapper et voler à travers la pièce. C'était un texto de Nala :

« Ne bouge pas, j'arrive. »

Je laissai retomber mon bras et me mis à divaguer. Est-ce que je devais lui répondre ? L'envoyer balader ? Lui dire que j'étais partante ? L'ignorer ? Je relus le texto une trentaine de fois, comme si l'apprendre par cœur allait faire paraître la situation plus claire. Il n'en fut rien, bien sûr. J'étais complètement perdue. Et j'avais besoin de Nala. Seule ma meilleure amie pourrait m'aider à me calmer et porter un regard franc sur la situation.

Comme si j'avais invoqué sa présence, l'intéressée surgit tout à coup dans le Sanctuaire et me sauta dessus, essoufflée et rouge comme une tomate. Je hurlai de peur et la fixai avec surprise. Comment était-elle arrivée si vite ? Soit je n'avais pas vu le temps défiler, toute perdue dans mes pensées que j'étais, soit elle s'était carrément téléporter dans ma chambre ! Je compris qu'il s'agissait un peu des deux.

- Lou ! Lou ! Qu'est-ce qu'il se passe ? Tu tremblais au téléphone ! et tu n'as jamais appelé qui que ce soit, ça doit être grave ! Tu es malade ? Tu sens que ça va de nouveau mal ?

Elle ne me laissait pas en placer une. Je portai une main à sa bouche pour la faire taire et brandis mon portable sous son nez. Elle me lâcha et s'en saisi d'un geste adroit. Je scrutai sa réaction, m'apprêtant à la voir exploser de colère.

Elle se contenta de laisser tomber ses mains sur ses genoux, tenant toujours fermement le téléphone, et laissa échapper un « oh » inexpressif.

Je restai pantoise. Oh ? Oh ?! C'était tout ? Pas de hurlements ? Pas d'insanités proférées à l'encontre de Théo ? pas de longues enjambées colériques à travers ma chambre ? Mais ce n'était pas Nala, ça ! pas Nala du tout !

Je lui fis les gros yeux.

- Oh ? C'est tout ce que tu as à dire ? Je suis dans une galère complète, j'ai besoin d'un conseil et c'est tout ce que tu trouves à dire ? Oh ?

Elle leva les mains en signe d'impuissance, manquant d'envoyer valdinguer mon téléphone.

- Eh je ne suis pas Dieu Tout Puissant ! Je n'ai pas la solution à tout ! J'écartai les bras en signe d'incompréhension.

- Mais tu dois bien avoir un avis sur la question, non ?

Elle plissa les yeux.

- Oh, tu veux que je te donne mon avis.

Je hochai la tête et elle renchérit de plus belle :

- Tu veux que je te donne mon avis !

- Oui, hurlai-je.

Elle inspira profondément et je reculai un peu, m'apprêtant à redécouvrir les adjectifs qui qualifiaient Théo. Elle se leva d'un bond et mis ses poings sur les hanches.

- Eh bien tu vas lever ton petit derrière de blonde anémique, et tu vas y aller, à ce rendez-vous !

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