Sur la piste
Quelques jours ! Encore ! Valjean ne cessait de songer à Javert. Il ne lui semblait n'avoir fait que cela de toute sa vie...
Et puis, trois jours après cette nuit fatidique, en début de matinée, on frappa rue des Filles-du-Calvaire. Nicolette, la servante, vint ouvrir et fit entrer un homme, grand, habillé de sombre et particulièrement imposant. Il tenait un sac au bout de son bras. Elle reconnut aussitôt l'inspecteur Javert. Elle eut un sourire incertain, l'homme était impressionnant...et des histoires circulaient dans les rues sur sa cruauté et son insensibilité.
L'inspecteur, devenu commissaire, retira son chapeau avec affabilité et dévoilant ses dents dans un sourire désagréable à regarder, il s'enquit de M. Valjean.
« M. Valjean est dans sa chambre. Je vous annonce. »
La grimace fut éloquente mais Javert hocha la tête pour acquiescer. Il laissa tomber son sac sur le sol et patienta.
Il ne fallut que quelques minutes à Nicolette pour venir chercher le commissaire et le mener jusqu'au salon.
Jean Valjean était en train de se reposer et de lire lorsque Javert est arrivé. L'ancien forçat descendit dans le salon pour accueillir l'ancien garde-chiourme. Les deux hommes se serrèrent la main et Javert demanda, d'un ton de conspirateur :
« Personne à la maison ?
- M. Gillenormand fait la sieste, Cosette se promène avec Azelma et sa tante. Les femmes veulent davantage de laine pour la layette. »
Cette idée fit sursauter Javert. Oui, il avait oublié ! La fille de Valjean, cette baronne de Pontmercy était enceinte. Tout à coup, le policier hésita à continuer la démarche qu'il était venu entreprendre. Valjean était un homme rangé, avec une famille, des obligations... Javert était seul dans la vie et n'avait plus grand chose à perdre.
Peut-être était-il temps de lui foutre enfin la paix ?
Javert hésitait à parler et cela n'échappa pas à Valjean. Le regard tellement compatissant qu'il accablait Javert, Valjean posa sa main sur l'épaule du commissaire.
« Pas trop dur ? »
Javert se secoua et s'éloigna de la main de Valjean, un sourire tordu aux lèvres.
« Je suis mis à l'épreuve, mais M. Chabouillet a plaidé en ma faveur, comme toujours. Le vieux lion n'est plus du Premier Bureau mais il a toujours voix au chapitre.
- Mis à l'épreuve ?
- Encore un faux-pas et je redeviens inspecteur, voire sergent.
- Ce sont tous des imbéciles ! »
Javert sourit avec amusement à cette parole pleine de fiel.
« Je suis d'accord avec eux.
- Javert ! Tu n'as pas rapporté honnêtement ce qu'il s'est passé cette nuit ! »
Le policier haussa les épaules.
« Il valait mieux que j'endosse seul la responsabilité de cet échec plutôt que le Bureau et Vidocq en soient éclaboussés. C'est pour cela que je suis venu sans mes hommes et sans mon uniforme. Ce n'est que moi qui suis fautif. Comme l'a dit Gisquet, j'ai péché par excès d'orgueil, cela ira mieux quand j'aurai appris à nouveau ma place.
- Excès d'orgueil ?
- C'est l'orgueil qui m'a poussé à agir sans l'aval de la Préfecture et sans l'aide de la Sûreté. On me pardonne mon incurie mais on m'a prévenu. J'évite le blâme ou la retenue sur salaire, c'est déjà ça.
- Ce sont des ingrats ! »
Javert rit soudain puis il secoua la tête.
« Tu te souviens de Montreuil, Valjean ? Tu te souviens de l'affaire Pavlovski ? »
Une rougeur intense colora les joues de Valjean. M. Madeleine baissa la tête, gêné.
« Javert, ce n'est pas juste de ta part.
- Mais si ! Car c'est la même situation !
- M. Pavlovski était un voleur et un contrebandier, je le sais maintenant. Je... »
Ne sachant pas quoi dire de plus, Valjean se tut, se concentrant sur le jardin sous la neige. Il entendait le rire de Javert, son rire plein d'ironie.
