"I miss

The good times we had.

Now I don't know

Who's got my back."

Old Friends – Jasmine Thompson. (En média).

Tétanisé, j'ai du mal à me débarrasser des dizaines de souvenirs qui tentent de m'étouffer. Ça ne peut pas être elle. Pas ici. Je dois forcément me tromper, ce n'est pas possible. Comment pourrait-elle être là ? Quelle chance y avait-il pour que je me retrouve coincé avec elle aujourd'hui ? Après tout ce qui s'est passé, je ne suis pas sûr d'avoir la force de la regarder en face. Je ne sais pas si je vais pouvoir supporter de tomber nez à nez avec toutes les similitudes que renferment ses traits. Elle ressemble beaucoup trop à Hannah. Elle lui ressemble tellement que j'en souffre avant même d'oser me retourner. Sa présence m'ankylose, elle me paralyse et, comme si elle l'avait compris, elle ne prononce plus le moindre mot. Je l'entends à peine respirer. Peut-être attend-elle que je réagisse ? Que je dise quelque chose ? Que je me calme ? En état de choc, je me lève, ramasse le paquet de cigarettes qui gît sur le tapis indigo, et en profite pour prendre une profonde inspiration. Mes gestes sont lents lorsque j'attrape les Marlboro, pourtant j'aimerais les faire durer encore des années.

— Allez Ronny, montre-moi ta mine déconfite et le ciel qui brille au fond de tes yeux, m'ordonne-t-elle en douceur.

Pas très serein, je rabats mes paupières sur mon nouvel enfer en lâchant tout l'air que je viens d'accumuler dans mes poumons. L'entendre comparer mes prunelles à la couleur du ciel me rassure autant que ça me perturbe. Elle a toujours dit de mes iris qu'ils s'animaient aux nuances du jour et de la nuit, comme si elle voyait en eux quelque chose que je n'ai jamais su discerner. Savoir que cette partie de notre relation n'est pas partie en fumée avec tout le reste me fait du bien. Ça me fait du bien, mais ça me replonge dans chacune de mes erreurs... et de leurs conséquences.

— Salut, Sky, murmuré-je en pivotant dans sa direction sans me laisser le temps de changer d'avis.

Soudain plongé dans son regard doré, je me prépare à l'explosion. Je me prépare à prendre sa rancœur en pleine poitrine, à affronter sa colère destructrice, à subir le retour de bâton... mais rien ne vient. Sky n'ouvre pas la bouche, elle laisse seulement le silence nous envelopper quelques instants. Ce silence est peut-être pesant, ou bien réparateur, je n'en ai aucune idée. Tout a disparu autour de moi. Je ne parviens plus à me concentrer sur l'essentiel, sur le moment présent. Sa ressemblance avec Hannah est trop frappante, trop brutale, et comme tous les coups qu'on peut recevoir, la douleur qui s'ensuit est difficile à ignorer. Ravalant le poids bouillant de notre passé commun, je tente de me convaincre que sa longue chevelure n'est pas auburn, mais blond platine. Ce n'est pas Hannah. C'est Sky, putain. Sky. J'ai beau me le répéter en boucle, je suis incapable d'effacer le visage éteint de sa sœur, le jour de sa mort. Il faut que je me reprenne. Il faut que je me focalise sur la vie qui pulse dans les veines de Sky pour oublier le vide abyssal qui ronge la dernière image que j'ai de Hannah.

— Wow, wow, wow. Ma chérie, tu connais ce joli petit cul ? s'exclame l'homme de tout à l'heure en posant une main sur sa hanche.

Toujours focalisée sur moi, son interlocutrice passe des doigts aux ongles rongés dans ses cheveux lisses, et je ravale un sourire. Tripoter sa tignasse lui a toujours permis de démêler ses pensées, de prendre le temps de choisir ses mots avant de dire quoi que ce soit.

— Alaska, je te présente mon ex-associé et accessoirement, le meilleur coéquipier que j'ai pu avoir au sein d'Eleven Stars, répond Sky avec un léger rictus au coin des lèvres.

Sa fierté à peine dissimulée fait froncer les sourcils au type qui nous dévisage l'un après l'autre, et m'arrache une grimace. Je me rappelle de ce lien indestructible qui nous unissait à cette époque-là ; malheureusement je me souviens aussi de ce qui l'a pulvérisé, et ça m'empêche de réagir. Je voudrais pouvoir lui tendre les bras, lui assurer qu'elle m'a manqué et que je suis heureux de la revoir, pourtant mon corps ne bouge pas. Il est comme anesthésié par la plaie ouverte que représente la mort de Hannah, ce trou béant entre Sky et moi.

