Chapitre 11

Je finis de peindre le dernier portrait, celui de Sam au bar des crêpes.

Il me semblait réussi, et j'étais satisfaite de mon travail, contrairement à ce que je ressentais depuis ces trois dernières semaines.

Jamais de ma vie je n'aurais imaginé que me remettre à parler serait aussi difficile et éprouvant.

J'avais déjà constaté avec déception que Mamou ne comptait pas m'apprendre des mots, mais qu'elle avait commencée par m'aider à prononcer toutes les voyelles correctement. Puis quand j'avais réussi à toutes les retenir parfaitement, elle m'avait appris des combinaisons de voyelles, comme le « o » avec le « i » qui formait le son « oi ».

Après trois semaines et des heures d'exercices quotidiens, je savais prononcer les voyelles et les sons « oi », « au » et « eu ».

J'avais l'impression de n'avoir rien fait.

Mamou disait que je faisais des progrès. Mais je n'arrivais même pas à retenir des sons de voyelles associées. Le « ou » était le pire. Les autres, j'avais retenu. Mais ce son, je n'arrivais même pas à le prononcer correctement, si on en croyait les commentaires de ma grand-mère.

Pourtant je m'entraînais encore et encore devant mon miroir. Je faisais un rond avec mes lèvres et essayait de savoir en quoi ce son se différenciait de la voyelle. Je n'arrivais pas à les dissocier.

Au moins, Mamou faisait preuve d'une patience sans borne. Elle répétait inlassablement, sans jamais s'énerver, et ne semblait pas du tout inquiète qu'après trois semaines je sache seulement prononcer les voyelles et quelques autres sons. Elle ne semblait pas du tout perturbée par le fait que deux fichues lettres soient un tel obstacle pour moi, alors que ma petite sœur de quatre ans savait prononcer le mot « kryptonite » sans problème.

Je soupirai de lassitude. Mamou m'avait prévenue que ça ne serait pas simple. Mais je n'aurais jamais pensé que cela serait à ce stade.

Les réprimandes que ma grand-mère m'avait administrées ce matin me revinrent en mémoire :

-Lou ! Bien sûr que tu progresses ! Tu arrives à prononcer parfaitement tous les sons voyelles et même plusieurs associations de voyelles. Tu ne te trompes plus sur celles que tu connais. Rome ne s'est pas construite en un jour ma fille. À quoi t'attendais-tu ? Trois heures de cours et la capacité de faire des discours en public ?

Elle m'avait lancée un regard agacé, d'où perçait néanmoins une grande satisfaction. C'est ce détail qui me rassura, plus que ses récriminations. Si Mamou semblait contente de mon travail, c'est que je progressais normalement.

Je ressemblai mes affaires et les rangeai soigneusement dans mon sac de cours. Demain, ce serait la rentrée. Ma rentrée en Terminal L.

Depuis trois semaines que j'y pensais, je me dis avec un début de bonne humeur que je serais peut-être bientôt capable de répondre en cours, pour la première fois de ma vie.

Ce seraient les profs qui allaient être surpris.

Nala elle, me soutenait entièrement. De toute manière, elle m'avait toujours soutenue, dans chaque initiatives que j'avais prise, aussi rares fussent-elles. Mais je dois bien avouer qu'elle était perplexe. Déjà, comme je viens de le préciser, il n'était pas de mon habitude de m'investir dans quelque chose de nouveau. En plus, elle avait toujours su que je ne souhaitais pas faire d'effort pour apprendre à m'exprimer.

Et elle était un petit peu en colère, même si elle aurait préféré mourir plutôt que de l'avouer. D'une part je passais beaucoup moins de temps avec elle et Dylan, maintenant que quatre heures de mes journées étaient occupées à faire des vocalises, et d'autre part je pense que mon soudain besoin d'émancipation et la prise en main de mon avenir lui faisait peur.

