Chapitre 5 | 1
"Tell me how the hell could you know,
How could you know ?
'Till it happens to you
You don't know how it feels."
Till It Happens To You – Lady Gaga. (En média).
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ATTENTION : Dans ce chapitre, le sujet du viol sera abordé. Il n'est pas mis en scène, mais je sais que ce sujet peut être sensible, alors faites bien attention à vous si vous êtes sensibles à ce genre de thème.
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À deux doigts de tomber de fatigue, je tente tant bien que mal de prendre place autour de la table rectangulaire sans renverser mon plateau en plastique. Ash m'observe du coin de l'œil, mais ravale son rictus moqueur quand je lance un regard vers lui. Cynique, il fait mine de plonger sa fourchette dans la mixture peu attrayante qui reluit dans son assiette, avant de lâcher la remarque qu'il retient depuis que je suis arrivé.
— Toujours aussi adroit à ce que je vois, Gueule d'Ange.
Son ricanement respire la bonne humeur, pourtant je n'arrive pas à m'en imprégner. Cloué sur place, je secoue la tête en chassant tout l'oxygène que contiennent mes poumons. Après un instant dans le vague, je finis par me laisser tomber sur le banc en bois fixé à la table blanche par une poutre centrale, puis jette un coup d'œil mécontent à mon camarade.
— Putain, Ash, c'est mon dernier jour dans cet endroit, tu veux pas m'appeler autrement que Gueule d'Ange, sérieux ? Appelle-moi trou duc, j'en sais rien, mais m'appelle pas Gueule d'Ange, soufflé-je en passant une main glacé sur mon visage.
Trop épuisé pour faire face à la réaction de Cooper, je fixe ma nourriture sans vraiment la voir. Perdu dans mes pensées, je prends conscience que ça fait trois jours que je n'ai pas eu de vraie nuit de sommeil. Trois jours que Gale est passé au parloir et trois jours que l'incident des douches me hante. Je ne suis plus foutu de fermer les yeux sans en revivre chaque seconde, sans me torturer avec ce que Lola est en train de mijoter. Si elle s'en prend à la seule véritable famille qu'il me reste, je ne pourrai pas me le pardonner, je ne pourrai pas m'en relever. C'est un enfer, je n'ai plus que ça en tête : la dangerosité de Lola et les mains de Bellick qui s'emparent de mon corps... Sa peau collée à la mienne, son...
— Eh, mon pote, ça va ?
La voix désormais bien moins enjouée de mon ami m'arrache à mes cauchemars pour m'obliger à me focaliser sur lui. Ses prunelles dorées me scrutent, elles me sondent, m'analysent, comme si elles voulaient lire sur mes traits ce qui refuse de sortir de ma bouche. Étrangement, j'ai l'impression qu'il comprend. Que son regard perçant décrypte tous mes secrets mais qu'il me connaît assez pour savoir que la seule façon que j'ai de me libérer, c'est par tous ces mots que je n'ai pas envie de prononcer. On dirait qu'il voit à quel point toutes ces images, toutes ces sensations me consument et qu'il veut me pousser à les vomir d'une façon ou d'une autre.
— T'en fais pas, mec. Ça va. Je suis juste... crevé, lâché-je du bout des lèvres.
Trop honteux de mon mensonge, je reste fixé sur son plateau. J'attrape la pomme rouge posée à côté de son plat, et la remplace par ma part de tarte aux citrons, son dessert préféré, comme si de rien n'était. Toujours sans regarder mon ami, je croque dans le fruit mûr, mais en ressens à peine le goût sucré. Je ne mange pas parce que j'ai faim, je mange pour avoir une bonne raison de me taire, pour avoir une bonne raison de passer mes sentiments sous silence, et je crois qu'il le sait. Ash a compris mon petit jeu à la seconde où il a commencé.
— Tu sais, y'a des tas de mecs qui se sont fait violer, ici. J'en connais certains.
Heurté par l'expression qu'il emploie, je tressaille. Il ne peut pas dire ça. Il n'a pas le droit de le dire comme ça, comme s'il lâchait une bombe. Soudain pris d'un stress incontrôlable, je me surprends à scruter les alentours avec frénésie pour être certain que personne n'a plus entendre le moindre petit morceau de notre conversation. Putain, mais qu'est-ce qui m'arrive ? Indifférents à l'anarchie que deviennent mes pensées, les autres détenus ne se préoccupent pas de nous. Ils ont appris avec le temps qu'il ne valait mieux pas se mêler des affaires de Benton ou de ceux qui mangeaient à sa table et le pire, c'est que je le sais. Je sais que même s'il n'est pas avec nous aujourd'hui, la menace du Caïd nous protège des oreilles indiscrètes mais c'est plus fort que moi, je ne parviens pas à faire la part des choses. Je n'arrive pas à me calmer. Le vocabulaire de Cooper m'a perturbé.
— Je n'ai pas... Il ne m'a pas...
