Chapitre 14
Coucou ! J'avoue que j'ai un peu abandonné Wattpad dernièrement. Je vous publie la suite de MLD pour me faire pardonner. Je vais essayer de vous poster un chapitre régulièrement. Comme le livre est terminé, ça ne devrait pas être compliqué ;) (Cette partie n'est pas relue, donc pas corrigée)
Bisous !
La contre-attaque de Nala n'est pas venue de suite. Je savais qu'à un moment où un autre, son offensive massive me prendrait par surprise, me laisserait pantoise et sans défense, et que je serais obligée de tout lui raconter.
J'avais réussi à me convaincre que je la verrai arriver, et que je resterai vague et fermement campée sur mes positions. Mais finalement, les jours défilèrent et elle ne fit plus mention de mon mystérieux interlocuteur. Mystérieux pour elle, car pour moi, il était tout ce qu'il y a de plus tangible.
J'avais été perdue dans mes pensées toute la semaine, abandonnée sur quelque nuage, seule, et je dérivais sans m'en apercevoir sur le fleuve de mes pensées.
Ledit nuage était néanmoins tout à fait confortable, et peut-être que finalement j'étais heureuse de dériver ainsi, dans un ciel qui aurait la couleur de ses yeux, un vert riche en nuances.
Nala m'avait toisée plusieurs fois, l'œil perçant, et puis m'avait dit que je souriais comme une demeurée, tout en pinçant les lèvres pour retenir je ne sais trop quoi. Je craignais que ce je-ne-sais-trop- quoi soit un sourire. Les sourires cachés chez Nala n'étaient jamais bon signe. Mais il est vrai que je souriais sans arrêt. Pour un rien. Je crois que mon cœur, où siégeait l'ouragan de mes émotions, avait pris les rênes et qu'il contrôlait maintenant mes membres, sans passer par mon cerveau. C'était peut-être pour cette raison que je n'arrivais plus du tout à me concentrer. Le pauvre organe n'avait plus son mot à dire. Ou alors il était parti en vacance.
Quoiqu'il en soit, je me retrouvais souvent à faire répéter mon entourage quand ils me parlaient, à me rendre compte que j'avais bel et bien lu sur leurs lèvres et que je n'avais pas la moindre idée de ce que leurs mot, pourtant familiers, signifiaient. Ils avaient perdu leur sens. Bien sûr, je me reprenais aussitôt, commandais à mon cerveau de revenir sur le droit chemin. Mais le capricieux organe se mettait presque immédiatement en pause, dès que je n'étais plus sollicitée. Enfin, il activait plutôt une sorte de mode « veille ».
Il investissait ainsi toute son énergie sur un seul et même sujet : Théo.
Je commençais à me demander si je ne faisais pas réellement une obsession. Je ne pensais pas, car je me posais juste des questions légitimes :
Est- ce que je le reverrai vraiment, ce jeudi -là ? Est- ce qu'il serait content de me voir ? Est-ce qu'il pleuvrait encore et que j'aurais à nouveau l'air d'un chien mouillé ? Est -ce que j'aurais toujours le fichu rhume que j'avais attrapé à cause de la douche glacée du tram ?
J'espérais que non. J'avais le nez rouge, un mouchoir toujours collé à la main, les yeux larmoyants et soi-disant que je « parlais du nez ».
Allez savoir ce que cela pouvait bien signifier. En tout cas cela faisait bien rire Nala, qui avait l'air de s'être finalement habituée à entendre le son de ma voix.
Mais la question la plus importante de toutes : pourquoi est-ce que je me sentais inexplicablement fiévreuse quand je pensais à lui, c'est-à-dire quatre-vingt-dix pour cent de mon temps ? Et pourquoi est-ce que je pensais à lui tout court ?
Je n'avais jamais ressenti un sentiment comparable dans le passé. Il y avait l'amour quasi fraternel que j'éprouvais pour Nala, la tendresse que m'inspiraient ma petite sœur et mes parents, l'affection que j'avais pour Dylan...
Rien n'était comparable à ce sentiment qui m'envahissait lorsque mes pensées vagabondaient jusqu'à lui. Un genre d'excitation douloureuse, une injection d'adrénaline dans mes veines, qui éveillait chaque cellule de mon corps.