Mais encore une fois, elle ne me l'aurait jamais dit, de peur de doucher mes nouvelles ambitions. Elle avait un grand respect pour moi, et je ne comprenais toujours pas pourquoi.

Mes parents avaient été plus que surpris par ma décision. Mais ils avaient eu vite fait de me féliciter et étaient ravi que leurs relances constantes aient abouti.

Je lançai un regard à Sam. Je ne sais pas pourquoi, j'avais voulu le peindre en dernier. Comme une clôture, un point final inévitable. Avec sa mine désinvolte, ses piercings aux oreilles et à la lèvre, et ses biceps musculeux, il faisait beaucoup moins que son âge.

Les tatouages sur ses bras m'avaient donné du fil à retordre. J'avais dû faire un effort de mémoire conséquent pour me souvenir de la forme globale, surtout que ladite forme était plus ou moins informe. Et très complexe. Au final, le rendu m'avait satisfaite et je laissais sécher la toile en vue de la placer dans mon dossier « Vacances à Lacanau ».

Depuis que j'étais rentrée de mon séjour à la plage, lorsque je n'étais pas occupée à apprendre à formuler des sons avec ma grand-mère, ou à achever les dessins de mes vacances, je peignais ou montais mon dossier « Théo ».

Des portraits de lui dans toutes sortes de situations, d'expression, le composait. Je m'étais efforcée de peindre tous les souvenirs qui me paraissaient important, comme son rare sourire, ou l'expression rêveuse de ses yeux.

Outre le fait que j'avais l'impression d'être une psychopathe obsédée, ces portraits me faisaient du bien. Je les peignais pour les ranger dès qu'ils étaient secs, pour ne plus les ressortir, mais voir son visage naître sous mes pinceaux comblait mon âme, comme si ces couleurs bouchaient un trou qui avait toujours été là, à coups d'apaisement et d'espoir.

Je n'osais plus les regarder une fois qu'ils étaient secs et achevés. Je me l'interdisais. Peut-être était-ce parce que je me disais que si je ne posai jamais les yeux sur eux et les oubliais dans mon tiroir, cette obsession prendrait un côté plus acceptable.

Ma lumière s'éteignit soudain puis se ralluma aussitôt, plusieurs fois d'affilées. Il y avait un interrupteur à l'extérieur de ma chambre, et c'était le moyen que mes parents avaient trouvé pour « frapper » à ma porte.

Je jetai un coup d'œil inquiet au chevalet, mais ne pus cacher la toile encore humide. Dans un haussement d'épaules résigné, j'ouvris la porte.

Maman me sourit.

-Je peux entrer ?

J'hésitai une seconde puis m'écartai pour la laisser passer.

Elle entra, les mains dans le dos, son regard se promenant distraitement sur les murs de ma chambre... et tombant sur le chevalet.

Elle fronça les sourcils et se tourna vers moi, curieuse.

-Qui est-ce ?

Je haussai les épaules avec désinvolture.

-Un homme que j'ai croisé à Lacanau, j'essaie de me faire un dossier peinture le plus hétéroclite possible.

Il était hors de question que je lui avoue que l'homme en question était en fait un ami du type qui hantait mes pensées le jour et mes rêves la nuit, autant qu'il était hors de question de préciser que j'avais passé des heures en compagnie desdits gars et que l'un d'entre eux m'avait irrémédiablement tatouée la peau.

Quoiqu'il faudrait bien que je mentionne ce menu détail un jour ou l'autre. Mais comme nous entrerions bientôt en automne, j'aurais tout l'hiver et le printemps pour m'y préparer. Mes parents ne me reverraient pas en maillot de bain de sitôt.

Maman hocha la tête et se désintéressa du portrait, à nouveau concentrée sur moi. Elle me sourit avec chaleur. Lorsque ma mère souriait de la sorte, j'avais l'impression qu'un rayon de soleil s'infiltrait par le carreau de la fenêtre de mon âme et venait réchauffer mon cœur.