Tout ce que je suis en mesure de faire, c'est rester là sans rien dire, à la scruter. Je caresse sa longue crinière blonde du regard en l'entendant encore m'affirmer qu'elle ne pourrait jamais avoir les cheveux longs, qu'elle détesterait ça. Mes prunelles s'abattent ensuite sur le bracelet en argent qui orne son poignet en me revoyant le choisir à peine quelques heures avant sa fête d'anniversaire. Elle l'a gardé. Un soulagement diffus se propage dans ma poitrine alors qu'un soupir bruyant m'extirpe de ma contemplation.

— Ma Bella, je sais qu'on ne pose pas de questions sur le passé, mais là, il va me falloir des explications. Moi, on m'a payé pour aller cueillir un gamin qui s'appelle West, pas Ronny. Donc si je me suis trompée de taulard, il serait peut-être temps de me tenir au courant.

Sky pouffe de rire devant l'incrédulité de son ami, puis passe derrière le bar en me faisant signe de me rasseoir. Elle attrape deux verres à shot et les place devant moi pendant que je suis ses instructions.

— C'est bien West, t'en fais pas. Des bras cassés comme celui-là, il n'y en a qu'un sur le globe. T'aurais pas pu le louper, ricane-t-elle en m'offrant un clin d'œil discret.

Son discours m'arrache un sourire malgré moi mais je ne sors toujours pas de mon mutisme. J'y arrive pas. Au lieu de ça, je la laisse combler mes silences en remplissant les deux récipients d'un alcool qui ne semble pas assez fort pour dissoudre la boule dans ma gorge.

— Mais quand on bossait ensemble, on a dû...

Sky me jette un coup d'œil hésitant, mais continue sur sa lancée en voyant que je ne suis pas décidé à répliquer.

— ... s'infiltrer dans un gang ennemi qui, selon nos sources, prévoyait une attaque à Eleven Stars. On devait se pointer là-bas en tant que nouvelles recrues, découvrir leur plan et rentrer au bercail pour contrattaquer.

Ahuri, le mec dévisage son acolyte comme s'il n'arrivait pas à imaginer Sky dans une telle situation. Son air à la fois confus et renfrogné me ferait presque rire. Et encore, t'as que la version soft de l'histoire, mon pauvre. Mon ancienne coéquipière remarque ma retenue, et un petit rictus se dessine sur son visage pâle.

— Enfin bref, il nous fallait un nom de code, abrège-t-elle, bienveillante.

Sa sollicitude me rassure, elle sait que je ne veux pas qu'elle déblatère sur le sujet, et je ne pourrais jamais assez la remercier de taire les détails les plus sordides de cette histoire d'infiltration.

— Lui, il m'avait appelée Hope parce que...

Cette fois, sa voix s'éteint et ses émotions rallument une dure lueur dans son regard.

— Parce que ta sœur et toi avez toujours représenté mes plus beaux espoirs, murmuré-je en ravalant les sentiments contradictoires qui s'accumulent dans ma poitrine.

Incapable de reprendre le contrôle sur la puissante nostalgie qui m'attrape à la gorge, je ne parviens plus à faire la part des choses. Je ne sais plus si je devrais me laisser aller à la joie de voir que Sky se porte bien ou si je ferais mieux de la tenir à distance pour la protéger. Après tout, si elle se retrouve seule aujourd'hui, c'est à cause de moi. C'est moi qui ai fait tuer sa sœur. Le soulagement que m'apporte son sourire me fait du bien, trop de bien, et c'est pour cette raison qu'il faudrait que je tourne les talons pour ne plus jamais recroiser sa route. Si je reste, la bourrasque violente que je suis devenu va faucher son château de cartes, et je refuse de tout réduire en cendres encore une fois. Je refuse que Sky connaisse le même sort que Hannah, je ne le permettrai pas. Sauf que si je pars, Lola va ne va pas seulement me faire la peau, elle va me faire regretter de ne pas être mort en prison. Un raclement de gorge me tire de mes sombres pensées, et je suis forcé de me reconcentrer sur l'éclat des prunelles de Sky, qui tentent d'illuminer l'obscurité du tunnel dans lequel je suis coincé depuis des années.