Peut-être était-ce une obsession.
Les êtres humains ont un autre mot qui définit particulièrement bien ton état, se moquait gentiment une petite voix dans ma tête.
Peut- être que j'avais une idée de ce qu'elle voulait dire, mais pour le moment je refusais d'y penser. Ressentir ce genre d'émotions pour un quasi inconnu était quelque peu effrayant. Même si j'avais l'impression de le connaitre depuis des années.
Etrange comme l'esprit humain emprunte parfois des sentiers si diamétralement opposés à ceux que l'on a toujours choisi. Ironique, même. Comme si le destin nous montrait qu'il était le seul maître de notre existence et se décidait à implanter dans notre vie la plus déroutante des nouveautés, par le biais d'un élément quotidien de notre vie, auquel on ne payait presque plus attention, un tramway par exemple.
Je pense aussi que la philosophie me montait allègrement à la tête, et que ça ne m'aidait pas du tout à penser clairement.
Qui avait inventé cette matière de toute façon ? Est-ce qu'il pensait réellement que cela allait améliorer l'humanité ? Soi-disant que les philosophes prônaient la liberté de penser, une nouvelle façon de voir les choses. Moi, tout ce que j'avais écopé à l'étudier, c'était un esprit encombré, et en conséquence des œillades agacées et deux ou trois nouveaux presque-accidents de tramway.
J'aurais voulu parler à Nietzche pour lui demander s'il avait pensé à ces petits détails quand il avait déblatéré à tort et à travers sur les méandres de l'existence. Je pense que ça lui aurait donné matière à réfléchir. Ce qui n'était peut-être pas une bonne chose, en fait.
Nous étions mardi. Deux jours avant le jour fatidique, qui était devenu mon sujet de préoccupation numéro un.
Je n'arrêtais pas de me poser des questions du genre : Est-ce qu'il faut que je me maquille ? Que je m'habille bien ? Mais si je fais ça, est-ce qu'il ne va pas penser que j'attends un peu trop ce rendez-vous-qui -n'en-est-pas-vraiment-un ? Et s'il pense cela, justement, est-ce que ça sera une bonne chose, ou non ?
Je me sentais ridicule. Non, totalement idiote.
C'était le genre de Nala de se demander quel maquillage elle allait se faire pour tel jour et pour aller avec telle tenue. Moi, j'avais plutôt tendance à fouiller à l'aveuglette dans mon armoire le matin même, généralement à la bourre et indifférente à l'idée que mon haut n'irait peut-être pas du tout avec mon pantalon.
Mais là, oh, là je n'étais pas du tout, du tout indifférente.
Du coup, quand Nala m'avait envoyée un texto ce matin-là pour me demander de les accompagner, elle et Dylan, faire les soldes, j'avais accepté avec grande joie.
J'étais à deux doigts d'arracher le moindre cheveu de ma pauvre tête en faisant les cent pas devant mon dressing quand j'avais reçu son texto. J'étais plus qu'heureuse de me changer les idées. J'avais l'impression que je devenais folle.
Je sursautai alors que Dylan agitait sa main sous mon nez.
Je me trouvais dans les galeries Lafayette de la rue Sainte Catherine. Et j'avais, une fois de plus, la tête dans la lune. Plantée entre Le Temps Des Cerises et Kaporal 5.
Dylan, la bouche en cœur et le regard pétillant, papillonnait des paupières en me fixant.
J'expirai fortement et croisai les bras.
- Quoi, encore ?
Il leva les bras d'un air innocent.
- Oh, rien rien, c'est juste que Nala m'a envoyé te chercher pour que tu lui donnes ton avis sur la robe qu'elle essaie.
Il haussa les épaules d'un air nonchalant.
- Mais je peux lui dire que tu n'es pas disponible, puisque tu rêves romantiquement à ton bel inconnu. Tu... tu veux une chaise longue ? Un cocktail ? Un éventail, peut-être ?
Je le frappai à la poitrine et il fit un bond en arrière en riant.
- Très drôle !
- Hu hu, je trouve aussi. Bon, tu viens ? Je l'entends piailler d'ici. Elle est tellement parano qu'elle va penser que je profite qu'elle ait le dos tourné pour flirter avec une nana.
