Chapitre 18 | 2

"I know there is hope in these waters

But I can't bring myself to swim

When I am drowning in this silence.

Baby, let me in."

Easy On Me – Adele. (En média). 


Un poing contre les lèvres pour m'éviter de craquer, je me laisse glisser contre le mur carrelé. J'ai tout gâché. Il était si fragile, si vulnérable, qu'en me barrant comme je l'ai fait, je n'ai réussi qu'à le briser un peu plus. Il était au bord du gouffre et, au lieu de le ramener contre moi, je l'ai poussé dans le vide. Je l'ai poussé dans le vide, et ensuite je l'ai enterré, je l'ai enfoncé en creusant ma propre tombe. Tout ça pour quoi ? Pour le voir sombrer dans la noirceur à mes côtés ? Je suis vraiment qu'un moins que rien. Sans un mot, Wayne se lève, et je pose mon front sur mes genoux en passant mes mains glacées dans mes cheveux. Une douce chaleur s'installe à ma gauche dans un bruissement sourd alors que mon acolyte s'installe près de moi.

— Tout ce que je veux, c'est des réponses, West, murmure-t-il.

Je ferme les yeux, et soupire longuement.

— S'il te plaît...

La détresse déchirante qui l'a fait exploser dans la chambre d'hôtel refait surface, et je me tends. Incapable d'y faire face, je me redresse pour fixer les poutres en fer qui zèbrent le plafond de la piscine abandonnée, la tête contre le carrelage.

— Tu veux savoir quoi ? soufflé-je.

Wayne me scrute, je le sais, je le sens, mais je ne parviens pas à soutenir son regard. Ce que je vais lui dire ne va pas lui plaire ; je ne suis pas en état d'affronter son dégoût, sa déception.

— Pourquoi t'es parti, à l'hôpital ?

— L'hôpital, c'était pas prévu. Normalement, une fois que j'avais passé la porte de chez moi, vous deviez plus me revoir.

Je perçois vaguement Wayne tiquer, mais je concentre toutes mes forces pour ne pas y prêter attention, pour éviter d'étudier chacune de ses réactions.

— Pourquoi t'es parti ? se rectifie-t-il d'un ton plus dur.

Ma gorge se serre violemment, et je dois déglutir avant de réussir à prononcer la moindre syllabe.

Parce que je suis un enfoiré, un putain d'enfoiré.

— Pour te protéger.

Je vois Wayne secouer la tête dans ma vision périphérique, mais fais mine de ne rien remarquer et reprends.

— Quand j'ai recon... je veux dire, quand on m'a contacté, je savais que si j'acceptais la proposition de Lola, le cauchemar du business redeviendrait mon monde, mon environnement. Et toi... Toi, t'étais tellement à fleur de peau, tellement fracturé par cet univers, que je pouvais pas prendre le risque de te voir y retourner. Il fallait que je t'en tienne éloigné, et pour faire ça, la seule chose que je pouvais mettre en place, c'était t'éloigner de moi. De mon obscurité. De ce monstre que j'ai toujours été et que t'as jamais voulu voir.

— T'aurais pu m'en parler.

Un peu maussade, je lâche un rire amer, éteint, vide de toute émotion.

— Tu m'aurais jamais laissé faire, Wayne, jamais. Avec Gale, j'avais une chance qu'il accepte de me regarder partir parce qu'il fallait que quelqu'un soit là pour toi, parce qu'on pouvait pas tous les deux t'abandonner. Mais toi... toi, qu'est-ce qui t'aurait retenu ? Soit tu m'aurais fait changer d'avis, soit tu m'aurais suivi. Y'aurait pas eu d'autre option, et aucune des deux n'était envisageable.

Wayne pousse un profond soupir, et le stress m'envahit. Je sais qu'il mérite des explications, mais l'idée qu'il me haïsse encore plus qu'il ne me déteste déjà me terrorise.

— C'est à cause de Lola que t'as fini en prison ? continue mon binôme, distant.