« Je le savais ! J'ai du passer outre les ordres de mon supérieur en titre. J'ai enquêté sur le port pendant des semaines, à surveiller les bateaux, à me cacher sous un déguisement. J'ai surveillé, j'ai filé et j'ai pris le gonze en flagrant délit de trafic d'opium. »
Un silence puis Javert lâcha les dents serrées sur sa haine de M. Madeleine.
« Et puis je ne voyais pas pourquoi j'aurai plié l'échine devant un bagnard... J'espérais presque que tu serais complice. Ainsi je vous aurai arrêté tous les deux avec joie !
- Javert ! Je ne pouvais pas te croire sur parole. M. Pavlovski était un membre de mon conseil municipal, un homme riche et bien vu.
- Je le savais ! Merde ! Je suis venu vous apporter mes preuves, mes dossiers, je vous ai demandé le droit de procéder à une arrestation. Et vous...
- Je vous ai menacé de blâme ! Je sais.
- Avez-vous envoyé votre rapport à Paris ? Je ne l'ai jamais su. L'affaire Fantine m'a empêché de réfléchir à cela.
- Non, je n'ai pas envoyé de rapport, » admit Valjean, aigrement.
Et Javert, un large sourire aux lèvres, content de sa victoire enfonça le clou sans pitié.
« Peut-on savoir pourquoi ?
- Parce que vous aviez raison. C'était vrai. Un membre de mon conseil municipal, un homme que je côtoyais le dimanche à la messe, était un criminel. Incroyable. Mais l'homme m'a tout avoué lorsqu'il s'est senti dans les mailles de votre filet !
- Je n'ai jamais oublié vos propres mots à mon encontre M. Madeleine. « Comment avez-vous osé Javert ? Enquêter sans mon ordre ? Sur un citoyen de ma ville ? Vous mériteriez que je vous casse rien que pour briser votre orgueil ! »
- J'étais en colère, Javert. Et vous avez tout de même arrêté Pavlovski. »
Le silence retomba entre eux, désagréable. Javert le brisa d'une voix positivement agacée.
« Le préfet m'a tenu aujourd'hui le même langage que M. Madeleine mais cette fois il était mérité. Alors cesse tes jérémiades, j'ai un honneur à sauver.
- Un honneur ?
- Le mien ! Je suis en congé sans solde pour une durée indéterminée.
- Comment cela ?
- M. Gisquet a accepté avec empressement de me permettre de partir quelques jours à la campagne...histoire de réfléchir aux conséquences de mes actes...
- A la campagne ?
- A Beaune plus exactement.
- Pourquoi Beaune ? »
Un fin sourire, Javert se tourna tout à coup vers Valjean et se pencha face à lui avant de murmurer :
« Parce que je suis sûr que Lacenaire est là-bas !
- Quoi ?
- Et je veux l'arrêter moi-même pour le jeter aux pieds de tous ces gratte-papiers !
- J'en suis !, » lança Valjean.
Comme la première fois, comme dans ce café de l'Archange lorsque Vidocq et Javert lui avaient proposé de passer un contrat. Sa grâce contre un travail avec la Sûreté. C'était toujours la même idée mais on ne cherchait plus la grâce de Valjean mais le retour en grâce de Javert.
« Laisse-moi juste prévenir ma fille de mon départ. Je prépare un sac et je te suis.
- A la bonne heure ! »
Et Valjean demanda à Nicolette de servir du café au policier tandis que lui-même retournait dans sa chambre. Prendre l'essentiel, quelques vêtements, quelques livres, quelques billets cachés dans les doublures de ses habits. On ne se refait pas.
Nicolette avait bien obéi aux ordres de M. Valjean. Lorsque ce dernier revint dans le salon, il y trouva Javert assis, perdu dans ses pensées, une tasse de café dans les mains. Valjean remarqua alors les longues mains de Javert, dont la couleur sombre contrastait avec la fine porcelaine blanche. Il était vrai que Javert ne pouvait pas faire mentir son sang. Il était un gitan. Son passeport jaune. Et ses longues mains tremblaient. Épuisement ? Nervosité ? Alcoolisme ? Valjean n'arrivait pas à se souvenir s'il les avaient déjà vues trembler avant. Il en fut saisi et resta un instant à les observer en silence. Javert le sentit et leva la tête. Il fut surpris en voyant ce regard étrange que Valjean posait sur lui.
« Quoi ?, demanda aussitôt Javert, troublé.
