Chapitre 15 | 1
"I'm so far away from home.
What am I going for ?
How can I know
What I'm fighting for ?"
Alien – Dennis Llyod. (Acoustic). (En média).
J'observe la liasse de billets que je tripote depuis cinq bonnes minutes, et essaie de ne pas me poser de questions sur les intentions de West quand il a mis tout ce fric de côté. Un peu stressé, je recompte la somme que j'ai dans les mains en priant pour que ça suffise aux White Shadows, en priant pour que j'obtienne ce dont j'ai besoin sans me mettre personne à dos. Ça doit suffire, c'est obligé. De toute façon, s'ils me demandent plus que mille dollars, c'est qu'ils essaient de me rouler.
— Bon, quand faut y aller... murmuré-je en sortant de la pièce vide.
Je referme la chambre de West, passe devant la mienne à toute vitesse, mais fais demi-tour lorsque j'arrive aux escaliers ; laisser Liv dans l'ignorance toute seule sur son lit, c'est tout sauf une bonne idée. Il faut au moins que je la prévienne, que je lui assure que je serai de retour dans quelques heures et qu'elle n'a pas à s'en faire pour moi. Qu'elle sache que je suis toujours joignable si jamais elle a besoin de quoi que ce soit. Je passe la tête dans l'embrasure de la porte après avoir toqué, et la petite amie de Wayne sursaute. Ses grands yeux en amande me scrutent, ils m'engloutissent de cette angoisse sourde qui semble les ravager un peu plus chaque seconde.
— J'ai une course à faire, je reviens vite, okay ? Toi, tu restes ici, et si y'a un problème, mon numéro est sur ta table de chevet.
Liv hausse un sourcil, se retourne puis paraît étonnée d'y trouver un morceau de papier sur lequel se trouve mon écriture mal soignée. Elle le glisse dans sa poche et hoche la tête dans ce que je suppose être un remerciement. Je m'apprête à repartir, quand sa voix finit par se faire entendre.
— Tu sais ce qu'ils sont en train de leur faire, là-bas ?
L'inquiétude intense que je perçois dans le timbre de Liv me ramène durement à la mienne, pourtant je reste impassible.
— Je connais les grandes lignes, mais je peux pas savoir avec exactitude.
— Mais ils vont rentrer, n'est-ce pas ?
Je fais la moue. La fragilité de cette fille me perturbe. Est-ce que c'est parce que je n'ai vu d'elle que cette force féroce qui l'a caractérisée pendant deux ans ? Est-ce que c'est parce que la détresse de n'importe qui pourrait me toucher ? Je n'en sais rien, mais en tout cas, cette sensation de vouloir la protéger de tout m'envahit de plus en plus et je ne suis pas sûr d'aimer ça.
— Bien sûr qu'ils vont rentrer, rétorqué-je avec bienveillance.
Ils ont intérêt.
Elle opine et cette fois, je m'en vais pour de bon. Je dévale les marches quatre à quatre puis ralentis quand je passe devant le bar d'accueil, en espérant y trouver Sky. Manque de bol, le comptoir est à l'abandon et le corridor semble désert. Je jure dans ma barbe mais ne me laisse pas décourager. Après tout, je connais les White Shadows, j'arriverai bien à en trouver un ou deux si je passe les rues de Chicago au crible.
— T'avais besoin d'un truc, peut-être ?
Surpris, je fais volte-face et découvre Sky en train d'astiquer une petite table en verre cachée derrière le renfoncement d'un mur, juste sur ma droite. La jolie blonde me sourit et je perds un instant conscience du temps. Putain que ce sourire m'avait manqué. Je la détaille avec curiosité, mais à part ses longs cheveux raides, j'ai l'impression que chez elle, rien n'a changé. Elle semble toujours aussi sûre d'elle, elle s'habille toujours avec les mêmes vêtements noirs déchirés de partout, elle porte toujours les mêmes bijoux en faux cuir foncé ainsi que le bracelet que West lui a offert pour ses seize ans et elle se maquille toujours uniquement les paupières de nuances de gris. Elle paraît peut-être plus fatiguée par la vie qu'elle ne l'était, mais je crois qu'on l'est tous un peu. Je crois qu'on ne peut pas échapper aux tragédies qui nous fracassent, qui nous épuisent.
— Gale ?