-Alors, tu es prête pour la rentrée ?

Je hochai la tête avec assurance, même si au fond je n'en menais pas large. Elle fronça les sourcils avec inquiétude.

-Je sais qu'on en a déjà parlé, mais tu es sûre que tu ne veux pas que Lionne...

Je ne pus m'empêcher de lever les yeux au ciel.

-Ne me dis pas qu'elle t'a encore appelée !

Maman fit une grimace amusée.

-Eh bien si, deux fois en deux jours. Elle tient vraiment à venir jusqu'à la maison pour t'accompagner au tram. Elle dit qu'elle s'inquiète trop pour toi à chaque fois que tu prends le bus pour atteindre l'arrêt et que ça la rend folle.

Je levai les bras au ciel avec agacement et commençai à fourrager nerveusement dans mon sac.

-Je suis une grande fille, maman. Je peux encaisser un aller en bus et un peu de marche toute seule. Ça ne va pas me tuer !

Au moment où les mots naissaient de mes gestes, je me souvins de l'incident qui avait eu lieu, près de six mois plus tôt, et me dis avec ironie qu'ils n'avaient peut-être pas tort de se faire du souci à mon sujet.

Je ne laissai néanmoins rien transparaître, sinon mon irritation croissante.

-C'est la même histoire à chaque rentrée. Je ne veux pas qu'elle m'accompagne comme si j'étais une handicapée motrice incapable de se débrouiller toute seule. En plus cela lui ferait faire un énorme détour et je ne vois vraiment pas l'intérêt. Ça serait stupide.

Elle leva les mains en signe d'abdication.

-Très bien, c'est comme tu veux ma chérie. Elle a appelé pour savoir si elle pouvait venir manger à la maison ce soir, tu n'y vois pas d'inconvénient ?

Un sourire joyeux s'étira sur mes lèvres, chassant mon agacement. Cela faisait un moment que je n'avais pas eu le temps de voir ma meilleure amie et ça me manquait.

-Bien sûr que je n'y vois aucun inconvénient.

Maman sourit et sortit de la chambre. Je fixai le portrait de Sam. Si Nala arrivait dans moins d'une demi-heure, elle serait obligée de trouver elle aussi le portrait dans ma chambre. Sauf qu'elle, elle connaissait le type, qui n'était pas juste un homme croisé dans la rue, servant à améliorer la diversité de mon dossier vacance. Si elle arrivait un peu plus tard, j'aurais peut-être la possibilité de le ranger. Il serait bientôt sec.

Vingt minutes plus tard le signal lumineux se répéta, beaucoup plus rapide et énergique que celui de ma mère. Je soupirai et lançai un regard désolé à Sam. Tant pis pour la tranquillité.

J'ouvris la porte, mais de très très loin, et Nala bondit dans ma chambre, comme un diable sortant de sa boîte. Je la connaissais tellement bien !

Elle me serra vivement dans ses bras avant de me regarder en souriant largement, ses mains sur mes épaules.

-Hiiii ! Je suis trop contente de te voir ! Ça fait genre une semaine et demi que je ne t'ai pas vu en personne, une véritable torture ! Tu manques à Dylan aussi, il n'arrête pas de me demander des nouvelles, il croit que ça ne t'intéresse plus de traîner avec nous.

Elle leva les yeux avec emphase.

-Quel crétin sentimental, je te jure ! Mais dis-moi, j'ai parlé avec ta mère et je crois vraiment que je devrais t'accompagner tous les matins.

Elle dû baisser le ton, parce que son visage se rapprocha du mien et ses traits prirent une expression de conspiratrice.

-On sait très bien toi et moi ce qui est arrivée au printemps. Je n'ai aucune envie que ça se reproduise.

Je rejetai ses mains avec agacement, de plus en plus énervée par leur comportement.

