Chapitre 14 | 3
"I blame you, you blame me.
I'm bitter, you're angry.
You don't care, I don't care."
Ugly – The Exies. (En média).
— Mais à quoi tu pensais ? hurlé-je si fort que je pourrais faire trembler toute la chambre. T'étais prêt à devenir un tueur juste pour me défier ?! Juste pour faire le contraire de ce que je te disais de faire ?!
Ma rage est si puissante, si bruyante que je suis convaincu que Gale et Olive, sans doute présents dans la pièce d'à côté, n'en loupent pas une miette. Wayne me dévisage, l'air sombre et les sourcils froncés.
— Tu n'es pas celui à qui j'étais censé obéir, rétorque-t-il froidement.
Mon estomac fait un bond et ma colère semble encore augmenter d'un cran.
— Alors c'est comme ça que tu veux que ça se passe entre nous, maintenant ? Hein ?
Mon interlocuteur me fixe, pourtant il ne répond pas. Il ne dit rien, et ça me fait bouillir.
— Tu veux que je te traite juste comme un putain sous-fifre, c'est ça que tu veux ? Qu'on soit plus que des partenaires dans le crime ? insisté-je avec de grands gestes viscéraux.
— Parce que c'est pas ce qu'on est ?
Je ne sais pas s'il me provoque ou s'il cherche à comprendre ce qui nous lie encore, mais à cette simple question, mon cerveau disjoncte. Hors de contrôle, je fonce sur lui et le plaque contre le mur avec une violence inouïe. Un bruit sourd éclate, il grimace, pourtant il ne bronche pas. Il se contente de me dévisager sans flancher une seule seconde. À bout de nerfs, j'appuie sur sa gorge avec mon avant-bras en collant mon corps tout entier contre le sien pour l'immobiliser. Son souffle tiède se dépose sur ma peau, mais pour la première fois depuis que je le connais, ça ne m'atteint pas. Ça ne me procure pas la moindre sensation.
— Donc tu veux vraiment que je te traite comme ça ? Que je te regarde dans les yeux et que je t'ordonne de faire ce que je te dis ? Qu'ici, t'es sur mon territoire, donc tu suis mes règles ? C'est ça que tu veux ?
Contre mon torse, son cœur bat la chamade. Est-ce qu'il a peur de moi ? Est-ce que c'est ça que je suis devenu pour lui, une menace ? Comme s'il répondait à mes questions muettes, Wayne secoue la tête de droite à gauche alors qu'une lueur aussi triste que furtive passe dans ses prunelles vertes.
— Pourquoi tu te mets dans cet état ? souffle-t-il en tirant sur mon biceps pour respirer. Il ne s'est rien passé, non ?
Ouais, il s'est rien passé.
La scène tourne en boucle dans ma tête. Je revois Wayne respirer profondément, je réentends l'explosion réduire mes espoirs au silence. J'ai l'impression de me retourner de nouveau vers la victime et de manquer de m'écrouler quand je me rends compte qu'elle n'a rien. C'était des cartouches à blanc. Des putains de cartouches à blanc. Je m'en veux. Je m'en veux tellement de pas l'avoir remarqué. D'avoir été trop focalisé sur ma honte et ma crainte maladive de décevoir Wayne une énième fois pour regarder avec attention l'arme qu'il avait dans les mains. Je sais reconnaître les pistolets à blanc, en plus. J'ai été entraîné pour ça. Lola l'avait anticipé, j'en suis certain. Elle l'avait même vu venir gros comme une maison et c'est pour ça qu'à moi, elle m'a filé le flingue couleur chrome et pas l'un des noirs qu'il y avait dans le bac en plastique. Parce qu'à moi, elle m'en a donné un vrai.
— Lola n'a peut-être même jamais eu pour but de faire de moi un meurtrier, reprend mon binôme quand il fait face à mon mutisme. Elle voulait juste voir si j'allais oser lui faire confiance.
Presque hystérique, je lâche un rire mauvais. Un rire cynique. Un rire qui pourrait me faire perdre les pédales.
— Ah ouais, t'as raison ! C'est tout à fait son style de la jouer bon samaritain !
