Chapitre 27 | 1
"Don't cover that hurt that I can see.
The way you fall apart is killing me.
I can be that giant that you need,
To pull you from the dark until you're freed."
I'm Not Ok – Rhodes. (En média).
Mes paupières se soulèvent avec difficulté, mais se referment aussitôt lorsque mes pupilles se font agresser par la lumière du jour. Je ne sais pas où je suis, ni ce que je fous là ; la seule chose dont je suis sûr, c'est que ma tête est sur le point d'exploser. Une migraine abominable me démonte le cerveau, pourtant il faut que je bouge. Il faut que je comprenne dans quelle merde je me suis encore fourré pour pouvoir en sortir et arriver à l'heure au cimetière. Cette simple réalité m'anéantit. Aller là-bas est la dernière chose que j'ai envie de faire. Je ne sais pas si je suis prêt à ça. Je ne sais pas si je pourrai supporter de voir mon frère disparaître sous terre comme un simple corps à oublier. Et puis je ne veux pas non plus me retrouver devant Wayne, Sky, Olive ou quiconque qui aurait un rapport avec Gale de près ou de loin. De quel droit je me permettrais de me pointer alors que je leur ai fait perdre un proche ? Comment je pourrais bien me tenir face à leurs regards tristes en sachant que je suis l'unique raison de ce drame ? En sachant que j'aurais dû être celui qu'on efface en l'enfermant dans un cercueil ?
— Je veux pas te virer ou quoi, mais t'as passé une bonne partie de ta nuit à me dire que t'avais un rendez-vous à onze heures, et il est dix heures vingt...
Une voix cassée caresse mes tympans dans une douceur rassurante, et après plusieurs secondes à lutter contre la clarté de la matinée, je finis par me redresser en gémissant. La main à l'arrière de mon crâne endolori, j'ai du mal à émerger. Du mal à me motiver. Quand la pièce arrête enfin de tourner, je lève le nez vers deux prunelles claires qui me scrutent avec bienveillance. Le rocker... Isa.
— Salut, murmure-t-il avec un sourire auquel je ne réponds pas. Tiens, prends ça, ça devrait aider pour la gueule de bois.
Je fixe ses mains aux ongles rongés qui me tendent des comprimés et un verre d'eau, sans me décider à faire le moindre geste. Patient, Isa attend que je reprenne mes esprits puis dépose lui-même les médicaments au creux de ma paume. Son contact est délicat, chaleureux, presque salvateur, et je me surprends à grimacer quand il s'évapore. Le rocker s'éclipse dans une pièce qui juxtapose le canapé sur lequel je semble avoir dormi tandis que j'observe les alentours en silence. Des bruits de placards, de liquide qui coule et d'ustensiles métalliques me reviennent en écho, pourtant je ne cherche pas à savoir ce que mon hôte fabrique. Je me contente de rester focalisé sur la table basse en bois qui me fait face, sur laquelle un paquet de Marlboro me nargue. Envahi par les souvenirs de Gale avec ses cigarettes que je voulais tant qu'il abandonne, je m'accroche à tout ce qui se trouve autour de moi. Cet endroit est presque vide. Il n'y a pas de télé, pas de console de jeu, pas de meubles, juste un canapé bleu marine, une table basse foncée, et un punching-ball rafistolé un peu partout avec du gros scotch gris qui pend au plafond. Le sol est recouvert d'une espèce de couche de plastique censée ressembler à du parquet, les fenêtres ne sont pas très grandes, certaines sont même fissurées par endroit et les murs blancs donnent un aspect très froid à la pièce pourtant minuscule.
— Désolé, c'est pas le grand luxe, mais c'était mieux que de te laisser croupir dehors.
Interdit, je dévisage Isa tandis qu'il pose deux assiettes fumantes devant moi.
— Tu devrais vraiment les prendre, t'y es pas allé de main morte, hier soir, ajoute le rocker en désignant d'un léger signe ce que je suppose être du paracétamol.
Sans poser la moindre question, je m'exécute et vide le verre d'eau d'une seule traite. Putain, rien que ça, ça fait du bien.
— Mange, après je t'accompagne, si tu veux.
— J'ai pas besoin d'une baby-sitter, craché-je avec plus de virulence que prévu.
