Je dois la laisser partir


– ... vous le savez. Vous seriez prêt à me le raconter ?

Jake se repositionna dans le fauteuil rembourré. Les bras sur les accoudoirs, tout était pensé pour qu'il se sente à l'aise. Mais sans pouvoir s'en empêcher, sa jambe droite battait nerveusement. Il passa rapidement son regard dans les yeux gris de la femme d'âge mature en face de lui, puis continua vers son chignon marron au-dessus de sa tête. Il tapotait légèrement des doigts sur le bois du siège.

Après une bonne minute de silence pesant dans la pièce sobre en meubles et en décorations, Jake cessa tout mouvement, se mit à fixer la fenêtre, et prit une grande inspiration puis la parole.

– Ça a commencé assez innocemment. La première fois, j'errais simplement dans les rues à la recherche de trucs pour m'occuper après les cours, et je l'ai vu qui papotait avec une amie. Elle était tellement belle, je vous jure, cela en est presque dur à décrire. On était à la fin de l'automne, et le coucher du soleil venait éclairer les contours de son visage, illuminant ses cheveux blonds. J'ai cru qu'un ange avait croisé mon chemin. Ses yeux étincelaient d'un bleu si pur, si puissant, ses lèvres bougeaient au rythme de la conversation, et toute son attitude exprimait sa joie de vivre. L'observer de loin, ne serait-ce que quelques secondes, m'a vraiment donné une énergie qui ne m'avait plus habité depuis longtemps ! Mais bon, ça ne pouvait pas durer plus que ça, car il fallait bien qu'elle rentre chez elle. Mais je ne pouvais pas simplement la laisser s'en aller. C'était trop pour moi, je devais en savoir plus sur la lumière qui venait d'entrer dans ma vie. Du coup, je l'ai suivi. Mais la distance était trop grande entre nous, je n'ai pas pu l'interpeller. Non, ce n'est pas vrai... Je n'en ai pas eu la force en vérité, pas le courage. Mais sur le moment, ce n'était pas grave. Je savais à peu près où elle habitait, je connaissais à quelle heure elle rentrait des cours, donc j'aurais plein d'occasions pour lui adresser la parole ! Je suis retourné chez moi le sourire jusqu'aux oreilles, convaincu qu'une des flèches de cupidon venait tout simplement de m'atteindre en plein cœur. Malgré l'heure qui commençait à être tardive, personne ne me gronda ce jour-là. Mon père était endormi devant la télé, une bière tiède à moitié bue dans sa main. Ma mère, allez savoir où elle était partie. Bref, je suis juste monté dans ma chambre, et me suis remémoré cet être si merveilleux jusqu'à m'écrouler de fatigue. Le lendemain, je n'écoutais que très peu les cours. Impossible de me concentrer sur autre chose que cette fille. Quel était son nom ? À quoi pensait-elle ? Quels étaient ses rêves ? Je voulais tellement tout connaître d'elle ! Dès que ma journée fut finie, je filais directement dans le même quartier que la veille. Je repris ma position, regardant sans relâche les allers venus des voitures, espérant qu'un bus se détache de la circulation, et qu'elle en sorte à l'arrêt où je l'avais aperçue. Les heures passèrent, le soleil se cachait désormais derrière l'horizon, et ma mission était un échec. J'étais triste, vraiment profondément triste. Je me disais presque que plus rien ne valait la peine. Mais un raisonnement logique apparut au fond de moi. Ce n'était qu'un seul jour Jake ! Des dizaines de théories pouvaient expliquer qu'elle ne soit pas arrivée à l'arrêt de bus. Elle aurait très bien pu finir plus tôt. Ou alors peut-être qu'un de ses parents était venu la chercher directement à l'école. Je ne baissai donc pas les bras, et décidai que je réessayerai le lendemain.

Le jeune homme s'interrompit quelques instants, le temps d'avaler quelques gorgées d'eau. Il reposa le verre sur la petite table en bois à côté de lui, et reprit son récit.

