"You're like an angel but with broken wings.
A heart so cold could never show mercy."
You Stupid Girl – Framing Hanley. (En média).
— Mais... Gale !
Liv trottine derrière moi pour tenter de me rattraper, mais je ne ralentis pas la cadence. Je descends les escaliers à toute vitesse, essayant de toutes mes forces d'ignorer la boule brûlante qui me lacère la gorge. Charlie est mort, il est mort à cause de moi. Une poigne déterminée s'accroche au bas de ma veste et je fais volte-face par réflexe.
— Gale, dis-moi un truc, n'importe quoi...
— Reste ici, j'en ai pas pour longtemps.
Désabusée, Liv se met à rire. Elle se marre, mais elle paraît vide. Vide de tout, ou alors pleine de cynisme, je ne sais pas trop. Tout ce qui me saute aux yeux, c'est qu'elle va beaucoup moins bien que je ne le pensais.
— Mais allez vous faire foutre, tous les trois ! s'écrie-t-elle, acerbe. J'en ai marre d'être votre jouet, merde !
Je hausse un sourcil, mais ne dis rien. Je me contente d'attendre qu'elle gerbe la douleur qu'elle a dans le ventre.
— Je suis pas un bouche-trou émotionnel ! Vous pouvez pas me prendre quand ça vous arrange et me jeter quand le héros de l'histoire se repointe comme une fleur après des années d'absence ! Vous pouvez pas me mêler à votre bordel et ensuite m'interdire de réagir ! Vous pouvez pas attendre de moi que je regarde mon univers se faire la malle sans rien dire ! Vous êtes là, vous partez, vous revenez, vous passez votre temps à tremper dans des trucs pas clairs et la gentille petite Liv elle doit rester enfermée dans sa chambre sans poser de questions, sans s'inquiéter, et sans avoir besoin qu'on la considère comme autre chose qu'une plante verte ? Bah non, j'en ai ma claque. Je suis une personne, un être humain avec des sentiments et je veux plus assister à tous les naufrages de tout le monde en fermant ma gueule. Je veux plus vous voir vous mettre en danger sans rien comprendre, sans rien savoir ! Même ce qui m'arrive, je le sais pas, tu te rends compte de ça ? Vous êtes là, tous terrifiés dès qu'on parle de cette Lola, mais personne est foutu de m'expliquer qui c'est, ou au moins ce que je risque !
Un peu sans voix, je hoche la tête, et les coins de mes lèvres se relèvent.
— Qu'est-ce qui te fait sourire, encore ? s'agace-t-elle avec un peu moins d'aplomb.
— Fallait me le dire plus tôt que tu voulais absolument venir avec moi, je me serais arrangé, la taquiné-je.
Abasourdie, Liv m'observe alors qu'un petit rictus lui échappe. Toute sa colère paraît retomber en un claquement de doigts, et elle secoue la tête avec exaspération.
— T'es con...
— Bon, allez, viens on...
Je n'ai pas le temps d'ajouter autre chose qu'elle fond contre mon torse, en soupirant. À la fois hébété et soulagé, il me faut quelques secondes pour refermer mon étreinte autour d'elle.
— Merci, Gale... souffle-t-elle.
— À ton service, Poupée.
Liv s'écarte de moi, toute grimaçante, et me donne une tape sur les côtes du revers de la main.
— Mais tu t'arrêtes jamais, hein ?
À mon tour de pouffer. Mais cette fois, le rire est sincère, il vient du cœur, et il me fait un bien fou. Sans vraiment réfléchir à ce que je fais, je passe un bras autour des épaules de Liv pour l'entraîner hors de l'hôtel. Attablée au bar en train de faire de la paperasse avec Alaska, Sky relève la tête et me lance un regard suspicieux. C'est pas ce que tu crois, on se détend. Une fois sur le parking, hors de portée de toute oreille indiscrète, je tends mon casque à ma nouvelle accompagnatrice.
— J'ai pas toutes les réponses, mais si t'en as vraiment besoin, on aura qu'à discuter de tout ça en rentrant, okay ?
