Séduction

Cette fois les jours devinrent des semaines. Valjean ne cessait de penser à Javert. Il avait trop bu, peut-être, sûrement, et le fait d'avoir dansé l'avait rendu enthousiaste. C'était vrai. Et le souvenir des baisers de Javert était troublant.

Un bon acteur ? Trop pris par son rôle ?

Les semaines passèrent sans nouvelle de Javert. L'automne était bien là, profond, froid et humide. Un temps difficile à vivre, Valjean souffrait dans ses os de l'humidité. Sa jambe était douloureuse. Il était vieux, songeait avec amertume Valjean.

Et il n'avait eu aucune nouvelle de Cosette.

Valjean retombait dans sa mélancolie...

Il ne comprit pas la joie qui le saisit lorsqu'un message lui arriva mais c'était comme si un feu avait brûlé son âme :

6, rue Petite-Sainte-Anne, 15 heures.

Valjean, tout à son bonheur, ne remarqua pas l'écriture enlevée. Ce n'était pas la main de Javert. Il ne remarqua rien et attendit avec anxiété l'heure la plus raisonnable pour partir. Il déchanta lorsqu'il se vit face à Vidocq, dans les bureaux de la Sûreté. Son air déconfit n'échappa pas au chef de la Sûreté et le fit rire.

« En manque de ton argousin, Valjean ?

- Où est Javert ?

- En mission, Valjean. Javert est un bon agent.

- En mission ?

- A Lyon. Javert est en chasse. Figure-toi qu'il croit avoir reconnu le jeune Viallet dans un dénommé Lacenaire. Il est sur sa piste et la piste commence à Lyon.

- Pour combien de temps ? »

Un nouveau sourire, Valjean se fustigea. « Tu surjoues »... Peut-être pas après tout ?

« Pour le temps qu'il faudra. J'ai besoin de toi, Valjean.

- Que me veux-tu ?

- Ta grâce est en pourparlers mais j'ai besoin d'une belle action de tézigue pour remporter la mise.

- Donne l'affaire.

- Crachons un peu dans ce cas et je verrais si ça te botte. »

Un sourire partagé. Il y avait si longtemps. Toulon...

« Il faudrait que tu retournes à la Paimpolaise.

- Sans Javert ?

- Il te manque ton argousin ? Pour de vrai ?

- Comment je vais expliquer cela ?

- Tu as une Sorbonne ? Utilise-la.

- C'est quoi le but ?

- Me trouver un des potes de Viallet. Javert m'a dit qu'ils allaient bien à la Paimpolaise. Avril, Bâton et Chardon.

- En effet.

- Trouve-m'en un. Carrée, bague... Tout ce que tu peux.

- Sans Javert ?

- L'embrasse si bien le rabouin ? »

Et Valjean sentit ses joues le brûler tandis que Vidocq se mit à rire aux éclats.

« Javert ne m'a rien dit sur votre béguin.

- Non, non. Surtout pas ! Il n'y a pas de béguin. Je m'inquiète pour lui. »

Le rire disparut et les yeux de Vidocq devinrent froids. Surprenant Valjean.

« Un conseil Jean-le-Cric, éloigne-toi de Javert.

- Comment cela ?

- Javert est...difficile à saisir... Et tu es la dernière personne au monde qu'il voudrait voir interférer dans sa vie.

- Il me déteste ?

- Tu n'en as pas idée. Ou plutôt tu l'as oublié, hein monsieur le maire ?

- Je ne l'ai jamais haï !

- C'est tout à ton honneur, Valjean. Javert est plus pragmatique. Pourquoi crois-tu qu'il ne t'a jamais proposé pour mes services ? Des années que tu pourrais être libre parmi mes hommes. Mais Javert perd son sens lorsqu'il s'agit de toi ! Je ne pige pas que vous ne vous soyez pas déjà entre-tués !

- Je ne l'ai pas tué parce que je ne l'ai jamais haï ! Est-ce si difficile à comprendre ? Il ne méritait pas de mourir comme ça ! Attaché comme un chien.

- Pardon ? Qu'est-ce que tu m'ergotes ?

- Hé bien à la barricade ! Il a bien du te faire un rapport ?!

