Chapitre 4 | 1
"I love you,
I loved you all along.
And I forgive you
For being away for far too long."
Far Away – Nickelback. (En média).
Le ronronnement du monstre de fer sous mon corps provoque l'envol de mes problèmes, qui semblent suivre le vent. Autour de moi, la nature bouillonne, elle s'éveille et j'ai l'impression de la redécouvrir, d'enfin daigner la regarder vraiment. Comme elle l'a toujours fait, cette sensation unique m'anime, elle me donne l'illusion de profiter de ma liberté retrouvée, et je crois que c'est quelque chose que West avait deviné. C'est grâce à lui si je n'ai pas perdu ce refuge-là ; quand ma Suzuki s'est retrouvée criblée de balles lors de l'intervention de flics à Eleven Stars, j'ai bien cru que cette sensation n'était plus qu'un écran de fumée, qu'une carcasse détruite. Aussi détruite que moi. J'ai cru que je ne pourrais plus jamais ressentir la vitesse des flots d'air sur ma peau et que l'Impala de mon frère était devenue ma dernière chance de me tourner vers des horizons plus lumineux que ceux que j'ai toujours connus. C'est comme si l'immunité qui m'avait sauvé de la prison venait aussi de me bâillonner pour me voler le seul oxygène qui m'aidait à survivre. Après ça, mon anniversaire est arrivé et un engin aussi sombre que massif m'attendait fièrement sur le trottoir : West et son espoir insupportable avaient encore frappé. En m'offrant cet animal titanesque, ils m'ont rendu mes plus beaux voyages.
Contrairement à Wayne ou à West, je n'ai jamais su utiliser les mots pour soulager mon esprit encombré. Je n'ai jamais pu reprendre mon souffle en observant les étoiles, accompagné par la voix rauque d'un chanteur mélancolique qui m'empêcherait de voguer trop loin de la rive. Je n'ai jamais vécu ce sentiment d'apesanteur qu'on peut avoir en se laissant noyer par un regard azur alors qu'une étreinte protectrice contient nos explosions. Ces gestes salvateurs qu'ils ont su développer pour apaiser la pression qui pèse sur leurs épaules ne se sont pas présentés à moi de la même façon. Moi, je n'ai ressenti cette impression de plénitude et d'abandon de soi que lorsque j'ai démarré une moto pour la première fois et que la force féroce de la route m'a empoigné. Le rugissement abondant, puissant, constant de la bête qui m'emmène loin du monde a toujours su surpasser les hurlements cauchemardesques de mes pensées. Si personne ne m'arrêtait, je pourrais rouler des heures entières, de jour comme de nuit sans m'en lasser une seule seconde. Je n'ai pas besoin de destination, ni de but, tout ce que je veux c'est sentir la vie imprégner mes vaisseaux sanguins encore une fois. Tout ce que je veux, c'est m'oublier. Sauf qu'aujourd'hui, je dois me rappeler, puiser dans mes souvenirs et briser une promesse. Parce qu'aujourd'hui, je ne roule pas sans terminus.
Lorsque j'arrive devant le pénitencier de haute sécurité, mes mains se mettent à trembler et une nausée brutale me tord l'estomac. Face aux briques rouges surplombées de grandes grilles noires munies de barbelés, une angoisse inconnue m'accable. Je suis paralysé. Armé de mon permis de visite permanent et de mes papiers d'identité, je finis par descendre de ma moto. Je sais que si je ne me présente pas à l'heure, ils me refuseront l'entrée pourtant, au moment où mon regard s'éclate contre les lettres capitales noires fixées sur le béton bordeaux, toute mon assurance s'efface et une appréhension saisissante m'envahit.
COOK COUNTY, DÉPARTEMENT CORRECTIONNEL, DIVISION 10, SÉCURITÉ MAXIMALE
Je me fige, c'est beaucoup trop brutal. Trop franc. Trop vif. Ce truc est tellement violent que l'agressivité de cet endroit suinte presque de chaque parpaing qui le compose. Le temps d'un court instant, je m'imagine piégé à l'intérieur et une boule brûlante explose dans ma poitrine. Après tout, moi aussi j'aurais dû finir derrière des barreaux comme ceux-là. Je vais gerber. Si je continue, je vais vraiment gerber.
— Premier parloir ? me surprend une voix rugueuse.
Interdit, je fais volte-face. Une femme blonde d'environ quarante-cinq ans se tient devant moi, toute frissonnante. Incapable d'articuler quoi que ce soit, je les dévisage un long moment elle et ses prunelles dorées, mais elle ne paraît pas s'en inquiéter. Patiente, elle attend que je reprenne mes esprits, comme si elle savait. Comme si elle voyait sur mon visage que je ne parvenais pas à entrer dans ce foutu bâtiment. J'acquiesce d'un mouvement de tête incertain, sans quitter des yeux ses mains abîmées qui frictionnent ses bras par-dessus sa doudoune grise. Malgré ses traits marqués par la fatigue et ses cheveux ébouriffés, elle respire la bienveillance.
