Chapitre 5 | 3
"Now you're free and it sets you apart.
It's too late to come back home,
And you're always on your own."
Now You're Free – Matthew Mayfield. (En média).
Un agent de sécurité que je n'ai jamais vu fait l'inventaire de mes effets personnels en les mettant tous un par un dans un carton carré. Il m'énonce tout ce qu'il place dans la caisse d'une voix morose, mais je ne l'écoute pas. Je ne vérifie pas non plus qu'il ne manque rien, tout ce qui m'intéresse, c'est la porte de sortie. Elle est là, juste devant moi. Je n'ai qu'à parcourir quelques mètres pour pouvoir la franchir. Mon cœur s'affole dans ma poitrine. Je n'ai jamais été aussi proche de la liberté que maintenant. On dirait que mon corps tout entier est attiré par le monde extérieur, mais que mon esprit, lui, reste prisonnier de cet établissement et des souvenirs qu'ils renferment. Je devrais être heureux, soulagé, mais le seul sentiment qui m'envahit, c'est l'angoisse. J'ai peur de me retrouver dehors livré à moi-même. Livré à Lola.
— Voilà, il vous suffit de signer ici, et vous pourrez sortir, m'informe le gardien.
Son sourire forcé et sa posture guindée me font comprendre sa réticence à l'idée qu'un mec comme moi soit autorisé à retrouver la civilisation. Il doit penser que je mérite de purger le reste de ma peine, et il a raison, mais j'essaie de ne pas m'attarder sur ce genre de réflexion néfaste. Une fois ma signature posée sur un morceau de papier que je ne lis pas, le maton fait passer la boîte entre le comptoir et la vitre en plexiglas qui nous sépare pour me la tendre. Mes prunelles s'évanouissent sur son contenu par automatisme, et je bloque. Je reste complètement paralysé par le paquet de cigarettes abîmé qui trône au-dessus de mon blouson en cuir. Gale... Le grognement agacé de mon frère me revient en mémoire alors que je me revois lui confisquer ses Marlboro pour les mettre dans ma poche. Ce jour-là, il m'avait promis de plus toucher à ces trucs... Je soupire. Est-ce qu'il a repris, depuis ? Si jamais il avait recommencé, je crois que je ne lui en voudrais pas. Après tout, je ne lui ai pas rendu la tâche facile.
Mes paupières rabattues sur les pupilles, je n'ai plus de défense face aux images qui engloutissent ma réalité. La détresse de mon meilleur ami quand je lui ai annoncé mon départ, son impuissance devant la menace qui pesait sur mes épaules, sa tristesse dans la salle de parloir... Tout me frappe d'un coup, et j'ai envie de disparaître. Je me déteste. Je m'en veux tellement de lui avoir fait subir ça, d'avoir fait subir ça à Wayne. Comment je pourrais me pardonner un truc pareil ? Comment est-ce que je pourrais encore supporter de me voir dans un miroir après avoir fait couler leurs larmes, après m'être barré sans explication ? Je ne suis même pas sûr d'encore les regarder en face un jour. Surtout Wayne. Gale a toujours su à quel point je suis destructeur mais il a choisi de rester malgré tout. Wayne, lui, n'avait rien demandé, et je l'ai trahi.
Un énième signal sonore tonitruant retentit alors que la dernière barrière qui me sépare de l'extérieur cède. La grille s'ouvre sur la cour d'accueil du pénitencier, et un filet d'air frais s'engouffre à l'intérieur pour venir à la rencontre de mon corps craintif. Le vent s'écrase contre ma peau, il l'inonde puis s'empare des émotions qui s'y dissimulent mais que je ne suis plus capable de mettre de côté. Il les nourrit, les amplifie et je dois me mordre l'intérieur de la joue pour ne pas les laisser exploser. Sur le pas de la porte, j'inspire un peu de cet oxygène que je croyais perdu à jamais, mais hésite tout de même avant de mettre un pied devant l'autre. Ash et Caiden sont toujours enfermés là-dedans, je mérite pas de sortir avant eux. Alors que mes pensées se liguent contre moi, j'imagine Ash me secouer en m'ordonnant de foutre le camp avant qu'il ne m'éjecte lui-même d'ici, et mon sentiment de culpabilité se calme. Tremblant d'une euphorie inattendue, je me décide enfin à avancer, et cette fois, je n'ai ni envie de m'arrêter, ni envie de faire demi-tour. Je passe le portail à barreaux surplombés de barbelés à toute allure, puis mes jambes cessent de fonctionner. Debout sur le trottoir sale de Chicago et après plus de deux ans d'attente, je lève enfin la tête vers ma seule liberté.