— Ouais, non... non, j'ai ce qu'il me faut, lâché-je dans un mensonge ridicule.
Je crois qu'en fait, je n'ai pas envie de lui demander son aide. Je ne veux pas que les premiers vrais mots qu'on échange après cinq ans de silence soient à propos des White Shadows. Elle ne mérite pas que je débarque dans son quotidien comme une furie et que je la replonge dans les affres du passé.
— Gale, je ne te connais peut-être pas aussi bien que West, mais je te connais quand même pas trop mal. C'est écrit sur ton front que tu me racontes des conneries. Alors dis-moi, qu'est-ce que je peux faire pour toi ?
Je lâche un léger rictus alors que Sky croise ses bras sur sa poitrine avec nonchalance. Elle me défie du regard et je sais que désormais, je n'ai plus le choix. Je ne sortirai pas d'ici tant qu'elle n'aura pas sa réponse.
— Je me demandais si t'avais toujours des contacts avec Storm, lancé-je de but en blanc. Vous êtes parties sur Chicago quasiment au même moment alors je me suis dit que tu saurais peut-être où la trouver.
— Storm ? éructe-t-elle avec mépris.
J'acquiesce, sans m'attarder sur ses prunelles qui s'assombrissent.
— Bah dis-moi, tu perds pas ton temps pour retrouver ton plan cul.
— Tu sais où la trouver, ou pas ? m'agacé-je en prenant sur moi pour ne surtout pas relever sa remarque.
Sky soupire.
— La dernière fois que je l'ai vue, elle traînait au nord de State Street, près d'un pub. Le Rossi's.
Persuadé d'avoir déjà entendu parler de ce bar, je fouille dans mes souvenirs pour tenter de retracer le chemin qui pourrait m'y mener le plus rapidement possible en partant d'ici. Après une gymnastique mentale inutile, je finis par remercier Sky puis sors mon téléphone de ma poche pour trouver un itinéraire.
— Gale... reprend mon interlocutrice qui n'a pas bougé.
Interpellé par son ton soudain mélancolique, je relève le nez vers elle.
— Promets-moi de pas la laisser te retourner le cerveau.
Je hausse un sourcil sans comprendre.
— Elle t'a déjà brisé le cœur une fois, je ne voudrais pas qu'elle recommence, s'explique Sky.
Elle ne m'a pas brisé le cœur, elle a pris le contrôle et ensuite la vie nous a séparés.
— T'inquiète pas, une autre fille l'a pulvérisé, entre temps. Y'a plus rien à abîmer, lâché-je avec amertume.
Les yeux noisette de Ninnah s'allument dans mon esprit comme d'anciennes lueurs du passé, et pour la première fois depuis qu'elle est partie, aucune douleur fulgurante ne me traverse. Je lui en veux encore, j'ai toujours besoin d'explications, pourtant, à cet instant précis, je n'ai pas mal. Je me sens juste trahi, et peut-être un brin écœuré aussi. Qu'est-ce qui m'arrive ? Pourquoi mes émotions ne me submergent-elles pas ?
La grimace peu rassurée de Sky me ramène à la réalité, et je lâche un petit rire forcé. Comment peut-elle encore s'inquiéter pour moi après tout ce temps ? Pourquoi m'accorde-t-elle encore autant d'importance ? Elle devrait m'en vouloir, m'ignorer, me rappeler que je l'ai abandonnée quand il a fallu choisir entre West et elle. Pourtant elle reste là, à me scruter, comme si elle était prête à m'empêcher de partir pour me sauver de ma prochaine erreur de parcours.
— Ce que je veux dire, c'est qu'il y a plus rien entre nous, t'as pas à t'en faire.
Sky n'a pas l'air convaincue, mais elle hoche tout de même la tête. Je la salue d'un geste du menton, puis m'engouffre dans les rues de Chicago, une carte virtuelle à la main.
