Chapitre 11 | 1

"Maybe I'm, maybe I'm just as scared as you,

It's alright, stay by my side.

On the edge, on the edge of everything we know,

It's alright, just don't look down."

Close Your Eyes – Rhodes. (En média).


Habitué aux nuits agitées de Wayne, je ne réagis pas. Je me contente de soupirer en espérant que Liv prenne le relais comme elle le fait à chaque fois qu'elle dort ici mais, recluse dans un coin de la cuisine, elle ne bouge pas d'un centimètre. Plus la voix de Wayne s'écorche, plus West paraît inquiet. Il me lance plusieurs regards interrogateurs, avant de finalement se précipiter vers la chambre lorsqu'il entend son prénom fuser dans l'appartement tel un appel au secours. Ni une, ni deux, je lui emboîte le pas sans pour autant entrer dans la pièce sombre avec lui. Prudent, mon frère s'approche du lit et se plante à côté de son ancien amour qui semble en pleine bataille avec lui-même alors que je les observe depuis l'embrasure de la porte. La couverture entremêlée à ses jambes, Wayne remue dans tous les sens. Sa respiration est rauque, ses mouvements saccadés et il ne cesse de supplier West de ne pas faire quelque chose, de rester avec lui, de ne pas l'abandonner. Son timbre déchiré me retourne le ventre autant que sa peur panique de voir son ex-petit-ami s'en aller mais je ne cille pas.

Wayne a beau le cacher derrière des couches et des couches de rancœur, chaque soir, ses véritables sentiments reviennent le hanter. Chaque soir, ses cauchemars me rappellent à quel point le lien qu'il avait avec mon frère était fort. Chaque soir, je comprends que sa haine contre West n'est qu'un moyen de se protéger, et mes doutes s'envolent. Plus délicat que jamais, West place sa main sur la joue de l'amour de sa vie en lui murmurant quelque chose que je n'entends pas. Ce dernier cesse de gigoter, et je crois que ses paupières s'ouvrent. Incapable de leur laisser un peu d'intimité, je les scrute tous les deux, me tenant prêt à intervenir si jamais leur faible rapprochement venait à dégénérer. Un lourd sanglot éclate et West se penche au-dessus de Wayne pour déposer son front contre le sien. Ses chuchotements continuent, doux, rassurants, apaisants tandis qu'il dépose la paume de Wayne contre son torse.

Aussi touché que mon ami toujours à moitié endormi, je ravale la boule douloureuse qui se forme dans ma gorge petit à petit. Je les ai vus faire ça des centaines de fois. Ce geste pourtant anodin est l'un des symboles les plus puissants de leur histoire ; une façon pour West de prouver qu'il respire, que personne n'a encore réussi à l'avoir, qu'il est bien vivant. Qu'il est là, qu'il ne va nulle part, et aujourd'hui, je prie secrètement pour que cette caresse signifie qu'il est décidé à revenir pour de bon, sans plus nous laisser à l'écart de sa vie et de ce qui s'y passe. À mesure que les secondes s'écoulent et que West articule tous les bons mots que Liv et moi ne sommes pas fichus de trouver, Wayne se calme. Il se calme vraiment. Il se calme comme je ne l'ai jamais vu se calmer depuis des années. Sur sa joue, le pouce de mon frère dessine de nombreux cercles et quand ses pleurs finissent par se tarir, un immense soulagement envahit ma poitrine. Putain ce que ça fait du bien. J'ai l'impression que l'oxygène s'empare enfin de mes poumons après une éternité d'apnée, que la pièce manquante pour relancer la machine vient de réapparaître. Ça va aller, maintenant. La famille est réunie.

La crise passée, West se redresse puis s'apprête à revenir vers moi, lorsque Wayne le retient par le bras. Désespéré, il implore mon frère de ne pas s'en aller et va même jusqu'à lui faire de la place à côté de lui pour l'inciter à s'installer. Je ne sais pas à quoi il joue, mais il semble en avoir besoin. Comme s'il était terrorisé à l'idée de se séparer de West, comme si en l'autorisant à sortir de la salle il pouvait le perdre encore une fois. D'abord hésitant, mon meilleur ami s'immobilise mais lorsque la voix basse de Wayne retentit, West cède, s'allonge et passe un bras autour des épaules de son ex-copain alors que ce dernier s'accroche à lui dans une détresse impressionnante.

— Mais dites-moi que je rêve, c'est pas possible...

