Chapitre 17

Et comme je suis lancée, voilà aussi le chapitre 17.

Une semaine passa, puis une deuxième et je n'eus aucune nouvelle de lui. Pas un SMS, pas un appel, rien, nada, niet. Chaque jour je scrutais l'écran de mon téléphone portable, espérant recevoir un petit texto, un signe de sa part, quelque chose. Dès que je le sentais vibrer dans ma poche je le sortais d'une main fébrile et, immanquablement, la déception m'envahissait.

Il s'agissait toujours de Nala ou d'un de mes parents. De Dylan de temps en temps, pour me demander où était sa petite amie, petite amie pour laquelle je ressentais de plus en plus de ressentiment. J'essayais de le cacher, je ne disais rien, ne lui rappelais pas son pari.

Deux contre un qu'il te rappelle dans la matinée.

J'aurais peut-être dû le tenir, ce pari, après tout. Cela m'aurait au moins rapporté quelque chose. Nala était d'ailleurs dans ses petits souliers. Je ne l'avais jamais vu dans un tel état. Elle était à mes petits soins, me rendait une profusion de services, se proposait pour m'aider à réviser et elle le faisait en plus ! Elle ne fanfaronnait plus autant et avait l'air contrite presque tout le temps. Cela m'aurait fait rire si le contexte était différent. Mais je ne riais pas, oh ça non. Je faisais mon possible pour rester la Louanne que j'étais auparavant, mais l'animosité me gagnait et j'avais de plus en plus de mal à être agréable avec elle, malgré tous les efforts qu'elle faisait pour me soulager

Et moi dans tout ça, j'étais plus désespérée de jours en jours. Je ne suivais plus en cours, je n'écoutais plus quand on me parlait, je ne cherchais plus à apprendre. Attention, je ne dis pas que j'étais tombée dans une dépression nerveuse et que je pensais que ma vie était fichue. Non, j'étais seulement distraite par ma déception. Une déception si profonde qu'elle me prenait toues mes capacités de concentration.

Dire que j'avais cru pendant quelques instants qu'il s'intéressait un peu à moi... quelle désillusion ! Ce que j'avais pu être bête ! Il avait juste essayé d'être gentil avec la pauvre et stupide handicapée que j'avais pu être. Je me détestais pour penser ça de moi. Depuis le temps que j'entendais mes parents et les autres sourds que je côtoyais me scander qu'être sourd c'était une fierté, qu'être sourd ça n'était pas un handicap, qu'on était juste différents, en marge du monde. Eh bien là j'aurais tout donné pour être normale et pas différente. Je détestais les divergences, je haïssais l'anormalité qui composait ma vie. Et j'avais de la rancœur envers tout le monde, d'ailleurs. Mes parents ne me reconnaissaient pas. Je leur répondais, étais sans arrêt de mauvaise humeur, ne leur parlait presque plus. Ils essayaient de comprendre pourquoi, mais comment aurais-je pu leur expliquer ? J'étais en pleine crise existentielle et je ne savais plus du tout où était ma place. J'étais même allée sur internet chercher des informations sur l'implant coculaire, cet appareil qui vous permet d'entendre à nouveau. C'est vrai que j'avais juré de ne jamais en venir à ça. C'est vrai qu'en tant que sourde je ne voulais pas en arriver à m'implanter une puce qu'il ne serait plus jamais possible de retirer. C'est vrai. Mais j'en avais tellement marre. Dans ma tête je ne cessais de me répéter que je n'avais pas ma place chez les sourds, ni chez les entendants. Pas chez les sourds puisque je détestais mon handicap, pas chez les entendants parce que je ne pourrais jamais entendre. Pas sans cet implant, en tout cas. Je n'avais ma place nulle part. Nulle part bon sang. Je ne savais plus quoi penser, j'étais perdue et je pleurais tous les soirs en secret sur ce que je ne pourrais jamais faire, sur ce que les autres auraient toujours à faire pour moi.

Vous vous demandez peut-être pourquoi je faisais tout un cirque sur ma surdité pour un garçon qui ne m'avait pas donné de nouvelles, comme je l'espérais. Ah, c'était tellement plus que ça. Tellement plus.