- Rien... As-tu dormi ces jours-ci ? »
Un mensonge que le policier accepta avec empressement. Levant les yeux au ciel et jouant à merveille les blasés.
« J'ai fait attention à moi, daron. Je vais bien.
- Je suis heureux de l'apprendre. Tu m'expliques comment tu as découvert que Lacenaire est parti à Beaune ? »
Javert retrouva son sourire carnassier, toujours aussi laid... Valjean apprenait à l'apprécier malgré tout.
« Tu avais raison, Le-Cric ! Notre homme est parti en Bourgogne, il est allé se réfugier dans la famille de son père, à Beaune.
- Depuis quand tu le sais ?
- Depuis aujourd'hui ! Depuis le 7 janvier. Dés l'aube suivant le coup de filet rue Montorgueil, j'ai fait surveiller les diligences par mes mouchards. On a reconnu mon homme ce matin dans la diligence de l'est.
- Pourquoi ne pas l'avoir arrêté alors ? »
Javert frappa du poing sur le bras du fauteuil avant de grogner, menaçant :
« Car je veux le prendre en flagrant délit d'un nouveau crime. Je veux lui laisser une laisse assez longue pour lui donner l'illusion de la liberté. Et lorsqu'il sera en train de faire son coup, je tirerai gentiment sur le lacet et je le ramènerai à Paris. Je me ferais une joie de le donner en pâture à Gisquet et à Allard.
- Mais tu ne risques pas de le payer encore plus cher ?
- Si je le rate, en effet. Mais nous ne le raterons pas.
- Javert !
- Que veux-tu que je perde ? Ma position de commissaire ? Je n'en voulais pas. Mon poste d'inspecteur ? Deux ans que j'ai démissionné...bientôt trois...
- Ta vie peut-être...
- Tu serais bien le seul à la déplorer. Avec Vidocq peut-être.
- Javert ! Tu exagères !
- C'est toi qui exagères ! J'admets que je ne suis pas le meilleur des policiers, j'admets que je commets des erreurs plus souvent qu'à mon tour... Veux-tu venir avec moi m'aider à capturer Lacenaire ? Oui ou merde ?
- Je te l'ai dit, je viens. Mais pourquoi ne pas le faire officiellement ? Ou avec Vidocq au moins ?
- Parce que je veux ce Lacenaire et je veux l'avoir seul ! Je ne suis venu te chercher qu'à cause de cette maudite jambe et de ce maudit bras. Je suis diminué. »
Et Valjean se souvint tout à coup d'une petite chose que Vidocq lui avait dite à propos de Javert, « Pourquoi crois-tu qu'il ne t'a jamais proposé pour mes services ? Des années que tu pourrais être libre parmi mes hommes. Mais Javert perd son sens lorsqu'il s'agit de toi ! Je ne pige pas que vous ne vous soyez pas déjà entre-tués ! »
Peut-être Javert était-il en train de rejouer la même comédie ? Il s'était trouvé un nouveau dossier à porter envers et contre tout et en faisait une affaire personnelle... Peut-être pour ne pas retourner à la Seine... Valjean n'ajouta rien et se concentra sur son café qui refroidissait.
Les deux hommes restèrent dans un silence pesant puis les femmes rentrèrent enfin de leur promenade. Azelma disparut aussitôt qu'elle vit le policier, le visage pâle de peur. Sa beauté abasourdit Javert, Azelma était devenue une jolie jeune femme, bien habillée, digne de la baronne de Pontmercy sa sœur. Elle ne ressemblait plus du tout à ce petit chat sauvage, maigre et noir de crasse que le policier avait ramassé dans un hôtel de Nantes.
Cosette s'approcha du commissaire avec un aimable sourire et le salua chaleureusement. Mlle Gillenormand s'assit dans le fauteuil le plus proche de Javert et lui fit un gracieux signe de tête. Javert tenta d'ignorer le rire contenu de Valjean. Le terrible inspecteur Javert prisonnier des femmes !
Cosette prit la parole en premier et ce fut pour fustiger le policier, gentiment mais sûrement.
« Monsieur ! Je devrais vous gronder ! Nous avoir arraché mon père le soir du Nouvel An ! Cela ne fut pas très aimable de votre part.
- Je ne pouvais pas quitter mon poste, madame la baronne.