— Et moi, je l'ai appelé Ronny, reprend-elle sans que je n'arrive à me rappeler tout de suite du sujet de conversation initial. Je voulais l'appeler Aaron, vu que c'est son deuxième prénom, mais j'avais peur que ce soit trop évident. Surtout qu'il commençait à se faire connaître dans le milieu, alors il fallait absolument que je trouve un truc qui n'avait rien à voir avec sa véritable identité. Du coup j'ai créé un diminutif de Aaron qui me plaisait, et ce surnom est resté.

Ah. Oui. L'infiltration et mon surnom. C'est vrai.

Sky tourne la tête vers moi, attrape le shot et avale le liquide transparent qu'il renferme d'une seule traite.

— J'adorais le fait d'être la seule à l'appeler comme ça, ajoute-t-elle, les yeux plongés dans les miens. Ça me rendait spéciale.

Je baisse la tête vers ma boisson.

— Plus spéciale que Hannah, m'achève-t-elle.

Touché en plein cœur, je laisse mes paupières engloutir le monde puis me débarrasse de l'alcool en à peine une gorgée. La brûlure glissant le long de mon œsophage consume la culpabilité qui enfle dans ma poitrine, mais n'est pas en mesure pas à la désagréger complètement. Sky et Hannah avaient beau être les sœurs jumelles les plus incroyables que je connaisse, elles étaient très différentes l'une de l'autre, et Hannah a toujours occupé une place un peu privilégiée dans mon cœur. Elle n'était pas juste ma meilleure amie, elle était bien plus que ça. Elle savait tout de moi. Elle connaissait jusqu'au dernier de mes secrets les plus enfouis, et avait aussi découvert les moindres parcelles de peau que possédait mon corps. Elle et moi, on avait cette relation un peu particulière, celle qui frôlait les limites de l'amour inconditionnel, sans jamais l'atteindre. Nous ne formions pas un couple, mais nous en avions toutes les caractéristiques. Et malgré toute l'affection que je pouvais avoir pour Sky, je crois qu'elle s'est souvent sentie un peu à l'écart de la relation fusionnelle que j'avais avec sa sœur.

J'aimerais pouvoir lui dire qu'elle a été aussi spéciale que Hannah, mais je crois qu'elle sait aussi bien moi que ce serait un mensonge. En plus de se voir chaque jour pour le business, Sky et moi passions le plus clair de notre temps ensemble en dehors d'Eleven Stars. Cette fille, c'était l'un de mes piliers. Cette fille, c'était ma famille. Elle, Hannah, et Gale, ils représentaient mon monde tout entier. Mais Hannah... Hannah, c'était mon rayon de soleil, ma raison de me battre pour respirer quand j'avais l'impression de me noyer. Ma raison de me lever le matin et de ne pas abandonner le soir. Elle avait cette innocence, cette lumière qui émanait d'elle... Elle avait tout ce que Sky, Gale et moi avions perdu à cause de toutes les horreurs qu'on voyait au quotidien. Et je crois que c'est en ça qu'elle était spéciale, c'est pour ça qu'elle a longtemps représenté le seul éclat plus puissant que celui des étoiles, à mes yeux. Parce que c'était la seule de nous trois qui ne voyait pas la vie comme une bataille constante, comme un univers sombre et rempli de souffrance. Elle, elle croyait encore en l'espoir, elle savait encore faire confiance à l'avenir. D'ailleurs elle me le montrait à chaque instant qu'elle passait avec moi, elle me rabâchait sans arrêt que c'était possible de pardonner son passé et d'apprécier son futur. Elle essayait de me convaincre que même fracassé, je pouvais mettre un pas devant l'autre sans m'écrouler.

— Une minute, il était avec l'une d'entre vous ? s'écrit l'homme en levant un sourcil. Je croyais qu'il était gay !

Gay ? Je dévisage monsieur-dramatique, et Sky glousse.

— West, Gay ? Alors là ! Si c'est pas une blague, c'est le truc le plus drôle que j'ai jamais entendu ! ricane cette dernière.

Je penche la tête sans comprendre. Pourquoi ça paraît si improbable que ça ?

— Non, West il est plutôt demi-sexuel... ou non, clairement hétéro ! reprend Sky alors que je ravale un sourire désabusé.

Mauvaise pioche.

— Désolée ma Biche, mais ce petit cul sexy est gay ou bi. On m'a beaucoup trop parlé de lui et de sa relation avec l'un de ses... collègues pour qu'on me fasse croire une seule seconde qu'il n'aime que les nanas.

— Sa relation avec... T'as eu un mec, Ronny ?