-Lionne Noire j'ai dit non, c'est non. C'était non il y a un an, c'est toujours non maintenant. Je ne veux pas qu'on me materne comme si j'étais incapable de faire quoique ce soit. Je suis limitée dans beaucoup de situations, je te l'accorde, mais laisse-moi le peu de liberté qui me reste dans ce que je suis encore capable de faire toute seule.

Elle se mit à grommeler jusqu'à ce que son regard tombe sur le chevalet. Elle stoppa net, la bouche grande ouverte, les yeux exorbités, ses mains encore levées dans un geste à demi achevé.

Elle se retourna vers moi, choquée. -Oh non, Lou ne me dis pas que tu as...

-Si.

Je souris avec amusement alors que je remettais un peu d'ordre dans le Sanctuaire.

-Mais tu t'es au moins abstenue de peindre...

-Non.

-Alors laisse-moi les...

-Non.

Elle poussa un cri de rage.

-Allez, je suis ta meilleure amie, tu crois vraiment que je vais...

-Oui.

Je lui souris avec espièglerie. Deviner ses phrases à l'avance et l'interrompre avait toujours été pour moi d'une grande distraction.

Elle posa ses mains sur ses hanches.

-Bon, mais je suppose qu'à part ceux de Bob Marley, tu as dû en peindre d'autres. Est-ce que je peux au moins voir ceux qui me représentent ?

Je fis mine de réfléchir. -Lou !

-OK, OK, capitulai-je en riant. J'en ai fait des tas de Dylan et toi, quelques-unes de Sam et pas mal de paysages.

Elle plissa les yeux avec scepticisme. -Et Bob Marley ?

Je la fixai avec une innocence feinte.

-Je ne vois vraiment pas de quoi tu parles.

Ses yeux se rétrécirent un peu plus et j'allai chercher le dossier en riant. J'adorais la faire marcher de la sorte. Pourquoi cela aurait-il toujours dû être moi le dindon de la farce ? J'estimais qu'elle avait assez fait de coups fourrés dans mon dos tout le long des vacances pour que j'aie le droit à une petite revanche personnelle, et bien méritée.

J'avais décidée de lui montrer tout le dossier, exceptionnellement. Nous avions partagées ces vacances ensemble et je voulais un point de vue neutre et en même temps concerné pour avoir un avis différent du mien. Et comme j'avais eu la bonne idée de ranger les portraits de Théo à part, je ne craignais pas qu'elle les trouve en feuilletant les peintures.

Je posai le dossier sur le bureau et nous le feuilletâmes en riant devant certaines scènes.

-Eh ! C'est quand on jouait au Poker, là, non ? Elle gloussa.

-Dylan a l'air dégoûtée sur celle-ci, tu l'as trop bien représenté c'est trop drôle.

Elle poussa une exclamation en montrant du doigt une peinture d'elle en train de manger une glace. Elle en avait partout sur le menton.

-Ouah ! Comment je suis belle gosse sur celui-ci ! Tu as vraiment su mettre en valeur ma sculpturale beauté naturelle. En plus, la glace donne une touche sexy. Franchement, si j'étais un gars, je tomberai amoureux de moi-même, direct.

Je ris à gorge déployée, aussitôt imitée par elle. Nala n'avait pas peur de l'autodérision. Elle n'avait pas peur de se moquer d'elle-même et se fichait pas mal qu'on se paye sa tête. Mais c'était peut-être normal, puisque personne à part moi et Dylan n'avait jamais osé se moquer de Nala Coleman.

***

-Alors Nala, comment étaient ces vacances ?

Nous étions attablés depuis quelques minutes et dégustions une salade composée en entrée, en plaisantant sur des sujets légers. Nala regarda mon père dans les yeux en souriant malicieusement.

-Génial, Dan. Mais je ne sais pas vraiment ce que je suis autorisée à dire, peut-être que Louanne ne vous a pas tout raconté...