Isa se met à rire, s'installe à mes côtés, et entame son plat comme si de rien était. Comme si je ne venais pas de royalement l'envoyer chier alors qu'il essayait juste de m'aider. Les coudes posés sur ses cuisses, il est penché sur son assiette sans plus se préoccuper de mes états d'âme ; pourtant moi, la seule chose à laquelle j'arrive à prêter attention, c'est lui. C'est son genou qui touche le mien. Sentant que je le scrute, le rocker tourne la tête dans ma direction, et ses lèvres s'étirent à nouveau.
— Je suis pas un cuisinier du tonnerre, mais c'est mangeable, tu sais.
Les sourcils froncés, je lance un coup d'œil vers le petit-déjeuner qui m'est destiné. Je plonge ma fourchette dans la nourriture et une odeur agréable d'œufs brouillés danse près de mes narines. Pour la première fois depuis que mon frère a perdu la vie, j'avale quelque chose. Quelque chose de consistant. Quelque chose que je n'ai pas envie de gerber comme ça a été le cas avec la moitié de part de pizza que Ash m'a forcé à engloutir. Je ne sais pas ce que ce mec est en train de me faire, mais je donnerais n'importe quoi pour qu'il continue.
— Tu veux autre chose ?
— Non, c'est bon, soufflé-je, en jouant avec les derniers morceaux qu'il me reste à ingurgiter.
— T'as soif ? Tu veux boire un truc ?
— Non, mais merci pour... le petit déj'. Et puis sûrement tous les autres trucs.
Isa hausse les épaules avec nonchalance.
— Tu dois aller où ?
Je ne sais pas ce qui me prend, mais je sors la feuille sur laquelle Wayne a noté l'adresse du cimetière, et la lui montre. Le rocker la déchiffre un moment, son visage perd son air enjôleur, mais il ne laisse rien paraître.
— Tu te rappelles où t'as garé ta caisse ?
Déboussolé, je cherche dans les tréfonds du peu de ce qui me revient de la soirée que j'ai pu passer aux côtés de Isa, mais c'est le trou noir. Rien de précis ne passe la barrière des dégâts que l'alcool a pu causer dans ma boîte crânienne.
— Tu me laisses te dépanner cette fois, ou tu vas encore grogner et montrer les crocs ?
Un peu honteux de mon comportement, je secoue la tête en tentant de retenir le rictus qui effleure mes traits.
— J'arrête de mordre, promis.
Le rocker se marre, et mon cœur se réchauffe un peu. Tellement, que j'ai presque l'impression de le sentir battre malgré le vide et la mort qui semblaient l'avoir éteint.
— Alors c'est parti !
Isa contourne le sofa, enfile son perfecto noir qui va à ravir avec son jean sombre, puis se tourne vers moi comme pour vérifier que je le suis. Fébrile, j'essaie de faire confiance à mes jambes flageolantes mais dois fermer les yeux quand l'appartement se remet à tourbillonner une fois debout.
— Eh, t'es sûr que ça va aller ? s'enquiert le rocker en revenant sur ses pas.
J'acquiesce par réflexe, pourtant je cherche tout de même un truc sur lequel me concentrer pour que mon malaise se calme. Je parcours mon nouvel environnement du regard puis m'arrête sur le poster d'un artiste qui, si j'en crois l'affiche, s'appelle Måneskin. Je n'ai pas la moindre idée de qui est ce type, mais son air provocateur est un pilier suffisamment solide pour que je m'y agrippe le temps que mon corps retrouve un peu de forces.
— Ouais, je sais... mais Ashley trouvait que ça manquait d'une touche personnelle, alors elle y a mis la sienne.
Son ton plein d'humour me soulage un peu, il m'aide à me reconnecter à la réalité et à apaiser la sensation d'engourdissement qui m'empêche de bouger.
— Oh, allez, fais pas cette tête, il est pas si mal. Même si c'est pas ton précieux Ayden.
Sa référence au chanteur incroyable qui m'a poursuivi toute la journée d'hier m'arrache un rire sincère et je parviens enfin à plonger dans le vert époustouflant de ses prunelles joueuses.