L'obscurité grisante de la nuit n'est pas encore au rendez-vous, les étoiles n'ont aucun moyen d'accueillir mon regard perdu, mais ça ne fait rien. Les tâches mousseuses qui parsèment le ciel, elles, fêtent ce jour étrange avec de nombreuses larmes de joie et à la seconde où la pluie entre en contact avec ma peau, j'ai l'impression de revivre. Les yeux clos, j'offre mon visage en pâture à ces gouttes réparatrices alors que le monde s'agite autour de moi. J'entends des gens courir, des parapluies s'ouvrir, mais le bouillonnement de la foule semble vibrer au ralenti. Comme pour m'aider à me focaliser sur le moment présent, comme pour me faire redécouvrir les sens dont j'ai été privé si longtemps. L'eau glacée dégouline le long de mes tempes, la bise s'amuse à se glisser sous mon débardeur humide, l'odeur de béton s'empare doucement de mes narines, le froid imbibe mon épiderme et pour la première fois depuis trois ans, je me sens vivant.
— Hey, le Prodige !
Une voix chantante brise la poésie des nuages, m'obligeant à libérer mes prunelles. Dans une voiture blanche, un type noir d'une trentaine d'années me fixe, un sourcil arqué.
— Eh, chéri, tu crois pas qu'il faudrait t'abriter ? Tu vas être trempé et tu vas saloper mes sièges ! s'exclame-t-il avec de grands gestes.
Devant son air dramatique, je hausse un sourcil à mon tour, sans bouger pour autant.
— Bon, tu montes ? Lola m'a dit de passer de prendre, mais ça veut pas dire que j'ai toute la journée.
Démoralisé, je lâche un soupir bruyant en baissant la tête. Je me serais pas senti libre bien longtemps. J'esquisse un pas vers la New Bettle claire, mais me ravise lorsque les paroles de Ash résonnent dans mon esprit : « Dès que tu sors, je veux que tu manges un hot-dog à la moutarde à ma place. T'as intérêt de penser tellement fort à moi que je pourrais ressentir le goût du sandwich descendre le long de ma gorge. » Je ravale un sourire en revoyant le visage satisfait de mon pote quand j'ai fini par lui promettre de m'enfiler ce truc dont j'ai horreur pour qu'il me lâche enfin. Ni une ni deux, je tends le carton à mon interlocuteur sans lui donner d'autres choix que de l'attraper.
— Eh, mon poussin, je suis pas ta domestique ! me lance-t-il, agacé.
Un rictus se dessine sur mes lèvres alors que je retiens la remarque cynique qui me brûle la langue.
— Ouais, je sais. Mais je reviens dans deux minutes. Après ça, tu pourras m'emmener où tu veux.
Il roule des yeux, tandis que je m'éloigne pour pénétrer dans le premier fast-food qui croise ma route. Je commande le hotdog, y ajoute la sauce âpre et en prends une bouchée. Bien que cette chose trop grasse soit loin d'être agréable à déguster, elle reste meilleure que la plupart des plats que j'ai pu ingurgiter depuis mon incarcération. Malgré moi, j'envoie mes plus sincères remerciements à Ash Cooper, avant de retrouver le véhicule qui va signer le début de mes prochains cauchemars.
***
Dans la petite automobile, un silence pesant règne entre l'inconnu et moi. Concentré sur la route, il ne prête pas le moins du monde attention à mes tentatives vaines de ne pas le dévisager. Je ne peux pas m'empêcher d'épier le moindre détail de son visage pour tenter d'en savoir plus. Qui est-il ? Pourquoi lui ? Où est-ce qu'il m'emmène ? Est-ce qu'il est armé ? Est-ce que je dois me méfier ? Toutes ces questions me broient le cerveau et l'air désinvolte de mon hôte ne m'aide pas à me détendre. Ce mec me perturbe. Il est trop différent des molosses que j'ai l'habitude de croiser dans la bande à Lola, je ne sais pas à quoi m'attendre. Ses traits sont fins et doux, sa peau noire est lisse et rebondie, ses prunelles ocres brillent de malice et d'intelligence... Tout le contraire des gros bras musclés outre mesure que Lola affectionne.
