Deuxième essai

Zoos humains, entre racisme et exotisme : l'ethnocentrisme blanc

Il y a un an, je passais mon grand oral. Je suis passée sur mon sujet de SVT mais ce n'est pas celui qui nous intéresse aujourd'hui. On va parler de mon grand oral d'HLP. Je vous laisse le lire et on en discute juste après.


→ En quoi les jardins d'acclimatation et les expositions universelles du XIXe et XXe siècle ont-ils révélé l'ambivalence des Occidentaux envers les cultures étrangères ?

« Les races supérieures ont le devoir de civiliser les races inférieures » disait Jules Ferry le 28 juillet 1885. Dans le contexte historique de la colonisation, tout est fait pour faire accepter l'invasion des pays orientaux par les puissances occidentales. Nous allons nous demander en quoi les jardins d'acclimatation et les expositions universelles du XIXe et XXe siècle ont révélé l'ambivalence des Occidentaux envers les cultures étrangères.

Pour attirer du public au XIXe siècle, les jardins d'acclimatation et les expositions universelles misent sur le spectaculaire et l'inconnu. Ils importent des animaux venus d'ailleurs et l'on se presse pour voir la girafe et l'hippopotame. On s'aperçoit que ce qui vient de l'étranger attire et les édifices eux-mêmes se transforment. Par exemple, au zoo de Berlin, en 1871, la maison des antilopes est bâtie dans le style oriental. Pour faire sensation, les directeurs décident d'importer des hommes des colonies. Les premiers hommes à avoir été ainsi exhibés dans un jardin d'acclimatation étaient 14 africains (« Nubiens »), au jardin d'acclimatation de Paris en 1877. Le directeur présente la troupe de Nubiens pour attirer le public, à l'instar de l'inventeur du concept de « zoos humains », Carl Hagenbeck. Dans toute l'Europe, celui-ci présenta un groupe de fuégiens qu'il mit en scène pour faire correspondre à l'imaginaire occidental du « sauvage ». Comme Montesquieu a pu le montrer dans les Lettres Persanes, l'Europe était en effet fascinée par l'Ailleurs et l'Autre. De nombreux « villages indigènes » sont recensés dans les expositions universelles chaque fois. Nous pouvons mentionner le fait que 267 Congolais sont emmenés de force à Bruxelles pour l'exposition universelle de 1897. Parmi eux, 90 individus doivent exécuter concerts et défilés pour le public. Bien que l'exposition se déroula de mai à novembre, elle enregistre un pic de fréquentation entre juin et août, aux dates de d'arrivée et de départ des Congolais. Cela montre à nouveau l'engouement du public pour les cultures étrangères. Cet exotisme des expositions universelles se reflète là aussi dans l'architecture des bâtiments.

Cette fascination populaire est non seulement liée aux mises en scène mais aussi à la méconnaissance du public des cultures étrangères. Il en a toujours été ainsi, l'Inconnu attire. Ainsi, lorsqu'on dépeignait les personnes exposées comme des cannibales ou des groupes de personnes au mode de vie très rudimentaire, le point de vue fermé de l'Occidental était fasciné sans chercher plus loin. Comment pouvait-on manger ses congénères ? Comment pouvait-on vivre ainsi, sans le confort d'une petite maison bien agréable ? Ainsi, comme le raconte Didier Daeninckx dans Cannibales, on fait jouer un rôle aux tribus pour profiter du manque d'instruction du public. Dans son roman, l'auteur raconte comment un groupe de Kanaks de Nouvelle-Calédonie a été obligé de jouer au cannibale au jardin d'acclimatation de Paris en 1931. Cette fascination due à la méconnaissance se retrouve aussi en la personne d'Al Brown, grand boxeur noir panaméen et en Raoul Diagne, joueur de foot d'origine guyanaise. Adulés par la foule, le public est fasciné et à côté, il se moque de la troupe de kanaks prétendument cannibale du jardin d'acclimatation.

Tout cet exotisme se fonde sur des préjugés racistes. Le XIXe siècle est imprégné de recherches et d'études scientifiques sur ces populations que l'on appelle « indigènes ». Comme l'explique Pascal Blanchard dans Exhibitions, l'invention du sauvage et son documentaire Zoos humains, l'organisation d'expositions ethnographiques dans les jardins d'acclimatation plaisait à la communauté scientifique qui y a vu un « effort de naturalisation » qui permettait de populariser ses travaux auprès du grand public. En effet, les scientifiques de l'époque se pressent pour étudier les groupes d'individus des colonies, comme le montre le cas de la Vénus Hottentote au début du XIXe siècle. Ces études scientifiques participent grandement au regard raciste et supérieur des Occidentaux envers ces cultures étrangères. En effet, en trouvant des différences biologiques là où il n'y en a pas et en définissant ces populations comme des races inférieures, les scientifiques ont jugé ces individus comme moins humains que les blancs, les Occidentaux. Ces travaux ont donc eu un effet de certification de l'infériorité de ces personnes. En se popularisant, cela a contribué à renforcer le racisme du grand public envers les populations exhibées.