– Du coup, deuxième jour, j'arrive enfin à la voir ! J'avais attendu bien une heure trente, mais dès que mon regard s'était arrêté sur son visage, je me suis dit que ça valait le coup, que je pourrais vraiment affronter toutes les difficultés du monde pour elle. Elle portait un jean simple avec des baskets blanches aux bandes vertes. L'hiver approchant à grands pas, elle était recouverte d'un épais pull rose avec des motifs. Son sac à dos était tout petit. Carré, elle y avait accroché des pin's de partout, c'était adorable. Après avoir bavardé quelques minutes avec son amie, elle partit dans la direction opposée à moi. Je me suis donc dépêché, afin de ne pas la perdre cette fois. J'avais une idée de la rue dans laquelle elle habitait, mais absolument aucune sur la maison. Une fois que j'aurais cette information, je pourrais mettre en place un plan pour aller lui parler, par exemple un week-end. Ainsi, pendant quelques minutes, je marchais derrière elle. Je m'étais assez rapproché pour n'être qu'à une vingtaine de mètres. Je sentais quelques bribes de son odeur — shampoing ou parfum, je ne savais pas trop —, et c'était tout bonnement incroyable. J'avais l'impression qu'elle m'adressait un message à travers cette odeur. Une sorte de chaleur humaine s'en dégageait. Je pouvais tout simplement comprendre quel genre de personne elle était. Féminine, intelligente, déterminée, et avec un grand cœur. Voilà ce que j'ai senti ce jour-là. Nous sommes rapidement arrivés devant chez elle. La réalité revint à moi, et en un battement de cil, elle avait disparu de mon champ de vision dans le bruit d'une porte qui se ferme. À présent, j'en étais sûr, cette personne allait être un tournant dans ma vie. Il y aurait clairement un avant, et un après. Mais ce n'était pas encore pour tout de suite. Je voulais faire les choses bien, pour une fois dans mon existence. Je suis donc rentré chez moi, très confiant sur la suite des évènements. Je ne souhaitais pas croiser quelqu'un en arrivant. J'ai alors grimpé sur le balcon de ma chambre depuis l'extérieur, et me suis tout simplement glissé sous l'ancienne couette de mes parents trouée par les mégots de cigarettes, me repassant en boucle les précieuses images que j'avais de ma dulcinée. Les semaines s'enchainèrent, et j'apprenais chaque jour à la connaître un peu plus. Je retenais son style vestimentaire ainsi que celui de son amie. Je me faufilai dans les buissons derrière l'abri bus pour capter leur conversation. Je me rappelle la première fois que j'ai entendu sa voix... Encore un moment magique, si inoubliable. Alors que celle de sa copine était beaucoup trop haut perchée pour être agréable, la sienne était divine. Un ton posé, mais qui transpire d'émotions. Elle était sereine et heureuse. Ça se discernait directement. Un jour, j'ai même eu la chance de découvrir son rire. J'en ai eu les larmes aux yeux. J'avais envie de devenir la meilleure version de moi-même, ainsi que le plus drôle possible, pour entendre ce son mélodieux tous les jours restants de ma vie. Je commençais à réellement la connaître. Elle lisait régulièrement, se plongeant dans des univers divers et variés pendant des centaines de pages, même si elle avait une préférence pour les romances. Pour autant, elle regardait également des émissions de télé comme tout le monde, ne ratant pour rien au monde certaines séries qui passaient le dimanche. Elle pratiquait aussi de la dance ! En résumé : elle était belle, sportive, cultivée, avec une personnalité incroyable. Que demander de plus ?

Le garçon fit un contact visuel avec la femme.

– Vous savez, dit-il d'un ton dépité, à force de venir vous voir, j'ai réalisé à quel point je suis quelqu'un de malsain. Comment j'ai pu ne pas le comprendre aussi longtemps ?

Sentant que sa voix commençait à être cassée par l'émotion, il détourna rapidement le regard, pour contempler de nouveau à travers la fenêtre les passants dans la rue.

– Je ne suis pas ici pour vous juger, déclara chaleureusement la femme. Ni vous pour vous dénigrer. Nous cherchons simplement à comprendre ce qu'il s'est passé de votre point de vue. Soyez sans crainte, vous pouvez tout me raconter.

– Oui, je sais.

Une nouvelle fois, le jeune homme sembla réunir son courage, pour reprendre le récit de son passé.

