Chapitre 4

Sofia toqua doucement à la porte.

— Chris ? appela-t-elle. C'est moi, Sofia. Je peux entrer ?

Chris lui ouvrit et elle le suivit à l'intérieur. À peine la porte refermée, il l'attira contre lui et la serra fort.

— Ça va ? demanda-t-elle prudemment.

Il secoua la tête en signe de négation.

— Qu'est-ce qui s'est passé ? souffla-t-elle.

— J'ai pas envie d'en parler.

Il la tira vers le lit et elle s'assit à côté de lui. Ils restèrent silencieux un moment, la tête du garçon reposant contre son épaule alors qu'elle lui caressait les cheveux. Puis, il se redressa pour l'embrasser. Il passa une main derrière sa nuque et posa l'autre sur sa cuisse. Quand elle sentit sa main remonter, elle l'arrêta gentiment et s'écarta un peu de lui.

— J'ai besoin de toi, souffla-t-il.

Elle déposa un baiser sur ses lèvres.

— Je suis là, si tu as besoin de parler.

Chris soupira, dépité.

— J'ai entendu pour la cousine de Claudia, lâcha-t-elle finalement.

— Solène...

— Pourquoi est-ce que les autres se sentent coupables de sa mort ?

Il laissa échapper un rire sans joie.

— Solène, Solène... Personne n'est responsable de sa mort, à part elle, peut-être. Elle était conne.

— Chris ! s'exclama Sofia, choquée par la violence de ses propos. Comment peux-tu dire ça ?

— Quoi ? s'énerva-t-il. C'est vrai ! Elle n'avait rien à foutre là. Elle voulait juste se la jouer, mais elle n'était pas de ce monde-là. Elle venait d'un bled paumé à côté de Lyon. Quand elle est arrivée en ville, elle voulait tout faire comme Claudia. Jusque-là, le seul fun dans sa vie, c'était passer son samedi soir devant la télé. Elle aurait mieux fait d'y rester.

Sofia serra la mâchoire, mais ne répondit rien. Elle essaya de se convaincre que Chris ne pensait pas vraiment tout ce qu'il disait. Il avait juste trop bu. Sinon, comment pouvait-il se montrer si froid concernant la mort de cette fille ?

— Quoi ?

— Rien. C'est juste que je peux comprendre les autres.

— Tu vas t'y mettre, toi aussi ? (Il secoua la tête.) On était là pour s'amuser, pas pour faire du baby-sitting.

Toute cette histoire mettait Sofia mal à l'aise. Elle avait besoin que Chris fasse preuve de compassion, et son comportement la mettait sur les nerfs. Elle se tortillait nerveusement, espérant vainement que la conversation prenne une autre direction.

— Chris, arrête, s'il te plaît. Tu ne penses pas ce que tu dis.

— Bien sûr que je le pense ! Elle n'avait rien à foutre là en premier lieu !

Sofia se leva d'un bond.

— Pourquoi ? siffla-t-elle. Parce qu'elle préférait rester tranquille plutôt que de se bourrer la gueule ? Moi aussi je suis comme ça. Est-ce que ça veut dire que j'aurais mieux fait de rester chez moi ?

Chris la regarda durement pendant un instant.

— Des fois, je me demande ce qu'on fout ensemble.

Sa remarque la blessa plus qu'elle ne l'aurait cru. Bien sûr, elle-même se posait parfois la question. Ils n'avaient pas grand-chose en commun. Mais la façon dont il lui avait dit ça, son regard froid...

— Est-ce que... est-ce que tu es en train de rompre avec moi ? s'inquiéta-t-elle.

Les yeux de Chris s'ouvrirent en grand quand il comprit à quel point il s'était mal exprimé.

— Bien sûr que non ! (Il soupira bruyamment.) Je... Tu devrais juste me laisser seul, OK ? J'ai besoin d'être seul.

— Comme tu veux.

Elle partit de la chambre, à la fois triste et énervée. C'était la première fois qu'ils se disputaient ainsi. Elle n'avait pas particulièrement envie que leur discussion s'arrête ici, seulement elle n'avait plus la force de continuer. Elle aussi avait vu de mauvais souvenirs remonter à la surface, après tout.

Elle redescendit dans le salon et remarqua que Claudia n'était plus là.

— Elle est partie en pleurant un peu après Chris, lui expliqua Emma. J'ai essayé d'aller la voir, mais elle n'a pas voulu m'ouvrir la porte...

— Vaut mieux la laisser, renchérit Armand. Elle se met dans tous ses états quand on lui parle de Solène. Et Chris ?

Sofia haussa les épaules.

— Il fait la gueule. J'ai essayé de lui parler, mais il m'a envoyée chier.

Elle se laissa tomber dans le canapé et attrapa son verre. Elle qui n'en avait bu qu'une gorgée jusque-là, elle avala le reste d'une traite.

