Chapitre 26 | 2
"I'll be waiting by your side,
And I will be here when you're falling to your knees.
You can talk to me, talk to me, talk to me...
Don't be afraid to survive."
Talk To Me – Sixx:A.M. (En média).
Stressé comme si une énième catastrophe était sur le point de se produire, je fais les cent pas devant la porte de l'appartement miteux que j'ai cherché pendant au moins dix minutes avant de le trouver. Qui aurait pu croire que j'allais me souvenir de cette adresse après deux ans de cauchemar ? Je me rappelle encore la promesse qu'il m'avait poussé à lui faire quand il me l'a filée...
« Promets-moi de venir me voir si t'es dans la merde, s'il t'arrive quoi que ce soit. »
Sur le coup, j'ai acquiescé sans y croire. Sans penser un seul instant que je m'y tiendrais, que j'aurais une raison de m'y tenir. Pourtant cette conversation ne m'a jamais quitté. Chaque mot est resté ancré dans mon esprit et maintenant que ma vie est en train de couler, je me rends compte à quel point j'en ai besoin. Je pensais que la prison était ma façon de toucher le fond, mais en réalité, le fond était bien plus bas. Bien plus sombre. Et à cette allure-là, je ne vais pas tarder à me faire engloutir par les ténèbres. Au bout d'un long moment d'hésitation, je me décide à toquer à la porte en espérant me rappeler du rythme codé, puis tente de me cacher derrière mon mur en ruine pour paraître impassible quand un mec apparaît devant moi. Ses prunelles noires me scrutent de la tête aux pieds, s'attardent sur mes yeux gonflés, tandis qu'il hausse un sourcil.
— T'es qui ?
— Big Dog, il est là ?
Ma voix est éraillée, beaucoup trop pour qu'on me prenne au sérieux. Le blond replace sa casquette des Yankees sur sa tête avec un sourire sceptique avant de s'appuyer nonchalamment contre le chambranle en fer.
— Ça dépend qui le demande.
Son ton suffisant me fait bouillir. C'est pas le putain de moment de me chercher.
— Sa célébrité préférée, craché-je, acerbe.
Amusé par la rage qui doit irradier de chacune de mes expirations, le fan de baseball se retourne en brayant.
— Big Dog, y'a un p'tit pour toi !
Un p'tit ?
Des bruits de pas, suivis de près par des grommellements rauques retentissent à l'intérieur de la pièce sombre, mais quelqu'un finit quand même par approcher.
— Tu peux pas juste lui dire que je suis occupé ? J'ai pas que ça à foutre de me... Gueule d'Ange ?
Lorsque ses lèvres prononcent ce surnom que j'ai si longtemps haï, mes défenses déclinent, et je détourne la tête pour dissimuler mes faiblesses au blond qui m'observe toujours.
— Bouge Kanye, c'est un pote.
Le dénommé Kanye s'exécute alors que je sens le regard surpris de mon ami me brûler la peau.
— Ça fait même pas trois semaines que je suis sorti, et t'es déjà là ? Je t'ai manqué, on dirait.
En temps normal, son humour m'aurait exaspéré, il m'aurait même fait sourire. Mais aujourd'hui, il m'enfonce encore un peu plus. Il me rappelle celui de Gale, et je ne le supporte pas. Ma gorge s'enflamme, les alentours redeviennent nébuleux, et la douleur explose une énième fois dans ma cage-thoracique. À bout de nerfs, je relève des yeux humides vers lui.
— Ash...
Incapable d'articuler le moindre mot supplémentaire sans éclater en sanglots, je plaque mon poing contre mes lèvres en sentant les larmes ravager mon visage.
— Merde, West... Hé, viens-là.
Sans attendre ma réaction, Ash me serre contre lui et je me laisse envelopper par sa chaleur. À force de retenir mes pleurs pour que le fan des Yankees ne m'entende pas, mon corps compense par des spasmes éreintants. Un bras autour de mon épaule, mon ami m'entraîne avec lui à l'intérieur. Il se dresse entre les trois types présents dans la pièce et moi comme un bouclier, alors que nous longeons un mur abîmé pour nous rendre dans une chambre. Il m'invite à m'asseoir sur un matelas posé à même le sol, ferme la porte puis s'installe à mes côtés.
— Tu me racontes ?
Sa bienveillance est intenable. Elle me fait perdre pied. Je sais que je ne la mérite pas, je sais que je ne devrais pas accepter qu'elle me rassure, mais sa présence me fait tellement de bien que je baisse les armes. Je me laisse dompter par l'intégralité des émotions qui hurlent dans ma poitrine tandis que Ash m'attire de nouveau à lui.
— Okay, okay... vas-y, lâche tout. C'est juste moi, tu peux craquer.