Je le contournai en grommelant et avec un rapide coup d'œil par-dessus mon épaule, je constatai qu'il me suivait d'une démarche sautillante. Sautillante. Il remarqua que je le toisais et il joignit les mains en mimant des baisers, les yeux plissés.
Je rougis jusqu'à la racine des cheveux.
- Crétin, sifflai-je entre mes dents.
J'espérais que ma voix transmettrait tout le ressentiment que j'éprouvais, mais à voir glousser Dylan, je devinai que je n'avais pas dû être bien convaincante.
Si ça se trouve, j'avais même bégayé. Ou pire, postillonné.
Je le fusillai une dernière fois du regarde et me dirigeai d'un pas déterminé vers la cabine où la tête de Nala émergeait du rideau.
- Eh ben, t'en a mis du temps ! Pourquoi est-ce que t'es toute rouge ?
Elle jeta un regard par-dessus mon épaule et fronça les sourcils.
- Et... pourquoi est-ce que Dylan glousse comme une dinde ?
- Parce qu'il est une dinde. Oh, et merci, par ailleurs, de lui avoir dit pour le type du tramway. Il ne va plus me lâcher maintenant, signai-je en reniflant avec mépris.
J'étais sûre que Dylan avait compris ma phrase, et qu'il était en train de protester, mais je ne lui fis pas le plaisir de me retourner pour vérifier.
- Bon, alors, montre-moi cette robe. A moins que tu ne comptes juste la découper dans le rideau ? demandai-je, légèrement sarcastique.
Je n'avais pas la force de parler, et très souvent, signer me manquait. Ça me faisait du bien de communiquer avec mes mains.
Après tout, c'était ma langue maternelle. Nala me tapota la joue.
- Mais c'est que tu fais des progrès en sarcasme ! C'est bien, je suis fière de toi.
Elle ouvrit le rideau en grand, d'un air théâtral. Elle ne s'était pas contentée d'enfiler une robe. Elle avait aussi pris les chaussures assorties et s'était même grossièrement coiffée.
Elle avait choisi une robe noire, qui lui arrivait aux genoux et moulait chaque centimètre carré de son corps de rêve. Les chaussures, noires elles aussi, devaient la surélever d'au moins douze centimètres. Si j'avais été un homme, je me serais certainement évanouie, sur-le-champ.
C'est peut-être la raison pour laquelle Dylan se précipita vers elle, toute trace d'hilarité ayant déserté son visage. Il serra les dents et repoussa Nala dans la cabine, où elle faillit s'effondrer.
- Hors de question que tu fasses un pas de plus dans cet endroit avec ça sur le dos, siffla-t-il.
- Mais... mais...
Nala se battait avec le rideau et Dylan en même temps, de plus en plus instable, elle essayant de se frayer un passage à l'extérieur, Dylan la repoussant à l'intérieur et le rideau s'entortillant autour de leur deux corps.
- Arrête, crétin de mes deux ! Je fais ce que je veux ! Laisse-moi sortir, je vais acheter cette robe.
- Certainement pas, persifla Dylan en titubant.
Le rideau était maintenant noué autour de son bras et de la taille de Nala.
Moi, adossée non loin de là, j'observais la scène avec un certain émerveillement. Comment un objet si inoffensif à première vue s'était-il transformé aussi rapidement en serpent constricteur ? Et puis, c'était un spectacle vraiment distrayant de les voir batailler pour s'extirper de là. Le pire, c'est que plus ils se bousculaient, plus ils se trouvaient emmêlés.
Je savourai la petite vengeance qui allait suivre, roulant les mots sur ma langue comme des bonbons, avant de m'éclaircir la gorge, exercice que m'avait appris à faire Mamou pour affermir ma voix.
- Ta pro...position pour la boisson, ça t-tient t-toujours ? lançai-je à Dylan, voyant qu'il était maintenant à moitié étranglé par le tissu en velours.
- Aarrgh ! Fut tout ce que je réussis à lire sur ses lèvres.
Je pris ça pour un non.
Les femmes autour de nous s'étaient toutes arrêtées dans leurs gestes et regardaient le couple batailler, les yeux écarquillés, la bouche grande ouverte. Plusieurs avaient la main crispée sur leur téléphone portable. Elles devaient hésiter entre filmer la scène et appeler la police. Les intentions de Dylan n'étaient pas claires claires, vues de l'extérieur.