— Oui. J'avais besoin de lui prouver ma bonne volonté, et en allant en taule, j'ai un peu sauvé Eleven Stars de rejaillir dans les registres de la police. Elle avait tout organisé, la seule chose que j'ai eu à faire, c'est me sacrifier pour elle, pour obtenir sa confiance.

Contre moi, mon ancien amour se crispe. Je sais, putain. Je sais. Moi aussi je m'en veux.

— C'était quoi, cette proposition ? Qu'est-ce qu'elle peut bien avoir que tu voudrais au point de tout détruire ?

Je laisse mes paupières tomber alors que Lola semble réapparaître devant moi. Son sourire satisfait me fait bouillir, pourtant je ne réagis pas, je me contente de masquer mon appréhension en l'accusant de bluffer. Mais elle n'est pas dupe. Elle voit clair dans mon jeu. Elle sait à quel point elle m'impressionne, à quel point le pouvoir qu'elle a toujours eu sur moi est resté inchangé.

« Qu'est-ce que tu fais ici, si tu penses que je te baratine, West ? Pourquoi tu quittes tout pour te retrouver devant moi, alors que je pourrais te tuer à n'importe quel moment ? »

Elle avait l'air tellement sûre d'elle, tellement confiante qu'encore aujourd'hui, je suis persuadé qu'elle en sait bien plus qu'elle n'a voulu me le faire croire. Je libère mes prunelles, me focalise sur un point qui n'existe pas quelque part devant moi, puis redessine dans mon esprit la photo qui a tout fait basculer. Je revois mon père, ses mains sur les épaules de ma mère, et ma gorge se serre. Elle n'était pas défoncée, ce jour-là. Je revois son expression rieuse et son regard lumineux alors qu'il observe Gambino, qui rit avec lui. Je vais gerber.

« Depuis toutes ces années, tu t'es demandé qui a pu tuer tes parents. Mais la question que tu aurais dû te poser, c'est pourquoi. Pourquoi quelqu'un irait se donner tant de mal à faire passer un double meurtre pour un accident s'il ne suffisait que de liquider la droguée qui ne payait pas ses dettes, hein ? Après tout, tu le sais, faire passer un assassinat pour une overdose, c'est beaucoup moins risqué, beaucoup plus simple. Pourquoi avoir provoqué la mort d'une personne supplémentaire, quand on sait qu'en plus, elle est issue d'une famille influente ? Réfléchis, West, ça ne tient pas debout. »

Mes tripes se tordent et j'ai l'impression que je vais vraiment finir par les recracher dans le fond de ce bassin. Les mots de ma patronne tournent en boucle dans ma tête depuis trois ans. Je n'arrive pas à les comprendre, je n'arrive pas à les mettre bout à bout. Peut-être qu'une part de moi n'a pas envie de savoir ce qu'ils veulent dire, peut-être qu'une part de moi refuse de faire les bons liens pour raccrocher tous les événements et pouvoir enfin trouver les bonnes interrogations, les bonnes pistes de réflexion. Peut-être qu'en fait, j'ai peur que les réponses soient plus destructrices que les questions.

« Tu ne te rappelles pas de cette petite brune, Hutchins ? Rien ne te revient ? Je parie que même le nom de l'entreprise ne t'a pas marqué, je me trompe ? »

Son ton supérieur me fout la haine, pourtant je suis incapable de la faire taire. Je suis incapable de sortir de ce bureau dans lequel elle s'était enfermée avec moi quand je suis arrivé à Chicago. Quand j'ai mis mon destin entre ses mains, encore une fois.

— West, réponds-moi...

« Pourquoi Eleven Stars, West ? Pourquoi ton père ? Pourquoi toi ? »

Mon cœur est à deux doigts d'exploser, mais une poigne ferme me sort de mon enfer pour se refermer sur mon menton. Wayne tire ma mâchoire dans sa direction, m'obligeant à me focaliser sur lui. Sur ses prunelles vertes. Sur cette supplication qui y brille bien trop fort.