Étrangement, ses mots me soulagent. Comme s'ils me donnaient la permission d'avoir mal, la permission de m'effondrer dans les bras de quelqu'un d'autre que ceux de mon frère. Comme s'ils m'autorisaient tout ce que je m'interdis depuis que j'ai vu Gale se jeter dans le vide. J'aimerais pouvoir m'en prendre à lui, lui cracher ma rage au visage, lui dire à quel point son geste me détruit... mais la vérité c'est que je n'arrive pas à le détester. Tout ce que je veux, c'est l'avoir près de moi pour lui demander pardon. Je donnerais n'importe quoi pour le revoir une dernière fois ou mieux encore, pour échanger ma place contre la sienne. Gale est quelqu'un de bien, quelqu'un d'incroyable. Il aurait pu aspirer à de grandes choses s'il ne m'avait pas rencontré. Ce n'est pas juste. Ce n'est pas lui qui aurait dû partir, ce n'est pas à lui qu'on aurait dû arracher son avenir. Après tout, c'est moi le moins-que-rien, c'est moi qui plonge un peu plus dans la noirceur à chaque choix que je fais ; je n'ai jamais eu de futur et je n'en aurai jamais, c'était à moi de finir inerte sur le béton.
Dans mon dos, la paume bouillante de Ash dessine des cercles réguliers et apaisants tandis qu'il maintient ma nuque contre son torse de l'autre. Il ne dit rien, il se contente d'attendre que la crise passe ou qu'elle finisse par m'épuiser. Tout mon corps se déchaîne, toutes mes pensées s'entremêlent, toutes mes forces se font drainer par la tempête. Les images s'entrechoquent dans mon esprit, les sensations me reviennent ; j'ai l'impression de revivre la mort de Gale en boucle sans pouvoir mettre fin à ce calvaire, et je crois que si Ash n'était pas là pour retenir ma chute, je ne serais jamais plus en mesure de m'arrêter. Au bout d'un temps interminable, la fatigue prend le pied sur le reste et mes muscles arrêtent de trembler. Mes sanglots cessent de me torturer. Mon souffle reprend une cadence acceptable.
— Comment tu te sens ? mumure mon ami au bout d'un instant.
Toujours collé à lui, je lutte contre ma gorge nouée pour tenter de retrouver un semblant de voix.
— Au bord du précipice...
— Je suis là, West. Si tu dérapes, je te rattraperai.
À la fois touché et déstabilisé par ses propos, je secoue la tête avec frénésie.
— J'en vaux pas la peine...
— Raconte pas de conneries, s'agace à moitié ma bouée de sauvetage.
— Non, non... Tu comprends pas... J'aurais dû crever. À cause de moi... à cause de moi...
La panique s'empare de ma poitrine, et Ash s'écarte un peu pour planter ses prunelles droit dans les miennes. Les deux mains sur mes épaules, il est solide, stable, comme prêt à devoir faire face à n'importe quoi.
— Prends ton temps, je suis avec toi. Qu'est-ce qui s'est passé ?
— Mon frère, gémis-je sans le lâcher des yeux. Mon frère est mort...
Dans le regard de mon ami, quelque chose vacille. Une peine diffuse semble l'envahir, ses traits s'assombrissent mais Ash ne flanche pas une seule seconde ; il me maintient la tête hors de l'eau.
— Continue, souffle-t-il. Explique-moi.
— Je... je...
Ash émet une légère pression sur mes épaules pour me ramener vers la berge quand il comprend que je dérive et des dizaines de flashs saturent mon esprit. D'abord, je le revois faire le même geste à répétition dans différents endroits de la prison, chaque fois que j'ai perdu pied. Ensuite, ma sœur le remplace en face de moi alors que je me rappelle toutes les fois où elle a essayé de me convaincre que je n'étais pas inférieur à elle quand notre famille me hurlait le contraire. Mon père prend bien vite sa place pour m'aider à sortir de mes angoisses nocturnes, et après une succession de souvenirs infernale, un arrêt sur image me renvoie à Gale. Dans la même position que les trois précédents, il serre et desserre sa poigne sur ma peau comme il l'a si souvent fait. Je suis désolé, mon frère... Je suis tellement désolé... Gale m'offre un sourire triste, puis s'évapore dans un écran de fumée derrière lequel Ash réapparaît, l'air toujours aussi grave. Même si le visage de mon frère ne fait que me rappeler davantage ce que j'ai perdu, il me permet de prendre une profonde inspiration pour ne pas me faire aspirer par les émotions dévastatrices qui me collent à la peau depuis sa mort.
— Ils étaient deux, lâché-je, la voix enrouée. Tous les deux armés. Je l'étais aussi, mais ilsretenaient Wayne en otage et l'un d'entre eux menaçait mon frère avec unflingue... Ils m'ont posé un ultimatum : soit je mourais, soit c'était eux. L'un d'eux tout du moins. C'était censé être moi, ça allait être moi mais...
Le film se rejoue dans ma tête alors que Gale bascule à nouveau en arrière.
— ...mais il s'est sacrifié. Mon frère s'est sacrifié. Il a emporté l'un des deux connards avec lui... Putain, Ash... il est mort... Il est mort à cause de moi...
Mes joues se noient pour la millième fois aujourd'hui, mais une petite secousse m'empêche de me morfondre et m'incite à me focaliser sur mon interlocuteur, qui paraît sûr de lui.
— Il est pas mort à cause de toi, West. Il est mort à cause des raclures qui s'en sont pris à vous.
