Chapitre 8 - Autre point de vue
Jay
Je me retrouvais à minuit à devoir prendre un ferry nocturne pour Staten Island. Je ne sais pas vraiment à quoi je m'attendais c'est vrai, peut être un appart bourgeois dans l'East ou le West side. En tout cas pas je n'aurais jamais misé sur le quartier le plus tranquille, confortable et le moins prisé de New York c'est clair.
Je restais sur l'arrière du ferry observant la rive s'éloignait peu à peu. Est-ce que j'étais sérieux à être là au beau milieu de la nuit pour aller voir une fille à peu près aussi prévisible qu'un tirage de loterie ? Et pourquoi elle ? Putain pourquoi je me préoccupais de son sort à elle ? Pourquoi depuis ce soir dans le bar elle ne cessait de poper dans mon esprit ? Je soufflais en laissant tomber ma tête par-dessus bord. Mes bras bien callés contre la rambarde je réfléchissais en observant la houle derrière le bateau.
Cette attraction entre nous, cette connexion je ne l'avais pas rêvé ? Peut être que si... En tout cas j'avais bien assez de regret dans ma vie pour être sûr de mon choix à cet instant. Peu importe ce qui arriverai ce soir je serais serein. Au-delà du fait que j'admirais son parcours, que j'aimais son caractère si sauvage et libre, quelque chose avait changé en moi ce soir-là, je n'aurais su dire quoi mais en voyant son sourire tout à l'heure j'ai su. Tout est devenu clair. Je voulais que tout ses prochains sourires me soient dédiés.
A l'intérieur de moi je me suis toujours senti, triste et seul. Que je sois accompagné ou en compagnie d'une personne hilarante ou pleine de vie ça m'était égal dans tout les sens du terme. Mon cœur me semblait si sec qu'en y réfléchissant j'ai toujours vu mon moi intérieur comme un petit gamin effrayé en boule dans un coin noir, des milliers de barrières tout autour et elle est arrivée. Elle a traversé mes barrières sans violence, sans un bruit et elle a juste tendu la main au gosse effrayé en moi, quand il a relevé la tête encore les yeux embués de toutes les misères que je lui faisais endurer il n'a vu que son sourire. Il était aussi resplendissant qu'un soleil à son zénith.
Elle était aussi triste et abimée que lui alors il prit sa main se promettant de ne jamais être la source de ces larmes. Mon petit scénario se dessinait dans ma tête quand le ferry accosta. Je sortis encore la tête dans les nuages malgré tout je chopais un taxi au passage et lui tendit l'adresse. Il lit l'adresse, se tourna vers moi un regard incrédule et suspicieux avant de lever les yeux aux ciels et démarrer.
Jay : Y a un problème ?
Taxi : Nan m'sieur.
Quand il me déposa je lui fis répéter l'adresse et il m'assura que c'était là en ajoutant que si je pouvais le payer vite pour qu'il puisse se barrer d'ici ce serait cool. Je m'exécutais docilement après tout pourquoi il m'aurait menti ? Je regardais l'adresse une dernière fois en observant l'immense usine qui se dressait devant moi. Je voyais bien des lumières dans les lucarnes en haut, quelques fenêtres sur les côtés ne laissaient rien voir à cause de stores vénitiens fermés.
Je pris mon courage à deux mains et frappais à la porte. Quelques secondes plus tard la porte s'ouvrit sur Lily aussi surprise que moi. Je détaillais sa tenue, elle portait un long tee shirt blanc usé par endroit avec écrit en lettres noirs 'FIRST I NEED COFFEE', je souris en lisant l'inscription. Mais avant qu'elle n'ouvre la bouche je pris la parole.
Jay : Je suis désolé Lily, je savais pas pour Cali. On s'en occupera je te le promets mais t'as pas le droit de partir comme ça et nous laissait en plan. Ecoute sa journée m'a montré à quel point tu étais géniale et que j'avais besoin de toi dans le groupe alors reste. S'il te plaît.
Lily : Si je dis oui tu t'en vas ?