— Wow, faut croire que ça t'a vraiment pas mise de bonne humeur, remarqua Margaux.

— Ouais.

Dès qu'elle fermait les yeux, les images de l'incident lui revenaient. Quand elle essayait de penser à autre chose, elle voyait Chris et la façon dont il l'avait envoyée balader. Mais pas juste ça. Il y avait aussi sa jalousie qui s'était manifestée, son détachement apparemment quant à la mort de son amie.

— Chris a du mal à gérer ses émotions. Il a été très affecté par la mort de Solène.

— Ça se voit, ironisa Sofia en se servant un autre verre.

Elle avait envie d'oublier cette soirée et de rentrer chez elle, seulement c'était impossible.

— En tout cas, reprit Emma, hors de question qu'on laisse les autres nous gâcher la soirée. Vous voulez faire quoi ?

Kiss or slap, lâcha Quentin sans hésitation. Je me sens d'humeur à aimer des gens ce soir. Ou à les frapper.

Quelques rires fusèrent.

— C'est quoi les règles ? demanda Sofia.

— Rien de plus simple, expliqua le garçon. Tu tournes une bouteille et tu dois soit embrasser soit gifler la personne qu'elle indique. C'est au choix.

Sofia fit la moue.

— Je pense que je vais passer mon tour. Je suis pas sûre que Chris apprécierait.

— C'est juste un jeu, dit Margaux. Et puis, c'est pas vraiment le genre de détail qui arrêterait Chris s'il était à ta place.

Emma lui donna un coup dans le bras pour lui indiquer de se taire et la jeune fille grimaça de douleur.

Sofia resta figée un instant. Qu'est-ce qu'elle entendait par là exactement ? Ses doutes concernant Chris s'intensifièrent. Plus la soirée passait, et plus elle lui en voulait.

— OK, vous avez gagné, répondit-elle avec amertume. Je joue.

Sa déclaration fut accueillie par des cris enthousiastes. Quentin attrapa une bouteille de vodka vide et la fit tourner sur la table basse. La bouteille s'arrêta devant Margaux qu'il embrassa sans hésitation pendant un peu trop longtemps.

— T'es censé embrasser ou gifler, Ken, personne n'a parlé de dévorer, grinça Armand.

Le jeu continua. Armand mit une claque à Quentin. Margaux déposa un baiser chaste sur les lèvres de Emma.

Le tour de Matthieu arriva. Sofia pouvait presque entendre les prières mentales d'Emma pour que la bouteille s'arrête en face d'elle. Sans qu'elle se l'explique, Sofia priait pour que cela n'arrive pas. Elle observa la bouteille tourner, tourner, tourner, et pendant un instant elle eut l'impression qu'elle ne cesserait jamais. Pourtant, elle finit par stopper juste en face d'elle. Emma poussa un soupir de déception. Matthieu, lui, leva les yeux vers Sofia et esquissa un léger sourire. Il se leva de son fauteuil, s'appuya sur la table qui les séparait et se rapprocha doucement d'elle.

Sofia retint son souffle. Il allait l'embrasser.

Elle aurait pu se dire que Chris serait furieux s'il l'apprenait, mais, à ce moment précis, elle l'oublia complètement. Autour d'eux, les jeunes rigolaient, attendant probablement de voir la réaction de Sofia lorsque ce garçon qu'elle connaissait à peine l'embrasserait.

Mais lorsqu'il ne fut plus qu'à un centimètre de sa bouche, Matthieu dévia brusquement et déposa un baiser sur sa joue, juste au coin de ses lèvres.

Elle s'attendit à entendre des remarques de déception de la part des autres, mais rien ne vint. Au lieu de ça, un étrange silence avait envahi la pièce, froid et inquiétant. Cela ne dura qu'une seconde, car l'instant d'après Chris tira Matthieu en arrière, le ramenant brutalement dans son siège.

— Tu te fous de ma gueule ? hurla-t-il à l'attention de Sofia.

Matthieu se releva et s'interposa.

— Eh, mec, calme-toi. Je l'ai pas embrassée.

Chris se retourna et l'attrapa par le col.

— Je m'en fous, OK ? Tu la touches pas, tu lui parles pas, tu t'approches pas d'elle, c'est clair ?

Sofia sentit son estomac se tordre. Jamais elle n'avait vu Chris s'énerver autant. Emma se rapprocha de son ami pour tenter de le calmer, craignant probablement qu'il n'abîme le visage de celui qu'elle convoitait tant.

— Chris, détends-toi, c'était juste un jeu. Tu m'entends, Chris ?

Il relâcha Matthieu et se tourna vers Sofia ; il ne semblait pas calmé le moins du monde. Il contourna la table et l'attrapa violemment par le poignet.

