Chapitre 20 | 3

"I'm becoming this, all I want to do

Is be more like me and be less like you.

And I know,

I may end up failing too."

Numb – Linkin Park. (En média).


Mon corps réagit sans que je ne puisse le maîtriser. Hors de contrôle, je me lève et fais les cent pas alors que ma respiration se veut de plus en plus rauque.

— Non. Non, non, non. Tu racontes des conneries, l'accusé-je à toute vitesse.

Une main devant la bouche, j'ai la sensation qu'on est en train de me déchirer de l'intérieur. Ma détresse s'éclate sur mes joues, et tout ce que j'arrive à faire, c'est marcher. J'erre, avance de quelques mètres puis fais demi-tour. La chaînette à mon pantalon claque contre ma jambe à un rythme régulier et c'est sur elle que je me focalise pour essayer d'expulser les images qui me vrillent le cerveau. Je ne peux pas y croire. Je ne veux pas y croire. Mon père n'est pas à l'origine d'Eleven Stars. Mon père était quelqu'un de bien. C'était l'homme le plus admirable de cette putain de planète.

— Comment tu peux dire ça ? Comme tu peux dire ça de lui ?! hurlé-je en me retournant violemment vers ma sœur.

À bout de souffle, je fulmine. Plus je la fixe, et plus ma colère bout. Pourquoi elle ne dit rien ? Pourquoi elle ne se défend pas ?

— Et puis de toute façon, comment tu peux savoir ce genre de trucs, hein ? C'est forcément eux qui t'ont foutu ces mensonges dans le crâne !

— West...

Elle fait un pas dans ma direction, mais je lève les mains d'un geste brusque pour lui ordonner de ne pas s'approcher. Ma poitrine est en feu. Je ne vois plus rien. Je manque d'oxygène. Qu'est-ce qui m'arrive ? J'entends un gémissement diffus quelque part derrière moi, entrevois Wayne secouer la tête sans en comprendre la raison, puis me cogne contre lui quand il se plante au beau milieu de mon chemin. Sonné, angoissé, à bout de nerfs, je ne cherche pas à le contourner. Je ne cherche pas à repartir dans l'autre sens. Je reste juste là, devant lui, sans parvenir à redescendre en pression. Dans une douceur infinie, ses doigts se déposent dans ma nuque alors que son front se colle contre le mien. Cette position, je la connais bien. Je la connais par cœur. C'est celle que j'utilisais le plus souvent pour apaiser ses crises. Cette proximité, cette chaleur qui émane de son corps me font du bien. Elles me rassurent, elles me ramènent, elles me rappellent que j'ai quelque chose à quoi me raccrocher avant que cette chute ne me réduise en bouillie.

Comme je le faisais toujours avec lui, il inspire bruyamment, puis expire. Et recommence. Encore et encore. La seule différence entre ma méthode et la sienne, c'est que lui, il garde le silence. Il ne prononce pas le moindre mot. Il se contente de dessiner des cercles sur mes joues avec ses pouces, et je crois que je préfère ça. Aucune phrase toute faite ne pourrait m'aider, rien de ce qu'il pourrait dire ne changerait quoi que ce soit. Tout ce qu'il me faut, c'est un contact. Une caresse protectrice. Une lumière tangible qui m'extirperait de l'obscurité. Ses prunelles plantées dans les miennes, il ne s'arrête pas. Il ne fléchit pas une seule seconde. Il me laisse me caler sur son rythme. Je ne sais pas combien de temps il m'étreint de cette façon, mais au bout de ce qui me paraît durer une éternité, ma souffrance s'atténue. Mes larmes se tarissent. L'air circule de nouveau dans mes poumons.

— Ça va mieux ? murmure-t-il sans me lâcher.

Son souffle effleure ma peau, et cette sensation salvatrice finit de me calmer. Reconnaissant, j'opine en tentant une ébauche de sourire. Il imite mon acquiescement, puis s'écarte de moi pour que je puisse me retourner et plonger dans le bleu humide des yeux de Beth, qui n'a pas bougé.

— Qui t'a raconté tout ça ?

Ma voix est rocailleuse, pas très assurée, mais mon regard, lui, est catégorique. Je veux qu'elle me le dise. Je veux comprendre. J'ai besoin de savoir.

— Un an ou deux après ton départ, vers mes 16, 17 ans, j'en ai eu marre, affirme-t-elle, bouleversée. À chaque fois que j'essayais de parler de toi, de savoir pourquoi je n'avais pas le droit de te voir ou pourquoi ils avaient plus de haine contre toi que contre...