— Elle m'a proposé de travailler pour elle, lâché-je d'une voix vide

— Et en échange ?

— En échange, elle me dirait toute la vérité sur mes parents. Sur leur mort.

Et probablement sur tout un tas d'autres trucs que je n'ose même pas imaginer.

Les sourcils de mon interlocuteur se fronce, et je pourrais presque lire sur ses traits que ma justification ne lui convient pas. Comme s'il me lançais un « c'est tout ? » en pleine figure, sans vraiment avoir l'audace de prononcer quoi que ce soit.

— Me regarde pas comme ça, putain... Me regarde pas comme ça, chuchoté-je en tentant de me dégager de ses doigts, qui ne me laissent pourtant pas m'échapper. Je me suis torturé toute ma vie avec ça, avec leur décès. J'ai jamais su ce qui s'était passé, j'ai jamais compris. J'ai subi un truc qui me dépassait et... et merde, qu'est-ce que tu ferais si t'avais un moyen de savoir pourquoi ta vie s'est effondrée ? Si on te disait que tu pouvais obtenir les réponses que tu as cherchées toute ton existence ? Tu ferais quoi, hein ? J'ai vécu dans une jungle pendant des années. J'ai connu que la violence, la peur, la douleur, le deuil, et là on vient me dire que tout ça, c'est pas le fruit du hasard, que je suis pas juste un mec avec un karma merdique, que y'a une raison derrière ces tragédies qui ont pas cessé de s'enchaîner. Même si j'avais pas accepté le chantage de Lola, ça m'aurait poursuivi, Wayne. Ça m'aurait bouffé de l'intérieur parce que vivre avec un point d'interrogation au-dessus de la tête, c'est insupportable. Elle me connaît... Elle me connaît par cœur, tu te rends pas compte. Elle savait pertinemment qu'elle taperait dans le mille si elle touchait à mes parents, mais j'avais pas conscience qu'elle en savait autant... ou plutôt que moi, j'en savais si peu. Je sais que ça fait dix ans et que je devrais tourner la page, qu'avoir pu être présent pour leur enterrement, pour leurs adieux, ça aurait dû me suffire, mais c'est pas le cas. J'aurais voulu être différent, mais...

— Mais c'est ta famille, me coupe mon ancien amour, les larmes aux yeux.

— Je suis désolé...

À bout de nerfs, je serre les dents pour retenir les remords qui menacent de m'échapper alors que Wayne libère mon visage.

— T'excuse pas, crache-t-il presque. Si j'avais pu comprendre à quel moment ça a pété avec ma sœur, avec... avec Charlie... je crois que j'aurais voulu savoir.

Bouleversé, il tourne brusquement la tête, comme pour cacher la souffrance qui s'écrase de nouveau sur ses joues. Sans réfléchir, je me lève, me plante devant lui, et le force à plonger son regard dans le mien de la même manière qu'il l'a fait avec moi. Ses yeux se noient d'émotion, et je ne résiste pas ; je le serre contre moi. Ses sanglots éclatent dans mon cou, et mon cœur fait un bond dans ma poitrine.

— Si... Si j'avais compris, j'aurais pu... J'aurais peut-être pu sauver mon frère... mon petit frère...

— Wayne... mon ton se brise. Dis pas ça, c'est pas de ta faute, c'est pas de ta faute...

Mon binôme s'agrippe à moi alors qu'il est secoué de spasmes, et je resserre mon étreinte autour de lui.

Je suis là, je te lâche pas. Je te lâche pas.

— J'aurais tellement voulu qu'ils lui laissent encore un peu de temps pour se réveiller, gémit-il contre ma peau. Je voudrais tellement pouvoir lui dire au revoir...

Cette fois, il perd pied. Il perd pied, et je le retiens avec tout ce que j'ai en moi pour éviter qu'il coule pour de bon.