Nous parlions plus tôt de la fascination et de l'exotisme que représentaient les mises en scène dans les jardins d'acclimatation, les expositions universelles et la méconnaissance occidentale des autres peuples. Mais ces faits font aussi ressortir le racisme de l'époque. Comme le montre Montaigne dans le chapitre « Des cannibales » de ses Essais, les autochtones étaient jugés pour leur cannibalisme – qui d'ailleurs n'était parfois que spéculation du public. Sans chercher à en savoir plus, on catégorisait des individus cannibales comme des animaux, des « sauvages », des « barbares » sans chercher à en savoir plus. Pourtant, Montaigne explique bien que, par exemple, dans le cas de la population dont il parle, le cannibalisme fait partie d'un rituel de guerre et de vengeance. Il conclura en écrivant « Chacun appelle barbarie ce qui n'est pas dans ses coutumes ». Évidemment, les mises en scène accentuent le racisme de la population. Comme nous l'évoquions précédemment, les individus exhibés étaient parfois obligés de jouer aux cannibales, comme ce fut le cas pour les Kanaks à Paris en 1931. Au Japon, les organisateurs d'exposition jouent sur la vision de « race barbare » des Taïwanais pour les exposer et les mettre en scène. Au point de vue du XVIe siècle de Montaigne, nous pouvons ajouter l'analyse de Claude Lévi-Strauss, anthropologue, dans Race et histoire, publié en 1952. Il y écrit « Le barbare, c'est d'abord celui qui croit à la barbarie », c'est-à-dire que celui qui pense qu'un homme peut être sauvage est lui-même sauvage en un sens. Cette citation montre l'évolution rapide de façon de penser les cultures étrangères dans le monde de la science et de l'anthropologie.

Pour conclure, les jardins d'acclimatation et les expositions universelles du XIXe et XXe siècle ont révélés l'ambivalence des Occidentaux envers les cultures étrangères par leur fascination et exotisme, cachant le racisme populaire sous-jacent.

L'Histoire reconnaît aujourd'hui l'existence de ces zoos humains bien qu'il ne subsiste qu'affiches, photographies des exhibitions et photographies de mises en scène. Cependant, il s'agit d'une partie sombre de notre histoire trop souvent encore cachée aux yeux de la population. »


C'est un Grand Oral donc ça doit tenir sur cinq minutes. J'ai dû enlever beaucoup de passages parce que sinon j'aurais tenu facilement dix minutes. 

Ce qu'il faut comprendre, c'est que les zoos humains des jardins d'acclimatation et expositions universelles nous révèlent dans toute son intimité l'ethnocentrisme blanc. On dit souvent ethnocentrisme européen ou occidental, ce qui n'est pas faux. Mais je voudrais appuyer ici en mettant en avant le fait que les organisateurs de zoos humains étaient blancs, d'origine européenne et occidentaux. Par ailleurs, les visiteurs l'étaient aussi pour la plupart. 

Alors ça paraît peut-être évident dit comme ça mais qu'est-ce que ça révèle ? En quoi est-ce que notre langage lui-même ne fait que renforcer cet ethnocentrisme, même encore aujourd'hui ? Pourquoi ne peut-on pas affirmer qu'on n'est absolument pas racistes quand on est blancs, d'origine européenne et éduqué dans un pays occidental ? (en sachant que je pense qu'il suffit de remplir deux de ces conditions pour ne pas pouvoir dire qu'on n'est pas raciste). Pourquoi, cent ans après la dernière exposition coloniale, ne peut-on pas dire que la page est tournée ?

Tout d'abord, le langage a gardé des mots péjoratifs. "Barbare" n'est peut-être plus beaucoup utilisé dans le langage courant mais "sauvage", "cannibale" le sont et j'en oublie probablement. Comme expliqué vite fait dans mon grand oral, nos cultures occidentales et ethnocentrées ne comprennent pas qu'on puisse avoir un autre mode de vie, que ce soit il y a cent à deux cents ans ou encore aujourd'hui. On parle des tribus autochtones comme on parlerait d'animaux, de sous-humains. On voit le cannibalisme comme le plus grand des crimes car c'est ce qu'il est dans notre culture (je ne suis pas en train de faire l'apologie du cannibalisme, mais en train d'expliquer en quoi le mot est différent en fonction de son utilisation). Les tribus cannibales n'ont peut-être même pas de mot équivalent. Car pour elles, ce sont des traditions, souvent de guerre. Le cannibalisme n'est pas un mode de vie, c'est une façon de célébrer la victoire en suivant des rites très précis. 