Interpellé par le ton désabusé qui s'effondre dans mon dos, je fais volte-face et me retrouve nez à nez avec le cœur brisé de Liv. Sous le choc, il lui faut quelques instants avant de se rendre compte que je la dévisage sans savoir comment réagir. Est-ce que je devrais dire quelque chose ? Est-ce que je devrais essayer de la rassurer ? De la réconforter ? Cette désillusion qui brille au fond de ses yeux, je la connais par cœur. Je l'ai ressentie plus d'une fois avec Savannah, pourtant je ne sais pas comment l'affronter. Je n'ai aucune idée de ce qui pourrait l'aider à digérer ce qu'elle est en train de voir. Tous les deux bloqués, on se regarde en chien de faïence un long moment avant que Liv ne batte en retraite pour se diriger vers la sortie. Sans trop savoir pourquoi, je me lance à sa poursuite.

— Liv, attends !

— Quoi ? crache-t-elle.

— Où est-ce que tu vas, comme ça ?

— N'importe où, mais pas ici. Pourquoi, tu veux m'offrir un remontant, peut-être ?

Loin de m'impressionner, son amertume me touche. Ce sentiment d'impuissance et de dégoût qu'on peut avoir en observant la personne qu'on aime s'éloigner, je le connais bien. Je le connais tellement bien que j'aimerais pouvoir lui éviter ça. Malgré son caractère de merde, son parfum insupportable et le don qu'à cette fille à me faire sortir de mes gonds, je n'ai pas envie qu'elle se retrouve seule dans une telle situation. Je ne veux pas qu'elle soit forcée à rester en tête-à-tête avec toutes les pensées atroces qui doivent sans doute se bousculer dans sa tête. Et puis, quoi qu'il arrive, je ne peux pas me permettre de la laisser livrer à elle-même. Je ne sais pas encore ce que lui voulait Lola, mais si elle est allée jusqu'à la kidnapper, c'est qu'elle n'est pas hors de danger.

— C'est bien ce que je pensais, lance-t-elle froidement, en proie à mon silence.

J'ai à peine le temps de réaliser, qu'elle passe déjà la porte d'entrée qu'on n'a même pas pris la peine d'essayer de réparer.

— Eh merde !

Agacé, je trottine dans les escaliers et rattrape Liv de justesse alors qu'elle marche déjà à grandes enjambées au milieu du trottoir.

— Qu'est-ce que tu veux, Gale ?

C'est à moi qu'elle envoie sa rancœur dans la figure, mais on dirait qu'elle ne parvient pas à me regarder. Ses prunelles sont fixées sur un point imaginaire alors qu'elle continue sa course folle pour s'éloigner de l'immeuble.

— Tu voulais un remontant, non ?

Liv ralentit pour me dévisager puis lève un sourcil étonné. Ouais, moi non plus je sais pas pourquoi je fais ça. J'aurais pu me contenter de la suivre et de la traîner de gré ou de force à l'intérieur, pourtant je m'apprête à l'emmener dans le seul endroit de cette ville où j'ai parfois l'impression d'avoir le droit de lâcher prise.

— Alors viens avec moi, reprends-je.

Elle hoche la tête et je passe mon bras dans son dos comme je le fais quand je la raccompagne chez elle. Malgré son ambiguïté, cette position me rassure ; si jamais quelqu'un nous poursuit, nous attaque ou nous tire dessus, je peux facilement la ramener contre moi pour la protéger ou l'obliger à avancer plus vite. Je deviens son bouclier, et elle, elle a une chance de s'en sortir indemne. Après quelques minutes de marche, nous arrivons à l'entrée de La Taverne Bleue, qui vient à peine d'ouvrir. Liv me jette un coup d'œil, retenant visiblement un faible sourire, mais je fais mine de ne pas m'en rendre compte. Sans un mot, nous nous installons sur les tabourets de bar alors que je fais signe à monsieur McFarlane de s'approcher.

— Gale, mademoiselle Emerson, nous salue-t-il, un sourcil haussé.

— « Mademoiselle Emerson » ? raillé-je en interrogeant Liv d'un regard curieux.

— Dans une autre vie, Edward travaillait pour mon père, donc il était souvent à la maison avec nous et, comme je détestais mon prénom, il m'avait proposé de m'appeler mademoiselle Emerson. Gamine, j'avais l'impression d'être quelqu'un d'important quand il m'appelait comme ça, d'être un peu une princesse, alors il n'a jamais arrêté, râle-t-elle d'une seule traite. C'est bon, t'as eu ton info croustillante ? Je peux avoir un verre, maintenant ?

Amusé, j'acquiesce sans rien ajouter puis me concentre sur le barman qui semble attendri par le récit de sa petite protégée.

— Tu nous sers deux shots de l'alcool le plus fort que t'as en stock, Ed' ?