— T'en fais pas, c'est toujours dur, la première fois. Tout ce que t'as à faire, c'est inspirer un grand coup et entrer sans réfléchir.
Essayant de suivre son conseil, j'attrape un peu d'air, puis la lâche du regard pour me tourner vers les immenses grilles obscures. Vers les portes d'un enfer qui m'est profondément inconnu.
— Le premier pas est le plus difficile. Tiens, viens avec moi.
Une vive odeur de tabac froid accapare mes narines alors que la quarantenaire m'encourage à l'accompagner en posant des doigts fins sur mon omoplate. Contre toute attente, ce bref contact calme un peu mon stress et débloque mes muscles, qui me traînent à l'intérieur. La femme me salue, je crois que je lui réponds par un signe de tête, mais je n'en suis pas certain. Comme dans un état second, je ne prends même pas le temps d'observer les lieux, je me contente de tracer mon chemin le plus vite possible jusqu'à l'accueil. J'essaie de toutes mes forces de ne pas faire attention aux signaux sonores tonitruants ou aux bruits des barreaux qui semblent s'entrechoquer, mais c'est peine perdue, je n'entends qu'eux. Je n'entends qu'eux et je me demande comment on peut vivre au milieu de tout ce brouhaha sans perdre les pédales.
Assis à un bureau lui-même protégé par un grillage blanc, un gardien m'ordonne de lui présenter mes papiers d'un ton cassant. Il m'informe des règles et de la procédure que je dois suivre en précisant qu'il s'appelle Kellerman. Je ne sais pas pourquoi il me donne son nom, et à vrai dire, je ne l'écoute qu'à moitié. Je signe les documents qu'il me donne sans les lire, je lui tends mes autorisations sans les regarder, je me laisse guider vers un espace d'attente presque sans respirer... Le mode automatique est enclenché : je fonctionne, mais rien ne peut plus passer mon armure. La peur, le chagrin, la douleur, aucun de ces sentiments si puissants ne parviennent à m'atteindre. J'existe simplement. Je patiente. Je lutte contre ces bouffées d'émotions qui arrivent par centaines, mais que je refuse de laisser filer.
Après deux heures interminables, une voix sévère prononce mon nom, mais ce n'est que lorsque je pose mes affaires dans des casiers en fer gris que je me rends compte que mes mains tremblent toujours. Alors que nous nous dirigeons vers une pièce qui ressemble plus à une salle d'interrogatoire qu'à une salle de parloir, mes jambes flageolent. Je ne peux plus revenir en arrière, désormais. Je vais le revoir. Je vais le revoir après trois ans d'absence infernale et je réalise que sa réaction m'angoisse ; je ne suis pas censé être là et je suis terrorisé à l'idée qu'il m'en veuille. J'ai beau me dire que je le connais par cœur, qu'il n'a pas pu changer du tout au tout malgré les années ou les circonstances, la possibilité que sa colère prenne le dessus me bouffe de l'intérieur. S'il me rejette, je ne le supporterai pas. Il ne peut pas, il n'a pas le droit. Pas lui, pas comme ça, pas maintenant.
Tendu à l'extrême, je pénètre dans la cage maculée de blanc et surplombée par deux néons clairs qui semblent tenter d'illuminer la noirceur de cet établissement. Kellerman me propose de prendre place à la table marron autour de laquelle trônent deux chaises de la même couleur, mais j'en suis incapable. Les bruits de pas derrière la porte, accompagnés de tintements de chaînes métalliques m'en empêchent. Tétanisé, je scrute la petite vitre en plexiglas toute rayée qui me fait face pour avoir une chance de l'apercevoir, une chance de le voir arriver, une chance d'avoir quelques secondes pour me préparer au choc des retrouvailles inattendues. La porte s'ouvre sans me laisser l'opportunité de distinguer quoi que ce soit, et il apparaît. Lui et ses pupilles perçantes.
Mon désarroi s'intensifie alors qu'un bouleversement de souvenirs me frappe. Escorté par un geôlier qui lui retire les menottes reliant ses mains à sa taille, il frotte mécaniquement ses poignets puis ancre son regard dans le mien. Il est blême, comme pétrifié par ma présence... ou par autre chose. À défaut de pouvoir garder assez de sang-froid pour analyser ses réactions, je le dévisage. Je m'applique à visualiser chaque détail qui aurait pu changer chez lui en trois ans en essayant de ne pas tenir compte de ma gorge qui se noue de plus en plus.