Je levai un doigt pour attirer l'attention du couple en question, un sourire flottant sur mes lèvres.
- Vous voulez que j'appelle les pompiers ? Police Secours ? Un négociateur, peut-être ?
Bon Dieu, ce que cela faisait du bien !
Nala ne répondit pas, mais frappa la poitrine de Dylan du plat de la main.
- Dylan, si tu ne me lâches pas tout de suite, je... commença-t-elle en s'accrochant à son épaule pour ne pas tomber.
Tout d'un coup, Dylan perdit son équilibre et s'effondra dans la cabine, emportant Nala et le rideau dans sa chute.
La cascade avait dû être bruyante, parce que toutes celles qui n'avaient pas déjà les yeux fixés sur eux se tournèrent brusquement, alarmées.
De là où je me trouvais, je ne voyais plus que leurs jambes qui dépassaient de l'entrée et se trémoussaient, le rideau enroulé autour d'elles. Ah, et la tringle, qui avait suivi le mouvement et gisait sur le dos de Dylan.
Je portai la main à ma bouche et me précipitai vers l'entrée de la cabine pour vérifier qu'ils allaient bien.
J'ouvris des yeux incrédules lorsque mon regard embrassa la scène irréaliste qui se déroulait sous moi.
Nala était sous Dylan et se débattait de toutes ses forces, pour se débarrasser des quatre-vingt-dix-sept kilos fillette qui l'écrasaient, sans succès. Dylan, lui, se débattait avec Nala, le rideau, toujours enroulé autour de lui, et la tringle, qui avait rejoint la petite fête.
Ils avaient, par je ne sais quel miracle, évité de se fracturer le crâne sur le petit banc d'essayage.
J'éclatai de rire, comme je n'avais jamais ri. Je me moquais bien de faire du bruit. Le bruit était une notion abstraite pour moi, autant que l'était la physique quantique, et ça n'allait pas me stopper, pas maintenant. Les côtes douloureuses et incapable de calmer les hoquets qui me soulevaient la poitrine, j'extirpai mon téléphone portable et immortalisai le moment.
Au bout d'un temps relativement long, voyant que les deux idiots s'épuisaient en vain et que Nala était à un cheveux de fracasser le crâne de son petit copain avec une tringle à rideau, je me baissai et dénouai, non sans peine, le tissu épais qui les maintenait prisonniers.
Nala repoussa Dylan d'un geste brusque et je l'aidai à se relever.
Lorsque j'eus un aperçu de son visage, rouge malgré son teint chocolat, crispé de colère, ses cheveux en bataille rebiquant dans toutes les directions, j'explosai à nouveau dans un fou rire incontrôlable.
Elle me fusilla du regard, mais pour une fois je n'en pris pas ombrage. J'étais bien trop hilare pour ça. Et l'apparition de Dylan, débraillé, ses mèches châtain hérissées en épis sur son crâne, aussi rouge que sa copine, ne firent qu'intensifier mes hoquets.
Ils fulminèrent chacun de leur côté, jusqu'à ce qu'une femme en tailleur noir se plante devant nous, les poings sur les hanches, le regard dur, coupant court à mes rires.
Je me reculai un peu pour sortir du rayon direct du danger. Eh oh ! Je n'avais rien à voir avec leur pathétique humiliation publique, si ce n'est qu'elle m'avait fait rire pour les vingt prochaines années.
De plus, je voulais voir comment ces deux- là allaient s'en sortit pour avoir détérioré les biens d'un des plus grands magasins de la rue Sainte Cat'. Très curieuse de voir ça.
Nala pinça les lèvres et croisa les bras. Dylan fit son possible pour avoir l'air désolé alors qu'il avait mortellement envie de rire, lui aussi. J'évitai son regard, parce que je savais qu'il ne pourrait plus se retenir s'il croisait le mien. Et moi non plus.
La responsable était de dos, mais elle avait l'air de leur parler assez sèchement. Nala n'était pas habituée à se faire humilier publiquement. Non, ça c'était plutôt mon job. Et elle n'avait pas l'air de se délecter de l'effet que cela faisait.
Elle hocha docilement de la tête et suivit la responsable, l'ombre d'un mini-sourire apparaissant sur ses lèvres. Dylan lui emboîta le pas et je lui fis les gros yeux.