Les prunelles de cette fille au moins aussi caractérielle qu'insupportable étincellent soudain de ce qui ressemble à de l'espoir alors qu'elle opine en silence. J'acquiesce à mon tour puis l'incite à prendre place sur la moto. Peut-être que je me fais des idées, mais à la façon qu'elle a de me serrer contre elle sous-couvert de sécurité, je crois qu'elle me remercie. D'être là pour elle ? D'essayer de la comprendre ? Je n'en ai aucune idée. En tout cas, sa reconnaissance me réchauffe le cœur. Elle me rappelle que même dans les moments les plus noirs, on arrive toujours à trouver un éclat de lumière quelque part.
Après une poignée de minutes à profiter du vent sur ma peau pour me donner du courage, je gare la moto près d'un trottoir, mais ne descends pas du véhicule pour autant. Derrière moi, je sens Liv gigoter, pourtant je n'esquisse pas le moindre geste, je ne prononce pas le moindre mot, je me contente de scruter la vieille maison qui trône devant nous. Je passe de la porte blanche en haut des marches en béton, aux briques rouges crasseuses qui l'entourent, avant de finir par me concentrer sur cette fenêtre. Celle par laquelle je suis persuadé de l'avoir vue ce soir-là. Aujourd'hui, une espèce de store tombe comme un voile sur l'intérieur de la pièce, mais l'autre nuit, je sais qu'il était ouvert. Je sais qu'elle était là. Je sais qu'elle me regardait de l'autre côté de la vitre.
— Gale, qu'est-ce qu'on fait ici ?
Une main fraîche se dépose sur mon bras, m'extirpant de mes réflexions. Un instant désorienté, je fixe Liv avec circonspection. Debout devant moi, elle paraît inquiète, et même si j'aimerais lui envoyer une vanne ou deux sur le fait que son petit corps ait pu quitter ma moto sans mon aide, je ne parviens pas à articuler quoi que ce soit. Je ne suis pas en mesure de faire de l'humour maintenant. Sans un mot, je descends sur la terre ferme, prends la plus longue inspiration de toute ma vie, et me focalise sur le bâtiment qui a l'air de me défier.
— Si je te dis de rester là, j'ai une chance d'éviter un scandale ? demandé-je mécaniquement.
Un soupir agacé retentit à côté de moi, mais je suis toujours incapable de regarder mon interlocutrice.
— S'il te plaît, Liv... soufflé-je en plongeant enfin mes prunelles dans les siennes. C'est pas contre toi, il faut juste que je fasse ça tout seul. J'ai besoin de faire ça tout seul, tu comprends ?
La supplication baignée de toute la sincérité dont je suis capable que je lui lance à la figure semble la toucher, l'inquiéter même. Les sourcils froncés, elle acquiesce sans un mot. Je la remercie d'un faible geste, et avance vers le petit escalier. À chaque pas supplémentaire en direction la façade rouge, les battements de mon cœur s'intensifient. Ils résonnent, ils grondent, ils éclatent... si fort, que j'ai l'impression de ne plus rien entendre d'autre. Les chants des oiseaux, le bruit du vent, les grognements des moteurs, tout s'efface. Face à la lourde porte en fer blanche, mon corps s'engourdit. Je me sens lourd. Tremblant. L'estomac en vrac, j'appuie sur la sonnette à reculons, et attends.
Plus les secondes passent, plus j'ai envie de faire demi-tour et de me barrer d'ici pour ne plus jamais revenir. Plus les secondes passent, plus je me dis que je devrais attendre encore un peu. Peut-être qu'elle n'est pas là et que j'ai tout inventé à cause de l'alcool. Ou alors elle se méfie et n'ouvre pas à n'importe qui. Une partie de moi prie pour qu'elle ne soit pas là, et que je n'aie pas à l'affronter. L'autre implore l'univers de la faire apparaître devant moi le plus vite possible. À deux doigts de cracher mes tripes nouées sur le sol, je rappuie sur le bouton beige, et patiente encore.
— Mais qu'est-ce que je suis en train de foutre ? Elle a jamais été dans cette baraque, craché-je comme si je voulais qu'elle m'entende et qu'elle me donne tort.
Désespéré, je m'apprête à abandonner, quand une idée m'illumine. Si tu n'ouvres pas aux inconnus, avec ça, tu sauras forcément qui je suis. Le poing serré à m'en faire mal, je toque huit fois contre la porte à un rythme bien précis et cette fois, un son mat arrive jusqu'à moi. La poignée s'abaisse, ma respiration se coupe, et le monde s'arrête. Les bras croisés, les traits durs et les cheveux lâchés, elle me dévisage.