Beth baisse les yeux sur sa chevalière, et la tripote quelques secondes.

— Contre les autres sangs impurs, lâché-je avec plus d'amertume que prévu.

— Ne dis pas ça, c'est les gosses qui vous appelaient comme ça... je déteste ce terme, grimace-t-elle. Enfin bref, on ne me répondait jamais. On me disait que ça n'était pas mes oignons, que je n'avais pas l'âge de me mêler des histoires de famille, qu'on m'initierait plus tard, ce genre de stupidités... Alors je suis allée voir Gramps, juste avant qu'il ne meure. Et je lui ai posé des questions. Je lui ai demandé tout ce qui me passait par la tête. Je voulais tout connaître, et même s'il ne m'a pas tout divulgué, il m'a appris la plupart des choses que je sais. Des choses que grand-mère a fini par me confirmer à force de la cuisiner, de lui montrer à quel point ça me touchait de ne pas comprendre pourquoi on me tenait à l'écart de tout, à l'écart de toi.

Mon cœur se serre, sa sincérité le lacère. Je secoue la tête. Pitié, faites-la taire. Pitié, faites qu'elle m'avoue qu'elle ment, que ce n'est pas à eux qu'elle a demandé... parce que si ce n'est pas le cas, alors c'est forcément vrai. Gramps ne racontait jamais de craques. Grand-mère non plus. Soit ils gardaient le secret, soit ils dépeignaient la réalité, mais avec ces deux-là, il n'y a jamais eu de juste-milieu.

— Alors c'est pas des conneries... chuchoté-je presque trop bas pour réussir à me convaincre moi-même.

— Je ne voulais pas y croire non plus, West, m'assure ma sœur en faisant un pas prudent dans ma direction. Mais quand ils m'ont donné des dates, des événements précis, je me suis rappelé certains d'entre eux. Je me suis souvenue des après-midis que j'avais passés à jouer avec les deux filles du couple. Deux petites brunes. Eleanor avait presque mon âge, alors on s'entendait bien, et la deuxième était la plus âgée de nous quatre. D'ailleurs, c'est la seule qui réussissait à te faire quitter les genoux de papa quand les cousins étaient là.

— Qu... quoi ?

— T'étais tout petit, West. Tu devais avoir deux ans, peut-être trois. C'est normal que tu ne t'en rappelles pas.

Mes pensées s'emmêlent, elles se battent avec des souvenirs qui n'existent pas et la nausée me reprend. Je refuse de croire que Lola me connaît depuis si longtemps. Je refuse de croire qu'elle était la seule à avoir su m'apprivoiser. Et si c'était comme ça qu'elle avait appris à déceler la moindre de mes failles ?

— En plus, ils ont arrêté de venir assez tôt, ajoute Beth comme pour me sortir de mon calvaire. À tes cinq ou six ans, ils ont disparu de la circulation, je ne les ai plus jamais revus avec papa. Gramps et grand-mère non plus. Alors ne te torture pas, ce n'est pas de ta faute si tu ne t'en souviens pas.

Mais comment j'ai pu oublier ça ? Comment j'ai pu effacer des informations aussi importantes de ma mémoire ? J'avais les réponses dans la tête depuis le début, et j'ai pas été foutu de pouvoir y accéder. J'étais là, j'ai vu ces enfoirés de mes propres yeux, j'ai même eu des interactions avec eux dés mon plus jeune âge, mais non. Tout ce qu'il me reste de cette période, c'est un trou noir. Un putain de trou béant que j'arrive pas à remplir. Je me déteste.

— West...

La voix de ma sœur résonne dans le vide. Focalisé sur les gouttes d'eau qui parsèment les brins d'herbe à mes pieds, je secoue la tête d'un geste vif. Je ne veux pas de sa pitié. Je ne veux même pas de son empathie. Je ne sais plus ce que je veux. J'ai cherché à percer le mystère de mon passé toute ma vie, et maintenant qu'on me l'amène sur un plateau, je ne suis plus certain d'en vouloir. En fin de compte, j'étais destiné à devenir un criminel. J'ai vraiment toujours eu ça dans le sang. Je suis pourri jusqu'à la moelle, pourri jusque dans mon ADN. Je me hais. Je les hais. Je hais le monde tout entier.

— Et leur mort ? murmuré-je, anéanti.