J'étouffais un rire en baissant les yeux avant de les relever vers elle. Soudain une ombre derrière elle attira mon attention et un petit être endormi se logea entre les jambes de sa mère. Qu'est-ce qu'elle lui ressemble, on dirait un copier-coller.
Lily : Lara, tu veux bien retourner au lit il est tard ma puce.
Sa fille ne lui répondit pas sous mon regard incrédule mais elle activa ses mains avant de me montrer du doigt.
Lily : Grace à lui que quoi ?
Sa mère sourit, donnant à mon cœur du fil à retordre avant d'embrasser sa fille sur le sommet du crâne en répétant qu'elle devait se coucher. Lara tourna ses magnifiques yeux bleus dans les miens, posa sa main sur son menton et fit un mouvement dans mon sens.
Lily : Je dois aller la coucher. Je suis désolée...
Elle sembla jauger la situation une seconde avant de me poser la question.
Lily : Tu veux rentrer ? Tu peux m'attendre sur le canapé.
Elle porta sa fille dans ses bras et je ne sais pas pourquoi mais je la suivis. Il faut dire que sa maison était impressionnante. De l'extérieur on ne s'attendait pas du tout à ça, c'était à son image remarque. Imprévisible.
Elle coucha sa fille et revînt vers moi qui était accoudé à l'encadrure de la porte. Sa chambre était incroyable. Son petit lit ressemblait à un bateau échoué sous l'eau et la peinture était immersive au possible. C'est Dex qui aurait kiffé une chambre comme celle là !
Jay : Comment on dit bonne nuit en langage des signes ?
Elle ria doucement avant d'éteindre la lumière de la chambre.
Lily : Elle est muette, pas sourde !
J'enfonçais mes mains dans mes poches, un peu gêné avant de dire bonne nuit à la jeune fille. Lily retourna dans le salon et attrapa deux bières dans son frigo avant de s'assoir à côté de moi. Son salon était minimaliste le principal y était mais c'était agencé avec un soin particulier. Chaque chose était à sa place, on se sentait à l'aise. En même temps son salon prenait la moitié de l'usine à lui tout seul.
Lily : Qu'est ce que tu veux savoir ?
Jay : Si t'as pas envie de m'parler t'es pas obligé.
Lily : Dans ce cas comment tu as fait pour trouver où j'habitais ?
Jay : Je me débrouille en informatique mais j'avoue que t'es dure à trouver !
Elle rigola et je pus m'empêcher de poser ma main sur sa joue.
Jay : Qu'est ce que t'as dit ta fille ?
Lily : Elle m'a demandé si c'était à cause de toi.
Jay : De quoi ?
Lily : Que je recommençais à chanter et elle t'a remercié.
Son regard se fit plus intense comme si elle cherchait une réponse dans mon regard alors je fis ce que mon cœur me hurlait de faire depuis l'arrivée je l'embrassais. Même essoufflé nous n'en avions pas assez, elle répondait à mon baiser avidement nourrissant mon désir ardent avant qu'elle ne me repousse légèrement le torse. Elle passa ses jambes sur les miennes et cala sa tête près de ma tête contre le dossier du canapé.
Elle commença à parler de choses et d'autres, nous avons parlé pendant au moins une heure avant qu'elle n'aborde un sujet sensible, je pus ressentir immédiatement le changement d'ambiance mais je la laissais faire. J'eu la sensation qu'elle en avait besoin.
Lily : Elle est née muette. Mon accouchement a été très difficile, je suis restée 24h en salle de travail. Elle était mal positionnée et ils n'osaient pas tout de suite faire la césarienne. Au bout un temps qui me parût infiniment long où j'étais dans une phase de semi conscience ils m'emmenèrent enfin au bloc mais Lara étouffait depuis un moment déjà. Ils ne savent toujours pas si c'est à cause du temps qu'ils ont attendu, de son étouffement, ou le fait qu'ils l'ont ramené d'entre les morts mais ils se sont rendu compte que la partie du cerveau qui gère la parole était désactivé chez elle. Elle a des cordes vocales mais je n'ai jamais entendu sa voix. Ils avaient espoir comme dans certains cas qu'une autre partie du cerveau normalement inactive s'active et gère l'information mais ça n'est jamais arrivé. Des catholiques te dirait que Dieu lui a pris sa voix avant de la laisser partir. Elle a fêté ses 5 ans hier.