L'expression effarouchée de Sky me donne envie d'éclater d'un rire franc, pourtant je me contiens. Un peu gêné que mes attirances sexuelles soient sujet à débat, je me contente de hausser les épaules.

— Alors t'es gay ? renchérit-elle, presque choquée.

Mais j'en sais rien, putain.

— J'ai pas vraiment eu le temps de me poser la question.

D'ailleurs, je sais pas si j'ai envie de me la poser.

— Oh. Oui. Évidemment.

Une ombre passe sur son visage, mais elle la chasse bien vite.

— De toute façon, t'es pas obligé de te la poser. Et puis, ça me regarde pas, se rattrape-t-elle en souriant.

— J'y connais rien, moi, à tous ces trucs. Je fais comme ça vient, c'est tout, marmonné-je.

— Et c'est venu avec un mec ?

— C'est si inconcevable que ça ? grommelé-je, le regard fixé sur mon verre vide.

— Ben, disons qu'à Eleven Stars on nous a un peu appris à... enfin, à considérer ce genre de relation comme des trucs... Enfin tu vois.

Surpris, je relève la tête vers mon ancienne équipière, qui elle, baisse les yeux. Elle n'en est pas fière, mais je me rends compte que les discours homophobes de ceux qui nous ont formés ont un jour réussi à se frayer un chemin jusqu'à son cerveau.

— L'important, c'est pas ce qu'ils nous ont dit. L'important c'est ce que nous on croit. L'important, c'est de savoir si on a évolué depuis qu'ils nous ont foutu ces merdes dans le crâne.

— Bien dit, ça, mon poulet, lance la troisième roue du carrosse, qui nous écoute toujours.

Visiblement soulagée, Sky acquiesce, puis fais un signe de main à son pote, comme pour passer à autre chose.

— Bon, c'est pas tout ça, mais tu m'as pas montré cette nouvelle robe, ma belle ! s'enthousiasme-t-elle soudain.

— « Ma belle ? »

Ma voix résonne dans la salle, et je me maudis de ne pas avoir su contrôler mes pensées. La belle en question me scrute sans rien dire, me donnant envie de disparaître sur-le-champ. Devant mon malaise plus qu'évident, Sky se mord la joue comme pour retenir un rictus, puis se hisse sur le bar pour s'asseoir en tailleur devant moi.

— Oh, on t'a pas dit ? Alaska est la plus belle de toutes les drag-queens du pays, m'informe Sky, l'air attendri.

— La plus sexy, mon poussin, la reprend la dénommée Alaska avec affection.

Un peu perdu, je les fixe à tour de rôle. Une drag-queen ? Lola paye une drag-queen pour me surveiller ? C'est pas le genre de la maison. Ou alors il y a un truc que je ne sais pas. Je soupire de frustration, incapable de comprendre. Lola prépare quelque chose, et je ne suis pas foutu d'anticiper quoi que ce soit.

— Donc je dois dire il ou elle ? demandé-je pour oublier ma colère.

— T'as qu'à m'appeler Majesté, mon chou. Ça fonctionne pour les deux, répond Alaska en quittant la pièce.

Sky descend de son perchoir pour lui emboîter le pas, mais articule quelque chose comme « elle, il faut dire elle » à mon attention. 

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Coucou tout le monde, 

Comment ça va ? 

Et voilà, aujourd'hui on entame un gros chapitre, qui j'espère vous plaira. Il risque d'être riche en informations, alors j'espère que vous avez une bonne mémoire en ce qui concerne le tome I...

Sinon, j'ai presque fini le chapitre onze, encore une partie à écrire et j'aurai officiellement écrit mon premier chapitre inédit depuis un long moment. J'espère que je ne prendrai pas trop de temps à écrire, ce serait dommage de perdre ma petite avance sur les chapitres et de devoir vous faire attendre pour les publications. 

Bref, qui se rappelle de Sky ? Et est-ce que votre hypothèse sur son identité s'est finalement révélée être la bonne ? 

Qu'est-ce que vous pensez de la relation que dépeint West entre Hannah et lui ? À votre avis, ils étaient amis ? Un peu plus que ça ? Comment vous voyez les choses ? 

L'orientation sexuelle de West fait débat, qu'est-ce que vous pensez de ça ? Vous avez des hypothèses ? 

Nous devons cette chanson à la merveilleuse Milledya, donc si elle vous plait, c'est elle qu'il faut remercier. 

Voilà, voilà, c'est tout pour moi. Je retourne de ce pas travailler sur mon chapitre. 

Je vous souhaite une belle fin de journée. 

Prenez bien soin de vous les potes.