Ma phrase s'éteint, et je pousse un soupir bruyant en balançant presque la pomme sur la table. Ce truc me fout la nausée. Je passe une nouvelle fois une main angoissée sur mon visage, alors que mon malaise s'accentue encore un peu. Pourquoi est-ce que je prends peur, comme ça ? Je suis loin d'être effrayé par les mots d'habitude. Au contraire, je suis convaincu qu'ils sont la clé qui déverrouille n'importe quelle blessure pour l'aider à guérir. Même si je me laisse souvent noyer par les émotions qu'ils m'envoient à la figure, je suis capable de me contrôler en temps normal, alors pourquoi pas maintenant ?
— Je sais, West. Ce que je veux dire, c'est que...
Ash s'éclaircit la voix, ce qui m'arrache un froncement de sourcil. Ce n'est pas son genre de passer par quatre chemins, de tempérer ou d'avoir du mal à exprimer son point de vue. Quelque chose ne va pas. Ses prunelles brillent d'une lueur indéchiffrable qui me chope à la gorge, et l'éventualité qu'il ne parle pas seulement de détenus qu'il connaît me noue les tripes. Et si... J'écarquille les yeux, le dévisage, puis lui pose une question silencieuse à laquelle il répond par un sourire triste.
— Ce que je veux dire, c'est que tu devrais en parler. Peut-être pas à moi, mais il faut que tu dises ce que tu ressens par rapport à ça, parce que ça va te bouffer, affirme-t-il calmement. Je suis pas aveugle, tu sais. Ça fait trois jours que ce mec t'a eu dans les douches et trois jours que t'es renfermé sur toi-même. D'ailleurs je suis presque sûr que ça fait aussi trois jours que t'as pas pioncé.
Je lève un sourcil, mais ne dis rien.
— Les images qui s'enchaînent, les sensations qui reviennent, je sais que ça peut virer au cauchemar, la nuit, reprend-il, encore plus que la journée. Te laisse pas enterrer par ces merdes.
Nerveux, je détourne le regard et joue avec mes doigts en maudissant mes sentiments de pouvoir se lire sur mes traits avec autant de facilité. Je n'ai jamais su cacher ce que je ressentais à mes amis et à vrai dire, jusqu'ici, je n'ai jamais eu besoin de le faire. Je crois que j'ai vécu beaucoup trop longtemps avec Gale et ses blessures enfouies pour ne pas savoir à quel point tout retenir à l'intérieur peut détruire. Pourtant là, maintenant, tout de suite, j'aurais préféré savoir mentir. Je n'ai pas la force d'articuler quoi que ce soit. Je ne peux pas laisser ce que je ressens prendre le dessus.
— T'as pas à avoir honte, West. T'as rien fait de mal, murmure Ash.
Choqué par la justesse de ses interprétations, je relève la tête vers lui d'un geste vif. Comment peut-il avoir compris quelque chose que je refuse de m'avouer à moi-même ? Un nouveau rictus faible s'empare de ses lèvres, alors qu'il avale une cuillerée de nourriture pâteuse.
— J'ai...
Nouveau raclement de gorge. Je n'ai jamais vu Cooper comme ça, si... vulnérable.
— Disons que j'ai connu des gars dans ta situation. Ou des gars qui ont pas eu la chance d'avoir le Caïd pour les sortir de là à temps. Alors j'ai appris à reconnaître cette honte, ce dégoût de soi. Ils avaient tous le même.
Sa bonne humeur s'est désormais évaporée en totalité pour laisser place à un sérieux presque douloureux. Les dents serrées, je dois prendre sur moi pour ne pas briser notre lien visuel.
— Et puis... Je suis arrivé en premier dans les douches. J'ai vu ta réaction. J'ai vu à quel point c'était dur pour toi. Insupportable, même.
Il lâche un rire qui sonne faux, comme pour ravaler son émotivité.
— Pas que ça aurait pas dû l'être ou que ton ressenti était pas légitime, hein, argumente-t-il. C'est juste que... j'en sais rien. J'ai tellement entendu parler de toi, de la résistance légendaire du célèbre West Hutchins face à la torture... Je t'ai vu tellement souvent te battre et absorber les coups que je pensais pas que je te verrais dans un tel état de panique un jour. Je pensais pas que quelqu'un réussirait à te faire flancher en te touchant toi et pas quelqu'un que t'aimes.
— Je n'ai pas flanché, craché-je, glacial.
Un nœud bouillant se forme dans ma poitrine, pourtant je nie tout en bloc. Je secoue la tête, je retiens mes larmes, je refuse de rendre ça réel. Ash le sait, il le voit, mais il ne s'arrête pas. Il continue de déblatérer, comme s'il voulait m'obliger à lâcher prise parce qu'il connaît mon fonctionnement. Il se rend très bien compte que je n'ai pas d'autres options que de craquer si je veux avancer. Il faut que je souffre, que je prononce l'imprononçable pour calmer mes écorchures et avoir une chance de me libérer. De me soigner. Il comprend que j'ai besoin de parler, mais que rien ne sort. Que certains sujets sont trop à vif et que les conséquences d'une telle confession me paraissent insurmontables. Avec les années, il a su voir que la seule façon de m'aider, c'est de me pousser dans mes retranchements. De me faire exploser. Et même si je sais que c'est l'unique méthode qui marche avec moi, je ne suis pas sûr d'avoir le courage d'y faire face maintenant.