Concentré, je remarque que ses poignets sont marqués d'un bracelet de peau violacé qui ne me dit rien qui vaille. Merde, mais qu'est-ce qu'on t'a fait ? Désireux de ne pas laisser mon imagination faire éclater l'inquiétude qui me détruit déjà la cage-thoracique, je me focalise de nouveau sur ses traits épuisés. Ses prunelles sont cernées, ses joues creuses et sa mâchoire plus tranchante que jamais. Il a maigri. Mes craintes reviennent à la charge, mais je refuse de penser à ce qu'il peut subir ici, c'est beaucoup trop dur. Je me limite donc à mon observation, tandis qu'il me fixe avec la même profondeur. La différence la plus frappante, je crois, sont ses cheveux. Les nuances peu communes qui les caractérisaient ont laissé place à un noir ébène, et sa coupe déstructurée a été remplacée par une coiffure plus élaborée : chaque côté de son crâne est tondu de près, permettant la mise en valeur d'une longue tignasse indisciplinée sur le dessus de sa tête. Bloqué sur le brun intense que je n'ai plus l'habitude de voir sur lui, je me demande ce qui l'a poussé à retrouver cet air nonchalant et désinvolte que lui donne ce renouveau capillaire.
D'un coup, je prends mon courage à deux mains et me décide à vraiment l'affronter. Les yeux plongés dans les siens, la comparaison de Wayne me revient en mémoire. Je me surprends à chercher les vagues dont mon ami m'a tant parlé alors que la brillance des prunelles bleues qui me font face m'assaille comme si je la percevais pour la première fois. Perdu dans ma redécouverte, je m'autorise à lire les émotions qui se dessinent dans l'océan déchaîné. Des dizaines de sentiments s'y mélangent, s'y noient, s'y relayent. D'abord, la colère semble l'habiter et l'eau s'assombrit. Ensuite la culpabilité prend le relai pour calmer les flots qui ne s'éclaircissent pourtant pas. Puis une joie pleine de nostalgie s'impose et permet à la mer de retrouver sa couleur limpide.
Un demi-sourire traverse ses lèvres charnues alors qu'il avance vers moi, les bras ouverts. Les chaînes qui emprisonnent ses chevilles sonnaillent pour nous rappeler la réalité de leur présence, mais je les ignore. Sans hésiter, je fais quelques pas vifs dans sa direction pour le prendre rudement dans mes bras. Son étreinte se resserre en même temps que la mienne, et je réalise à quel point le manque l'a rongé, lui aussi. Il nous a écorché autant l'un que l'autre. Mes doigts s'agrippent à son uniforme kaki presque avec désespoir, comme si ce simple lien m'était vital. Ses mains s'accrochent à mes épaules dans une détresse que je connais bien, et je retrouve ce gamin perdu que j'ai rencontré au New Jersey quand j'avais treize ans. Toute sa vulnérabilité m'explose à la figure alors qu'il semble absorber chacun de mes tremblements.
— Gale...
— West...
Nos voix se mélangent, se brisent, puis s'éteignent dans un souffle de faiblesse unique.
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Coucou tout le monde,
Comment ça va ?
Aujourd'hui, je reviens avec mon chapitre préféré. Je crois que pour une fois, je suis un peu fier de celui-ci. J'adore ce qui se passe dedans, j'adore l'ambiance, les émotions que j'essaie de faire passer, tout... J'espère que pour vous, il est réussi et que les sentiments sont bien présents de votre côté aussi.
Normalement je dois poster la suite samedi, mais j'entre à l'hôpital jeudi et devrais ressortir dimanche ou lundi, donc je ne sais pas trop si la partie du chapitre sera effectivement postée samedi ou non. Si je suis en mesure de le faire, vous l'aurez samedi, mais si jamais je ne peux pas, j'espère que vous comprendrez et je vous le posterai lundi au plus tard.
En dehors de ça, venez on blablate. J'aime trop ce chapitre pour passer à côté de vos réactions. Si jamais vous avez quoi que ce soit à dire, déliez votre langue, je veux touuut savoir.
Que pensez-vous de l'angoisse de Gale ? Pour vous, est-ce qu'elle est seulement due à la possible réaction de West ou est-ce qu'elle est due à autre chose ?
Et West alors, vous pensez qu'il va réagir comment une fois les retrouvailles passées ? Vous pensez qu'il va s'énerver ? Vous croyez qu'il va se confier ?
D'ailleurs, vous aimeriez que leur conversation aborde quels sujets ? Qu'est-ce que vous voudriez savoir en priorité ?
Et la musique, alors, on aime ? Cette chanson, je la trouve incroyable. Elle me fout toujours une boule dans la gorge tellement elle est puissante.
Voilà, voilà, c'est tout pour moi. J'espère très fort que cette partie vous a plu et je croise les doigts pour que vous aimiez la suivante. On se retrouve samedi ou alors un peu plus tard, et j'essaierai de vous donner des nouvelles de moi via Instagram (et Facebook par extension).
En attendant mon retour de l'hosto, prenez bien soin de vous. N'oubliez pas de vous hydrater parce qu'il commence à faire chaud, et soyez fier.e.s de qui vous êtes.
PS : si jamais vous avez loupé l'info, un trailer vidéo de Je N'ai Plus Peur est désormais disponible sur YouTube !
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