— Eh ! cria-t-elle quand il la força à se relever.

— On se casse, déclara-t-il en la tirant.

— De quoi tu parles ? Chris, lâche-moi, tu me fais mal !

— J'ai dit : on se casse ! hurla-t-il. Tu crois que je vais te laisser ici à faire ta salope ?

Ses paroles lui firent l'effet d'une gifle, et il fallut une seconde à Sofia avant de pouvoir répondre.

— Mais t'es malade ! Fous-moi la paix ! (Elle tenta de dégager son bras, sans succès.) Tu crois que je vais te laisser conduire dans cet état ? T'es complètement saoul !

— Chris, insista Emma, lâche-la ! Tu lui fais mal !

Le garçon parut enfin réaliser ce qu'on lui disait et il libéra Sofia. Pendant un instant, elle put lire une lueur de regret dans son regard. Puis, son expression redevint dure et il cracha :

— Va te faire foutre. (Son regard passa sur toutes les personnes présentes.) Allez tous vous faire foutre !

Il tourna les talons et fonça à l'étage. Sofia respira un coup et ses épaules s'affaissèrent. Une part d'elle était en colère contre Chris, l'autre se sentait coupable.

— Je vais me coucher, déclara-t-elle.

Emma la suivit et la rattrapa dans les escaliers.

— Je suis désolée que Chris ait réagi de cette façon.

Sofia sentit les larmes lui picoter les yeux.

— Pourquoi il est comme ça, aujourd'hui ? Il s'est toujours montré gentil. Mais plus la journée passe et plus il devient jaloux et possessif...

Emma se mordit la lèvre.

— Chris est... Il n'a pas souvent de relations sérieuses, tu sais ? Quand il est bien avec quelqu'un, il a peur que ça foire. C'est juste qu'il t'aime beaucoup.

— C'est pas une raison pour s'énerver comme ça ! Je... Il m'a fait flipper.

Elle se frotta le poignet en repensant à la manière dont il l'avait attrapée.

— Je sais qu'il peut être impressionnant quand il s'énerve, mais Chris n'est pas violent. Il a bu, il n'a sûrement pas maîtrisé sa force. Je vais aller lui parler, d'accord ? Crois-moi, demain, il viendra ramper devant toi pour s'excuser de s'être mal comporté.

Sofia hocha la tête, peu convaincue.

— Et Matt ? Il a vraiment une dent contre lui. S'il le revoit ne serait-ce qu'en train de me regarder, je ne donne pas cher de sa peau...

Un sourire malicieux se dessina sur le visage d'Emma.

— Ne t'inquiète pas pour ça. J'ai beaucoup de plans pour Matt et moi ce soir. Crois-moi qu'après la nuit qu'il va passer, il en oubliera même ton prénom.

Sofia tenta de sourire, mais le cœur n'y était pas. L'idée qu'Emma se jette sur Matthieu ne lui plaisait pas.

Elles arrivèrent au dernier étage peu après, et Emma lui souhaita bonne nuit alors qu'elle frappait à la porte de Chris. Sofia s'engouffra dans sa chambre, le cœur serré. Excuses ou pas, cela ne changerait pas le fait qu'elle avait découvert une nouvelle facette de Chris.

* * *

La longue douche chaude que Sofia venait de prendre l'avait détendue assez pour qu'elle mette ses problèmes de côté et qu'elle profite du luxe de la chambre. Elle se laissa tomber sur le lit et resta allongée un moment au milieu des couvertures sans rien faire. Elle voulut sortir son portable et jeter un œil aux réseaux, avant de se rappeler que Claudia avait toujours son téléphone avec elle. Elle était supposée le lui rendre après la soirée, seulement Sofia doutait qu'elle sorte de sa chambre pour faire une distribution. Elle aurait pu aller toquer à sa porte, mais elle n'était pas certaine d'avoir une réponse. Claudia était bouleversée, et elle ne voulait probablement pas être dérangée.

Sofia jeta un œil à l'heure : il était tout juste vingt-trois heures. Elle s'apprêtait à éteindre la lumière quand la porte de sa chambre s'ouvrit brusquement et que quelqu'un s'y infiltra. Sofia resta pétrifiée une seconde. C'était Matthieu. Il ne semblait même pas l'avoir remarquée, l'oreille collée contre la porte.

— Qu'est-ce que tu fais là ? s'écria-t-elle finalement.

Le garçon sursauta et se tourna vers elle, le regard rempli d'incompréhension.

— Je... Je croyais que c'était la chambre vacante.

Elle secoua la tête.

— Non. C'est celle d'en face.

— Ah. Désolé.

Il paraissait sincèrement ennuyé.

— Est-ce que tu te caches ? demanda-t-elle d'un ton suspicieux.

Le rire que Matt lui donna en réponse sonna faux.

