Chapitre 27 | 3

"And I'll take you at you word and carry on.

I'll hate the goodbye,

But I won't forget the good times."

Good Times – All Time Low. (En média). 


Le père de Gale se retourne, et à la seconde pile où je ne suis plus dans la trajectoire de son arme, un crochet du droit impressionnant s'écrase contre sa mâchoire. Déséquilibré, le vieux con vacille alors qu'un second coup s'abat sur lui. Hébété, je fixe Isa comme s'il avait perdu les pédales mais ce dernier ne prête pas attention à mon ahurissement. Intraitable, il ne laisse pas le temps à sa victime de reprendre ses esprits. Il attrape son fusil par le canon, le lui arrache des mains, et lui envoie la crosse dans le nez. Un craquement répugnant me vrille les oreilles au même moment qu'un gémissement rauque tandis que le rocker balance son outil de torture sur les graviers en assassinant mon assaillant d'un regard noir.

— Si tu veux ressortir d'ici en un seul morceau, t'as intérêt de foutre le camp sans rien tenter de stupide, crache-t-il.

Le vieux con se focalise sur moi, mais ne bouge pas. Il hésite.

— De toute façon c'est ta seule chance de pas finir au trou. Les keufs sont déjà en chemin et j'ai quatre témoins de ce que tu viens de faire avec moi.

Mon cœur fait une embardée, et une sensation que je pensais avoir perdue pour le restant de mes jours se reforme dans mon estomac : l'angoisse. Si les flics me trouvent à Harlem, je retourne en taule. Une silhouette sombre passe à quelques centimètres de mon corps engourdi, pourtant je l'aperçois tout juste. Tout ce que je parviens à prendre en considération, c'est que la police est en route et que retourner à Cook County n'est pas envisageable. Si on m'enferme encore là-bas, je n'y survivrai pas. Surtout sans Ash.

— Pourquoi t'as fait ça ? m'étranglé-je, remarquant seulement que le shérif s'est volatilisé.

— Ah bah de rien, me taquine le rocker avec un sourire.

— Pourquoi t'as appelé les flics ?

Les battements qui frappent ma poitrine résonnent si fort dans ma boîte crânienne que j'ai l'impression que ma voix n'est qu'un murmure effacé.

— Qu'est-ce qui t'arrive ? T'es un criminel recherché ?

Sa plaisanterie tombe à plat, et je n'ose pas lui répondre. Je sais que c'est égoïste, que je devrais lui dire à quel point je suis dangereux pour qu'il s'éloigne de moi le plus possible, mais je crois que j'ai besoin de sa présence. J'ai besoin qu'il reste encore un peu. Au lieu de s'inquiéter de mon silence, Isa me tend la main. Je le dévisage.

— Viens, on se casse. J'ai pas prévenu qui que ce soit, mais j'ai pas totalement menti pour les témoins. Si jamais la cavalerie doit débarquer, autant être loin, non ?

Sans vraiment prendre le temps de réfléchir aux conséquences de mes actes, je dépose ma paume dans la sienne et le laisse me guider vers la voiture de Ash. La chaleur de sa peau contre la mienne me tranquillise, elle m'empêche de penser à mon frère que je suis en train d'abandonner dans ce cimetière. Une fois dans l'habitacle, je fais mine de regarder dans le rétroviseur alors qu'en réalité, la seule chose que j'observe, c'est Isa, qui monte le chauffage avant d'enlever son blouson en cuir. Perturbé par ces deux gestes contradictoires, je tourne la tête vers lui.

— Tu trembles et t'as les lèvres bleues, se justifie-t-il.

Sonné, je me rends compte qu'il a raison, je grelote de froid dans mes vêtements humides.

— Remarque, ça m'étonne pas, renchérit-il. Si t'es dehors depuis...

Il appuie sur le bouton central de mon smartphone accroché au tableau de bord.

— Depuis quatre heures, t'as eu le temps de te les peler.

Je jette un coup d'œil à l'écran toujours allumé et constate qu'il est bientôt 15 heures. J'arrive pas à croire que je suis resté aussi longtemps dans cet endroit...

— Bon, tu m'emmènes où ?

— Donne-moi ton adresse, je te ramène.

— T'es sûr que ça va aller ? T'as quand même eu une dose de sensation forte surpuissante, là.

L'incrédulité qui vibre son intonation me donnerait presque envie de rire. T'as même pas idée, mec...

— T'as pas une vie en dehors de sauver les bons à rien de la mort dans les cimetières ? lâché-je pour éluder sa question sans laisser paraître mes émotions.

