Chapitre 4 | 2
"Without saying a word,
You can light up the dark.
Try as I may, I can never explain
What I hear when you don't say a thing."
Roman Keating – When You Say Nothing At All. (En média).
— Pas de contact avec les détenus, s'il vous plaît ! grésille une voix désagréable dans un haut-parleur fixé au plafond.
La poigne de West m'enserre avec plus de force alors qu'il inspire durement. Je sais à quel point ce contact lui est indispensable, à quel point il va devoir se torturer pour réussir à me lâcher, pourtant je l'encourage. D'un geste doux, je caresse son dos avec le plat de ma main pour le rassurer, lui montrer qu'il peut céder sans avoir peur de me voir disparaître. Un spasme violent parcourt son corps avant qu'il ne finisse par s'éloigner en levant les bras. Je déteste le voir faire ça, le voir les mains en l'air comme si c'était un danger à maîtriser. Ses yeux restent scotchés à mon torse, et je comprends qu'il essaie de tout son être de contenir ses larmes. Le cœur lourd, je prends place autour de la table pour l'inciter à me suivre dans un silence uniquement brisé par ses liens en fer qui crissent sur le sol. En face de moi, il joint ses deux mains devant lui en fixant les miennes. Toi aussi, tu m'as manqué, petit frère.
West et moi n'avons jamais eu besoin d'ouvrir la bouche pour communiquer. Nos paroles n'étaient là que pour libérer nos épaules trop lourdes parce qu'en réalité, nos contacts ont toujours suffi à nous calmer, à nous retrouver. D'ailleurs, en cet instant précis, je sais que mes paumes sur ses épaules sont les seules choses qui pourraient le soulager. Lui prouver qu'il n'a rien à craindre, que je l'ai pardonné. Ces marques d'affection, aussi futiles soient-elles, lui ont toujours permis de survivre, de tenir debout, et je hais cet endroit de m'interdire de les lui offrir. De m'empêcher de l'aider à respirer. Il prend une profonde inspiration, puis relève le nez dans ma direction avec un faible sourire.
— Comment ça va, frérot ? murmuré-je comme pour préparer l'univers à la déchirure de nos timbres écorchés
Le visage de mon meilleur ami se crispe alors que deux ruisseaux se forment sur ses joues, et ma poitrine se serre. Il ne pleure pas de douleur, il pleure de reconnaissance et c'est précisément ce qui me ravage. Il pensait que je lui en voulais au point de ne plus le considérer comme ma famille. West est et restera la seule véritable famille que j'ai eue, et rien ne pourra changer ça. Même pas lui.
— Je ne t'en veux pas, West, soufflé-je.
Ses paupières se plissent, ses poings se referment, sa mâchoire se contracte. Aucun son ne passe la barrière de ses lèvres, il se contente juste de baisser la tête et de la secouer avec frénésie, comme s'il ne voulait pas y croire, comme s'il avait besoin de m'entendre encore le dire. Submergé d'émotions, je ravale la boule brûlante qui enfle dans ma gorge pour tenter de contrôler la déchirure de ma voix tremblante.
— Je te pardonne, petit frère.
Ses épaules s'affaissent, ses poings se desserrent, ses larmes atteignent son menton en un temps record et il acquiesce pour me remercier. Si seulement on avait pas été ici... j'aurais pu le serrer dans mes bras, on aurait pu laisser le calme nous envelopper... Mais dans ce bâtiment, les cris de rage transpirent de chaque mur, la confiance n'est offerte à personne sans contrepartie, alors on va devoir se contenter de laisser les mots s'échapper de nos plaies ouvertes.
— Comment ça se passe, ici ? lui demandé-je avec difficulté.
West essuie ses yeux à l'aide de la manche de son uniforme, puis paraît réticent. Il s'apprête à mentir pour me rassurer, je le vois bien, pourtant après un bref regard vers moi, il se souvient qui il a en face de lui, et son indécision s'évapore.
— C'était dur au début, mais maintenant... je survis. Ça va.
Son timbre éraillé me réchauffe le cœur : enfin quelque chose qui est restée la même. Le temps d'une seconde, il me fuit et joue nerveusement avec ses doigts.
— Et lui, il va bien ?
Sa question m'arrache un sourire ; il sait que je déteste qu'on me demande comment je vais, alors il prend de mes nouvelles à travers Wayne.