Le véhicule stoppe sa route sur le parking d'un vieil hôtel un peu chic et le mec me fait signe de le suivre alors qu'il claque sa portière. Méfiant, j'attrape la caisse cartonnée qui contient mes affaires, avant d'emboîter le pas de la silhouette au déhancher outrancier. Est-ce que ce type bosse vraiment pour Lola ? Avec sa petite taille, son maigre corps effilé, son allure délicate et son air maniéré, j'ai du mal à croire qu'il fait partie des chiens de garde violents de ma patronne. Mais alors pour qui travaillerait-il ? Et pourquoi l'aurait-on envoyé pour me récupérer à ma sortie de taule ? Quand je les vois, lui et les boucles bien coiffées de ses cheveux courts qui tombent sur le dessus de son front, je ne peux pas m'empêcher de penser qu'il n'est pas du genre à savoir se servir d'une arme à feu. D'ailleurs, je ne l'imagine pas non plus se battre contre moi, il est bien trop chétif pour ça. Quelque chose cloche, je dois me tromper sur ce mec, c'est obligé. Lola connaît mes aptitudes en ce qui concerne les combats à mains nues, elle ne peut pas sciemment avoir missionné un débutant de me surveiller, elle n'est pas assez bête pour ça. Ou alors... Est-ce qu'elle me met à l'épreuve ? Est-ce qu'elle teste ma loyauté pour voir si je vais me servir de la fragilité de son pion sur l'échiquier ? Non, bien sûr que non, elle a conscience que je ne prendrais pas ce genre de risques avec elle. Et si je réfléchissais trop ? Et si c'était juste un bon vieux piège qui cacherait des dizaines de gorilles armés jusqu'aux dents à l'intérieur de l'hôtel ?
Mon accompagnateur déverrouille la porte d'entrée puis y entre, toujours sans prononcer un seul mot. Un doute immense me traverse de part en part lorsque je m'apprête à passer le seuil mais, étonnamment, aucun AK47 prêt à faire feu ne m'attend à l'intérieur. Soulagé, je souffle avec discrétion pour essayer de retrouver mon calme et apaiser les palpitations désordonnées de mon cœur à deux doigts d'éclater.
— T'as qu'à poser tes affaires là, chéri, m'ordonne-t-il plus qu'il ne me le propose.
J'opine tandis que sa voix résonne encore dans le grand corridor d'accueil et suis son index qui m'indique un léger renfoncement dans l'un des murs sur ma gauche. Un peu tendu, je pénètre dans une espèce de mini salon sans doute réservé aux clients puis dépose mon carton sur une petite table en verre entourée de quatre fauteuils en velours magenta. Debout devant mes affaires, je fixe le paquet de cigarettes durant de longues secondes avant de finir par le prendre avec moi quand je retourne vers le comptoir en bois clair de l'entrée.
— Tiens mon poussin, pour ta chambre, reprend mon interlocuteur en me tendant un porte-clefs.
Sur mes gardes, je réceptionne le losange rouge sur lequel apparaît le chiffre dix-neuf peint en blanc puis scrute la clef en ferraille qui y est accrochée sans savoir quoi en faire. Autour de moi, tout me semble chaleureux mais je ne parviens pas à me détendre. Qu'est-ce que je fais là, putain ? Déjà blasé par la situation, je jette un coup d'œil curieux au comptoir d'accueil en bois vernis, et me rends compte qu'il fait aussi office de bar. Cinq hauts tabourets foncés lui font face, mais je n'ai pas le temps de m'attarder sur quoi que ce soit d'autre que mon hôte s'invite de nouveau dans mon champ de vision.
— Les règles sont simples : tu ramènes tes fesses dans ta piaule avant deux heures tous les soirs et t'en ressors que le lendemain matin.
— Et si je déroge à la règle ? le défié-je.
— Je préviens Lola et elle se charge de botter ton petit cul tout pâle, me répond-il du tac-au-tac.
Indifférent à mon insolence, il sort un miroir circulaire de la poche de son jean serré avant de se contempler dedans pour remettre ses cheveux sombres en place.
— Oh, et accessoirement, je t'arrache les bijoux de famille à mains nues, ajoute-t-il. J'ai pas l'intention de perdre mes cinq cents dollars de la semaine parce que t'as décidé que les règles étaient faites pour être brisées.
Comme pour me faire passer un message, il observe ses faux ongles pointus avec insistance et je perds toute envie de le provoquer. Un sourire victorieux s'installe sur ses lèvres pulpeuses lorsqu'il remarque mon malaise, et il passe sa langue sur ses dents blanches avec fierté.
— Écoute mon chou, je veux pas de problème avec qui que ce soit. Tu te débrouilles pour débarquer ici avant deux heures, tu dors dans ta chambre, et moi j'ai mon fric. Deal ?