De la même façon, le mot "sauvage" est utilisé à tort et à travers. Et je vous avoue que c'est celui que je supporte le moins. Là où je pourrais comprendre à la limite que pour diverses raisons qu'elles soient religieuses, personnelles ou juste une incompréhension, qu'on ne puisse pas essayer de comprendre les traditions des tribus cannibales, je ne comprends pas que le terme "sauvage" soit encore utilisé. Et d'une si horrible manière. On parle de tribus autochtones comme on parlerait d'un chat errant. Un chat "sauvage". Qui vit dans la nature, est agressif, et ne pourra jamais être un chat de compagnie, qui transporte des maladies et qui fait peur. Osez me dire que ce n'est pas ça que vous voyez quand on parle de chat sauvage. Maintenant vous voyez le problème. Le cerveau humain est bête, il entend un mot qu'il connaît alors il transpose ses croyances sans chercher un autre sens sémantique. D'où le fait que parler de "sauvages" est problématique. Dire que les tribus autochtones sont sauvages c'est leur assimiler un regard occidental raciste en leur attribuant des caractéristiques déshumanisantes et péjoratives sans tentative de comprendre le fonctionnement de ces sociétés, sans accepter qu'elles sont égales aux nôtres et que vouloir les "sociabiliser" n'est qu'une sorte de fantasme d'occidental en manque de reconnaissance.

Les avancées technologiques et le capitalisme ne donnent pas une supériorité quelconque à l'Occident.

Mais l'ambivalence est là : ça fait peur mais ça fascine. Dans l'imaginaire collectif, les préjugés sont là et on a tous sans exception des idées fausses ou complètement exagérées. La connexion à la nature, le pagne pour seul vêtement, la vie complètement différente. Ou alors la vie dans les petits villages africains, comme le présentent je ne sais combien de films. Pourquoi on avait tous cette vision fermée de l'Afrique quand nous étions petits d'après vous ? Pas qu'ils ne faillent pas représenter ces populations, d'où qu'elles soient, au contraire ! Mais il faut surtout montrer la diversité des société sans porter un regard d'européen dessus. 

Et c'est dur. On ne peut pas se déconstruire en un claquement de doigts. D'ailleurs je ne crois pas qu'on puisse se déconstruire totalement, rien qu'à cause de la barrière de la langue (j'en reviens à cette histoire de "sauvages"). C'est dur aussi parce que toutes les archives et médias que l'on a sont remplis de préjugés. Cependant les documentaires et livres sur les zoos humains, en particulier ceux de Pascal Blanchard, sont bien faits et montrent bien la réalité des choses et de comment l'Occidental blanc traite les populations qu'il croit inférieurs. 

Je vous jure, regardez le documentaire Zoos humains de Pascal Blanchard. On vous parle de mise en scènes des populations ramenées de force en Europe, aux USA, au Japon qu'on forçait à agir selon l'imaginaire collectif qu'on avait de leurs modes de vie. Encore aujourd'hui, pour les populations qui n'ont pas encore disparues, je pense qu'on est loin de tout savoir sur leurs cultures et leurs sociétés. Si vous le regardez, vous hallucinerez. Parce que ça paraît inimaginable que l'Homme ait pu faire subir tant de choses à d'autres Hommes. Que personne ou presque ne se soit insurgé ou n'ait même tenté de chercher la vérité. On prenait des gens à leur famille pour les exposer dans des zoos. Comme des animaux sauvages, je vous dis. 

Aujourd'hui, nous sommes encore remplis de cet ethnocentrisme, même si on n'en veut pas et qu'on ne l'accepte pas. Parce qu'on manque de représentations réalistes. Parce que l'éducation qu'on nous donne fait qu'on entretient en quelque sorte cette fascination. Parce qu'on est pas informés. Parce que beaucoup de choses dans ce monde entretiennent ces réflexions racistes, nées du mélange entre la fascination, la peur et le sentiment de supériorité. Parce qu'on est blanc dans un monde occidental capitaliste et belliqueux tout simplement. 

Je m'arrêterais là pour aujourd'hui parce que ça fait déjà beaucoup mais rien ne dit que je ne viendrais pas un jour ajouter quelques réflexions car c'est un sujet qui me tient très à coeur, comme vous avez pu le remarquer. 

Je conclurai par un aparté : ce n'est pas parce qu'on a encore beaucoup de progrès à faire qu'on ne fait pas mieux qu'avant. L'entre au panthéon de Joséphine Baker nous le montre bien. Elle s'appuyait sur ces clichés de fascination du "sauvage" pour les tourner au ridicule et c'est comme ça qu'elle est devenue célèbre (j'abrège hein). Et son entrée au Panthéon est donc très symbolique. 

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