– Je n'arrivais plus vraiment à l'aborder, ne serait-ce que dans mon esprit. J'en avais fait quelque chose de si parfait, que par mon seul contact elle en aurait été souillée. Mais je devais me rapprocher d'elle, peu importe la manière. Impossible de renoncer à un tel bonheur pour moi. Du coup, j'ai volé de l'argent à ma mère. Elle cachait une boîte remplie de billets dans un coin de la maison, coin qu'elle pensait secret. Je prenais de temps à autre une petite somme pour m'offrir quelques bonbons, sachant que ça n'entraînerait aucune conséquence. Parce que si elle m'engueulait, je n'aurais qu'à en informer mon père pour qu'il lui pique tout. Le plus gros poids mort de cette famille devenait mon unique protection. Quoi qu'il en soit, j'ai acheté un appareil photo instantané. J'ai commencé à prendre des photos d'elle quand elle rentrait des cours, quand elle parlait avec son amie, quand elle marchait seule sous les arbres presque nus à cause de la saison. Elle semblait photogénique sous tous les angles et sous toutes les lumières, sans même qu'elle sache être immortalisée. Je conservais de plus en plus de clichés dans ma chambre, et l'angoisse que l'un de mes parents tombe dessus devenait de plus en plus forte. J'ai du coup acheté un verrou pour ma porte, afin de sécuriser mon trésor. À l'aide de pâte à fixer, j'exposais mes œuvres sur les murs de ma chambre. J'évitais tous soupçons en gardant les rideaux bien fermés. Mais ce n'était jamais assez... Je n'arrivais jamais à me contenter des choses que j'avais. Je suis donc allé encore plus loin, une nouvelle fois... Enfin sur le coup, ça ne me semblait que la suite logique des évènements. La fenêtre de sa chambre donnait sur la rue. Et de l'autre côté de la route, un petit passage inutile se perdait dans l'ombre des maisons. Du coup, je me suis mis à guetter à l'arrière d'une poubelle, scrutant la moindre opportunité de prendre un cliché supplémentaire. Ces moments étaient rares, parce qu'elle n'allait pas beaucoup près de sa fenêtre finalement. Elle y restait entre trente minutes et une heure pour ses devoirs, après l'heure du dîner, généralement vers dix-neuf heures trente dans sa famille. Et encore plus exceptionnellement, lorsqu'elle se changeait, elle s'approchait un peu plus de sa fenêtre que d'habitude. Je ne voyais pas grand-chose quand j'y repense — à peine un bas de nuque jusqu'à un début d'épaules —, mais c'était un sentiment si agréable. C'était comme si j'entrais dans son intimité. Comme si enfin quelqu'un daignait me porter un peu d'attention et d'amour. Un samedi soir particulièrement glacial, elle sortit avec ses parents et sa sœur pour aller au restaurant. Je ne pouvais pas partir sans la voir se coucher, c'était absolument impossible. Je me suis donc mis à attendre. Mais seul, dans un froid de plus en plus mordant — même si la ruelle était assez bien protégée du vent —, je sentais que je n'allais pas tenir. Du coup, une idée me vint. Je me suis approché de sa maison, et grâce à la gouttière, j'ai réussi à me faufiler sur le toit du garage, qui donnait directement à sa fenêtre. Par chance, elle s'ouvrit à l'aide d'une pression assez forte de ma part. Je rentrai dans sa chambre tout en fermant derrière moi, et me sentis d'un seul coup si bien. Autre la chaleur environnante qui réchauffait mes membres glacés, je me trouvais au cœur de sa maison. Dans la pièce la plus importante. Je m'arrêtais un instant pour admirer à la faible lumière des lampadaires extérieurs la décoration. Dans les tons roses, sa chambre était tout à son image. Une bibliothèque remplie d'auteurs que je ne connaissais même pas de nom. Des peluches en forme d'animaux, arrangées avec délicatesse sur le lit fait à la