Je ris encore. Je ne peux plus m'arrêter.
— Tu peux pas être si naïf, c'est pas possible, craché-je. Qu'est-ce que tu crois ? Si elle a pas fait tuer ce mec, c'est parce qu'il lui déplaisait pas tant que ça, mais qu'il avait besoin d'une bonne leçon. Pas parce qu'elle voulait te donner une raison de te fier à elle ! Si ce mec avait raté ses tests, je te garantis que les balles auraient été réelles, Wayne.
Ce dernier pâlit, mais se renfrogne. Il se noie dans sa fierté mal placée.
— Et comment tu peux savoir ça ?
Oh, j'en sais rien, peut-être en ayant côtoyé cette femme presque toute ma vie ? Ou peut-être en ayant déjà passé ces foutus tests ?
Écœuré, je pousse contre le torse de Wayne, avant de m'éloigner et de lui tourner le dos pour surtout éviter de lui exploser en pleine figure. Après quelques secondes à fixer les rideaux en tissu, je pivote vers le mur de gauche, de sorte à avoir mon binôme dans mon champ de vision sans pour autant l'affronter vraiment.
— Je connais Lola, voilà comment je le sais ! Je connais son initiation à la con ! Les admissions de chacun sont différentes, mais il y a une épreuve qui ne change jamais : celle de l'exécution. Tout le monde y passe, tout le monde. Sauf qu'on sait jamais qui va être sur cette putain de chaise devant le canon du flingue. Un gosse innocent ? Un dealer de longue date ? Un meurtrier ? Un otage ? On a aucun moyen de le savoir, et on sait pas non plus si on va finir par le tuer ou pas. Tout ce qu'on peut faire, c'est obéir comme des robots, c'est tout ! Est-ce que tu t'imagines ce qu'on ressent une fois qu'on apprend que le mec sur qui on a tiré, c'était quelqu'un de bien, quelqu'un qui avait rien à foutre là ? Ou quand on constate que c'était un gamin, un mioche qui pourrait être notre petit frère, ou notre fils, même, pour certains d'entre nous ?
L'expression buttée de mon interlocuteur faiblit, pourtant l'amertume dans sa voix reste identique.
— Et qu'est-ce que tu voulais que je fasse, au juste ? Que je te fasse confiance aveuglément ?
Sa question m'irrite et ma haine éclate un peu plus dans ma poitrine. J'ai chaud, je crève de chaud. J'ai l'impression que l'incendie de ma colère irradie de chacun des pores de ma peau et qu'il ne va pas tarder à enflammer toute la pièce. Pourtant je ne bouge pas. Je reste focalisé sur l'oxygène que je fais entrer de force dans mes poumons.
— Oui, c'est ça que je voulais que tu fasses ! Que tu me fasses plus confiance qu'à elle, Wayne ! Je sais que t'as plus aucune raison de t'en remettre à moi, mais j'avais quand même l'espoir qu'à choisir entre une meurtrière avérée et moi, tu ferais un pas dans ma direction !
Ma voix s'écorche et Wayne tressaille. Pourquoi j'ai mal comme ça ? Pourquoi je me sens trahi ? Ça n'a pas le moindre sens. C'est moi qui suis parti, c'est moi qui ai provoqué ça. Je n'ai aucune légitimité à attendre de Wayne qu'il me choisisse face à qui que ce soit.
— Et quoi ? réplique-t-il avec un peu moins d'assurance. J'aurais dû la laisser me mettre une balle dans la tête ? Parce que je te signale que c'est ce qu'elle aurait fait si je n'avais pas obtempéré.
Piqué à vif, je fais volte-face et ancre mon regard dans le sien. La boule dans ma gorge grossit de seconde en seconde et je vomis un rictus désabusé pour tenter de soulager la douleur.
— Tu crois vraiment que je t'aurais dit de ne pas tirer si j'avais eu ne serait-ce qu'un minuscule doute là-dessus ? Si j'avais cru que ça pouvait te coûter la vie ? soufflé-je, soudain épuisé.