— C'est pas facile tous les jours, mais il s'accroche. Tu lui manques, c'est une évidence.
Mon frère opine, l'air grave. Il a très bien compris que je ne parlais pas que de Wayne, et cette facilité avec laquelle il déchiffre mes non-dits me soulage.
— Il doit me haïr, déplore-t-il en passant une main dans ses cheveux.
Quelques mèches brunes dégringolent sous son œil droit, et je soupire. Le désavantage avec lui, c'est que même pour le protéger, je ne peux pas lui raconter de craques sans qu'il ne s'en aperçoive.
— Il t'en veut, c'est vrai, concédé-je, honnête. Mais je ne le crois pas capable de te haïr. De toute façon, je sais que tu comprends. Tu comprends pourquoi il t'en veut, West.
— Je ne pouvais pas lui dire, Gale... il était beaucoup trop fragile.
Je n'ajoute rien. Je ne peux rien répondre à ça. Il a raison, après tout. Wayne était beaucoup trop à fleurs de peau pour parvenir à encaisser les explications de West au moment de son départ, mais je ne suis pas sûr que se sentir abandonner par l'amour de sa vie lui ai fait beaucoup plus de bien.
— Pourquoi tu ne m'en veux pas, toi ? m'interroge mon frère en luttant pour conserver notre lien visuel.
— Je... j'en sais rien, soufflé-je. Parce que je te comprends, sans doute. Tu t'es pas barré sans rien me dire, West. Tu m'as expliqué et même si tu m'as pas laissé le choix, j'ai eu une chance de me préparer à te voir partir. Alors je t'en ai pas vraiment voulu pour ça. Là où j'ai morflé, c'est quand tu m'as fait promettre de plus m'approcher de toi... Je savais pourquoi, et c'est pour ça que j'ai tenu, mais putain... toi et moi, on s'est jamais séparé depuis le New Jersey. Et là, du jour au lendemain, il a fallu que j'apprenne à vivre sans mon pilier, tu vois ?
Mon ventre se tord, mon ton déraille et West ferme les yeux, plus coupable que jamais.
— Je me suis même mis à lever la tête comme un connard quand la nuit tombe. Juste pour te sentir un peu avec moi, c'est pour te dire, continué-je, plus en douceur.
Un rictus égaye les traits de mon meilleur ami, qui m'observe de nouveau, m'obligeant à lâcher un rire sincère.
— Mais j'ai tenu bon, parce que je comprenais ce qui se passait. Au moins un peu.
Incapable de soutenir mon regard plus longtemps, West baisse le nez puis chuchote un « merci » à peine audible qui réduit mon cœur en miettes. Mais je n'ai pas le temps de me laisser balayer par ce sentiment nouveau que déjà, son air change.
— Qu'est-ce qu'il s'est passé ?
Ahuri, je le dévisage sans articuler la moindre phrase.
— Je te connais. T'aurais pas brisé ta parole pour rien, pas toi. Donc il t'est forcément arrivé quelque chose.
Toujours abasourdi, je ne sors pas de mon mutisme.
D'accord, tu me connais, mais là, y'a un truc que tu me dis pas.
— Gale, je t'ai fait promettre de ne pas laisser Wayne, de prendre soin de lui comme t'as pris soin de moi. Alors tu serais pas venu me voir si y'avait rien eu.
— Ils étaient trois, articulé-je, robotique. Ils me suivaient dans la rue en pensant que j'étais Wayne. Ils voulaient lui faire peur ou je sais pas trop. Tout ce que je sais, c'est qu'ils ont été payés par une femme. Une brune. Et un mec à capuche.
West se ferme comme une huître, mais il ne peut pas me cacher l'immense inquiétude qui le transperce de part en part. Il n'est même pas surpris.
— West, dis-moi que ça n'a rien à voir avec les Donovan.
Il recommence à jouer avec ses doigts, me confirmant que j'avais raison depuis le début.
— West, parle-moi. Une femme brune, ça ne peut être qu'une seule personne, mais j'aimerais bien que tu me dises que je me trompe. Que des meufs aux cheveux noirs, y'en a des milliers, et que je me fais des films.
Dans un mouvement presque imperceptible, mon meilleur ami secoue la tête, toujours sans me regarder.
— West !