perfection. Des cadres photo représentant des souvenirs probablement inoubliables avec l'ensemble de ses amies. Une fois le choc passé, je me précipitai sur mon appareil photo pour prendre toutes les photos possibles et imaginables. Ils étaient partis il y a moins d'une heure, j'avais forcément tout le temps que je voulais... Mais à peine avais-je réussi quelques clichés intéressants, que j'entendis leur voiture. Mais je ne pouvais pas disparaître comme ça, ce moment était trop beau, trop spécial pour être simplement mémoré à travers quelques photos. Je mis à paniquer, cherchant désespérément quelque chose à prendre avec moi. Qu'est-ce qui peut me faire penser à elle ? me répétais-je en boucle. La porte d'entrée s'ouvrit, et je perçus les rires, qui d'ailleurs se rapprochaient trop dangereusement des escaliers, et donc de moi. Mes mains devenaient moites, ma respiration s'accélérait, je n'avais que quelques secondes, j'en étais sûr. Je saisis le premier tiroir qui se trouvait devant moi, pris un vêtement, et filai vers ma sortie en prenant soin d'effacer mes traces. J'atteignais à peine ma ruelle secrète que la lumière de la chambre s'alluma. Le souffle court, je m'effondrais au sol, serrant dans ma main ma récompense : une petite culotte. Plusieurs mois passèrent encore de la sorte, en un temps record. Filature, espionnage, photos, et intrusion quand l'occasion s'y présentait, toute ma vie ne tournait qu'autour d'elle. J'étais en total décrochage scolaire. Même si les profs disaient que la première était une année importante du lycée, je n'en avais rien à faire. À quoi bon avoir des bonnes notes, si c'était pour rester malheureux comme je l'étais ? Mais un jour, tout a basculé. C'était il y a trois mois. Je rentrais d'une soirée comme une autre de ma ruelle d'observation, et arrivais devant chez moi. Cette maison me dégoûtait au plus haut point. De l'extérieur, elle semblait banale. Mais pour ce que je pouvais y voir ou y entendre à l'intérieur, je n'éprouvais que du mépris. Mais bon, c'était le seul toit sous lequel je pouvais dormir, et c'était mieux que rien. Je rentrais donc, et mon père n'était étonnamment pas devant la télé, mais je n'y prêtais pas attention, et montais directement dans ma chambre. Je m'en approchais, et remarquais que quelque chose cloche au niveau de la porte : elle était ouverte. Ce n'était pas arrivé depuis tellement longtemps, et impossible que ça soit une erreur de ma part. J'étais très rigoureux, surtout quand ma vie en dépendait comme cela. Je rentrais donc lentement. Les gonds grincaient légèrement, la pièce était plongée dans la pénombre, comme à son habitude. Mais sans aucun indice, par pur instinct, je ne me sentais absolument pas à l'aise. Je me déplaçais jusqu'à mon lit pour allumer la seule lampe, et au moment du click, l'apparition de mon père adossé à un meuble me fit sursauter. Il portait des claquettes bleu marine aux pieds, un short de bain rouge et un débardeur blanc, taché de je ne sais quelle substance. Il me regardait fixement. Je sentais de la haine dans ses yeux. Sans perdre plus de temps, il se mit à me crier dessus. « C'est à ça que tu passes tes journées ? Espèce de taré va ! Non mais t'es pas bien ! » Le reste devient flou. Il s'approcha de moi, et commença tout bonnement à me rouer de coups. Je me rappelle seulement ces derniers mots : « va te faire soigner ». Ensuite, il n'y a que de la douleur. Je me suis mis par réflexe en position fœtus en protégeant ma nuque, mais tout le reste y passa. La tête, les bras, les côtes, le ventre, les jambes... Il me semblait entendre ma mère venir en courant en le suppliant d'arrêter, comme quoi il allait me tuer. Et oui, j'ai cru que c'était bien le cas.