— Quoi ?

Je plante un regard désillusionné vers mon interlocutrice, qui me scrute avec ahurissement.

— Tu sais quoi de leur mort ? Comment ils sont morts ?

— Beth ! Les enchères sont bientôt terminées, votre grand-père est furieux de ne pas vous y avoir vue, veuillez rentrer, s'il vous plaît !

Agacé par cette interruption, je serre les dents en apercevant un homme en costard attendre près de la baie vitrée. Il ne repartira pas sans elle. Ma sœur lance un coup d'œil exaspéré derrière elle, mais se recentre quand même sur moi en ignorant le mec qui semble s'impatienter.

— Je ne sais pas, West. Ils n'ont rien voulu me dire...

Elle paraît triste, effondrée à cette simple allusion, et je regrette tout de suite de l'avoir interrogée là-dessus. Beth est ma sœur, elle a beau ne pas avoir vu sa vie basculer, elle a quand même perdu son père ce jour-là.

— Mademoiselle Elisabeth !

— Oui, oui, Charles ! J'arrive ! râle la fille caractérielle qui reprend du poil de la bête. Excuse-moi, West... je dois y aller. Mon précepteur n'est pas du genre indulgent quand il se fait taper sur les doigts par grand-père...

Son expression affligée me serre le cœur, pourtant je n'arrive pas à réagir. J'ai envie de lui assurer que tout va bien, qu'elle n'a pas à s'en vouloir. J'ai envie de lui faire mes adieux comme il se doit, de lui dire que je l'aime et de la laisser me faire croire qu'on se reverra, mais je ne bouge pas. Mon corps est bloqué, ma voix éteinte, rien ne parvient à m'échapper. Voyant que je n'esquisse pas le moindre mouvement, Beth baisse le nez, et ma poitrine finit par exploser. Pourquoi est-ce qu'il faut toujours que je foire tout ? Pourquoi est-ce qu'il faut toujours que je fasse souffrir les gens que j'aime ?

— Si jamais tu apprends quoi que ce soit à propos de ça... Est-ce que... Tu me promets de venir m'en parler ? chuchote-t-elle avec une timidité que je ne lui connais pas.

Les sourcils froncés, je rassemble toute mon énergie pour ravaler la boule brûlante qui consume l'intérieur de ma gorge, et lui tends mon petit doigt.

— Je te le promets.

Elle attrape mon auriculaire avec le sien, scelle notre nouveau pacte, et au moment où je l'imagine déjà tourner les talons pour rejoindre cet univers qui n'est pas le mien, cet univers qui nous séparera à jamais, elle se jette dans mes bras. Surpris, je ne peux pas m'empêcher de lancer un regard plein d'appréhension vers le type qui attend toujours Beth. Dans la pénombre, je ne distingue pas ses traits, mais lorsqu'il remarque notre étreinte, son langage corporel parle à sa place. Les bras croisés sur son torse et le pied qui tape le sol, il a l'air plus proche de l'indignation que de la joie profonde.

— Tu vas me manquer... souffle-t-elle contre moi.

Enfin en mesure de me concentrer sur ma sœur et son corps tout mince contre le mien, j'autorise mes paupières engloutir cet endroit pour me délecter de ce contact interdit. Tout juste à la hauteur de son épaule, j'enfouis mon visage dans son cou en opinant pour lui signifier qu'elle aussi, elle va me manquer. À vrai dire, elle me manque déjà. J'aurais voulu passer des heures avec elle. J'aurais voulu réapprendre à la connaître. Savoir qui elle est devenue, ce qui a changé chez elle et ce qui est resté intact. J'aurais voulu que nos vies et notre famille ne soient pas ce qu'elles sont pour pouvoir la découvrir et lui offrir une chance de me découvrir.

***

Un agent de sécurité m'ordonne de pénétrer dans l'office sombre, protégé par une double porte en chêne marron, mais barre la route à Wayne avec son bras musclé. Indécis, je lance un coup d'œil à ce dernier, qui acquiesce. Je ne sais pas s'il cherche à m'encourager ou s'il me promet que tout ira bien pour lui le temps de ma petite entrevue, pourtant son approbation me retire un poids des épaules. Quand j'entre dans la pièce à peine illuminée par le ballet orangée des flammes qui dansent dans la cheminée à ma gauche, une angoisse atroce m'attrape à la gorge. C'est la réplique exacte de la salle de torture de Robinson. Le bureau massif est placé au même endroit, là, juste devant l'immense fenêtre à travers laquelle j'imagine des éclairs zébrer le ciel alors que j'entends encore la pluie frapper contre la vitre malgré les hurlements de Gale. Je sais que cet endroit est bien plus grand et luxueux que celui où Robinson a obligé James à marquer mon frère à vie, mais je ne peux pas m'empêcher de le voir assis devant moi, à me fixer avec son verre de Whisky à la main et son fer rouge dans l'autre.