Devant la blessure qui suinte du ton de ma voix, Wayne écarquille les yeux. J'ai l'impression qu'il ne s'attendait pas à être exposé à ma détresse, qu'il ne sait pas comment la gérer.
— Que je sois plus un mec fiable pour toi, je peux comprendre. Mais que tu penses que je pourrais te mettre en danger... que je pourrais te pousser sciemment vers la mort...
Mes mots s'éteignent, ils s'évaporent avant même de parvenir jusqu'à mes lèvres parce qu'ils me font beaucoup trop de mal. Ils sont beaucoup trop difficiles à prononcer. Il ne peut pas penser ça, pas lui, pas de moi. Il ne peut pas me haïr au point d'oublier qui je suis... Mon binôme semble sous le choc, paralysé. Comme s'il découvrait que cette situation pouvait me déchirer, moi aussi. Comme si c'était invraisemblable que je puisse souffrir à cause de lui. Pour lui.
— Je la connais, réitéré-je d'un ton éraillé. Je connais ses tests. Je les ai passés. Deux fois. Et j'en ai vus plusieurs les passer après moi. Lola ne t'aurait pas éliminé si tu n'avais pas appuyé sur la détente. Elle t'aurait rajouté des épreuves, c'est vrai, mais elle se serait pas basée sur ton incapacité à commettre un meurtre pour savoir si oui ou non elle te trouve intéressant. Elle ne recherche pas des tueurs, Wayne. Elle recherche des dealers, des vendeurs, des négociateurs. D'ailleurs, la plupart des nouvelles recrues ne tire pas lors de l'épreuve d'exécution.
Je me sens vide. Complètement vide. Comme si prendre conscience de ce que j'ai perdu, de la chute libre que j'ai fait dans l'estime de Wayne aspirait toute mon énergie. D'un seul coup, sa respiration s'accélère et il manque de s'écrouler sur le sol. Il se rattrape de justesse à la porte, puis place son autre main devant sa bouche grande ouverte alors que ses larmes s'effondrent sur ses joues.
— J'ai tiré, s'étouffe-t-il. Sans la moindre hésitation. J'ai tiré. J'aurais pu tuer quelqu'un. De sang-froid. J'ai tiré, West. Je suis un monstre, un monstre...
Ses gémissements m'arrachent le cœur, mais ce n'est que lorsqu'il éclate en sanglots que la souffrance se propage réellement dans mes veines. Agenouillé sur la moquette, il réalise ce qu'il a fait, ce qu'il aurait pu devenir, et je crois que ça lui fait peur. Son désespoir si soudain me tétanise, il me cloue sur place et la seule chose que je suis en mesure de faire, c'est de le regarder. Je le scrute, je retiens mes larmes, je prie pour qu'il arrête de pleurer.
— Je suis pas comme ça, West... Je suis pas comme ça, me soutient-il en relevant le nez vers moi.
Dans ses prunelles rougies, brillantes, noyées, je vois qu'il essaie de me convaincre. Il tente de me persuader qu'il n'est pas devenu ce genre de personne. Comme si c'était même possible que je pense un truc pareil. La supplication sourde que je lis dans son regard me débloque et mon corps reprend vie. Prudent, je m'approche en douceur puis m'accroupis à quelques centimètres de lui. Je l'observe un instant, sans avoir comment réagir. Sans savoir ce que j'ai le droit de faire ou pas. Mais lorsqu'il baisse de nouveau les yeux dans une honte plus qu'évidente, je ne réfléchis plus. Je dépose ma main sur sa joue droite et essuie de mon pouce le déluge qui s'éclate sur sa peau. D'abord surpris, il se fige et je me dis que je suis allé trop loin, qu'il va me repousser avec toute la violence que je mérite. Au lieu de ça, ses paupières engloutissent sa noyade, ses sourcils se crispent et il penche la tête contre ma paume en inspirant brusquement. On dirait qu'il peine à y croire, qu'il a l'impression de rêver ce contact entre nous alors que moi, j'ai la sensation que rien n'a jamais été aussi réel. Que jusque-là, je vivais à peine. Que jusque-là, mes émotions étaient anesthésiées, dysfonctionnelles. Plus en confiance, je glisse mon autre main sur sa deuxième joue, puis dépose mon front contre le sien.