C'est vrai que j'avais de la peine, que Théo me décevait, que Nala m'énervait, que j'aurais voulu qu'il m'envoie un tout petit message, ne serait-ce que pour me dire qu'il avait apprécié de passer un petit moment avec moi mais que ça s'arrêtait là. J'aurais préféré.

Mais c'était tellement plus que ça. Tellement plus.

J'étais sourde. J'étais sourde et ma meilleure amie m'avait cru incapable de me débrouiller toute seule et avait gâché le rendez-vous de ma vie. J'étais sourde et j'avais fait fuir la plupart des garçons dans ma vie, sauf un qui avait finalement fui, lui, parce que ma fichue surdité m'empêchait de vivre ma vie comme je l'entendais.

Mais qu'est-ce que j'avais fait pour mériter ça ? Qu'est-ce que j'avais fait ?

Un mardi, j'ai séché l'école et je suis allée à l'institut de surdité de bordeaux, voir un professeur avec qui j'avais pris rendez-vous.

Il me renseigna sur l'implant coculaire, me donna des fiches, des tracts afin que je sois sûre de ce que je voulais faire. J'en avais tellement marre à ce moment même, je détestais tellement ma surdité que je me serais fait opérer sur le champ si ça avait été possible. Ce qui n'était bien évidemment pas le cas. Il fallait que j'attende d'être majeure ou que j'ai l'autorisation de mes parents, et je savais pertinemment qu'ils ne me le donneraient pas.

Je suis rentrée chez moi abattue, incertaine et triste.

Et je me suis fait souffler dans les bronches bien comme il faut pour avoir loupé une après-midi de cours. Ils ne réussirent néanmoins pas à me faire dire ce que j'avais fait à la place et je fus doublement punie. Mais ce que je pouvais m'en moquer !

J'étais désespérée et personne ne le comprenait. Même pas Nala qui ne savait plus quoi faire pour me distraire. Néanmoins elle ne m'abandonnait pas et était toujours là pour moi, peu importe le nombre de fois dans la journée que je lui rabâchais à quel point ma vie était nulle. J'avais même arrêté mes cours avec Mamou.

Je ne peignais plus.

Je n'en avais plus envie, plus la force, plus la volonté. Toutes mes peintures me faisaient penser à Théo, irrémédiablement, et c'était trop douloureux. C'est vrai, Nala avait mis le doigt sur quelque chose que je n'avais pas voulu m'avouer. J'étais amoureuse. Mais c'est la situation globale qui m'épuisait. Après avoir été dix-sept ans esclave de mon propre corps je ressentais toute l'amertume qui s'y était accumulé.

Au bout de deux semaines je perdis finalement l'espoir d'avoir des nouvelles de Théo et décidai de passer définitivement à autre chose. Je ne pouvais me permettre de me lamenter sur mon sort toute ma vie. Des gens dépendaient de moi, de mon bonheur et je n'étais pas assez égoïste pour ne pas le remarquer. Mes parents étaient tout aussi abattus que moi et ne parlons pas de Nala que je ne reconnaissais plus.

Je m'en voulus de leur avoir fait subir ces deux semaines de torture. Mais j'avais extériorisé ce qu'il y avait de mauvais, de gangréneux en moi et ça me faisait un bien fou. J'étais sinon rassurée, au moins résignée et je ne plaignais plus, je ne pleurais plus sur mon sort.

Pour marquer le coup j'invitais Nala le soir de la deuxième semaine et la fit monter dans ma chambre. Je l'accueillis en souriant de toutes mes dents et elle recula, un peu surprise.

- Qu'est-ce qui t'arrive ? ça doit faire quinze jours que je ne t'ai pas vu sourire comme ça !

Je ris aux éclats. Ce que ça faisait du bien ! J'étais toujours malheureuse, mais le fait de passer à autre chose me soulageait. Je pouvais enfin avancer.

Nala me prit les mains, une lueur d'espoir dans les prunelles.

- Il t'a appelé, n'est-ce pas ? Théo t'a donné de ses nouvelles !

Je pinçais les lèvres mais sourit à nouveau en haussant les épaules.