J'étais scotché. Je n'aurais jamais pu imaginer une histoire pareille.
Jay : Je pensais que ton changement de comportement et ton isolement était lié à elle mais alors non ?
Elle observa ses pieds avant d'inspirer un grand coup.
Jay : Je ne veux te forcer à rien ! Si tu ne te sens pas de me le dire ne dis rien, chaton...
Je lui caressais ses jambes nues étendues sur moi et elle releva des petits yeux sur moi avant d'entrouvrir ses lèvres en un léger sourire.
Lily : Quand j'avais 16 ans Maxwell m'a ramené de Russie avec lui mais mes parents n'ont accepté qu'à une condition que mon grand frère m'accompagne. Il était ravi de quitter la Russie parce qu'il pouvait enfin être lui-même... Il était gay autant te dire que l'idée que tu as de la Russie et des gays est encore pire que ce que tu imagines. Alors il est venu ici avec moi mais il n'a pas trouvé les bons amis et il est vite devenu accro à l'héroïne au début il semblait gérer, et puis c'est parti en live. Il n'était plus jamais clean, je ne reconnaissais plus mon grand frère. Il collectionnait les copains et évidemment quand il tomba fou amoureux c'était un toxico. Mais après une grosse défonce son petit ami est mort dans son sommeil juste à côté de mon frère, il s'est étouffé dans son vomi sans qu'il n'entende rien alors qu'il était juste là à porter de main. Ça l'a traumatisé et c'est à cette époque que je suis tombée enceinte alors il a décidé de reprendre sa vie en main. Après 4ans de désintox il est sorti clean comme un flocon de neige alors pour une fois dans sa vie.
Elle arrêta son récit en refoulant un sanglot et je la pris dans mes bras, la serrant le plus fort possible. Je savais qu'elle avait vécu des trucs horribles mais à 24 ans elle avait presque autant connu de misères que de moments heureux. Elle s'accrocha à moi comme à une bouée de sauvetage avant de continuer.
Lily : Il est venu à mon concert. C'était la première fois pour lui et pour moi qu'il écoutait un de mes concerts en pleine possession de ces moyens et je le revoyais après 4 ans. 4 longues années. A la fin du concert il était ravi et m'a félicité milles fois. M'a dit à quel point il était fier de moi. On a passé la soirée ensemble, il était tellement impatient de rencontrer sa nièce. Il a prit ma voiture pour rentrer alors que je lui ai dit que je m'arrangerai avec Maxwell sans problème et que j'avais encore quelques mains à serrer et il est partit. Sur la route il a rencontré un chauffard ivre qui l'a percuté sur la voie rapide à contre sens. Le choc a été tellement brutal qu'il lui a démit quelques vertèbres, il est mort lentement dans ma voiture sans même voir sa nièce. C'était il y a 6 mois.
Des sanglots incontrôlables la secouèrent alors que je surpris quelques larmes couler sur mon propre visage. Maintenant je comprenais tout, j'avais vécu un drame moi aussi et je la comprenais bien plus qu'elle ne pouvait l'imaginer.
Lily : Alors tu vois je ne vois que des millions de raisons d'arrêter la musique et pas une seule de continuer parce que c'est ma faute ! Si j'avais pas insisté pour qu'il vienne, si j'avais gardé ma voiture, si je l'avais fait ramené même si je l'avais accompagné... C'est MA FAUTE. C'est moi qui l'ai tué, tu entends ?
Je la serrais un peu plus fort contre moi espérant pouvoir atténuer sa peine, la prendre ne serait-ce qu'un peu sur mes épaules en sachant parfaitement que je ne pouvais qu'être la pour elle... Elle me parut si fragile à cet instant, comme une poupée de chiffon...
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