— Il aurait pas dû faire ça, c'était à moi de crever là-bas. Il a donné sa vie pour un raté, il a donné sa vie pour rien !
Ash serre les dents alors que son regard se durcit.
— Je connaissais pas ce mec, mais il a fait tout ce que tu veux, sauf ça. Il s'est pas sacrifié pour rien. Il a fait ça pour te donner une chance face à vos bourreaux. T'étais armé, et d'après ce que j'ai entendu de toi, t'es l'un des meilleurs tireurs du milieu, ton frère devait le savoir mieux que moi. Peut-être qu'il pensait que c'est ce qui te sauverait, ce qui sauverait l'autre otage aussi. T'es pas un raté. Et puis même si t'en étais un, il t'a donné l'opportunité de devenir quelqu'un de meilleur. Alors saisis-la.
Ses derniers mots font écho dans ma tête, pourtant je nie tout en bloc.
— L'otage, il va bien ?
Confus, je fronce les sourcils.
— Il a été sauvé ? insiste-t-il.
J'acquiesce.
— Alors il n'est pas mort pour rien.
— Il aurait été sauvé même si j'avais appuyé sur cette putain de détente.
Les yeux de Ash s'écarquillent, mais il se reprend immédiatement, l'air déterminé.
— Et si t'avais pas été là, est-ce qu'il serait toujours vivant, aujourd'hui ?
D'abord frappé par l'idée insensée que sans moi Avon n'aurait jamais rien fait pour protéger Wayne, je ne dis rien. Mais après un moment de réflexion, un rire caustique m'arrache la trachée.
— Si j'avais pas été là, Wayne se serait jamais retrouvé dans la merde.
— C'est pas lui, le type que t'a sorti du milieu parce qu'il avait été assez con pour foncer dans le tas pour je ne sais quelle raison obscure ?
Je dévisage Ash, et un coin de ses lèvres se relève.
— Ça jacte beaucoup sur ma star favorite, ici. Y'a deux trois rumeurs qui courent sur toi, et sur un mec, un certain « Gueule d'Ange ». C'est pas difficile de faire le lien avec le type dont tu m'as parlé en taule.
Un faible sourire étire ma bouche, mais je ne confirme rien. Je n'ai pas besoin de le faire, Ash a déjà tout compris.
— Sans toi, ce type serait mort. Des tonnes de fois, si j'en crois ce que j'ai entendu. Et encore une fois, même si tu veux pas l'admettre, je pense que c'est grâce à toi qu'il respire encore. Alors dis-toi que c'est pour cette partie de toi que ton frère est mort. Celle qui sauve des gens assez barges pour s'embourber dans la pire bande mafieuse des États-Unis, et assez barges pour tomber amoureux d'un gamin qui préfère qu'on l'appelle « trou duc » plutôt que « Gueule d'Ange ».
Son allusion à notre dernière conversation dans la cour de Cook County m'arrache un petit rire qui finit par périr dans le flot de mes larmes.
— Reste cet homme-là, Gueule d'Ange. Celui qui vole au secours d'un abruti qui se croit assez fort pour faire face aux plus grands criminels du milieu. Celui qui hésite pas à prendre la défense d'un autre abruti qui s'est attiré les foudres d'un gang dans une prison de haute sécurité et qui est prêt à se faire tabasser à ses côtés. Reste celui qui me parlait des étoiles constamment, celui qui rêvait de liberté, celui qui était raide dingue d'un autre type malgré tout ce qu'on pouvait penser de l'homosexualité autour de lui. Je suis persuadé que c'est à ce mec-là que ton frère a voulu donner une nouvelle occasion de vivre. Pas au dealer de came, pas au vendeur de flingues, pas à l'arme de destruction massive, juste au petit garçon qui dort quelque part là-dedans, m'assure Ash en me tapotant le torse. Alors ranime-le, ce mioche. Je sais qu'il est toujours là, je l'ai vu. Je le vois.
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Coucou tout le monde, comment ça va ?
J'aurais dû poster hier, mais j'ai eu une journée chargée, alors j'ai fait de mon mieux pour venir ici aujourd'hui. Parce que demain ma semaine remplie à ras bord continue puisque je vais voir Yungblud à Paris.
Du coup, qui s'attendait à ce que ce soit Ash ? Je sais que certaines personnes avaient parié qu'on le reverrait avant la fin de l'histoire, vous l'aviez oublié ?
Et Ash, on l'aime bien ? Vous pensez quoi du discours qu'il tient auprès de West ?
La culpabilité de West, vous la comprenez ? Vous êtes d'accord avec ce qu'il pense de lui-même vis à vis de ce qui s'est passé ?
Et la musique, alors ? On aime bien ? J'avoue que c'est pas l'une de mes chansons préférées, mais elle allait bien à Ash. À cette force brute qu'il représente pour moi.
Voilà voilà, c'est tout pour moi. Je vais vous laisser parce que j'ai encore des tonnes de trucs à faire pour préparer mon départ, mais j'espère que ce chapitre vous plait. Que ce livre vous plait et qu'on se retrouvera très vite pour la suite.
Prenez bien soin de vous, les potes.
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