J'acquiesce d'un signe de tête bref. L'homme semble satisfait puisqu'il ne se préoccupe plus de ma présence. Ses prunelles obscures sont désormais à la recherche de quelque chose qui m'échappe, mais se mettent à briller lorsqu'il attrape une trousse bleue étincelante de paillettes. Il l'ouvre, en sort un tube de marque qu'il observe un moment, avant de finir par en retirer le capuchon et recouvrir ses lèvres de maquillage. Perplexe, je le dévisage sans vergogne alors qu'il tourne le menton vers la droite, puis vers la gauche, comme pour admirer son œuvre. Il se tourne ensuite vers moi :
— Comment tu trouves, mon poussin ? C'est pas un peu trop flashy ?
Ahuri, j'ouvre de grands yeux. Qu'est-ce que je suis censé répondre à ça ?
— T'en fais pas, chéri, me sourit-il. Je vais demander à quelqu'un de plus expérimenté.
Il fait le tour du bar, et sort de la pièce. Je ne le vois pas, pourtant je l'entends brailler jusqu'ici.
— Eh, Bella ! Tu penses que celui-là pourrait aller avec ma tenue de ce soir ?
Détaché de ce qui se déroule dans la salle d'à côté, je m'installe sur l'un des tabourets et prends conscience qu'en fin de compte, le bar est plutôt bien rempli. Des dizaines de bouteilles d'alcool en tout genre sont alignées sur plusieurs étagères en verre surplombées par un plan de travail imitation marbre. Au-dessus de ma tête sont suspendus des verres et des chopes de toutes tailles alors que deux shakers trônent fièrement à côté d'une tireuse à bière en inox au bout du comptoir. Les sourcils froncés, je parcours l'entièreté de cet endroit du regard et m'arrête sur un tapis indigo orné des inscriptions « A&D » que je ne cherche pas à déchiffrer. De nouveau focalisé sur les Marlboro de Gale que je pose devant moi, je pousse un profond soupir. Visiblement, cet endroit n'est pas qu'un simple hôtel, mais ça ne m'aide toujours pas à comprendre pourquoi on m'a emmené ici. Je n'ai pas le temps de me perdre dans mes théories foireuses que j'entends déjà l'homme revenir en parlant à quelqu'un.
— Donc je vais mettre celui-là pour le show de ce soir, et demain je prendrai le Chanel rose ! s'écrie-t-il, enjoué.
— Tu vas être magnifique, ma belle Alaska.
— Un peu que je vais l'être ! Oh, et voilà le gamin dont je t'ai parlé. Il est plutôt pas mal, tu devrais jeter un coup d'œil pour voir si un truc intéressant se cache pas en dessous de tous ces vêtements !
Abasourdi, je fronce les sourcils mais ne me retourne pas. C'est de moi qu'il parle, là ? N'ayant pas vraiment envie d'entrer dans ce genre de considération, je fais mine de ne rien entendre en triturant une fois de plus le paquet de cigarettes de mon frère que je fixe pour me donner une contenance. Un rire retentit dans mon dos et un sentiment étrange me parcourt.
— Mais non... impossible ! Pas la peine de te cacher, je pourrais te reconnaître entre mille, Ronny.
Torpide, je me fige et lâche les cigarettes. Il n'ya qu'une seule personne qui m'appelle comme encore comme ça.
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Coucou tout le monde,
Comment ça va ?
Moi je reprends tout doucement mes travaux, même si la fatigue est encore bien présente. (En plus mon corps me hait, alors c'est pas encore fini pour moi). Je peux pas avancer comme je veux dans mes bêtas et dans l'écriture, mais au moins, je fais un peu des trucs, ce qui change.
J'espère en tout cas que cette partie de chapitre vous a un peu intrigué.e.s, ou qu'au moins elle vous a plu. Je vous avoue que c'est ma préférée des trois, j'ai pris pas mal de plaisir à la réécrire, en plus.
Du coup, vous la sentez comment la liberté ? Le début de la résolution des problèmes ou le début des emmerdes ? Vous avez des pistes ?
D'ailleurs, vous pensez quoi de la personne qui est venue chercher West à sa sortie ? On va l'aimer ou on va la détester d'après vous ?
Et Ronny, alors, qui c'est ? Pourquoi on appelle West comme ça, d'après vous ? Est-ce qu'il aurait menti sur son identité ?
Et la musique, alors, elle vous plait ? Dès que je l'ai entendue, j'ai immédiatement pensé à West alors que je savais même pas encore qu'il allait finir en prison. C'était comme une évidence ?
Voilà, voilà, c'est tout pour moi.
Je vous dis à mardi pour la suite, en espérant que tout va bien pour vous.
Je vous envoie plein de bonnes ondes, les potes.
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