— Savannah...
L'illusion qui m'a longtemps hanté baisse le nez et son air fermé se craquèle à vue d'œil.
— Je savais que c'était toi...
Elle lève des yeux brillants d'émotions dans ma direction, et je dois prendre sur moi pour ne pas la serrer dans mes bras. Pour ne pas l'attraper, la ramener de force à l'hôtel pour qu'elle parle à son frère et qu'elle nous donne des explications.
— Qu'est-ce que tu fais ici, Gale ? Tu ne devrais pas être là, lâche-t-elle en observant les alentours avec méfiance.
Son regard vacille de gauche à droite, avant de s'arrêter sur mon accompagnatrice. Un léger froncement de sourcil lui échappe, mais elle se maîtrise bien vite et se reconcentre sur mon visage. Elle n'a pas changé. Pas le moins du monde. Elle est toujours aussi distante en apparence. Ses vêtements sont toujours sombres, déchirés, et pleins de tête-de-mort. Ses ongles rongés sont toujours recouverts de vernis noir écaillé. C'est exactement la même fille qu'il y a trois ans, sauf que maintenant, je n'ai plus les clés de sa forteresse. Maintenant, elle ne me laisse plus entrer, bien au contraire, on dirait qu'elle me tente de me dissuader de faire un pas de plus vers ses remparts. Face à mon silence, ses yeux s'écarquillent d'une inquiétude à laquelle je ne m'attendais pas.
— Oh non, c'est Wayne, c'est ça ?
Elle respire l'appréhension, et même si sa peur ne m'indiffère pas, je ne me laisse pas emporter par tout ce qu'elle provoque à l'intérieur de ma poitrine.
— Pourquoi ça aurait un rapport avec Wayne ? m'étonné-je.
Je sais que Savannah n'était déjà plus là quand Wayne et West ont démantelé la branche de New York avec l'aide du FBI, mais je ne peux pas croire qu'elle n'en ait pas été informée d'une façon ou d'une autre. En revanche, elle n'a aucun moyen de savoir que son frère est en danger en ce moment. Est-ce qu'elle fait une supposition parce qu'elle est persuadée que c'est la seule raison pour laquelle je pourrais m'acharner à la retrouver ? Est-ce qu'elle est au courant de quelque chose parce qu'elle n'a pas vraiment quitté le milieu du business ? Si ça se trouve, le mec que j'ai vu avec elle, c'était son équipier... Ou pire, son dealer. Mes pensées s'emmêlent, mon cerveau s'embrouille. Je n'arrive pas à rester objectif.
— Parce que...
Savannah se racle la gorge, mais elle a parfaitement conscience que c'est déjà trop tard, elle sait que j'ai remarqué la tension dans le ton de sa voix.
— Parce que ça a toujours un truc à voir avec Wayne, reprend-elle, comme si de rien était.
— Il n'a rien à voir là-dedans.
— Alors pourquoi t'es là ? s'impatiente-t-elle en reprenant ses coups d'œil frénétiques de chaque côté de la rue.
— C'est tout ce que tu trouves à me dire ? Après quatre ans d'absence, le seul truc qui sort de ta bouche, c'est ça ?
Je ne suis pas là pour ça, je ne voulais pas en arriver là, mais je ne peux pas m'en empêcher. Elle n'a pas esquissé le moindre sourire, le moindre geste quand elle m'a vu. Elle n'a pas essayé de se défendre, de se justifier. Elle n'a même pas l'air de regretter un minimum ses actes ou leurs conséquences. Un dégoût puissant me tort le ventre et j'ai soudain envie de lui cracher toute ma rancune, toute mon amertume, toute ma douleur au visage. En fait, je ne l'aime plus. J'ai dépassé le stade de l'amour il y a longtemps. Je la déteste, maintenant. Je la déteste.
— Qu'est-ce que tu voudrais que je te dise ? s'entête-t-elle.
J'ai envie de hurler. De la secouer de toutes mes forces.
— Oh, j'en sais rien, ce qui t'a pris de voler l'arme de mon père. Ce qui t'a pris de la pointer sur Wayne. Ce qui t'a pris de choisir Eleven Stars à ton propre frère et à ton petit copain. Ce qui t'a pris de te barrer sans rien dire en laissant qu'une chanson de merde derrière toi. T'as le choix, je crois.