- Alors, quoi ? signai-je avec avidité.
Il avait vraiment du mal à se contenir et laissa échapper un hoquet, la main devant la bouche et les yeux larmoyants. J'avais le plus grand mal à ne pas repartir dans mon fou rire hystérique.
- Alors, commença-t-il en inspirant profondément pour calmer ses nerfs, elle va nous facturer ce qu'on a détérioré et l'envoyer à nos adrepffff, lus-je en dernier sur ses lèvres, alors que, n'y tenant plus, il laissait libre cours à son hilarité, plié en deux, les mains sur son estomac.
Heureusement, la responsable et Nala étaient loin devant. Je l'imitai, parce que moi non plus je ne pouvais plus me retenir.
Larmoyants et hoquetant, nous suivîmes les deux femmes. Entre deux larmes, j'entrevis la silhouette de Nala, plusieurs mètres devant nous. Ses épaules tressautaient discrètement, et je peux vous assurer qu'elle n'était pas en train de pleurer.
Les larmes coulèrent librement sur mes joues, redoublant d'intensité. Et dire que la journée venait à peine de commencer.
***
- Pfff, je ne vous ai jamais vu aussi ridicules ! D'habitude vous vous contentez d'attirer un peu l'attention, mais là ! C'était magistrale, un vrai coup de maître ! L'humiliation internationale...
- La ferme, Lou, maugréa Nala.
Je fronçai les sourcils d'un air réprobateur.
- Techniquement parlant, je ne peux pas la fermer, je ne l'ouvre pas, signai-je avec emphase, riant en voyant Nala rouler des yeux.
- Qu'est-ce qu'elle a dit ? demanda Dylan à Nala, fraîchement remis de son fou rire, les joues encore roses.
- Que demain notre photo paraîtra sur les réseaux sociaux et qu'on nous décernera le prix des Crétins de l'Année.
Dylan gloussa.
- C'est vrai qu'on s'est surpassés.
- Oh, mais ne fais pas trop le malin, hein ! Je te signale que pour un rugbyman sur le point de passer professionnel, s'écrouler comme une bouse dans une cabine d'essayage, ça n'est pas la meilleure pub.
Les yeux de Dylan s'agrandirent sous l'effet de la crainte. Il ne riait plus du tout.
- Tu crois que quelqu'un a pris un photo ? Qu'un sélectionneur la verra et que ça ruinera mes chances de passer en Pro D2 ? Oh mon Dieu, et si...
Dylan fit un bond sur place et tourna brusquement la tête vers moi, les yeux exorbités par la surprise. Il regardait par-dessus mon épaule. D'autres passants l'imitèrent, effrayés.
Je me retournai et découvrit une Nala hystérique, s'arrachant presque les cheveux en regardant son reflet dans une vitrine.
Dylan la rejoignit en un instant et l'attrapa par les épaules, la forçant à le regarder.
- Quoi ? Quoi ? Qu'est-ce qui se passe ? Pourquoi tu as hurlé ?
- Mes cheveux... articula-t-elle faiblement, la lèvre tremblante.
Je m'approchai plus près et posai une main sur l'épaule de Nala, inquiète.
Dylan inspecta sous toutes les coutures sa tignasse noire, relevée en queue de cheval.
- Mais quoi, ils sont bien tes cheveux ! Un peu en bataille mais un coup de brosse et c'est reparti !
- Non, cracha Nala, Ça !
Elle saisit une minuscule mèche sur sa tempe et je compris immédiatement d'où venait le problème. Mes muscles se détendirent et je poussai un soupir d'agacement. La mèche que Nala pressait entre ses doigts avec une haine farouche était bouclée de la racine à la pointe, dans une mini anglaise dont la forme parfaite me rendait verte de jalousie.
Dylan grogna en levant les bras au ciel d'un geste suprêmement irrité.
- Là tu pousses le bouchon beaucoup trop loin. Ne me dis pas que tu vas encore nous faire une crise à cause d'une fichue bouclette...
- Ça n'est pas, une fichue bouclette, Dylan, siffla Nala. C'est le début de la fin. C'est l'étincelle qui met le feu aux poudres, la rebelle qui va déclencher la révolution. Bientôt elles vont toutes suivre son exemple et elles vont se remettre à friser. Je vais de nouveau ressembler à une sorcière. Il faut que je matte cette rébellion.