Il sursaute légèrement devant le haussement de ma voix.
— Tu te trompes pas. Il s'agit bien de Lola.
Abattu, je passe une main dans ma nuque nouée en contenant ma colère.
— Tu savais que j'étais au courant, pas vrai ? Tu l'as su à la seconde où tu m'as vu, craché-je.
Ses larmes refont surface et il paraît soudain livide. Alerté par son état, je regrette tout de suite mon emportement. Envahi par le stress, mon frère semble se noyer dans quelque chose qui n'existe pas... ou qui n'existe plus. Oh, non...
— Il s'est passé un truc, c'est ça ?
J'ai beau me radoucir, une peur incontrôlable s'insinue dans mes veines quand le regard de West se vide et qu'il acquiesce sans rien dire. Est-ce qu'il s'en veut ? Est-ce qu'il a fait quelque chose ? Est-ce que c'est de la honte que je lis dans ses yeux ?
— Les visites sont terminées ! crie le haut-parleur alors que la porte s'ouvre sur Kellerman.
Après avoir maudit cette prison de ne m'autoriser que quarante-cinq pauvres minutes avec mon meilleur ami, je me lève pour faire face à ce dernier, qui m'imite. En détresse, il scrute les alentours pour finir par me lancer une supplication silencieuse. Il me supplie de prendre le temps de lui dire au revoir. Ni une, ni deux, je m'avance vers lui et l'attire contre moi avant que le gardien ne lui remette ses menottes. La tête dans mon cou et ses doigts agrippés à mes épaules, West paraît terrorisé par ce nouveau départ. Le plus calme possible, je caresse encore le haut de son dos pour lui promettre qu'on se reverra très vite, mais cette fois, ma tentative ne suffit pas à calmer mon petit frère qui se met à trembler. Cette étreinte est sans aucun doute la plus insupportable de toutes celles qui ont pu rythmer nos vies, parce qu'elle va se clôturer par une séparation qu'aucun d'entre nous ne veut voir arriver. Au bout d'un instant qui me paraît bien trop court, l'agent de sécurité nous éloigne de force et mon cœur se déchire au même moment que la voix de West.
— Seems like it's been forever that you've been gone...
Touché, je l'observe s'en aller en sursautant lorsque la porte claque derrière lui. De petites perles humides s'écroulent sur mes joues pour les dévaler jusqu'à mes lèvres alors que je termine cette chanson qui nous a toujours sauvés.
— Please come back home...
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Coucou tout le monde,
Comme vous le savez sans doute, je suis actuellement à l'hôpital, mais du coup j'ai pu me débrouiller pour poster ce chapitre. Pour les personnes qui voudraient de mes nouvelles et qui ne me suivent pas sur les réseaux sachez que je vais bien. J'ai été opéré, j'ai effectivement eu des complications qui m'ont obligé à avoir une seconde intervention, mais maintenant ça va. Je devrais rentrer chez moi dans les prochains joues, et tout devrait bien se passer.
Pour les autres, j'espère que ce chapitre vous a plu, qu'il a su vous mettre un peu dans l'ambiance des retrouvailles de courte durée. J'aime tellement la relation Gale/West, que j'espère que vous ressentez tout l'amour qu'il y a entre eux sans que je n'ai besoin d'en parler spécialement.
D'ailleurs, vous en pensez quoi de leur relation à Gale et West ?
Vous comprenez que Gale n'en veuille pas à West ? Même pas un peu ? Vous seriez capable de pardonner un départ aussi long aussi facilement, vous ?
Et du coup, en parlant de retrouvailles, si jamais il devait y avoir des retrouvailles entre West et Wayne, vous les imagineriez comment ? Vous croyez que Wayne serait aussi flegmatique que Gale ?
Et la chanson, alors ? Elle vous plait ? À la base, pour moi, cette chanson, c'est une chanson Dégradation (le livre de Angels_Larry). Mais maintenant que je l'ai mise sur ce chapitre, je ne peux plus m'empêcher de penser à West et Gale quand je l'écoute. Je la trouve magnifique.
Bon bah voilà, c'est tout pour moi. Faut que je me grouille de publier avant qu'une aide soignante se pointe pour le repas du midi. Du coup je vous laisse.
J'espère que tout va bien pour vous.
Prenez bien soin de vous, les potes.
À jeudi pour la suite !
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