— Tu vas pouvoir le faire. Je te jure que tu vas pouvoir le faire.

Dans ma tête, des tas de plans s'organisent, des tas de chemins se croisent, s'entremêlent. Je calcule, je réfléchis, je mets tout ce que je peux en place pour trouver un moyen d'offrir à Wayne son dernier moment avec son petit frère. Contre moi, la boule de douleur qui encaisse explosion sur explosion secoue la tête, comme si elle ne croyait pas un mot de ce que je disais. Comme si elle pensait que c'étaient des paroles en l'air, des paroles qui n'étaient là que pour tenter de l'apaiser.

— Comment ? Je suis pas sûr... Je suis pas sûr que Lola...

Sa respiration rauque et saccadée l'empêche de finir sa phrase, mais je comprends tout de suite ce qui l'inquiète. Je comprends tout de suite pourquoi il se sent piégé.

— Je sais, Wayne. Je sais...

Je ravale les sentiments qui s'agglutinent dans ma gorge et essaie de prendre l'intonation la plus rassurante que j'ai en stock.

— Mais aujourd'hui, Lola est venue me voir.

Wayne s'écarte de moi pour planter ses prunelles rougies dans les miennes, et je dépose mes doigts dans son cou en épongeant ses larmes intarissables de mes pouces.

— Elle est venue me voir, et... en gros, j'ai une semaine pour me rendre à un événement auquel je suis invité...

La peur envahit le regard de mon binôme, et mes caresses se veulent plus appuyées, plus insistantes, plus protectrices.

— ...et je suis autorisé à t'emmener avec moi, terminé-je alors qu'il se détend à vue d'œil. Cet événement se déroule sur deux jours, on a largement le temps de passer au cimetière avant de revenir sans que Lola ne se rende compte de rien.

— Mais... West... gémit mon interlocuteur. C'est à Londres, on pourra jamais aller à Londres dans les temps.

— Si, en avion, c'est possible.

Une angoisse lourde s'abat sur mes épaules quand je pense à la sécurité exacerbée des aéroports, mais je reste focalisé sur Wayne. J'avais anticipé ce genre d'imprévus, ça va aller. Je ne vais pas retourner en prison.

— Je... j'ai pas l'argent pour payer des billets d'avion...

Le désespoir qui érafle son ton tremblant me serre le cœur.

— Moi je l'ai, Wayne. Moi je l'ai.

De nouveaux ruisseaux dégoulinent sur ses joues, mais cette fois, une profonde reconnaissance marque ses traits toujours crispés, et c'est lui qui me prend dans ses bras. Il s'accroche à mes épaules comme si j'avais le pouvoir de le sauver, de lui éviter le naufrage.

— Merci... Merci beaucoup... 


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Coucou tout le monde, comment ça va ? 

Je sais que je devais poster hier, mais finalement hier j'ai posté un texte audio sur Instagram alors je me suis dit que j'allais poster mon chapitre aujourd'hui pour pouvoir poster une petite citation... bref, toute une organisation. J'espère malgré tout que cette partie valait le coup d'attendre.

Du coup, vous pensez quoi des petites bribes de la conversation avec Lola ? Vous avez des hypothèses sur la mort des parents de West, sur les questions qu'elle pose à West ? 

Et à votre avis, quel rapport entre ça et un gala de charité ?

D'ailleurs, vous pensez que c'est une bonne idée de tenter d'aller à Londres en plus des Hampton ? 

Sinon, la musique, l'une des petites nouvelles d'Adèle. Je suis tombé en amour quand elle est sortie, elle vous plaît ? 

Voilà, voilà, c'est tout pour moi. Je suis pas très bavard aujourd'hui, mais j'espère que vous, vous le serez. Je vous dis à jeudi pour la suite, les potes et j'essaie de me dépêcher sur mon retard pour pouvoir continuer de poster plusieurs fois par semaine jusqu'à la fin du roman. 

Je vous souhaite une bonne soirée et vous envoie plein de bonnes ondes. 

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