Je me frottai les yeux, sentant un début de migraine naître derrière mes orbites.
Nala n'était pas du genre à faire des chichis sur son apparence. Elle aimait se mettre en valeur, c'est vrai, mais cela n'était pas de son habitude de hurler au milieu de la rue pour une broutille. Et pourtant, il y avait une chose que Nala Coleman détestait plus que tout au monde, et craignait tout autant.
J'ai nommé ses magnifiques, ses incroyables bouclettes brunes. Elle n'avait pas les cheveux frisés et crépus, plutôt de très fines boucles qui cascadaient en une épaisse masse de cheveux noires sur ses épaules, jusque dans son dos. Du moins, ils étaient ainsi jusqu'à ce qu'elle les massacre et les fasse lisser presque obsessionnellement par un coiffeur, depuis la cinquième. Le lissage brésilien, que ça s'appelait. Du coup, au lieu d'avoir cette chevelure pour laquelle n'importe quel mannequin aurait tué, elle se retrouvait avec des cheveux horriblement plats et banalement lisses.
Je crois que ça avait un rapport avec le gamin qui l'avait traité de caniche, cette année-là. Normalement Nala s'en serait franchement moquée, mais elle venait juste de perdre son père et explosait émotionnellement pour un rien, ce qui était tout à fait compréhensible. Depuis ce jour, je ne l'ai plus jamais revu avec les cheveux bouclés. Cela devait être une sorte de traumatisme, m'étais-je persuadée.
Je la poussai d'un geste brusque.
- Allez, fiche-leur la paix ! Ils sont magnifiques quand tu les laisses reprendre leur forme naturelle.
- Certainement pas, s'indigna-t-elle en tirant en arrière la mèche coupable, comme si je menaçais de la lui voler.
- Tu crois que tu es capable de marcher jusqu'au tram sans t'évanouir d'horreur ? railla Dylan entre ses dents.
Visiblement, il n'avait pas envie de refaire une scène. Au cas où un sélectionneur passerait par là... je pariai qu'il en voyait déguiser partout, à présent. Planqués derrière les buissons ou sous les voitures garées le long du trottoir.
Il lissa convulsivement son pull, tout en jetant des regards nerveux autour de lui, provoquant mon hilarité.
Il me lança un regard noir.
Je fis les gros yeux en regardant derrière lui.
- Fais attention Dylan, je crois que tu es observé. Y a une petite fille de deux ans derrière toi qui te détail bizarrement. Si j'étais toi, je me méfierais. Les sélectionneurs sont formés au berceau, maintenant.
Je n'aurais jamais cru qu'il le ferait, mais il jeta instinctivement un regard angoissé derrière son épaule.
Nouvel éclat de rire irrépressible. Il me bouscula d'une main, vexé.
- Ha. Ha. Ha. Super drôle. De toute façon je vérifiais juste que... que ma capuche était bien mise.
Une main atterrit sur mon épaule, m'empêchant de faire remarquer à Dylan qu'il ne portait pas de capuche, et je sursautai. Nala me fixait avec des yeux fiévreux, l'espoir luisant dans ses prunelles.
- On est sauvé ! J'ai appelé Josépha, elle peut me prendre entre deux rendez-vous, si on y est dans moins d'un quart d'heure. Allez dépêchez-vous, on est à cinq minute de l'arrêt le plus proche !
Dylan et moi échangeâmes un regard désabusé. Il fut le premier à retrouver la parole.
- T'es sérieuse, là ? On est là pour passer une après-midi tranquille entre potes, pas pour t'accompagner te faire réajuster les tifs !
- S'il te plaît, Dylan ! C'est une urgence, là ! plaida-t-elle, suppliante.
Elle avait vraiment l'air paniqué. Franchement, comment pouvait-on s'affoler pour une idiotie pareille ?
Néanmoins, Dylan parut sensible à la soudaine fragilité de sa copine. Moi aussi j'étais plutôt étonnée. Nala ne semblait pas être elle-même depuis quelques minutes. D'abord un hurlement assez fort pour faire retourner une vingtaine de passants, pour une simple mèche de cheveux, après cet air de chien battu que je ne lui avais jamais vu... pas étonnant que Dylan se sente désorienté !
