La journée passa rapidement et, pendant ces quelques heures, Sofia se dit que le pire était passé. Elle était toujours un peu irritée par l'altercation entre Chris et Matthieu, mais, au moins, son petit ami avait retrouvé son comportement habituel. Il n'y avait pas eu d'autre embrouille et, dans l'ensemble, tout le monde parut s'amuser.

C'est lorsque la soirée fut entamée que les choses se gâtèrent. Tout d'abord, Claudia reprocha à Quentin de passer son temps sur son portable, et ils se disputèrent jusqu'à ce qu'elle décide de confisquer tous les téléphones, disant que personne n'en aurait besoin dans la soirée de toute façon. Ce détail énerva Sofia, qui avait déjà envisagé l'idée de prétendre une pause toilettes pour échapper à ce qui allait suivre. Plusieurs bouteilles d'alcool avaient été posées sur la table et l'idée de participer à des jeux d'alcool ne l'enchantait guère. Ce n'était pas qu'elle ne buvait jamais, seulement elle ne comprenait pas l'intérêt de boire pour se saouler. Elle se retint pourtant de tout commentaire, n'ayant pas envie de passer pour la rabat-joie de service.

— On commence par un « Je n'ai jamais » ? proposa Armand.

Sofia se retint de soupirer. Elle n'aimait pas ce jeu. Elle y avait joué quelques fois et, en général, elle avait rarement l'occasion de boire. À moins peut-être que quelqu'un ne dise « Je n'ai jamais regretté d'aller à une soirée alors que j'aurais pu rester tranquillement dans mon lit devant une série. » Là, elle aurait de quoi vider son verre. Elle avait participé à quelques fêtes plus jeune, sans jamais y prendre goût, et dès le moment où ses parents lui avaient payé un abonnement Netflix, elle n'avait plus jamais mis les pieds dehors un samedi soir.

Sofia avait l'habitude que les questions soient choisies sur internet, mais, les téléphones étant indisponibles, chacun se contenta d'écrire des affirmations sur des morceaux de papier qui furent ensuite jetés dans un gobelet.

Comme elle s'y attendait, la plupart des questions étaient principalement de nature sexuelle ou bien faisaient référence à des conduites peu morales. D'autres étaient plus générales, mais Sofia n'eut pas l'occasion de tremper ses lèvres dans son verre une seule fois. Contrairement à Chris, qui lui, dut se resservir plus d'un verre.

Bientôt, ce fut au tour d'Armand de tirer un papier. Il s'exécuta et pouffa en voyant ce qui était noté. Il mit quelques secondes avant de le lire à voix haute :

— Je n'ai jamais gardé ma virginité jusqu'à aujourd'hui.

Sofia sentit son sang se glacer. Plusieurs regards se tournèrent immédiatement vers elle, attendant qu'elle boive, et elle sentit son malaise augmenter d'un cran. Ils étaient tous au courant ? La tension qui s'était accumulée en elle tout l'après-midi finit par la faire craquer. Elle se leva brusquement de son siège, furieuse, et fonça s'enfermer dans la cuisine.

Alors ça allait être ça, son super weekend ? Regarder Chris et ses potes se bourrer la gueule en racontant leurs déboires sexuels, et de temps en temps les entendre se moquer d'elle parce qu'elle était vierge ?

La porte s'ouvrit et elle entendit la voix de Chris derrière elle :

— Eh, bébé, ça va ?

Elle se tourna vers lui, les bras croisés contre sa poitrine.

— C'est toi qui as écrit ça ? siffla-t-elle. La question, c'est toi qui l'as écrite ?

— Bien sûr que non.

— Mais tu leur as dit, n'est-ce pas ? Que j'étais vierge.

Il poussa un long soupir.

— Écoute, il fallait bien que je leur explique pourquoi on prenait notre temps.

— Parce que tes amis sont obligés de tout savoir de notre vie sexuelle ? s'emporta-t-elle.

Elle pouvait lire l'incompréhension de Chris dans ses yeux. Il ne semblait pas saisir ce qui la rendait si agressive tout d'un coup.

— Non, bien sûr que non... C'est juste que... Je sais pas. Je ne pensais pas que c'était un secret ou que c'était quelque chose dont tu avais honte.

