Tranches de vie

Et enfin, le port de Nantes apparut. Cela rappela des souvenirs à Valjean. Ce n'était pas si éloigné dans le temps. Thénardier !

« Qu'est devenu Thénardier ?

- Il a été guillotiné durant mon temps à Cayenne. »

Valjean accusa le coup. Jamais il n'en parlerait à Azelma. Son père était mort, rejoignant tous les membres de sa famille. Aujourd'hui, elle devait être mariée. On était en novembre. Le procès de Fieschi avait eu lieu il y avait un an.

Lacenaire était mort guillotiné depuis si longtemps.

Javert avait disparu depuis si longtemps de Paris.

On ne s'arrêta pas longuement à Nantes mais on ne fut pas pressé de rentrer à Paris. On déambula le long de la côte. Puis on prit la diligence.

Il fallait se tenir, ne pas se toucher, ne pas se parler trop intensément. Javert était bon à ce jeu, Valjean n'était pas un mauvais acteur non plus.

Deux vieux amis sur le déclin de leur vie.

Paris les accueillit dans le froid et la pluie. Javert avait froid. Il regretta la chaleur humide de Guyane. Mais il allait s'y faire.

Il ne commença à tousser que le jour où il emménagea rue Plumet.

M. Gisquet était encore là mais pour peu de temps. Il devait bientôt quitter son poste et laisser la place. Javert le salua avec respect.

« Alors Javert ! De retour dans l'active ?

- Cela ne dépend que de vous, monsieur. »

Javert ne jouait plus la comédie du respect. Il n'avait pas oublié la « machine infernale », il n'avait pas oublié les dix-huit morts, il n'avait pas oublié son inspecteur, Cauffier, une grande gueule mais un bon officier, il n'avait rien oublié et rien pardonné !

« Je ne suis pas sûr que cela ne dépende que de moi.

- Comment va M. Chabouillet ?

- Toujours en vie. Allez le voir, vous lui ferez plaisir. Ensuite revenez me voir, nous allons reparler de ce commissariat du poste de Pontoise ! »

M. Chabouillet. C'était un vieillard maintenant. Il ne quittait plus le lit et attendait la mort. Sa femme se tenait à ses côtés, dans la détresse. L'ancien secrétaire du Premier Bureau fut tellement surpris, tellement heureux de voir Javert qu'il lui prit les mains. Les serrant si fort avec sa force dérisoire.

« Javert ?! Vous êtes de retour ?

- Il semblerait, monsieur. Si M. Gisquet le veut bien, si M. Allard le permet...

- Le choléra a décimé nos troupes. Nous manquons d'officiers.

- Je ne suis plus tout jeune, moi non plus. »

Un sourire triste. Oui, Javert avait vieilli. Cette solitude, cette mélancolie qui n'en finissait pas, cette fièvre qui l'avait tellement brisé...et cette douleur éternelle dans la poitrine. Peut-être ne valait-il mieux pas reprendre un poste de commissaire, sachant qu'il n'y resterait pas longtemps.

Car Javert le savait !

Valjean était si heureux ! Ils emménagèrent rue Plumet. Il était heureux ! Jean-Luc allait bien, Cosette était à nouveau enceinte, Jeanne se portait comme un charme... Et Javert était là avec lui. Valjean fut tellement content que Javert ne retourne pas dans la police ! Il ne saisit pas la raison de ce renoncement. Aveugle qu'il était !

Javert le savait ! Et se tut !

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