Seizième inclassable
La beauté des nouvelles ruines
On parle toujours de la beauté des vieilles ruines. Les ruines d'un vieux château, les ruines d'une maison abandonnée sur laquelle la nature a repris ses droits, les ruines anciennes.
On ne parle jamais des ruines pas encore trop ruinées. On ne parle pas de cette usine, cette maison, ce terrain en destruction.
Pourtant, j'y ai vu une certaine beauté. Dans cette usine fermée, qu'on attaque par la tour centrale. Cette tour qu'on voyait à des kilomètres il y a encore quelques années et qui aujourd'hui disparaît. Les jours passent et elle s'affaisse. On voit les marques de la destruction, là où le poids s'abat sur elle. On voit la forme exacte des morceaux qui sont tombés, poussières.
Il y a une certaine forme de mélancolie dans un bâtiment qu'on détruit. C'est une trace de la vie humaine qui disparaît. Un endroit où on empêche la nature de reprendre ses droits, où on fait son travail à sa place.
Dans cette usine en destruction, je vois l'Homme pressé. Celui qui rachète, à la valeur fictive de l'argent, un bout de terre que la nature aurait pu se réapproprier. Et l'usine serait alors devenue une vieille ruine, une belle ruine, une ruine ancienne, éternelle. Et je n'aurais pas été seule à en voir la beauté.
En passant devant, en coup de vent, j'observe la vieille usine. Je n'y ai jamais eu d'attachement particulier. Mais maintenant qu'elle disparaît chaque jour un peu plus, je ne sais que la remarquer. Elle me fascine, j'ai envie d'imprimer la nouvelle forme qu'elle prend à chaque fois que j'observe un changement.
On dit qu'on ne voit vraiment la valeur des choses que lorsqu'elles disparaissent et je crois n'avoir jamais entendu quelque chose d'aussi vrai. C'était une usine, une simple usine à sucre.
Mais c'était l'emploi de centaines de personnes, le revenu de dizaines de familles, la vie d'un nombre inimaginable d'inconnus. Et en faisant disparaître le bâtiment, on fait disparaître ce qui fut une fois le travail de quelqu'un.
C'est fou ce qu'on peut voir dans la destruction d'une simple usine abandonnée. Elle a fermé il y a maintenant quelques années. Inutilisée, je comprends qu'on veuille récupérer un aussi grand terrain, surtout dans un monde à mille à l'heure, où le moindre centime abstrait compte.
Mais je me demande. Je me demande ce qui serait advenu de ce bâtiment de béton s'il était resté à l'abandon.
écrit le 7 mars 2024
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