Mes parents se tournèrent vers moi à l'unisson et je m'étranglai avec une feuille de salade. Je fusillai Nala du regard qui me tira la langue avec espièglerie.

-N'importe quoi !

-Je plaisante, bien sûr. Eh bien ces vacances étaient d'une distraction fort bienvenue. Mais je dois vous avouer qu'à part bronzer sur la plage et manger des glaces, on n'a pas fait grand chose de bien exaltant.

Elle claqua des doigts tout à coup, comme si elle se rappelait soudainement d'un détail important.

-Oh mais si, bien sûr ! Il y a l'événement des sanitaires. Lou, tu leur as raconté ?

Je soupirai imperceptiblement, soulagée qu'elle ne lâche pas une anecdote incluant Théo, Sam ou un salon de tatouage. Je ris au souvenir qu'elle venait d'évoquer.

-Non je ne leur ai pas encore raconté, mais je t'en prie vas-y.

Elle se rasséréna et se tortilla sur sa chaise en prenant un air important.

-C'était au camping, Lou et moi on était parties se doucher très tard un soir. Vous voyez comment sont faites les douches des campings ? Une salle d'eau commune à tous les vacanciers et des cabines de douches individuelles. Oui ? Eh bien voilà, Lou et moi sommes entrées dans la salle d'eau, qui semblait vide. Il y avait des sandales d'homme par terre, mais on n'a pas spécialement fait attention à ce détail, surtout que tout était silencieux et qu'il ne semblait pas y avoir âme qui vive. Alors on a chacune prise une cabine de douche, l'une à côté de l'autre et on a commencé à se déshabiller.

Je pris ma tête entre mes mains et gémis en pensant à ce qui allait suivre. Nala sourit et prit un air consterné.

-On se douchait tranquillement, et là y a Dylan qui est rentré dans les sanitaires. Il m'a demandée si tout allait bien, et puis d'un coup, sans que je n'y comprenne rien, il s'est mis à tambouriner à la porte de la cabine à côté de celle de Lou et à hurler comme un possédé.

Je ris en m'imaginant la scène.

-Il hurlait des trucs du genre : 'sort de là salopard, ou je te promets que je défonce la porte et que je te tabasse ! Ouvre, ou je te tue, ordure !'. Moi je n'y comprenais que dalle et Louanne forcément ne s'était rendue compte de rien. Tout à coup y a une voix faible qui a résonné d'une cabine. Un gars suppliait Dylan de ne pas le frapper. Moi, j'avais beau hurler de ma cabine et demander ce qu'il se passait, Dyl' ne me répondait pas, ce qui est inhabituel chez lui, et il continuait à tambouriner sur la porte en hurlant des injures et des menaces.

Je secouai la tête d'ahurissement en repensant à ce moment. Je n'avais en effet rien entendu, mais les cloisons des cabines des douches tremblaient étrangement et franchement violemment. Pas étonnant, Dylan était en train de cogner dessus comme un bulldozer.

-Et là j'ai entendu la porte s'ouvrir, poursuivit Nala en étouffant un gloussement, et je suis sortie parce que les bruits devant les cabines étaient plutôt inquiétants. Y avait la voix d'un type inconnu qui suppliait Dylan 'd'arrêter'.

Elle mima des guillemets avec ses doigts.

-Et des bruits de coups. Je suis tombée sur Dylan qui massacrait allègrement un gars allongé par terre. Heureusement, il n'y allait pas de toute sa puissance. J'ai essayé de le stopper et je lui ai demandé ce qu'il lui prenait. Il m'a alors dit qu'il avait vu le type lorgner Louanne sous les cloisons de sa cabine, dans celle d'à côté.

Elle examina innocemment ses ongles. Mes parents, pendus à ses lèvres la fixèrent avec impatience.

-Et alors ? demanda maman, sous le choc.

Nala fit un geste d'impuissance.

-Et alors je me suis mise à le frapper aussi, Caro.