- Cosette, le coupa-t-elle. Je suis Cosette pour les amis de mon père. Et mon père en a si peu.
- Je ne saurai vous appeler ainsi, madame. »
Ce fut dit sur un ton si froid que le sourire de Cosette devint plus incertain. Valjean comprenait et ne pouvait rien dire, à moins de remuer le passé. Encore !
Javert avait tué la mère de Cosette, la pauvre Fantine et son fantôme sera pour toujours entre eux. Javert ne se l'était pas pardonné, malgré ses justifications, malgré la sacro-sainte Loi, Javert ne pouvait se pardonner sa colère qui avait tué Fantine...mais il avait fallu la Seine pour le comprendre.
« Bon, ce sera comme vous le désirez, monsieur, rétorqua sèchement Cosette.
- Ce sera donc ainsi. »
Javert préféra cela, la froideur de la jeune femme, le sentiment de ne pas être à sa place clairement visible sur les visages, même la tante avait perdu son sourire amical.
« Donc la prochaine fois que vous désirez inviter mon père, monsieur le commissaire, je vous serais vraiment gréée si vous pouviez nous prévenir à l'avance et certainement pas les jours de fête familiale.
- Je le considérerai, madame, acquiesça Javert.
- Cosette, commença Valjean, se voulant apaisant. Javert est mon ami, il ne souhaitait que passer un peu de temps en ma compagnie. Il...
- Papa, opposa durement Cosette, pas les jours de fête ! Tu nous as manqué ! Et le commissaire devait certainement avoir d'autres amis à inviter que toi, non ? »
Javert eut un beau sourire, mais c'était celui qui ne se reflétait pas dans les yeux, restés gelés.
« En effet, madame. Je ne me permettrais plus une telle privauté.
- C'est très bien. »
Un lourd silence, Valjean était attristé de voir les deux personnes qui comptaient le plus pour lui se déchirer ainsi. Le plus ? Valjean se surprit d'avoir une telle pensée, mais il fallait dire que tous ces mois l'avaient rapproché de Javert et Valjean n'avait jamais été aussi proche de quelqu'un dans sa vie, hormis Cosette.
Il décida d'essayer de calmer les esprits en lançant aimablement :
« Javert était sur une affaire, ma douce, il voulait juste passer quelques heures en ma compagnie. L'année prochaine, je souhaiterai l'inviter ici, si cela est possible. »
Trois paires d'yeux le contemplèrent avec stupeur. Valjean poursuivit en souriant :
« Javert est mon ami, il va me manquer sinon. Il m'a manqué cette année. »
Le policier restait bouche bée, ce qui ne lui allait pas du tout, lui donnant un air stupide. Cosette se reprit la première et rétorqua, d'une voix incertaine, pleine de culpabilité :
« Si tu le désires, papa. Bien sûr que nous pouvons inviter le commissaire. Il est vrai que nous n'y avons pas pensé Marius et moi... Il...
- Ce n'est pas grave, ma Cosette, fit Valjean, conciliant. Mais j'aimerais côtoyer Javert plus souvent. Il se fait rare et son travail ne lui laisse que peu de temps libre. Alors lorsqu'il a vu quelques heures à utiliser pour me voir, il n'a pas hésité...sans avoir songé, il est vrai, que la date était peut-être mal venue... »
Valjean souriait, il avait retourné la situation avec brio. Javert contemplait cela, outré et stupéfait. Il venait de voir M. Madeleine dans l'un de ses meilleurs jours, discutant, argumentant et remportant le débat par une pirouette verbale agrémentée d'un sourire bienveillant.
Et Javert avait senti les poils de sa nuque se hérisser, le tigre légal en lui grondait encore. M. Madeleine ! Maintenant Cosette ne savait plus quoi dire, gênée d'avoir attristé son père durant les fêtes et se demandant s'il y avait d'autres choses que son père souhaitait et qu'elle négligeait. Javert jeta un regard brillant de colère sur Valjean, mais celui-ci souriait toujours. Il devait profiter de sa chance.
« D'ailleurs ma chérie, le bon commissaire est venu me proposer un voyage d'agrément en sa compagnie.
- Un voyage d'agrément ?, répéta Cosette, encore plus sidérée.
- Javert a quelques jours de repos à prendre pour rétablir sa santé. Il m'a demandé de l'accompagner à la campagne afin de veiller sur lui. »
Et voilà ! C'était dit ! Comme si Cosette pouvait refuser ! L'idée de soutenir le vieux policier malade remporta la mise sans même avoir à tergiverser.