- Bon... OK. Allons-y.
- Tout ça pour une bouclette, maugréai-je en les suivant.
Un quart d'heure et quatre arrêts plus tard, Nala poussait violemment la porte de son salon de coiffure.
Toutes les coiffeuses se tournèrent vers nous, et après avoir fait un grand, très grand sourire à Dylan, elles reportèrent leur attention sur Nala. De l'inquiétude se mit à briller dans leur regard. L'une d'elles se tourna légèrement et cria par-dessus son épaule, mais face à moi, de sorte que je pus lire sur ses lèvres :
- Josépha ! Tes urgences sont là !
Je me tournai vers Dylan, mon début de migraine réapparaissant comme par magie.
- Je t'en supplie, dis-moi que j'ai mal lu et qu'elle ne vient pas de dire « tes urgences » au pluriel ?
- Malheureusement, j'ai bien peur que ça ne soit le cas, ricana Dylan, content de cette petite et basse revanche.
- Ne rigole pas trop vite, tête de bulot, rétorquai-je tout haut, fière de ne pas buter sur les consonnes, si ça se trouve elle parlait de toi.
Le sourire de Dylan s'évanouit aussi sec. Il passa une main nerveuse dans ses cheveux châtain, comme pour en tester la qualité.
- Non, c'est impossible, je les ai fait couper il y a trois mois, dit-il comme s'il ne s'agissait pas totalement d'un contre argument.
- C'est peut-être la raison pour laquelle elle a parlé 'd'urgence', ricanai-je à mon tour, heureuse de semer le doute dans son cerveau de cro-magnon gonflé aux testostérones.
Le visage de Dylan s'illumina soudain et il me lança un sourire triomphant et jubilatoire. Il pointa quelque chose derrière mon dos avec son index, toujours ce stupide sourire collé aux lèvres.
- Je crois qu'on te parle, Lou-chou, minauda-t-il.
Je me retournai en pestant intérieurement, pour apercevoir Nala, déjà assise sur un fauteuil, me faisant signe de m'asseoir sur celui d'à côté, où se tenait une coiffeuse, tout sourire.
N'ayant aucune envie de déclencher la troisième scène de la matinée, je m'avançai vers Nala afin de lui parler en face, le plus calmement possible.
- Lionne Noire, c'est quoi cette histoire ? Je croyais qu'on était là pour calmer ton dernier caprice en date ?
Elle me lança un regard outragé.
- Ça n'est pas un caprice, Lou ! C'est une...
- Urgence, je crois que j'ai saisit l'idée, oui, l'interrompis-je amèrement. Mais je n'ai aucune envie de m'asseoir sur ce fauteuil. Mes cheveux sont très bien comme ils sont. Je ne veux pas les couper.
Sur ce point-là, j'étais intransigeante. Mes cheveux étaient très bien comme ils étaient, et je ne comptais pas les toucher. Je ne les avais plus coupés depuis la seconde, ce qui fait qu'ils m'arrivaient à la taille, en une cascade de boucles blondes.
- En plus, tu te souviens comment ça s'est passé la dernière fois que tu m'as amené dans un salon par surprise? Ça ne s'est pas très bien terminé.
Nala s'esclaffa. La coiffeuse à côté de moi semblait de plus en plus mal à l'aise, à attendre derrière son fauteuil.
- Quoi, tu parles de Bob Marley ? pouffa-t-elle. Attends... tu n'as pas du bien le regarder. Tu as vu ses cheveux ? Il ne doit même pas savoir ce que signifie le mot 'peigne'. Alors lui parler de salon de coiffure ?
Elle rit à gorge déployée. Je ne voyais vraiment pas ce qu'il y avait de drôle.
- Mais c'est du chinois pour lui ! Tu ne risques pas de le rencontrer ici, crois-moi. Et encore moins de te faire couper les cheveux par lui.
Elle explosa à nouveau de rire, comme si elle venait de se visualiser la scène et que c'était totalement tordant. Moi, j'avais envie de la frapper. Elle parlait toujours de Théo avec cette mimique dédaigneuse, comme s'il était idiot. Ce que ça m'énervait !