***
Arrivé devant le pub, j'analyse les environs avec méfiance. À cette heure-ci, les clients commencent à affluer et quelques mecs costaux passent devant moi en me dévisageant pour pouvoir passer la porte en bois rouge peu avenante. Sans faire attention à leurs gros bras tatoués, je reste concentré sur la devanture en bois vert foncé. Des néons bleus et rouges en forme de marque d'alcool clignotent des deux côtés de l'entrée alors que le store banne recouvert d'informations sur lequel est inscrit le nom du bar en grosses lettres rouges, nous indique avec certitude que c'est ici qu'on peut retrouver les meilleures bières du pays. J'hésite encore plusieurs secondes, mais j'ai bien conscience qu'il va falloir que j'entre dans cet endroit ou que je m'en aille vite parce que les regards qu'on me lancent se veulent de plus en plus insistants et je n'ai pas vraiment le temps de déclencher une bagarre maintenant. Ce n'est pas ici qu'elle fait son business, je n'y crois pas. Ces ivrognes aux airs d'ours mal léchés ne correspondent pas au genre de clientèle des White Shadows. Alors que je me m'apprête malgré tout à pénétrer dans le vieux bâtiment pour en avoir le cœur net, trois jeunes un peu inconscients attirent mon attention ; fiers comme des coqs, ils brandissent leurs petits sachets en plastique contenant un comprimé ou deux chacun puis se mettent à rire.
— Je te jure que ça, c'est pas de la merde ! s'exclame un brun alors qu'il passe devant moi.
— Pour le prix, y'a intérêt, mec. Sinon tu me rends mon oseille ! lui répond un autre en remettant sa casquette grise en place.
Le troisième, bien plus jeune, est un peu à la traîne et me permet de comprendre un peu mieux d'où ils sortent et surtout, où ils se sont fournis. Ni une ni deux, je me précipite vers la ruelle qui juxtapose le bar et, après un instant de recherche, tombe enfin sur une porte qui ressemble déjà plus au genre de planque des White Shadows. Je tire sur la poignée en ferraille, m'engouffre dans un long couloir sombre et finis par me retrouver dans une sorte de boîte de nuit assez délabrée. Un peu tendu, j'observe les alentours avec curiosité, en me demandant pourquoi je ne me suis pas retrouvé face à deux armoires à glace qui s'occuperaient de la sécurité du club. Ici, la musique est forte. Trop forte. Des tonnes de lumières roses et violacées défilent sur les murs avec quelques lasers multicolores, et même si tous ces trucs me filent mal au crâne, les gens autour de moi semblent apprécier l'ambiance. Tout le monde s'agite, boit, s'amuse. Les corps en sueur sautent, se déhanchent, se frottent les uns aux autres pendant que des danseuses font le show sur des plateformes surélevées munies de barres de pole dance. Assis sur des banquettes rouges et un verre à la main, des types en costards reluquent les filles dénudées alors qu'ils se font aguicher par d'autres.
— Salut toi... m'apostrophe un ton langoureux, au-dessus des basses qui martèlent l'atmosphère.
Je lâche les gros porcs des yeux, puis tombe nez à nez avec une jolie blonde en mini-jupe et décolleté plongeant. Avec ses couettes et ses oreilles de lapin roses sur un serre-tête, j'ai presque l'impression d'être face à une écolière. Une petite moue manque de m'échapper. C'est justement l'objectif.
— Je suis pas là pour ça, la coupé-je pour qu'elle arrête son petit numéro.
— Dommage... soupire-t-elle avec ostentation. T'es plutôt mignon, on aurait pu passer du bon temps.
— Tu prends combien de l'heure normalement ?
Un sourire s'invite sur ses lèvres brillantes de gloss, et la lapine se colle contre moi alors que je m'accoude sur le comptoir, les prunelles rivées sur la foule en transe.
— 300, mais pour toi, je peux descendre à 200, si tu veux...
Son expression alanguie me tape sur les nerfs, pourtant je relève un coin de ma bouche pour qu'elle s'imagine que sa fausse proposition m'intéresse. Je suis persuadé qu'elle ne prend pas 300 dollars de l'heure, elle essaie simplement de me soutirer plus que ce qu'elle n'a l'habitude d'avoir.
— 200, hein ? Et si je te filais 200 dollars, mais en échange d'une information, ça t'irait ?
La main baladeuse, la lapine arrête ses caresses appuyées sur mon torse et me dévisage.
— Quel genre d'information ?
— Si tu me dis où je peux trouver Storm, t'as ta thune.