— Pourquoi tu fais ça ? Tout ça, je veux dire ? articulé-je de but en blanc.
Isa réfléchit, puis soupire.
— Que veux-tu, les yeux bleus, c'est mon point faible.
Il termine sa phrase par un clin d'œil, avant de reprendre sa route vers la sortie.
— Ou peut-être bien que les tiens ont un truc spécial, je sais pas, ajoute-t-il avec une simplicité déconcertante.
***
Les pupilles rivées sur les flaques d'eau à côté desquelles je passe pour me rendre dans la nécropole, j'ai un mal de chien à relever la tête quand je finis par pénétrer dans l'espace funéraire. Je les vois pourtant, toutes ces tombes qui surgissent du sol comme un rappel à la réalité, mais j'essaie de les ignorer, de prétendre que rien de tout ça n'est en train d'arriver. Que je n'aperçois aucun petit groupe à vingt mètres de l'endroit où je me trouve. Que ces gens ne sont pas là pour dire adieu à quelqu'un qui n'aurait pas dû mourir. Incapable de me mêler à eux, je me contente d'observer le déroulé de la cérémonie de loin. Un homme religieux semble dire quelques mots, puis laisse la parole à ceux qui ont pris la peine de se déplacer. À ceux qui ne se cachent pas comme des lâches au fond du cimetière pour ne pas être vus. D'abord, une femme dont le visage est recouvert d'un peu de tulle noir enroulé autour de son chapeau tout aussi sombre s'avance. Elle ne prononce pas la moindre phrase, elle dépose seulement un bouquet fourni sur le cercueil avant de faire un pas en arrière, et là, mon cœur est en chute libre. J'ai l'impression de le sentir dégringoler pour se fracasser contre les graviers gisant à mes pieds. Tout le self-control que le rocker m'avait permis de retrouver se fait la malle et la situation me paraît tout à coup insupportable. Il est là-dedans. Ils l'ont enfermé dans ce truc. Il ne peut plus sortir. Je ne le reverrai jamais.
Soudain instable, je prends appui sur le pilier en pierre qui soutient l'immense grille noire pour ne pas m'écrouler. Ma respiration s'accélère, elle se saccade, elle est de plus en plus difficile à maîtriser. Les larmes s'abattent sur mes joues à une vitesse infernale, mais je tente de toutes mes forces de retenir mes sanglots. Les deux mains placardées sur ma bouche, je retiens mon souffle pour éviter d'attirer l'attention vers moi. Je ne peux pas éclater maintenant. Je ne dois pas faire de bruit. Pourtant, malgré tous mes efforts épuisants, quelques gémissements m'échappent, et je secoue la tête avec frénésie.
La ferme.
La ferme.
La ferme, putain.
Plié en deux par la souffrance, je vacille. L'oxygène commence à me manquer, mais je ne l'autorise toujours pas à s'inviter dans mes poumons à l'agonie.
« Respire, West. Respire... »
La voix de mon frère me revient en écho alors qu'une légère pression se dépose sur mon omoplate. Presque effrayé par ce contact que Gale ne peut plus m'offrir, je fais un bond qui m'oblige à inhaler tout l'air dont je ne voulais plus, puis fais volte-face. Devant moi, en dépit toute la peine que je peux lire sur ses traits, le rocker paraît sûr de lui. Sidéré, confus, je le scrute quelques secondes, sans être en mesure de reprendre contenance.
— Oh, wow... murmure-t-il en s'approchant de moi.
Il place ses deux mains sur mes épaules tandis que je me laisse emporter par l'intensité de ses prunelles claires.
— Hey... regarde-moi, ajoute-il inutilement, ça va... enfin non, je sais, ça va pas, mais respire... respire, t'es pas tout seul...
À la seconde où ses lèvres dessinent ce mot que mon frère m'a répété plusieurs fois avant de sauter, mes dernières inhibitions lâchent et je me précipite dans les bras de cet inconnu ; je m'y réfugie comme dans un bunker qui serait en mesure de contenir la tornade d'émotions que je ne peux plus endiguer. Isa devrait me rejeter, me traiter de taré et se barrer de là. Au lieu de ça, il m'enveloppe de sa chaleur sans la moindre hésitation. L'une de ses paumes me caresse le dos alors que ses doigts libres s'engouffrent dans mes cheveux, et aussi étrange que ça puisse paraître, je me sens protégé. Rassuré. Je ne sais pas combien de temps je le monopolise de cette façon, mais je lui envoie à la figure tout ce que j'ai dans le ventre. Tout ce qui me ronge. Tout ce que je n'avais pas encore déversé jusque-là. Tout ce qu'il ne faudrait pas montrer à quelqu'un qu'on connait depuis à peine 24 heures.