Je ne veux pas qu'il s'en aille. Je ne veux pas le raccompagner chez lui. Mais je ne peux pas le retenir. Je ne peux pas me servir de lui pour me soulager indéfiniment. Il faut que j'affronte mes démons.

— Non, pas trop.

— T'as pas de taf ?

— Pas aujourd'hui, lance-t-il avec un rictus mystérieux. Donc si tu veux de la compagnie, t'as qu'à me traîner où il te plaira. Sinon, demande-moi de descendre et t'entendras plus parler du gars qui sauve les bons à rien dans les cimetières.

Demande-lui de descendre, putain. Dis-lui de te fuir.

— Même si c'est à une heure et demie de route ?

— Même si c'est à l'autre bout des États-Unis.

Son ton infiniment doux revient, et quand il me sourit avec toute la bienveillance du monde, je remplace son visage rond par celui plus carré de mon frère.

— Okay... soufflé-je en regardant ailleurs pour éviter de replonger dans les profondeurs de la perte qui me bouffe.

— Par contre, qu'on aille à Long Island ou à Sacramento, faut que tu me mettes de la musique.

Je pouffe légèrement, attrape mon téléphone, le déverrouille et le lui balance sur les cuisses alors que je m'engage sur la 128ème rue ouest. Satisfait, il ouvre une application musicale et secoue la tête avec un air amusé quand il clique sur la vidéo qui apparaît devant lui. Une intensité incroyable s'empare de ma cage-thoracique et je reconnais tout de suite Ayden Harrington. Le coin de mes lèvres se relève, mais je feins d'être trop concentré sur la route pour remarquer le clin d'œil qu'il vient de faire à notre rencontre.

***

Frigorifié, j'ouvre les yeux sans oser bouger. Quand mes paupières gagnent leur bataille acharnée contre la fatigue, je me rends compte que le ciel s'est assombri. Il ne fait pas encore tout à fait nuit, mais derrière les nuages, la lune m'observe. Elle me juge. Elle attend sûrement que les étoiles pointent le bout de leur nez pour m'assurer qu'elle, elle saura s'occuper de celle qu'est devenu Gale. Que maintenant que je ne suis plus à ses côtés pour le détruire, il ira bien. Il sera en paix. Il me manque, putain...

— T'as un palace tout entier, et toi, tu roupilles sur l'herbe trempée ?

Surpris par cette voix cassée que j'ai d'abord du mal à reconnaître, je me redresse d'un geste vif, faisant tomber un blouson en cuir sur mes genoux. Je fixe le blouson, en caresse la matière alors que des flashs du rocker me reviennent, puis me retourne. Dans cette légère pénombre, deux prunelles claires qui semblent virer au gris me sondent, alors qu'un sourire en coin s'invite sur le visage d'Isa.

— Depuis combien de temps je suis là ? m'enquiers-je en réprimant un frisson quand le vent se lève.

Mon sauveur d'un soir s'approche de moi, s'affale à mes côtés puis laisse son regard caresser le petit étang à nos pieds. En tee-shirt en ce temps pluvieux, il ne semble pas plus perturbé que ça par l'air frais qui me glace le sang.

— J'en sais rien... trois ou quatre heures, je dirais.

— Quoi ? Mais pourquoi tu m'as pas réveillé ? m'écrié-je, un peu honteux. T'as dû te faire chier.

— T'en avais besoin, je crois. Et puis j'en ai profité pour bosser, du coup.

— Bosser ?

Isa brandit un smartphone et le secoue pour me le montrer.

— Tu fais quel genre de taf, pour pouvoir travailler depuis ton portable ? demandé-je, bien plus curieux qu'à mon habitude.

— Disons que j'ai des clients qui me demandent des services, et que je le leur fournis. Et toi alors, t'as un job ?

— J'en avais un, ouais, soupiré-je.

— Et il consistait en quoi ?

— Disons que j'avais des clients qui me demandaient des produits, et que je les leur fournissais.

Des images de Lola, Gambino, Ian, et Eleanor me reviennent en tête. Mon esprit se focalise sur les armes et la drogue que j'ai vendues, sur les toxicos que j'ai vus mourir sans réagir, sur les gosses qu'on tabassait, sur la came qui a longtemps coulé dans mes veines, et je ne supporte soudain plus rien. Presque de rage, je me détourne de Isa pour jeter mon dévolu sur les pots de fleurs toujours intacts qui renferment deux des plus beaux souvenirs de ma vie.

— C'est quoi leur histoire, à eux ? me questionne le rocker d'une voix douce sans relever mon changement d'humeur.

Je fais encore volte-face puis l'interroge du regard alors qu'un nouveau tremblement de froid me parcourt.

— Tu peux le mettre, tu sais, ajoute Isa en désignant son blouson sur mes cuisses.