Sa dernière remarque l'agaça d'autant plus.

— Je n'en ai pas honte !

— Alors pourquoi tu réagis aussi mal ?

— Parce que tes amis se foutent de ma gueule, d'accord ?

Chris soupira et secoua la tête.

— Ils ne se moquent pas de toi. Tout le monde a bu, ils rigolent pour un rien, c'est tout. (Il fit un pas prudent dans sa direction.) Qu'est-ce qui ne va pas, bébé ? T'es sur les nerfs depuis cet après-midi, je le sens.

Sofia baissa les yeux. Il n'avait pas tort sur ce point, elle était à cran. Elle fouilla ses souvenirs un instant, cherchant ce qui avait pu la mettre de si mauvaise humeur. Et d'un coup, elle se souvint. C'était ce qu'avait dit Emma dans le jacuzzi.

« Tu les aimes innocentes. »

Elle n'avait pas compris ce qui l'avait gênée sur le coup, mais elle le voyait maintenant. Elle s'était toujours sentie spéciale. Chris avait eu beaucoup de petites amies, beaucoup de relations sans attache, et pourtant il était tombé amoureux d'elle, la gentille et timide serveuse qui ne connaissait pas grand-chose à l'amour. Et de ce fait, elle s'était sentie unique. Mais peut-être qu'elle avait tort. La réflexion d'Emma laissait penser qu'elle n'était pas la première, pas la seule naïve et innocente fille à tomber dans ses bras. Alors, qu'est-ce qui l'attendait ?

— Est-ce que c'est un jeu pour toi ? demanda-t-elle finalement.

— De quoi tu parles ?

— Notre relation. C'est un jeu ? Un défi à surmonter ?

Chris semblait de plus en plus confus, mais Sofia ne lui laissa pas le temps de répondre quoi que ce soit et enchaîna :

— Quand on aura couché ensemble... Tu me quitteras, après ?

Ses mains tremblaient et elle serra ses bras un peu plus fort contre elle, espérant qu'il ne le voit pas. Elle avait peur de sa réponse. Peur qu'il soit honnête et qu'il lui avoue que oui, peur qu'il lui affirme le contraire, mais qu'il mente.

Pourtant, le visage horrifié du garçon lui donna l'espoir qu'elle se trompait.

— Sofia... Comment tu peux dire des choses pareilles ?

Il s'avança de nouveau, plus doucement encore, comme s'il avait peur qu'elle s'enfuie, et posa sa main sur son bras. Lui aussi tremblait légèrement.

— Je suis sincère avec toi. Je l'ai toujours été. Pourquoi est-ce que tu ne me fais pas confiance ?

Son regard était peiné. Sofia se mordit les lèvres, se sentant soudainement coupable de l'avoir accusé ainsi. Ses épaules s'affaissèrent et elle laissa la pression retomber.

— Je... je sais pas. (Elle secoua la tête.) Je suis désolée, Chris, je sais pas, je ne devrais pas douter de toi comme ça...

Il l'attira contre lui et elle resta un moment dans ses bras sans rien dire.

— On y retourne ? demanda finalement Chris. Ou tu préfères qu'on reste juste tous les deux ? On peut se faire une soirée film, si tu veux.

Sofia sourit faiblement.

— C'est gentil. Mais je ne veux pas te gâcher ta soirée avec tes amis, on peut y retourner.

Ils sortirent de la cuisine et allèrent se réinstaller sur le canapé ; Chris passa un bras autour de sa taille et elle posa sa tête contre son épaule. Les autres, qui avaient continué de jouer, ne leur prêtèrent pas attention. Matthieu était en train de raconter une anecdote et tout le monde était pendu à ses lèvres.

— Bref, dit-il, ça faisait un moment qu'on parlait par message, donc je lui ai proposé qu'on se voie. Et elle était d'accord, mais elle n'arrêtait pas de me dire « Je suis pas comme les autres, je suis un peu bizarre comme fille ».

— Elles disent toutes ça, intervint Quentin.

— Exactement ! Du coup, je me suis pas méfié. La meuf, elle était jolie, on s'entendait bien, jusque-là j'avais rien remarqué d'étrange. Bref, je voulais qu'on se fasse un ciné, mais elle trouvait qu'il n'y avait rien de bien en salle, du coup elle m'a proposé de venir voir un film chez elle.