Jake s'interrompit un temps. Les yeux humides, il tenta de ne pas craquer devant son auditoire. Il serra fort de ses mains son pantalon, pour contenir toutes les larmes qui ne demandaient qu'à sortir. Un père alcoolique et violent, une mère absente, isolée socialement... Voilà quel genre de personne était Jake il y a quelque temps. Il renifla d'un coup puissamment, essuya d'un revers de manche le début de morve et d'eau salée qui ruisselait sur son visage, et continua.

– La prochaine chose que je me rappelle, c'est mon réveil à l'hôpital. J'étais dans un lit, et il m'était impossible de bouger. Je n'étais pas maintenu de force, mais mon corps refusait simplement d'obéir. La douleur arriva juste après, et c'est insoutenable. Rapidement, une infirmière me rejoignit, et me prescrit des antidouleurs. Mais ils avaient, hélas, leur limite, et la souffrance revenait inlassablement me hanter. Les nuits étaient blanches et d'une profonde solitude, et les journées n'étaient qu'un brouhaha auditif avec la vie de l'hôpital, et la nourriture était infecte. Au moins, je mangeais à ma faim trois fois par jour, c'était déjà ça. La seule chose qui me faisait réellement tenir, c'était l'idée d'aller la revoir. Je savais que dès que je l'apercevrais, je me sentirais directement mieux. Chance dans mon malheur, le trésor de ma première intrusion chez elle ainsi que quelques-uns de mes meilleurs clichés étaient encore avec moi, soigneusement rangés dans ma veste. Ainsi, je passais les premières semaines à me reposer le plus possible, déterminer à sortir le plus vite. Mais les médecins assuraient qu'il me faudrait bien un mois et demi, le temps d'observer si je n'ai pas de troubles quelconques, à cause de l'état alarmant à mon arrivée. Mais je me sentais très bien, la pseudo rééducation qu'on me prescrit se passait à merveille, je décidais de sortir par moi-même. Vers le milieu d'après-midi, alors que la vie battait son plein dans le service où je suis, je me faufilais habiller en civil, et sans que personne ne s'en rende compte, j'arrivais à m'extirper de cette prison. J'atteignis tant bien que mal vers les dix-neuf heures dans son quartier. Il fallait que je lui dise tout. Ce soir. Que je sorte mes sentiments cartes sur table. Je ne pouvais plus vivre caché comme je le faisais jusqu'à maintenant. J'avais failli mourir, et cette expérience m'a ouvert les yeux. J'avais le bonheur devant moi depuis près d'un an, et il ne tenait qu'à moi de le saisir. Mais alors que j'approchais de sa maison, je vis un jeune d'à peu près mon âge au niveau de la porte. Il toqua, et elle vint lui ouvrir, le serrant dans ses bras. Sa famille apparaît également l'accueillir, tout en étant moins chaleureuse. Serait-ce... Non impossible, ça ne pouvait pas être son petit-ami. Je l'aurais su, si elle fréquentait quelqu'un enfin, je n'aurais pas loupé quelque chose d'aussi important. Et alors que je ressassais les mille et une possibilités que mon esprit voulait bien formuler, le voilà qui sort, sûrement après un bon dîner, dit au revoir à tout le monde une dernière fois, et s'en va le sourire aux lèvres. À ce moment-là, je n'étais qu'une boule de nerfs. Une rage en moi bouillonnait, et c'était malheureusement lui qui en prit les frais. Je me jetai sur lui et me mis à le tabasser. Ça faisait un mal de chien. Mes mains me faisaient affreusement souffrir, je sentais la peau qui se déchirait et le sang qui s'en dégageait. L'autre n'oublia pas de se défendre. Nous nous criions dessus de colère, quand le père de ma dulcinée vint nous séparer, enfin surtout moi. Il me maîtrisa sans trop de difficulté. La suite, vous devez la connaître finalement. Il appela la police, qui m'arrêta pour agression, coups et blessures. De plus, la culotte et les photos qu'on trouva sur moi m'inculquèrent aussi pour voyeurisme et violation de propriété privée. Avant de ne plus jamais la revoir, j'immortalisais avec mes yeux un seul visage : celui de cette fille, qui me dévisageait d'effroi et de dégoût. Aux vues de ma situation familiale, je témoigne contre mes parents, les services sociaux s'en mêlent, et nous y voilà, docteur. Dans toute cette histoire, certains diront que je devrais m'estimer heureux de m'en sortir avec un rapide séjour en prison pour mineur, une mise en foyer et des visites chez le psy. Mais...

Cette fois-ci, Jake ne put s'en empêcher. Les larmes coulèrent à flots sur ses jours, son corps se mit à trembler, et il termina du mieux qu'il put son histoire, la voix modulée par la tristesse.

– Mais c'est tellement dur ! Je... Comment je dois lui dire au revoir ? Je n'y arrive pas putain... Pourtant, je le sais, je le comprends que j'ai fait quelque chose d'horrible, et personne ne m'y a poussé. Je n'ai pas fait les bons choix, je le sais, mais tout de même...

– Nous avons déjà parlé de tout cela, Jake, encouragea la femme. Je sais que c'est un moment très difficile pour vous. Encore un petit effort, et le plus dur sera derrière vous. Je sais que vous pouvez y arriver. D'après vous, que devriez-vous faire maintenant ?

– Je... Je dois la laisser partir, parvint-il à articuler de ses lèvres tremblantes. Adieu Éla, adieu...

Il ne réussit plus à prononcer le moindre mot, fondant en larmes comme jamais auparavant.

Malgré la culpabilité qui l'accablera pendant un long moment, Jake devint un photographe imminent quelques années plus tard, reconnu par tous ses paires comme l'un des plus talentueux de sa génération. Il recevra de multiples récompenses, se mariera avec une femme qu'il aima à la folie, et donnera naissance à deux merveilleux enfants. Il se comporta en père et grand-père exemplaire pendant de nombreuses années, avant de s'éteindre paisiblement à l'âge de quatre-deux-vingt-deux ans. 

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