Un peu gêné, je le remercie et enfile le vêtement en me délectant de l'odeur de parfum musqué qui s'en dégage. Le rocker me lance un regard appréciateur alors que sa bouche s'étire en un sourire aguicheur.

— Il te va bien, murmure-t-il.

Le temps d'une fraction de seconde, je me perds sur la couleur de ses lèvres tandis qu'il y passe sa langue.

— Avant de sombrer, tu regardais aussi ces plantes. Du coup je suppose qu'elles ont un truc spécial, reprend-il, m'extirpant de mon étrange contemplation.

Un rictus triste s'invite sur mon visage, mais je me lance quand même dans le récit de ces moments de vie que je ne pourrai jamais oublier. Je lui dis pour ma mère, je lui dis pour Gale, et je lui dis pour Wayne. Je me replonge dans cette peinture que ma génitrice avait achetée spécifiquement pour qu'elle ne s'efface pas même avec la pluie. Je me précipite dans ces traces de bonheur que personne ne pourra m'arracher, avant de couler dans celles de Gale.

— Ce jour-là, ils avaient préparé un putain d'atterrissage pour ma chute, et on a passé l'une des plus belles soirées qui soit alors que c'était la merde partout, chuchoté-je.

— Peut-être que c'est ça qu'il faut retenir de lui, me répond Isa sur le même ton.

— Qu'est-ce que tu veux dire ?

Ses pupilles s'ancrent dans les miennes et j'ai l'impression que le monde autour de moi grésille, qu'il tente de disparaître sans y parvenir complètement.

— Je te connais pas, mais t'as l'air de traîner pas mal de merde derrière toi, et si je comprends bien, t'étais plutôt proche de ce mec, de Gale. Alors peut-être que maintenant qu'il est parti, t'as du mal à te rappeler de toutes ces belles choses que vous avez vécues ensemble. Mais peut-être que c'est de ce genre de trucs qu'il voudrait que tu te souviennes. Peut-être qu'il voudrait que tu rassembles toutes les secondes de joie que t'as passées avec lui pour ne plus recroiser toutes celles où vous en avez chier.

Je hausse les épaules.

— C'est vrai qu'il serait du style à souhaiter des choses comme ça aux gens.

— Parle-moi de lui.

Je soupire.

— C'était un mec bien. Un mec incroyable, drôle et...

— Non, parle-moi vraiment de lui, me coupe le rocker, dis-moi qui il était. Pas cette personnalité clichée qu'on pourrait lui créer à un enterrement pour que tout le monde se mette à l'aimer maintenant qu'il est plus là. Raconte-moi ce que t'aimais chez lui, ce que t'aimais pas. Raconte-moi ces détails qu'on pourrait pas dire dans un discours d'adieu sans que les gens froncent les sourcils.

Aussi bizarre que ça puisse paraître, son rappel à l'ordre me fait du bien. Il me met en confiance.

— Gale était pas un mec facile. Il était têtu et surprotecteur, mais quand il t'aimait, tu savais que tu serais plus jamais seul. Tu savais que t'avais trouvé la personne. Celle qui te laisserait jamais tomber. Il avait cette loyauté hors norme... ce truc en lui qui le forçait à toujours rester présent pour ses proches, même quand il se faisait détruire le cœur par eux...

Emporté par mon monologue, je me rallonge dans l'herbe, imité très vite par le rocker. Les yeux fixés sur le ciel, je me laisse bercer par la nuit qui tombe et les astres qui s'allument. Comme si Gale s'incrustait dans la conversation avec nous pour vérifier que je ne déblatère pas trop de conneries à son sujet. Je ne sais pas s'il apprécie le spectacle, je doute qu'il soit content de voir les larmes qui s'éclatent sur mes tempes de temps à autres, mais ce n'est pas grave. Confier tout cet amour que j'ai pour lui à quelqu'un qui ne l'a jamais rencontré et qui ne peut pas le juger, nous juger, me fait du bien. Plus que je ne l'aurais cru. Je prends plaisir à décrire au rocker les anecdotes les plus ridicules que j'ai dans la tête. Parfois, son rire cristallin résonne à ma gauche pour calmer la douleur qui gonfle dans ma poitrine, et j'arrive à garder le cap. À lutter contre les sanglots qui cherchent à me faire taire.