— Je sais que c'est pas toi, Wayne, murmuré-je, la gorge en feu. Tu n'es pas un criminel, tu es quelqu'un de bien. Tu l'as toujours été.
Ses prunelles scintillantes réapparaissent, et c'est à mon tour de perdre pied. Je suis submergé par l'intensité des sentiments qui émanent de lui. Cette puissance... elle m'avait manqué. Tellement manqué.
— Tu le penses vraiment ?
Ses lèvres frôlent les miennes lorsqu'il prononce ces quelques mots, et il me faut une seconde pour me focaliser sur autre chose. Pour comprendre le sens de sa question.
— Je l'ai toujours pensé. Ça n'a pas changé, et ça, ça ne changera jamais. Tu es une bonne personne, Wayne.
— Pourtant j'ai tiré...
Deux nouveaux ruisseaux se fraient un chemin entre mes doigts, mais je ne les laisse pas m'atteindre. Je reste fort, aussi fort que Gale quand il me sauve de moi-même alors qu'il a envie de s'écrouler.
— Oublie ça. Tu n'étais pas toi-même, et personne n'est mort. Tu n'as blessé personne. Ne te torture pas l'esprit avec ça, tu ne le mérites pas. C'était une erreur. Une simple erreur. Sans importance, sans conséquence. Garde tes forces pour la suite des tests, demain.
Wayne se redresse et quand je pense qu'il veut que je le lâche et que je m'en aille, il s'approche de nouveau pour me prendre dans ses bras. Son étreinte me parait si inattendue, si improbable qu'il me faut un temps pour réaliser. Pour être sûr que je suis bien celui qu'il serre contre lui. Je finis par la lui rendre avec un soulagement triste, mais un soulagement quand même. Une bouffée d'air frais, un espoir naissant. Il s'accroche à moi comme à une bouée de sauvetage, et je m'accroche à lui comme si on venait de me rendre ma vie.
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Coucou tout le monde, désolé pour l'heure tardive, j'avais oublié quel jour on était...
Avant de passer aux questions, je vous annonce, pour les gens qui ne le savent pas encore, que N'aie Pas Peur a été présélectionnée pour les Wattys 2021 ! Vous pouvez désormais trouver le roman dans la liste de lecture du compte officiel des Wattys, et ça me rend un peu fier quand même. Du coup, croisez les doigts pour mon bébé jusqu'au 3 décembre les potes !
J'en profite aussi pour vous remercier parce que, grace à vous, Je N'ai Plus Peur vient de dépasser les 1.9K vues, et ça me fait super plaisir. ça me motive beaucoup pour la suite, surtout qu'en ce moment ce n'est pas hyper simple pour moi parce que j'ai énormément de projets à gérer en même temps, alors voir que ma petite bulle sur Wattpad se porte bien me soulage.
Du coup, la réaction de West, vous la comprenez ? Ou vous restez convaincu.e.s que Wayne a bien fait de tirer, peu importe les conséquences que ça aurait pu avoir ?
La team à fond pour la réunification du couple, on est content ? Qui pense qu'ils vont finir ensemble à la fin du roman ? Qui pense que non ? Pourquoi ?
J'ai pas de troisième question pertinente, donc si jamais vous voulez me dire un peu vos hypothèses, vos pensées ou ce que vous avez aimé dans ce chapitre, n'hésitez pas.
Et la chanson, alors, elle est un peu spéciale, mais vous en pensez quoi ?
Voilà, voilà, c'est tout pour moi. Je vais retourner bosser du coup, parce que j'ai plusieurs deadlines à tenir. Je vous souhaite une belle soirée en espérant que ce chapitre vous a plu. Je stress un peu pour le chapitre suivant, y'a un type de scène que j'avais jamais écrit auparavant, alors je ne sais pas trop ce que ça va donner, j'espère que ça vous plaira. Bref, j'arrête de paniquer, de toute façon, c'est pour la semaine prochaine.
Je vous envoie plein de bonnes ondes, plein de positivité, et n'oubliez pas de croiser les doigts pour mon bébé aux Wattys !
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