Javert sentait la moutarde lui monter au nez mais il ne dit rien, sachant rester impassible. Cosette se tourna vers lui, quémandant un réconfort. Javert essaya de sourire aimablement avant de lâcher du bout des lèvres :
« Je ne suis pas au mieux de ma forme, c'est un fait, et Valjean est mon seul ami. »
Ce n'était même pas un mensonge. Cosette approuva, choquée par les paroles du policier. Ainsi le commissaire Javert n'avait qu'un seul ami, un peu comme son père et il avouait être mal portant. C'était un aveu tellement personnel que Cosette ne dit plus rien et souhaita un bon rétablissement et un bon voyage aux deux hommes.
Elle se chargerait de prévenir M. Gillenormand et Marius. Elle attendrait leur retour avec impatience...surtout que la date du retour n'était pas encore fixée...
Dans la rue, en attendant le fiacre qui allait les mener au point de départ des diligences de l'est, place Maubert, Javert se tourna vers Valjean, laissant enfin poindre son ressentiment.
« Que tu mentes aussi bien à ta fille Valjean me semble particulièrement indécent mais que tu oses me mêler à tes histoires, voilà qui dépasse l'entendement ! »
Valjean se borna à sourire avant de répondre, simplement :
« Tu préférais que je dise à ma fille que le commissaire Javert était venu m'entraîner à la chasse aux tueurs ? Je suis sûr qu'elle aurait apprécié !
- J'aime la vérité, rétorqua Javert, même si je sais que parfois un mensonge n'est pas inutile.
- Alors nous sommes d'accord !
- Tu es né pour être un mouchard, Valjean, je regrette de ne pas avoir décelé ton potentiel à Toulon ! Je t'aurai utilisé à ma façon !
- Jamais je n'aurai accepté de parler avec un argousin !
- Dix coups de fouet pour insolence ! De vieux souvenirs, hein le fagot ?
- Tu le sais aussi bien que moi, le Pharaon ! »
Oui Javert était fâché mais Valjean avait eu raison d'agir ainsi. Un fiacre se présenta enfin et cela calma les ardeurs.
Bien installés dans une diligence à quatre chevaux, sous une couverture épaisse et avec une chaufferette à leurs pieds, les deux hommes se préparaient à prendre leur mal en patience. Ils devaient voyager quatre jours avant d'arriver à Beaune ! Surtout avec ce temps d'hiver, ses routes enneigées et ses plaques de verglas traîtresses...
Pour couper court à toute tentative de discussion, Javert se cala dans l'angle de la voiture, laissant sa tête partir en arrière et glissant son chapeau sur ses yeux. Dormir...
Valjean, plus constructif, sortit un livre de sa poche, un petit recueil de poésies, Les Orientales de Victor Hugo et perdit les heures suivantes dans la lecture...avant de s'écrouler à son tour contre le bord de la voiture. Se laisser dériver vers le sommeil...
Le soir était bien sombre lorsque la voiture s'arrêta dans la cour d'une auberge servant de relais. Les deux hommes purent réserver une chambre et un repas chaud. Il y avait du monde, de la chaleur, de l'alcool... Un endroit propre et bien tenu. Cela fit sourire Javert, un sourire ironique.
« Cela ne ressemble pas du tout à Montfermeil, n'est-ce-pas ? »
Valjean sursauta, comme à son habitude lorsque Javert l'attaquait sur le passé, lui montrant à quel point il savait tout de lui.
« Tu dois le savoir si tu y es allé.
- Au sergent de Waterloo... Oui, j'y suis allé. Je me suis traité de jobard à l'époque. Tu avais été déclaré mort noyé. Thénardier m'a expliqué que le grand-père de la gamine était juste venu la chercher. J'étais trop troublé pour avoir vraiment fait attention au lieu. Je me souviens de la pauvreté, de l'humidité et de la puanteur.
- Ils avaient d'autres enfants...
- Oui, reconnut Javert. J'aurai du les sauver mais j'étais obnubilé par toi. Aveugle au reste, comme toujours. »
Et le silence fut lourd et amer.
Puis les deux hommes se saluèrent avant de se coucher.
Une nuit de repos bien venue.
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