Je bous. Je bous et je suis à la limite de l'explosion. Comment elle peut rester de marbre comme ça ? Comment elle peut abandonner les gens et les rayer de sa vie aussi facilement ? Est-ce qu'au moins c'était réel, nous deux ? Ma gorge se noue, je ne suis pas sûr d'avoir envie de connaître la réponse à cette dernière question.
— C'est vraiment pas le moment, là, s'agace-t-elle.
Elle tente de me claquer la porte au nez, mais je plaque mon avant-bras sur la paroi claire pour l'obliger à rester ouverte.
— Retourne à l'hôtel, Gale.
Mon cœur rate un battement.
— Comment tu sais que je vis à l'hôtel ?
Savannah devient livide.
— Savannah. Réponds-moi, ordonné-je, soudain angoissé. C'est le mec qui était avec toi, c'est ça ? Le blond, là.
Elle secoue la tête.
— C'est qui ce type ? Ton mec ? Ton collègue ? Ton fournisseur ?
Un rictus mauvais passe violemment la barrière de ses lèvres pincées.
— Mais va te faire foutre, Gale !
— C'est qui cet enfoiré ? Pourquoi il nous espionne ? Tu bosses pour lui ?
— Va-t'en, Gale.
— Savannah, c'est important.
— Dégage, je te dis !
Sa voix déraille, et elle force contre mon bras pour essayer de s'enfermer dans cette baraque maudite. Les yeux clos, je décide de lâcher l'affaire. Si le blond est vraiment son supérieur, alors il est possible que ce soit lui qu'elle cherchait quand elle fouillait les alentours tout à l'heure. Plus je reste ici, plus je me mets en danger. Plus je mets Liv en danger. Il faut que je me tire, quitte à revenir plus tard pour mieux comprendre ce qui se passe.
— À la base, j'étais venu pour t'annoncer la mort de Charlie, lancé-je d'une voix morne en plantant de nouveau mes prunelles dans les siennes. Ton père a appelé aujourd'hui, donc il y a des chances que l'enterrement ait lieu dans la semaine.
Sur cette bombe destructrice, je fais volte-face, et rejoins Liv, qui me scrute avec curiosité.
___________________
Coucou tout le monde, comment ça va ?
J'espère que cette période de fête n'est pas trop difficile pour que vous, que vous êtes entouré.e.s de gens bienveillants ou que vous avez l'opportunité de vous isoler si vous en avez besoin. Si quelqu'un a besoin de parler ou de compagnie, sachez que mes DM sont toujours ouverts.
De mon côté, les fêtes me permette d'avoir un peu de temps pour écrire, donc j'avance sur le chapitre 21 de Je N'ai Plus Peur, qui s'annonce assez long, (tout comme l'était le 20). J'espère que je vais pouvoir un peu rattraper mon retard et retrouver l'avance que j'avais il y a quelques mois, parce ça me ferait chier de devoir vous faire attendre pour poster les prochaines parties de chapitres. Quoi qu'il en soit, j'espère que cette partie vous a plu et qu'elle vous intrigue assez pour attendre la prochaine.
Bref, blablatons un peu :
Vous pensez quoi du mini pétage de câble de Liv ? Vous pensez qu'elle a raison ou juste elle vous saoule ?
Qui s'attendait au "retour" de Savannah ? Qui est content de la voir et qui ne l'est pas ? Vous pensez quoi de sa réaction, d'ailleurs ?
Et ce mec blond, là, à votre avis, c'est qui ? Est-ce qu'il est dangereux, selon vous ? Est-ce que Savannah a peur de lui ?
La musique, c'est pas vraiment l'une de mes préférées mais je l'aime bien et je trouvais qu'elle allait bien avec le contexte, vous aimez ?
Voilà voilà, c'est tout pour moi. Je vous laisse jusqu'à mardi et je vous souhaite de bonnes fêtes si vous fêtez Noël. Un bon courage aux personnes qui se retrouvent seules ou mal accompagnées. Et plein de joie à tout le monde.
N'oubliez pas de prendre soin de vous et de pas écouter les critiques du vieil oncle un peu con. Vous êtes merveilleuxes comme vous êtes, peu importe ce que quiconque puisse dire de vous.
Je vous envoie plein de bonnes ondes, les potes.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top