— Arrête, West. T'as le droit d'en chier pour trouver tes mots, mais me mens pas. Me prends pas pour un con. Tu peux pas te cacher, je t'ai vu. Je l'ai vu, lui aussi.
Incapable de l'affronter plus longtemps, mon regard s'accroche à son tee-shirt blanc qui contraste avec la couleur kaki de son uniforme à moitié ouvert. Il va le formuler. Il va dire à voix haute ce que je ne veux pas entendre. Il va essayer de me faire réagir en exprimant ce que je n'arrive pas à gerber.
— J'ai vu tes larmes et tes poings serrés. J'ai presque entendu tous les cris que tu retenais, rien qu'en t'observant. J'ai compris que t'étais terrorisé, que t'étais pas prêt à supporter ça...
— Je ressentais rien du tout, murmuré-je comme un automate.
Son air semble devenir plus grave, mais je n'en suis pas certain. Je ne parviens pas à lâcher son vêtement des yeux.
— Donc tu n'as rien ressenti quand ses mains ont arpenté ton corps ? Quand elles se le sont approprié ? me demande-t-il avec une douceur infinie.
Touché, je baisse la tête brusquement en sentant mon cœur battre plus vite. Plus fort.
— Tu n'as rien ressenti quand elles sont descendues de plus en plus bas ?
J'inspire d'un seul coup alors que les paumes répugnantes de Bellick réapparaissent. Elles me touchent, me palpent, me caressent...
Un spasme puissant me secoue.
— Tu n'as rien ressenti non plus quand son corps dégueulasse était collé au tien comme si tu lui appartenais ? Quand ses lèvres se sont plantées dans ta nuque, encore et encore ?
J'expire d'un seul coup, puis rabats mes paupières sur le monde quand je sens les larmes monter, mais Ash ne fléchit pas. Sa douceur ne diminue pas.
— Tu n'as rien ressenti quand il s'est mis à bander contre toi ?
Son franc parlé me fait l'effet d'un coup violent dans l'estomac. Submergé, je serre les poings et les presse sur mes sourcils en étouffant un sanglot.
— Stop. Arrête... S'il te plait, Ash, arrête... le supplié-je sans parvenir à contenir la déchirure qui lacère le timbre de ma voix.
La table tremble, j'entends Cooper se déplacer, mais je n'y prête pas plus attention que ça. Je suis bien trop occupé à ravaler mes pleurs qui commencent à devenir irrépressibles. Il ne faut pas que je craque, surtout pas. Je ne peux pas me permettre d'éclater au beau milieu du réfectoire de la prison. Un mouvement délicat s'anime à mes côtés, et une main chaude se dépose sur mon épaule droite pour y appliquer une légère pression. Ce contact, aussi futile soit-il, aide ma cage-thoracique à se décharger d'un poids monumental.
— Il faut que tu te libères de ça, West... chuchote mon ami. On a tous nos limites. Bellick a trouvé les tiennes, et il les a exploitées. Ne fais pas la même erreur que moi, garde pas un truc pareil pour toi, ça va te ronger.
Mes larmes finissent par s'écrouler, mais je suis incapable de me laisser aller.
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Coucou tout le monde, comment ça va ?
Moi je suis plutôt crevé. J'en ai un peu marre de rien faire, mais la convalescence est compliquée. Bon, hier j'ai réussi à écrire un peu alors rien n'est perdu. J'ai encore quelques chapitres d'avance pour la publication, donc pour l'instant je ne m'inquiète pas trop. J'espère que pour vous tout va bien. Bon courage aux personnes qui ont des examens, bravo à celles qui les ont passé, bonnes vacances aux gens qui sont en vacances et tout mon soutien à ceux qui n'en ont pas.
J'espère en tout cas que ce chapitre vous a plu malgré le sujet un peu sensible qu'il aborde et qu'il vous donne envie de poursuivre votre lecture. D'ailleurs un grand merci à vous pour les 500 lectures, ça me va droit au cœur. Merci beaucoup les potes.
Qu'est-ce que vous pensez de ce que fait Ash avec West ici ? Vous pensez que c'est la bonne méthode, que ça va aider West ?
Vous aussi vous pensez que pour que West se sente mieux, il faut qu'il en parle ?
Et la musique, alors, elle vous plait ? Je vous avoue que je l'aime bien, mais que je ne peux pas toujours l'écouter. Le clip on en parle même pas, il est hyper dur à regarder.
Voilà, c'est tout pour moi. Je vous souhaite une belle soirée, les potes. On se retrouve samedi pour la suite.
Prenez bien soin de vous.
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