Comme pour m'obliger à lutter contre la panique qui s'infiltre peu à peu dans mes veines, j'observe les alentours à la recherche d'une différence supplémentaire. De quelque chose qui me prouverait que je ne suis pas revenu neuf ans en arrière et que mon meilleur ami n'est pas en train de pleurer de douleur devant mes yeux. Agitées, mes prunelles se cognent d'abord contre toutes les similitudes qui me sautent au visage. Les pots à crayons remplis à ras-bord, les dossiers parfaitement empilés sur un coin du meuble de travail, la lampe de bureau en métal... Tout semble se ressembler jusqu'à ce que je m'accroche à la spacieuse bibliothèque qui recouvre le mur de droite. Les livres, la voilà ma dissemblance. De la littérature élitiste qui mélange Dickens, Molière, Shakespeare, Zola, Hemingway, Baudelaire, Wilde, Maupassant... tous les grands noms des classiques français et anglophones. Robinson ne lisait pas, lui. J'ai même du mal à imaginer qu'il puisse avoir les capacités cognitives nécessaires pour ouvrir un bouquin. Le vieux Hutchins, par contre, n'avait que les prodiges de l'écriture à la bouche. Il a appris à lire aux sangs purs avec ces romans, ces pièces de théâtres, ces poèmes... et grand-mère me les racontait.

Ce souvenir aussi douloureux qu'apaisant parvient à faire fuir mon stress. Ces ouvrages me raccrochent au présent, ils me forcent à oublier les accès de sadisme de mon instructeur de l'époque pour affronter la situation actuelle. Après quelques minutes à retrouver mon souffle, une porte s'ouvre au fond de la pièce et le vieux Hutchins apparaît devant moi. Son air d'hôte hypocrite se refroidit à la seconde où il m'aperçoit, et je reprends immédiatement mes habitudes de toutou bien dressé. Les mains jointes derrière mon dos, je lui adresse une légère révérence, puis fixe le sol, attendant sa permission pour le regarder. Ses pas étouffés par le tapis de sol hors de prix se rapprochent, l'homme lâche un profond soupir, puis un bruit de briquet retentit.

— Les invitations aux galas de charité ne sont que des marques de politesse. Les branches inférieures de la famille n'y sont pas conviées, attaque-t-il.

Sa condescendance me fait bouillir, j'ai envie de lui faire bouffer sa carte d'invitation à la con.

— Pourtant d'autres membres de la branche inférieure sont présents, lâché-je en relevant les yeux vers lui.

Étonné par mon répondant, le vieux Hutchins ne reprend pas de taffe de son énorme cigare ; il se contente de me fixer dans une frustration évidente.

Eh ouais, mon gars, je n'ai plus peur de toi.

— Cindy n'est présente que parce que ses demi-sœurs souhaitent qu'elle le soit.

— Moi aussi, j'ai une demi-sœur, le défié-je.

— Mais toi, au contraire de Cindy, tu n'as rien pour toi.

La mâchoire contractée, je fais appel à l'intégralité de mon self-control pour rester impassible. Je refuse de lui montrer que ses mots m'atteignent, que je sais qu'il a raison.

— Toi, tu es un criminel, et un criminel déloyal par-dessus le marché, m'achève-t-il. Exactement comme ton père.

Mon sang ne fait qu'un tour, mes poings se serrent à m'en faire mal, une chaleur insupportable déferle dans ma poitrine, mais je tiens bon. Je ne laisse pas passer la moindre réaction.

— Mon père n'était pas déloyal, craché-je d'une voix trop tremblante pour inspirer la neutralité.

— Si, et c'est pour ça qu'il n'est plus parmi nous.

Serein, il crapote avec un sourire alors que je me décompose. Ma petite mascarade s'effondre en même temps que ma fierté, et mes sentiments s'écrasent contre moi comme les vagues sur les rochers d'une falaise. La violence est colossale, pourtant je ne bouge pas d'un millimètre. Le cœur en miettes, l'estomac explosé et les larmes aux yeux, je rends les armes. Il a tapé dans le mille. Il vient de briser mes défenses. Je suis à sa merci.