Et être énervée parce qu'elle parlait de lui en mal m'énervait encore plus. C'est vrai quoi, j'aurais dû être indifférente, après tout Nala pensait ce qu'elle voulait. Mais je ne m'en moquais pas. Pas du tout.
- Arrête de faire ta mauvaise tête, grommela-t-elle, à nouveau sérieuse. Linda va juste te couper les pointes et donner une forme à ta coupe. Un très léger dégradé, ça ne va pas leur faire de mal, crois-moi. On dirait des queues de rats aux bouts.
J'attrapai mes pointes d'un geste instinctif et protecteur et la fusillai du regard. J'étais de plus en plus en colère.
- Et pourquoi est-ce que moi je t'écouterais et t'obéirais au doigt et à l'œil, alors que depuis des années je te conseille de laisser tes cheveux naturels, et que tu ne m'as même pas écouté une seule fois ?
- Parce que mon conseil à moi est avisé, rétorqua Nala avec évidence.
- Eh bien je suis désolée, mais cette fois-ci je ne l'écouterai pas. Je ne vois pas pourquoi il n'y en aurait qu'une parmi nous deux qui écouterait et ferait confiance à l'autre. Quand tu seras prête à faire des concessions et que tu mettras ton abus de confiance en toi de côté pour écouter ce que je te dis, on en reparlera.
Je commençai à faire demi-tour, le menton relevé, lorsqu'elle m'agrippa le bras. Elle me fixait, les paupières plissées, semblant me voir pour la première fois.
Je haussai un sourcil et après d'interminables secondes pendant lesquelles elle sembla scruter chacune de mes plus intimes pensées, elle expira lentement. Elle retira la combinaison noire que Josépha lui avait fait enfiler et se leva, sans me quitter du regard un instant.
- Marché conclu, articula-t-elle en soulevant machiavéliquement un coin de ses lèvres.
Mince, pensai-je en cherchant un moyen de faire demi-tour. Je n'aurais jamais cru qu'elle se laisserait convaincre aussi facilement ! Mais c'était sans compter son goût un peu trop prononcé pour les défis. Ou alors... ou alors...
Mes yeux s'agrandirent tout à coup sous l'effet de la compréhension.
- Ne me dis pas que tu abandonnes aussi facilement parce que tu veux me relooker ! Je t'en prie, dis-moi que ça n'est pas en rapport avec le type du tram dont je t'ai parlé !
Elle eut un petit sourire satisfait et choisit d'ignorer superbement ma question. Ah eh bien elle était là, la contre-attaque. Et comme je le craignais elle m'avait totalement entourloupée. Le pire, c'est qu'une petite voix dans ma tête me soufflait que cette offensive n'était que la face émergée de l'iceberg. Je me demandai ce qu'elle me réservait encore.
- J'accepte de les laisser refriser pendant un moment, juste pour que Dyl et toi vous voyiez ce que ça fait, ajouta-t-elle avec un air de business man. Mais maintenant tu vas poser tes fesses de blonde sur ce fauteuil et dire à Linda ce que tu veux.
Piégée à mon propre jeu. C'était le comble ! Mais j'étais trop curieuse de la revoir avec ses cheveux bouclés. Cela faisait une éternité que je ne les avais pas vu sous leur vraie forme et cela me rappelait des tas de souvenirs enfantins. Elle en train de me pousser sur une balançoire-pneu, elle et moi en train de chahuter dans une piscine gonflable, alors qu'on savait à peine marcher, moi déguisée en Cendrillon, elle en blanche-neige, souriant de toutes nos dents, quand on en avait...
Sur toutes nos photos d'enfance, Nala avait sa magnifique chevelure bouclée. Je me demandais ce que ça ferait de la retrouver comme avant, avec son visage d'adulte.
En voyant la coiffeuse dégrader quelques mèches de mes cheveux, dix minutes plus tard et après avoir bien spécifié que je ne voulais pas qu'elle coupe plus de cinq centimètres, je me fis cette réflexion : Non seulement j'avais encore cédé à la volonté de Nala, même si cette fois j'avais réussi à faire un compromis, mais en plus, avec beaucoup de malchance, Théo allait remarquer ma nouvelle coupe de cheveux et penser que je l'avait faite pour l'impressionner.
J'étais carrément mal barrée.
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