— En fait... Oui.

Intriguée, Sofia se leva et s'assit sur le bord du lit.

— Rassure-moi, ce n'est pas Chris qui t'a pris en chasse ?

Sa remarque parut l'amuser.

— Non. Pas du tout. C'est Emma que j'essaie d'éviter. Ça doit te paraître idiot que je me cache d'une fille haute comme trois pommes, non ?

Sofia sourit.

— C'est un peu étrange, c'est vrai. Tu as peur qu'elle se jette sur toi ?

— Oh, c'est plus qu'une peur, c'est une certitude. J'envisage de placer la commode devant la porte de ma chambre pour dormir, histoire de ne pas avoir de mauvaises surprises.

Sofia éclata de rire.

— Tu n'avais pas remarqué qu'elle s'intéressait à toi ?

— Si. Je ne pensais juste pas qu'elle serait aussi... directe. Elle a beaucoup insisté pour que je vienne. Emma est gentille, je me suis dit que ça ne pouvait pas me faire de mal d'apprendre à la connaître un peu plus. Mais... Je sais pas. Je ne suis pas sûr qu'on soit vraiment du même monde.

— D'autres mecs auraient sûrement sauté sur l'occasion. C'est une jolie fille.

— Ce n'est pas la seule, ici.

Il avait plongé son regard dans le sien, et Sofia n'eut aucun doute qu'il parlait d'elle. Matthieu parut regretter immédiatement ses paroles, car il poussa un soupir et rajouta :

— Désolé. J'aurais pas dû dire ça, c'était inapproprié. Je... je devrais probablement y aller.

Sofia hocha la tête, les yeux rivés sur le sol. Elle l'entendit ouvrir la poignée puis s'arrêter dans son mouvement.

— En fait... Puisque je suis là, je voudrais te poser une question.

Elle leva les yeux vers lui, l'invitant à continuer.

— Comment est-ce que tu en es arrivée à sortir avec Chris ?

Elle fronça les sourcils.

— Tu connais déjà l'histoire.

Il secoua la tête.

— Je voulais dire, pourquoi ? Tu l'as repoussé pendant deux mois, pourquoi tu as finalement changé d'avis ?

— Oh... (Elle haussa les épaules.) C'est juste que... Je ne pensais pas vraiment qu'il était sérieux, au début. Ce n'était pas la première fois que je me faisais draguer au travail, en général je me contente d'ignorer. Mais Chris était vraiment persévérant. Au bout d'un moment, j'en ai eu marre et je l'ai confronté à ce sujet. Il s'est excusé et il m'a affirmé qu'il était sérieux et qu'il avait envie d'apprendre à plus me connaître. Je n'avais jamais vraiment eu de petit ami avant lui ; je me suis dit que je pouvais toujours lui donner une chance. Ça s'est plutôt bien passé. Enfin, je crois... Je ne comprends pas ce qu'il lui prend tout d'un coup...

Matthieu hocha la tête.

— J'ai déjà été dans une situation similaire, tu sais...

— Ah, toi aussi tu es tombé sous le charme d'un beau rugbyman à force d'insistance ?

Le garçon laissa échapper un rire franc.

— Pas similaire à ce point. Disons que je sortais avec une fille, et je pensais que je l'aimais et que tout se passait bien. La vérité, c'est que les choses n'allaient pas aussi bien qu'on se le laissait croire. Parce qu'il y avait des non-dits, parce qu'on n'était pas vraiment fait pour être ensemble, mais qu'on a insisté. Et... même si on a passé beaucoup de bons moments, la seule chose qu'il me reste quand j'y repense, c'est l'amertume. L'amertume et le regret.

Sofia le regarda un moment sans rien dire.

— Tu essaies de me dire que je devrais rompre avec Chris ?

Il leva les yeux au ciel, gêné.

— C'était ce que j'essayais de ne pas dire. (Il poussa un soupir.) Je ne sais pas si tu devrais le quitter, je ne vous connais pas assez pour ça. Personnellement, je trouve que ton mec est un connard. Mais comme ça vient de quelqu'un qui est visiblement jaloux, je ne suis pas sûr que tu puisses prendre mon avis en considération.

— Alors qu'est-ce que tu veux dire ?

Il hésita un instant.

— Que si le goût doucereux de l'amour commence à devenir âpre, tu devrais te méfier. À la fin, c'est peut-être tout ce qu'il te restera.

Il inclina la tête pour indiquer qu'il avait terminé.

— Bonne nuit, Sofia.

✦✦✦

Qu'avez-vous pensé de ce chapitre ? La tension commence à monter petit à petit 😈

Que pensez vous du comportement de Chris ? De Matt ?

N'hésitez pas à me donner vos impressions en commentaire !

Des bisous et à vendredi 😘

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top