— Attends, attends, l'interrompit Margaux. On est toujours sur l'histoire où tu finis aux urgences, là ?

— Oui.

— Si c'est que vous avez testé une position cheloue qui vous a mené à l'hosto, tu peux le dire direct.

— C'est pas sexuel.

Margaux fit une moue dubitative. Elle s'apprêtait à rajouter quelque chose, mais Emma la coupa.

— Laisse-le raconter, je veux connaître la suite ! T'es allée chez elle, et après ?

— On devait voir un film. J'avais pas envie de faire le mec chiant, alors je lui ai dit de mettre ce qu'elle veut. Le nom me disait rien, j'avais pas lu le résumé donc aucune idée de quoi il s'agissait. Et là, ça commence et je réalise que c'est un film d'horreur. Avec des tronçonneuses, du sang partout, un vrai carnage. Sauf que moi et le sang...

— Quoi, le sang ? intervint Chris.

— Bah, ça me fout la gerbe.

— Fragile.

Matthieu l'ignora et continua :

— Au bout d'un moment, elle a capté que quelque chose n'allait pas. Mais bon, c'était le premier rendez-vous, j'avais envie de faire bonne impression donc je lui ai assuré que c'était rien. Je vous ai dit qu'elle explosait de rire quand les gens se faisaient découper en morceaux ?

— Glauque, commenta Armand.

— Très. Bon, pour faire court, au bout d'une demi-heure j'ai commencé à me sentir vraiment mal, mais je me disais que ça allait passer.

— Laisse-moi deviner, fit Quentin, c'est pas passé.

— Absolument pas. Je me suis évanoui, ma tête a tapé contre le coin de la table basse et, pour le coup, il y a vraiment eu du sang partout. (Il souleva ses cheveux pour montrer une cicatrice sur le dessus du front.) Quatre points de suture. Pire date Tinder ever.

Le groupe rit de bon cœur, certains racontèrent leurs pires premiers rendez-vous et, emportée par la bonne humeur ambiante, Sofia finit par se détendre.

Après quelques minutes de digressions, le jeu reprit et Claudia plongea sa main dans le gobelet. Lorsqu'elle déplia le papier, son visage devint livide.

— Qui... Qui a écrit ça ? demanda-t-elle finalement.

Pendant une seconde, personne ne répondit.

— Lis la question, dit Quentin.

Elle braqua son regard sur lui et se redressa brusquement.

— C'est toi qui as écrit ça ? C'est pas drôle, Ken !

Le garçon s'emporta immédiatement.

— Mais qu'est-ce que j'en sais ? T'as même pas lu la putain de question !

Armand finit par arracher le morceau de papier des mains de son amie.

— Oh, fit-il lorsqu'il le lut.

— Alors ? C'est écrit quoi ? s'impatienta Chris.

Armand releva les yeux vers ses amis.

— Je n'ai jamais causé la mort de quelqu'un.

Un silence de plomb tomba sur le groupe. Sofia sentit comme une décharge électrique lui parcourir le corps. Était-ce pour elle qu'on avait posé la question ? Non. C'était impossible. Personne n'était au courant, n'est-ce pas ?

Elle avala difficilement sa salive. Elle toisa les adolescents autour d'elle, cherchant à deviner qui avait écrit ça. Tout le monde se regardait, mais personne ne disait rien. Sofia sentait son cœur battre dans sa poitrine à vive allure. L'atmosphère chargée d'électricité lui laissa penser qu'elle n'était pas visée.

Elle baissa les yeux sur son verre.

« Je n'ai jamais causé la mort de quelqu'un. »

Quelques images lui revinrent en mémoire. La peur qui lui tordait le ventre, la course poursuite, le sang.

Sans vraiment s'en rendre compte, elle amena le verre à ses lèvres et en but une gorgée. Elle réalisa ce qu'elle avait fait trop tard, mais personne n'avait semblé le remarquer. Sauf un. En face d'elle, Matthieu la fixait, l'air surpris. Puis, il prit une gorgée à son tour. Et, comme si le signal de départ avait été donné, chacun but un à un dans le silence le plus pesant, à l'exception d'une personne.