Au bout d'un moment, des pas retentissent à quelques mètres de nous, et je me détache du rocker à contrecœur. J'expire bruyamment pour essayer de me calmer, pour me forcer à garder la face devant ces gens qui quittent cet endroit, mais c'est peine perdue. Rien ne pourrait m'aider à sortir la tête de l'eau, et je crois que Isa le remarque puisqu'il me fait pivoter pour échanger nos places. Désormais dos à la petite assemblée, mes émotions ravageuses ne sont pas dévoilées aux yeux du monde, elles ne s'offrent qu'à lui. Trop honteux pour le regarder, je laisse mon front s'abattre à quelques centimètres de son cou alors que ses lèvres frôlent mon oreille droite.
— Merci... suffoqué-je contre lui.
— Tout va bien, t'inquiète... Prends ton temps, reprends ton souffle.
Suivant son conseil, je me donne le droit de profiter de sa présence. De gâcher de longues minutes de sa matinée pour ne plus étouffer.
— Ça va mieux ? chuchote-t-il alors que ma respiration devient de plus en plus régulière.
J'acquiesce, mais ne m'éloigne pas de lui.
— Il faut que j'aille lui dire au revoir...
Est-ce que j'ai vraiment dit ça ? Est-ce que j'ai réussi à sortir une chose pareille sans hurler de douleur ?
— Tu veux que je vienne avec toi ?
Un peu hébété, je ne réponds d'abord rien, puis secoue la tête. Il faut que je fasse ça tout seul. Qu'est-ce que penserait Gale s'il voyait que je m'accroche à un mec dont je suis même pas certain de connaître le prénom ? Est-ce qu'il se sentirait remplacé ? À cette idée, une nausée bouillante me ruine les entrailles et je m'écarte du rocker.
— Okay, lâche-t-il avec la douceur que je lui connais depuis que j'ai croisé sa route. Je t'attends près de ta voiture, alors.
Il s'assure que je suis d'accord avec sa proposition, peut-être aussi que je tiens bon sans lui, puis se dirige vers la sortie. Désormais seul face à mon calvaire, je fixe l'emplacement devant lequel plus personne ne se recueille et laisse mon corps m'y emmener malgré moi.
« Respire, West. Respire... »
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Coucou tout le monde, comment ça va ?
Ça y est... on arrive au dernier chapitre... Mon petit cœur fragile est pas hyper d'accord, mais j'espère de tout cœur que ce dernier chapitre va vous plaire. Que la fin de vous décevra pas. J'essaie de pas trop y penser, pour être honnête. Je me concentre sur les deux romans que je suis en train d'écrire (plus sur LMS, quand même, parce que j'ai quand même vachement prévu de vous le faire lire très vite) pour éviter de stresser et d'être tout triste de passer à autre chose. D'ailleurs, en parlant de ça, il faudrait que je me bouge à faire une couverture pour LMS parce que bon... j'en ai toujours pas.
Bref bref, venez on blablate, maintenant.
Comment va se passer cet enterrement, selon vous ? Est-ce que West va réussir à le supporter ? Est-ce qu'il va croiser des gens qu'il connait ?
Isaiah, on l'aime bien ? (Oui je vais le demander à chaque fois) On lui voit un avenir dans la vie de West ?
J'ai pas d'autres idées de questions, alors, la musique, on aime bien ? J'avoue que je l'ai découverte spécialement pour ce chapitre, celle-ci. Je l'aime fort.
Voilà, voilà, c'est tout pour moi. On se retrouve mardi pour la suite et je croise fort les doigts pour qu'après cette histoire, vous restiez un peu en ma compagnie.
Je vous envoie plein de bonnes ondes.
Prenez bien soin de vous.
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