Les yeux de mon interlocuteur s'agrandissent avant de passer de mon visage à celui de Liv, comme s'il était possible que ce ne soit qu'une énorme blague et qu'on finisse par lui demander du café.

— Mais il est à peine huit heures, vous êtes sûrs que vous ne voulez pas plutôt...

— S'il te plait, Edward, rechigne Liv, c'était vraiment une soirée de merde.

Tout éberlué, monsieur McFarlane reste un instant figé.

— Enfin matinée, se corrige mon accompagnatrice comme pour combler le silence. Peu importe.

— Très bien, très bien, se résigne le vieil écossais.

Il se retourne, attrape deux petits verres, de la vodka, puis pose les récipients devant nous pour les remplir. Lorsqu'il s'apprête à ranger la bouteille, Liv l'en empêche avec une grimace et il lève les mains en l'air en s'éloignant. Une fois McFarlane suffisamment loin de nous à mon goût, je repose les yeux sur mon invitée qui se resserre déjà. D'abord calme, je l'observe s'enfiler sa nouvelle gorgée d'alcool avant de l'imiter et de lui prendre l'Eristoff des mains pour l'obliger à y aller en douceur.

— Il avait peur, Liv. Et West a toujours su calmer ses crises, il...

— Quoi, t'es en train d'essayer de me faire croire que mon couple n'est pas qu'une illusion depuis le début ? Que Wayne était pas avec moi le temps que son prince charmant ne revienne ?

La douleur dans sa voix me serre le cœur. Les yeux baissés sur les nombreuses bagues qui ornent ses doigts fins, je secoue la tête.

— Je t'en veux toujours de ce que t'as fait subir à West, mais j'irais pas jusqu'à inventer une histoire dans le seul but de te blesser, lâché-je en plongeant mes prunelles dans la colère des siennes. Je serais le premier à vouloir qu'ils se remettent ensemble, crois-moi. Ce serait plus facile de les voir heureux et de pas devoir me couper en deux pour pouvoir les soutenir autant l'un que l'autre, mais ça arrivera pas. Pas tant que Wayne aura pas eu d'explications. Dans un moment de vulnérabilité comme celui d'un cauchemar, West est le seul qui puisse aider Wayne, c'est vrai. Mais rappelle-toi de sa rage dans le gymnase...

Liv fronce les sourcils, et je pourrais jurer qu'un frisson la parcourt de part en part.

— Cette haine, elle a été provoquée par West, continué-je. Par son départ et par tout un tas de trucs de notre passé. Tant que West prouvera pas à Wayne qu'il est digne de confiance, ta place est bien gardée. T'as pas souci à te faire.

Peu convaincue, mon interlocutrice m'envoie un rire caustique à la figure alors que son genou commence à s'agiter.

— Wayne et West auront toujours un lien particulier. Un lien contre lequel personne peut lutter mais...

— Ouais, c'est bon, je crois que j'ai compris, éructe-t-elle.

— Mais Wayne a des sentiments pour toi, affirmé-je sans me laisser démonter.

Le temps d'une seconde, Liv ne dit rien, comme si elle ne s'attendait pas à ce que de tels mots sortent de ma bouche. Lentement, elle reporte son attention sur moi mais cette fois-ci, toute son amertume a disparu. Je ne vois en elle que de la peur, de la tristesse et des dizaines de questions qu'elle ne me posera sans doute jamais.

— Et puis, si ça avait pas été le cas et qu'il voulait vraiment juste t'utiliser pour oublier West, il aurait pas essayé de te repousser dès le premier jour. De te dire qu'il était pas fait pour toi et que de toute façon il avait laissé son cœur dans les mains de quelqu'un d'autre, tu crois pas ?

— Comment est-ce que tu sais qu'il m'a dit ça ? s'étrangle-t-elle, sur la défensive.

— J'étais là, moi aussi, tu te souviens ?

Un hoquètement qui ressemble à un mélange entre un rictus et un sanglot lui échappe puis elle laisse traîner son regard sur le coin du bar où j'étais affalé la première fois qu'on s'est rencontrés, tous les trois.

— Un peu que je m'en rappelle, t'as dégobillé sur mes pompes.

Embarrassé, je fais la moue et verse un peu de vodka dans mon verre pour essayer de reprendre contenance. J'entends encore Liv m'insulter de tous les noms pendant que Wayne se confond en excuses pour au final lui proposer de venir se rincer dans notre appartement. Je m'en souviens même comme si c'était hier. Elle était là, prête à en découdre alors que Wayne tentait de me faire sortir du bar, et puis elle a fini par céder. Je sais pas ce qui lui a pris, mais elle a aidé Wayne à me foutre dans la bagnole pour ensuite discuter avec lui pendant des heures. Ce soir-là, j'ai été malade comme un chien et eux, ils ont passé la nuit ensemble. À mon réveil, Liv était toujours là, à me scruter avec mépris alors que je me tapais la plus grosse gueule de bois de toute ma vie et Wayne, lui, paraissait perdu, mais un peu moins vide qu'à son habitude.