La blonde considère mon offre en jetant plusieurs coups d'œil quelque part sur ma gauche. J'en déduis que Storm est bien ici, et qu'elle se cache par là-bas, mais je ne fais aucun mouvement. Je reste focalisé sur les clients de la boite pour ne surtout pas laisser paraître quoi que ce soit. Il ne faut pas que cette fille se croie indispensable, il faut que je garde le contrôle sur la situation. Sur la négociation.
« Le secret, c'est la confiance, Gale. Si t'as l'air confiant, tu peux obtenir n'importe quoi de n'importe qui. »
Je revois encore West m'expliquer tout ce que Gambino et Lola lui apprenaient quotidiennement. Il essayait de toutes ses forces de me faire retenir la leçon parce qu'il craignait que nos supérieurs ne fassent qu'une bouchée de moi. Je dois bien avouer que si un jour on m'avait dit que je finirais par user de leurs méthodes pour arriver à mes fins, je n'y aurais pas cru. Je n'aurais pas voulu le croire. Ce n'est pas moi, ce genre de conneries. Pourtant aujourd'hui, c'est le genre de personne que je suis en train de devenir.
— Montre l'argent d'abord, lance la lapine, tout de suite moins tendre.
Satisfait, je m'écarte un peu d'elle, et sors mon portefeuille qui contient deux billets de 100 dollars. Par instinct, je passe ma main sur mon pantalon pour vérifier que la liasse de West n'a pas bougé de ma poche, puis agite la thune sous le nez de la blonde.
— Au fond de la salle, y'a des toilettes. Dans celles des femmes, tu pourras peut-être la trouver. Sinon c'est qu'elle est à l'étage.
Le changement radical de personnalité de la lapine me surprendrait presque mais je me contente d'analyser les alentours pour repérer les sanitaires et les escaliers.
— Tu l'as vue, aujourd'hui ? T'es sûre qu'elle est là ?
— C'est bien une fille noire un peu punk, les cheveux gris et frisés, tout le temps vénère ?
Y'a pas de doute, c'est bien Storm.
— Un truc comme ça, ouais.
— Alors oui, elle est ici. Elle est arrivée il y a deux heures et elle est pas ressortie.
— Okay, merci, lâché-je en laissant les billets sur le tabouret de bar pour me diriger vers le fond de la salle.
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Coucou tout le monde, commence ça va ?
Moi je suis un peu moins dans le rush, alors je peux me remettre à écrire pour rattraper mon retard sur Je N'ai Plus Peur. ça avance relativement bien puisque j'ai écrit les deux tiers du chapitre 18. (Chapitre 18 qui va avoir un point commun avec le chapitre 18 du Tome I, et c'était même pas voulu !) J'ai terminé l'une de mes deux bêtas et mon projet/annonce avance bien. J'ai failli être bloqué par des problèmes administratifs, mais finalement tout s'est réglé, donc si je garde le rythme, tout sera fait dans les temps, et ça c'est cool. J'ai encore deux trois hésitations et beaucoup de stress, mais j'espère vraiment que ça vaudra le coup et que ça vous plaira, que vous répondrez présent.e.s.
Sinon, là, on attaque un chapitre qui m'intimide un peu. Comme je vous l'ai dit dans la partie précédente, ce chapitre comporte une scène, un thème que je n'ai encore jamais abordé dans mes histoires, que je n'ai jamais écrit, donc je suis un peu stressé à l'idée de le poster. C'est dans la dernière partie du chapitre, mais j'espère vraiment que je me suis pas foiré et que ça va vous plaire. En attendant, j'espère que cette partie là vous donne envie de découvrir la suite.
Bref, bref, j'arrête de parler, et je vous laisse la parole, un peu.
Gale est déterminé à entrer en contact avec les White Shadows, à votre avis, il fait bien ? Est-ce qu'il ne se mettrait pas plus en danger qu'autre chose ?
D'ailleurs, vous comprenez qu'il prenne un tel risque pour Liv, cette fille qu'il dit ne pas supporter ?
Et Storm, alors ? À vu de nez, comme ça, elle vous inspire quoi ? On peut lui faire confiance, vous croyez ?
Pour la musique, on dit merci à Dinalya9, qui me l'a fait découvrir sur Instagram ! Merci à toi. Et du coup, elle vous plait ?
Voilà, voilà, c'est tout pour moi. Je vous souhaite une belle soirée et vous dis à samedi !
Je vous envoie plein de force et plein de bonnes ondes.
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