— Chris, dit Emma d'un ton désapprobateur.

La mâchoire du garçon était serrée.

— Non. Je refuse de boire. C'est n'importe quoi ! C'était pas ma faute, pas plus que c'était la votre !

Sofia se recroquevilla un peu sur son siège, elle avait la sensation qu'elle n'était pas supposée assister à cette conversation.

— Chris, bois qu'on en finisse, s'énerva Quentin.

— Non !

— Chris, intervint Claudia d'un ton hystérique, soit tu bois, soit tu...

Hors de lui, il balança violemment son verre par terre. Ce dernier se brisa et Sofia sursauta dans un cri. Fulminant, Chris se leva à son tour et quitta la pièce.

Le silence était lourd et chargé d'électricité. Ne supportant plus l'atmosphère étouffante, Sofia se leva et balbutia :

— Je... Je vais chercher de quoi nettoyer les débris.

Elle fonça dans la cuisine. Une fois la porte refermée, elle s'appuya au plan de travail pour souffler un peu. Qu'est-ce qui venait de se passer, exactement ? Elle n'aurait pas dû être là. Comme si elle avait effleuré un secret qu'elle n'était pas censée découvrir.

Chris lui avait fait peur en s'énervant ainsi. Mais il n'y avait pas que ça. La question avait remué en elle de vieux souvenirs qu'elle s'était efforcée de refouler.

Tremblante, elle fit le tour de l'îlot central et se laissa glisser par terre. Elle posa sa tête sur ses genoux et essaya de calmer sa respiration.

Elle courait. Il était juste derrière elle, elle pouvait entendre le bruit de ses pas qui la suivaient de près.

— Tu es là, Sofia ?

Elle sursauta brusquement. Plongée dans ses pensées, elle n'avait pas entendu la porte s'ouvrir. Quelqu'un fit le tour de l'îlot pour la trouver et elle découvrit le visage soucieux de Matthieu lorsqu'elle leva les yeux.

— Tu vas bien ?

Elle se tritura nerveusement les doigts.

— Oui... Non... Je sais pas trop. C'était... bizarre.

— C'est le moins qu'on puisse dire.

Il s'assit en face d'elle. Elle se mit à se ronger les ongles, de plus en plus anxieuse.

— Ça m'a fait un peu peur, avoua-t-elle.

— De quoi ?

— Je ne sais pas. Tout ça. Le silence morbide, tout le monde qui boit... Tu sais de quoi ils parlaient ?

Il hocha la tête.

— Ils m'ont expliqué après que tu sois partie. Ça remonte au lycée. Il y a avait une personne dans leur groupe d'amis à l'époque, c'était la cousine de Claudia.

— Qu'est-ce qui lui est arrivée ?

Le garçon passa sa main dans ses cheveux, hésitant.

— Ils avaient organisé une fête. Tout le monde avait beaucoup bu et... pris d'autres trucs. Elle a fait une overdose. Ils ne l'ont trouvé que tard dans la nuit, quand c'était déjà trop tard.

Sofia se frotta les bras. Elle avait froid, tout d'un coup.

— C'est horrible...

— Oui.

Elle se rappela alors que lui aussi avait bu, et que ça ne pouvait pas être pour la même raison. Elle voulut lui demander pourquoi, seulement elle craignait qu'il ne lui retourne la question.

— Ça ira ?

— Je crois que oui.

— Tu es sûre ?

Ses prunelles noisette la fixaient avec intensité. Elle se releva et dit :

— Je pense que je devrais aller voir Chris.

Il ne répondit pas et elle quitta la pièce sans rien ajouter.

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Hello hello !

Comme j'ai posté les trois premiers chapitres d'un coup, je n'ai pas jugé utile de mettre de note d'auteur jusque-là. 

Alors, qu'avez-vous pensé de ce début ? Quelles sont vos premières impressions sur les personnages ? Sur l'ambiance générale ?

N'hésitez pas à me faire part de vos impressions en commentaire 😊

Je pense poster 2 chapitres par semaines, l'histoire en comporte une dizaine environ.

J'espère que l'histoire vous plaît jusqu'ici ! Des bisous et à très bientôt pour la suite 😘