— Ce jour-là, c'est toi que je voulais aborder, à la base, m'annonce-t-elle à brûle-pourpoint.

Abasourdi, je relève le nez et la fixe comme si elle venait de m'affirmer qu'elle habitait sur Mars.

— Voilà, j'ai remis les compteurs à zéro, on est mal à l'aise tous les deux, maintenant, reprend-elle dans un haussement d'épaules. Je sais pas ce qui aurait été pire, en fait. Tomber amoureuse d'un mec alors qu'il me prévenait qu'il avait quelqu'un d'autre en tête ou draguer un abruti insupportable.

Elle se saisit à son tour de la bouteille et ingurgite un nouveau shot tandis que je me mets à rire.

— Les abrutis insupportables, ça reste les meilleurs, Princesse, la provoqué-je avec un clin d'œil.

À ma grande surprise, Liv ne relève pas le surnom que j'utilise. Elle se contente de se marrer et, bizarrement, la voir un peu plus lumineuse me fait du bien.

— Eh, Gale... souffle-t-elle, soudain plus sérieuse.

Sans répondre, je repose mon verre vide devant moi, et attends qu'elle continue sur sa lancée. Après un long soupir et un regard inquiet, elle se décide enfin.

— Je suis vraiment dans la merde, pas vrai ?

Je fronce les sourcils.

— Cette Lola, elle est vraiment dangereuse, n'est-ce pas ?

Les dents serrées, je ferme les yeux.

— Oui, Liv. Elle est vraiment dangereuse.

— Fait chier... gémit-elle en passant une main sur son visage crispé.

— Qu'est-ce qui s'est passé, Liv ? Qu'est-ce qu'elle t'a dit ?

— Elle... Elle m'a menacé. Elle veut que je bosse pour elle, comme ton pote.

Le monde s'arrête. Le ton fataliste de mon interlocutrice arrive à peine jusqu'à moi. Quelque chose ne colle pas. Lola ne recrute pas, jamais. Elle considère que c'est le travail de ses pions et de toute façon, elle n'est en contact qu'avec les mecs les plus hauts placés dans la hiérarchie qu'elle a créée. Lola est un fantôme, un putain de fantôme. Même moi, je ne l'ai qu'entrevue. Alors pourquoi s'intéresse-t-elle à Liv ? Pourquoi lui laisse-t-elle l'opportunité de voir son visage alors qu'elle ne faisait pas partie du business jusque-là ? Pourquoi elle et pourquoi maintenant ? La clochette à l'entrée de la Taverne Bleue retentit, m'extirpant de mes pensées effrayantes. Je jette un œil au nouvel arrivant par automatisme, et tout mon corps se tend.

— Liv, pose pas de questions et suis-moi. Il faut qu'on se tire d'ici. 


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Coucou tout le monde, comment ça va ? 

Je suis désolé, normalement je devais poster hier, mais j'ai passé toute la journée chez ma tatoueuse et du coup, en rentrant, j'étais K.O. 

Je suis quand même heureux de poster cette partie de chapitre, même si je suis un peu stresser. Ça y est, on entre dans les chapitres complètement inédits que personne n'a lu à part moi, et là, je n'ai plus aucune idée de ce que vous pouvez en penser ou de si ça peut plaire ou non. Alors j'ai hâte de voir vos réactions, de lire vos commentaires et de savoir si cette suite est à la hauteur de vos attentes. 

Alors, on est content d'en savoir un peu plus sur la rencontre de Liv et les deux lascars ? Je sais que c'est une question qui revenait souvent. D'ailleurs vous pensez quoi de cette rencontre vu que certain.e.s d'entre vous pensent que Liv est une espèce d'espionne ? 

Vous croyez que Gale a raison à propos des sentiments de Wayne pour Liv et du fait qu'il ne risque pas de se remettre avec West ? 

À la fin, qu'est-ce qui se passe d'après vous ? Qui rentre dans le bar pour mettre Gale dans un tel état ? 

Et voilà, c'est tout pour moi. Normalement, samedi je serai là sans faute, donc je vous dis à samedi, les potes. J'espère que cette partie inédite vous a plu et qu'elle vous a quand même donner envie de continuer cette histoire, qui, je le sais, attend une suite depuis des lustres. 

Je vous envoie plein de bonnes ondes et plein de courage. 



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