- Nooon, mais j'ai décidé qu'aujourd'hui était un grand jour.

Nala me regarda avec suspicion.

- Ah oui ? Et comment ça ?

Elle scanna le Sanctuaire du regard et découvrit la pile de portraits qui gisaient sur mon bureau. Elle s'en approcha, les yeux plissés et les écarquilla quand elle comprit de quoi il s'agissait. Moi je la regardais elle, parce que fixer mes œuvres était par trop douloureux. Surtout pour ce que je m'apprêtais à en faire.

Nala me lança un regard alarmé.

- Pourquoi tu as sorti tous les portraits de Théo ? Par ailleurs tu en as drôlement, dis-moi tu en pince pas mal pour lui, pas vrai ?

Je levai un doigt avec espièglerie.

- Pinçais. Aujourd'hui est un grand jour, je te l'ai dit. Viens, suis-moi je vais te montrer ce que nous allons faire.

J'attrapai la chemise qui renfermait les fameux portraits et la refermait soigneusement afin de ne laisser glisser aucun dessin. J'étais décidée et je ne comptais pas me dégonfler.

Je pris Nala par la main et dévalai l'escalier en riant. Ce que c'était bon de se débarrasser de sa colère !

Nous sortîmes au jardin, dans lequel j'avais disposé une grande benne à ordure en ferraille.

Je me tournai vers ma meilleure amie d'un geste théâtral, ma chemise en carton toujours à la main et un sourire d'excitation sur le visage.

- Tadaaaaaam !

Elle me regarda comme si j'étais devenue complètement timbrée. Ce qui était un peu le cas, je l'avoue. J'avais fondu un boulon ce soir-là.

- Et qu'est-ce que je suis censée comprendre ? Qu'on va faire du tri dans ton jardin ?

Je tentai de ne pas doucher mon enthousiasme avec le ton morne et sarcastique de Nala, mais c'était compliqué. Elle commençait à me faire douter et je n'en avais pas envie.

- Mais non, signé-je en riant. Regarde ce qu'on va faire. Ça va être très drôle.

J'essayais de me convaincre, c'est évident.

Je sortis un briquet de ma poche et un des portraits de Théo que je tins par un coin. Sans regarder le dessin, je mis le feu à la feuille qui se consuma en un rien de temps. Des larmes perlèrent dans mes yeux mais je ne les laissai pas s'échapper.

Je me tournai vers Nala, arborant ce que j'espérais être mon sourire le plus radieux. Vu sa tête je pense que c'était raté. Elle avait l'air d'avoir pitié pour moi. De la pitié ! Dans ses yeux à elle ! Elle était la dernière personne sur cette terre que je voulais voir me démontrer de la pitié. Elle ne m'avait jamais, jamais plaint, jusqu'à ce jour.

Elle finit par ouvrir la bouche en secouant la tête.

- Je ne crois pas que ce soit une bonne idée.

Une larme coula sur ma joue.

Je me tournai rageusement vers la benne et commençai à allumer un autre portrait. Voir mes œuvres partir en fumée ne me faisait pas du bien comme je l'avais prévu, ça non. Ça me crevait le cœur. Mais je ne m'arrêtai pas pour autant. J'étais prise dans une spirale infernale dans laquelle il ne me semblait pas possible de faire demi-tour.

Au bout de dix portraits je pleurais à chaudes larmes. Au quinzième Nala ne m'avait toujours pas rejoint. Au vingtième je sentis une main se poser sur mon épaule et en me retournant je découvris mon père qui me regardait avec amour. Nala était derrière, visiblement inquiète.

Je les fixai tous les deux avec incompréhension et douleur. J'avais l'impression d'avoir perdu mon identité avec ces portraits, qu'elle s'était envolée avec la fumée qui s'élevait encore de mes toiles en feu. Pas un n'en avait réchappé.

Mon père me sourit avec bienveillance et me serra dans ses bras. Avant de ne plus rien voir, j'aperçus ses lèvres bouger.

- Viens ma chérie, c'est fini, on rentre à la maison maintenant.

Je hochai la tête et les suivit docilement à l'intérieure, entourée par le seul homme de ma vie et la meilleure amie que je n'aurais jamais.

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