— Quoi... mais qu'est-ce que...

Les mots s'effacent, mes questions s'estompent, ma respiration s'emballe ; je ne suis plus en mesure d'articuler quoi que ce soit. Son Arturo Fuente entre les dents, le vieux Hutchins me fixe avec exaspération. Comme si j'en faisais trop, que je dramatisais. Et si j'avais pris le problème à l'envers depuis le début ? Et si le danger n'avait jamais été ma mère ?

— Qu'est-ce que tu fais ici, gamin ? C'est la petite Donovan qui t'envoie ?

À peine sorti de mes réflexions douloureuses, j'écarquille les yeux.

— Il n'y a qu'elle pour s'amuser avec ses pantins de cette manière, continue-t-il. C'est une fille intelligente, douée, mais dis-lui bien que ruiner la réputation de ma famille en m'envoyant ces rats de laboratoire ne lui apportera que des ennuis.

Son ton imbibé de mépris me fait tiquer, et l'amertume qui m'a bouffé toute la soirée reprend sa place au creux de ma poitrine.

— T'en fais pas pour ta réputation, j'ai été l'attraction de ta soirée, tes invités ont kiffé, éructé-je en le fusillant du regard.

Piqué à vif, l'octogénaire bondit de sa chaise pour se précipiter vers moi, et j'ai un mouvement de recule automatique. Même si je sais que cet homme ne frappe jamais personne, la violence est tellement ancrée sous ma peau que c'est la première chose à laquelle je pense.

— Je t'interdis de m'adresser la parole de cette façon, me menace-t-il avec son cigare fumant. N'oublie pas qui je suis, et qui tu es. N'oublie pas de quelle branche tu proviens.

Penaud, je fixe le sol à mesure que son corps fulminant s'approche du mien. Comment je pourrais oublier ça ? On me l'a rappelé tout le gala, toute mon enfance. À côté d'eux, à côté des sangs purs, je ne suis rien. Je fais tache. Étrangement, sa remontrance me touche. Elle me donne envie de lui demander pardon. Pardon d'être né. C'est d'ailleurs ce qu'il attend de moi, que je m'excuse, que je fasse sa putain de révérence à la con et que je me rappelle que la seule raison pour laquelle je n'ai pas à embrasser sa chevalière, ce symbole d'appartenance à une famille qui n'a jamais été la mienne, c'est parce qu'il refuse tout contact avec les gens comme moi.

— Tu es là, à te pavaner avec ton style de vie répugnant à mon gala comme si tu étais chez toi, et en plus tu viens me manquer de respect ? Quel genre d'éducation t'a-t-on donc donné ? Comment un Hutchins a-t-il pu en arriver à un tel stade de déchéance sociale ?

Une étincelle de rage enflamme ma cage-thoracique, et je relève la tête vers mon interlocuteur avec plus d'insolence qu'il n'en a jamais vu de ma part.

— Oh, veuillez m'excuser, Monsieur. Le foyer, la torture, la violence et la drogue m'ont à coup sûr éloigné du droit chemin, craché-je en imitant le vocabulaire qu'ils m'ont toujours ordonné d'utiliser. Mais, sans votre respect, si le droit chemin mène à devenir comme vous, putain je préfère faire demi-tour.

Les traits du vieux Hutchins se crispent, et je sais que je joue avec ses limites. Petit, le voir dans un tel état de fureur m'aurait terrorisé, pourtant aujourd'hui, je ne ressens plus rien. La peur ne déferle pas dans mes veines, il ne peut rien contre moi ; il m'a déjà pris la seule chose qui pouvait me détruire. Il m'a déjà volé ma vie.

« Je t'en prie Edward, laisse-lui une chance. C'est un bon petit. »

La voix de ma grand-mère résonne en boucle dans ma tête alors que je me revoie, sanglotant devant mon grand-père. Il avait le choix de me garder avec lui ou de m'envoyer en foyer, et il venait de m'annoncer qu'on ne se reverrait jamais. Que je ne reverrai jamais personne de cette famille, que je n'y avais pas ma place. Grand-mère est allée jusqu'à le supplier, mais il n'a rien voulu entendre, il m'a expulsé en enfer sans le moindre scrupule, et aujourd'hui, c'est en partie à lui que je dois l'enchaînement des fléaux qui ont ravagé mon existence.