Cette sensation profonde de chagrin et de manque est étrange. Elle n'est pas aussi insupportable qu'elle ne l'était dans le cimetière, elle est même entrecoupée par de lourds moments de nostalgie que je ponctue peu à peu par de légers sourires. Comment est-ce que je pourrais rester de marbre face aux flashs qui clignotent dans ma mémoire ? Comment est-ce que je suis censé garder mon sérieux en revoyant l'air dégoûté de mon frère quand il a mordu dans la peau d'un kiwi quand il avait 14 ans parce que personne ne lui avait dit qu'il fallait la retirer ? Je ne peux pas m'empêcher de pouffer quand je me remémore sa chorégraphie endiablée avec Sky pour mon anniversaire surprise alors qu'il avait juré qu'il ne poserait pas un doigt de pied sur la piste de danse improvisée du salon. Je ne suis pas capable de contenir mon vague à l'âme quand sa voix mal assurée résonne dans ma tête alors qu'il me racontait une histoire pour m'endormir durant nos premières nuits tous les deux à l'internat. Isa paraît partager mes émotions puisque j'entends son rire retentir au moment où je lui dépeins nos talents indéniables pour toujours nous retrouver le cul dans l'étang quand on était aussi torché l'un que l'autre. Ou encore au moment où je peine à terminer ma narration d'une autre de nos catastrophes de soirée avec Hannah et sa sœur tellement mes ricanements se bousculent dans ma gorge.

Plus je m'étale sur notre passé, plus je me rends compte que Isa a raison. Peut-être que mon frère voudrait que je ne retienne que le meilleur de lui, de nous, de notre existence merdique. Parce que finalement, malgré les drames, malgré la souffrance, malgré la peur, malgré tout ce qui nous a déchirés, on en a vécu des instants de joie. Des instants de fou-rire. Des instants de tendresse. On a traversé l'enfer, et pourtant on réussissait quand même à recréer notre refuge, notre bulle, peu importe où on était. Dans le noir, on trouvait toujours la lumière. Et quand il n'y en avait plus, on enflammait quelque chose pour que l'espoir brille. Peut-être que c'est à ça que Gale voudrait que je m'accroche, à cet espoir qu'on a toujours su faire renaître, même si pour l'instant j'ai l'impression qu'il s'est éteint pour de bon.

Dans un geste léger, je tourne la tête vers Isa, qui lui, ne semble pas m'avoir quitté des yeux une seule seconde depuis que j'ai commencé à déballer tout ce que j'ai sur le cœur. Je ne sais pas si c'est une bonne idée, mais là, maintenant, tout de suite, la seule lueur que je parviens à apercevoir est celle qui scintille dans les prunelles de ce gamin que je ne connais pas mais qui m'a déjà sauvé une fois. Il m'a sauvé une fois, et je crois bien qu'il est en train de recommencer. 


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Coucou tout le monde, comment ça va ? 

Je sais, je devais poster hier, mais finalement j'ai pas réussi. Je crois que je voulais retarder de poster la fin, comme si ça allait changer un truc de poster un jour plus tard. Bref, j'espère quand même que cette dernière partie de ce dernier chapitre vous a plu et qu'il vous donne envie de découvrir ma plume sur d'autre registre. Qu'il vous donne envie de suivre certains personnages dans une toute nouvelle histoire. Parce que oui, ce n'est plus un personnage que vous retrouverez dans LMS, mais deux. (L'autre s'est incrusté comme ça, c'était pas prévu). 

Bon, pour celleux qui ne me suivront pas dans la prochaine aventure, ne partez pas tout de suite, il reste encore l'épilogue de Je N'ai Plus Peur ! Ce n'est pas encore tout à fait terminé. L'épilogue sera posté jeudi prochain, normalement avec les remerciements et un casting pour les gens qui s'intéressent aux castings. J'espère que la vraie fin ne vous décevra pas, qu'elle vous donnera envie de découvrir R (la duologie qui sera la suite directe de la fear series) et pourquoi pas de découvrir LMS.

Bref, pour l'une des dernières fois dans cette histoire, venez on blablate :

Le père de Gale est parti, mais il est shérif, vous pensez qu'il va revenir avec la cavalerie ? Vous pensez qu'il va revenir seul pour venger son fils ? 

Maintenant que vous avez plus de parties Isaiah, vous pensez quoi de lui ? On l'aime bien ? Vous aimeriez en savoir plus sur lui ? 

L'épilogue arrive bientôt, stressé.e.s ? J'en ai traumatisé.e.s certain.e.s avec l'épilogue de N'aie Pas Peur ? Vous pensez que je vais remettre ça pour vous donnez envie de découvrir R ou j'ai été sage ? 

La chanson, je suis amoureux. Elle me provoque tellement de trucs à l'intérieur... Elle vous plait ? 

Voilà, voilà, c'est tout pour moi. Je vous laisse pour aujourd'hui et je vous dis à jeudi pour un dernier au revoir à Je N'ai Plus Peur. 

En attendant prenez bien soin de vous les potes. 

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