Devant la mine déconfite de mes parents, Nala éclata de rire.

-Qu'est-ce que vous voulez que je vous dise ? Je n'y peux rien, je ne supporte pas qu'on touche à un cheveu de ma Lou. D'ailleurs, cette larve se douchait tranquillement, étrangère au massacre qui se déroulait juste devant sa cabine.

En effet, je ne m'étais aperçue de rien. Dylan nous a expliquées plus tard qu'en fait, il était rentré dans les sanitaires et avait trouvé bizarre que la porte de la cabine à côté de la mienne soit fermée et qu'il n'y ait aucun bruit à l'intérieur. Il s'était un peu penché pour voir si elle était occupée et il avait vu une main à plat sur le carrelage. Il s'était penché un peu plus, décontenancé, et avait surpris le type, la joue contre le carrelage, en train de mater sous ma cloison. Quelle vue il avait dû avoir ! Rien qu'en y pensant je sentais le feu me monter aux joues. Forcément, Dylan avait vu rouge, et s'était ensuivie la scène que Nala se délectait à raconter.

Nala haussa les épaules, comme si elle était désolée de ce qu'elle s'apprêtait à dire.

-Bon, le pervers a fini par réussir à se barrer et on l'a poursuivi dans tout le camping. Mais on ne l'a plus retrouvé.

Ce qu'elle ne précise pas, c'est que j'étais sortie de la douche et avait été plus que surprise de me retrouver toute seule dans les sanitaires, les affaires de toilette de Nala éparpillées un peu partout et sa cabine de douche encore encombrée de ses sous-vêtements et de son pyjama. J'avais vraiment flippé. Je m'étais imaginée toute sorte de scénarios plus apocalyptiques les uns que les autres, jusqu'à ce que les deux timbrés réapparaissent, hors d'haleine et rouge de colère. Nala était vêtue en tout et pour tout d'une serviette rose, grossièrement nouée autour de sa poitrine.

Imaginez ma tête quand ils m'avaient expliquée la raison de leur absence et de leur colère. Depuis ce jour j'avais vérifié avec minutie chaque cabine avant d'en choisir une. Et je mettais une serviette sous les cloisons.

Je lançai un regard à papa. Il était rouge de colère. S'il avait été présent, le type ne s'en serait pas sorti aussi facilement. Peut-être bien qu'il serait mort.

Mon père faisait de gros effort sur sa personne depuis que ma mère et lui étaient mariés. Il avait été violent et avait fait pas mal de bêtises étant jeune et, d'après ce que me disait ma mère, il avait énormément changé et s'était assagi pour elle, et plus tard pour ses filles. Mais en de très rares occasions, sa vieille personnalité refaisait surface. Ça n'était jamais dirigé contre un membre de sa famille. Mais un camionneur un peu trop grossier, un type qui le doublait dans une file d'attente ou un pervers regardant sous les cloisons de la cabine de douche de sa fille suffisaient généralement à le métamorphoser.

C'était arrivé très rarement, mais je me souvenais de chaque fois. Ça avait été violent. Et il s'en voulait toujours d'avoir cédé à ses vieux démons.

Il inspira profondément en buvant une gorgée de vin. -Heureusement que je n'étais pas là, marmonna-t-il entre ses dents. Nala jubilait.

-Oh oui, c'est ce que je pense aussi. Mais bon, en même temps, Dylan et moi on ne l'a pas loupé. Je crois même que Dyl lui a pété le nez. Moi j'ai dû lui arracher la moitié du cuir chevelu.

Mon père rit et ma mère secoua la tête d'incrédulité en se tournant vers moi.

-Des vacances tranquilles, tu disais ? Sans incident particulier ?

Je haussai les épaules.

-Je ne me souvenais pas de ce soir-là, répondis-je sincèrement. Alice, muette jusque-là, se tourna vers mon père.

-Papa, c'est quoi un salopard ?

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