— Ton père aussi m'a tenu tête, au même âge que toi. Il était persuadé de tout savoir mieux que les autres, de pouvoir rivaliser avec mon empire en créant le sien, et regarde où ça l'a mené, articule-t-il avec un calme saisissant. Tu finiras comme lui.

— Qu'est-ce qui lui est arrivé ? craché-je, le cœur battant à tout rompre.

— Ce qui arrive à tous les lâches qui pensent que leur destin leur appartient.

— C'est lui qui était visé, ce jour-là, pas ma mère... affirmé-je plus que je ne le demande.

— Ta mère n'était qu'une moins que rien qui croyait un peu trop au pouvoir de la justice. C'est elle qui a fait de mon fils un capitulard, un déserteur. Si elle n'avait pas été là, et qu'elle ne t'avait pas mis dans ses jambes, il aurait fait de grandes choses. D'aussi grandes choses que Gambino lui-même. Mais l'un comme l'autre ont fait l'erreur de croire leurs enfants plus importants que leurs affaires, et ils sont tous les deux hors d'état de nuire.

Son air sombre me fait froid dans le dos. Si avant, je pouvais passer à côté du businessman qui se cache en lui, maintenant je le distingue sans aucun problème. Il a cette lueur âcre dans les yeux, celle de Gordon, celle Gambino, celle de tous les hommes importants avec lesquels j'ai traité, avec lesquels j'ai négocié pendant des années. J'ai toujours fait face à ce genre de criminel, finalement. Je ne le savais pas, mais en réalité, je suis né dans cet environnement, j'étais prédestiné à finir du mauvais côté de la loi. Je n'ai jamais eu aucune chance d'y échapper.

— Qu'est-ce qui s'est passé, ce jour-là ? insisté-je.

— Ce qui risque de se produire avec ton style de vie si tu ne quittes pas cet endroit immédiatement.

Mon style de... Les prunelles du vieux Hutchins se posent sur la porte et mes tripes se nouent. Ni une ni deux, je me précipite vers la sortie. Wayne.


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Coucou tout le monde, 

Comment ça va ? Ici ça bosse. Alive (la saga que je bêta) sort en février (le 11) et les autres tomes devraient arriver dans les mois qui suivent ou en tout cas courant 2022, du coup entre ça et l'écriture, je suis plutôt occupé, mais j'ai quand même réussi à finir mon chapitre 23 et j'essaie de me replonger un peu dans un autre projet pour tenir mes deadlines.

La dernière fois que je suis passé sur Wattpad, N'aie Pas Peur avait dépassé les 15K lectures et celle-ci en était à 2.8K et aujourd'hui, N'aie Pas Peur est à 15.6K et Je N'ai Plus Peur à 3K, c'est incroyable, merci beaucoup pour votre soutien et bienvenue aux quelques nouvelleaux. Il me semble que vous êtes deux et je suis ravi de vous accueillir sur cette histoire. J'espère qu'elle vous plait, que ma plume vous plait et que vous serez aussi au rendez-vous pour LMS (qui contient, je le rappelle, des réponses qu'on a pas dans le tome I et II de cette saga) ainsi que pour la suite de Je N'ai Plus Peur, qui arrivera après. (J'ai tellement hâte que vous connaissiez Isaiah...)

Bref, merci à tout le monde pour votre présence, votre soutien et vos pluies d'étoiles. Sans vous, Wattpad n'aurait aucun intérêt, alors j'espère qu'après Je N'ai Plus Peur, j'en retrouverai certain.e.s sur LMS et l'histoire d'Isaiah. 

Sinon, vous pensez quoi de toutes ces révélations ? Si Lola et West se connaissent depuis si longtemps, pourquoi West craint-il autant Lola ? 

À votre avis, pourquoi Lola a-t-elle envoyé West dans les Hampton si le grand-père Hutchins ne voulait pas de lui ? Qu'est-ce que ça lui apporte, à elle ? 

La relation entre Beth et West, on en pense quoi ? A votre avis, ils vont se revoir ? 

La musique, vous n'avez pas le droit de ne pas aimer, c'est acté. Et West est de mon avis. 


Voilà, voilà, c'est tout pour moi. Je vous laisse pour aujourd'hui et on se retrouve mardi pour un chapitre à 4 parties !

En attendant prenez bien soin de vous. 

Je vous envoie plein de bonnes ondes. 

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