- Au préfet oui ! A ce mariole de Gisquet qui refuse de partager ses dossiers avec moi et qui pleure quand il a besoin de moi. Moi ! J'ai rien pu faire pour Javert, je ne savais même pas qu'il était là. Et j'étais bien trop occupé à leur sauver les miches, à tous, avec mes hommes. J'organisais mes patrouilles, j'étais dans la Cité, je me suis même fait tirer dessus par ce jobard de Toubriaut aux barricades. Je suis allé à la barricade de Saint-Merry. Mais Javert était aux égouts, Javert allait nous jouer sa grande scène ! Mais j'ai l'impression qu'il y a eu tout un opéra avant ce dernier acte !

- De quoi parles-tu ?

- De la Seine, abruti ! Son plongeon pour un problème d'ego. Que s'est-il passé pour le pousser à sauter ?

- Je l'ai laissé libre à la barricade de Saint-Merry.

- Et il espérait mourir. Quelle ironie de tomber encore sur toi !

- Espérait mourir ?

- Cet idiot m'a parlé d'une agression, d'un accident, d'une profonde fièvre... Il a changé mille fois d'histoire pour mieux me berner. C'était une crise de conscience !

- C'est pour cela qu'il m'a laissé partir aux égouts ?

- Il n'y avait personne aux égouts ! C'est ce qu'il m'a dit de cette journée de merde du 6 juin !

- Mais...

- Il n'y a jamais eu personne aux égouts ! Seulement un homme qui souffrait et qui allait se tuer dans l'heure suivante ! MERDE JAVERT ! Lorsque je t'aurai entre les pattes, je vais te faire chanter !

- Il y avait moi... »

Et Marius de Pontmercy... Javert n'avait rien dit. « Je vous attendrai... » Il planifiait sa mort durant ce fameux voyage en fiacre ? Valjean en fut décontenancé. Comme à son habitude, il se sentait tellement idiot lorsqu'il s'agissait de Javert.

« Il y avait moi et Javert m'a laissé libre.

- Et il est parti rédiger sa petite note de service avant de plonger dans la Seine !

- Que s'est-il passé ? »

Mais Vidocq était fâché. Contre Javert. Contre Valjean. Contre Gisquet. Contre lui-même. Des semaines que l'inspecteur de police le tournait en bourrique.

« Va au turbin Valjean. Je veux te voir demain à la première heure. Tu me feras un rapport complet. Sur les affaires qui m'intéressent. Maintenant que tu te couches ou pas, et avec qui tu le fais, je m'en contrefous.

- Mais...

- VA !!! Je t'ai assez vu pour aujourd'hui. »

Valjean ne se le fit pas dire deux fois et quitta la rue Petite-Sainte-Anne, le cœur en chamade et l'esprit vacillant.

Ainsi Javert l'avait vraiment fait... Valjean avait vraiment failli obtenir la liberté au prix de la damnation d'un homme. Valjean eut envie de vomir.

Un passage chez lui, une toilette minutieuse et M. Jean fut accueillit avec entrain à la Paimpolaise. Entrain et surprise.

« Où est M. Jacques ?

- En voyage d'affaire. Il m'a laissé célibataire.

- Voulez-vous de la compagnie ? Je crois que Pierre est seul également.

- Cela me ferait très plaisir. »

Ce fut une soirée agréable en réalité. Pierre était un homme gentil et attentionné, un ancien notaire à la retraite et abandonné par ses enfants, à cause de ses tendances homosexuelles. On tolérait le vieux car on attendait son héritage mais Pierre en souffrait. Valjean fut rempli de compassion. Les deux hommes parlèrent. Valjean raconta son usine perdue, sa petite Cosette maintenant mariée, sa vie solitaire jusqu'à l'arrivée de Javert. Une main se posa sur la sienne et un pouce caressa son poignet.

Valjean avait appris à sourire aimablement, le sourire de M. Madeleine. Il pensait à Cosette et à sa grâce promise par Javert et Vidocq. Il voulait partir.

Il lui fallait endurer.

« Assurez-vous qu'il sache la chance qu'il a de vous avoir Jean. Vous êtes un homme charmant. »

Valjean sourit et se laissa courtiser. Car c'était ainsi qu'il fallait appeler les sourires, les regards, les caresses... C'était ce que signifiait la danse durant laquelle Pierre mena Valjean en ne le quittant pas des yeux.

Valjean regardait Pierre et voyait Javert. Il se rappelait ses sourires approbateurs, l'ironie brillant dans ses yeux clairs. Maudit Javert !

Valjean n'avait jamais embrassé d'hommes avant Javert !

Il se souvenait malgré lui de Toulon, comme une vague venant le noyer, de l'eau fétide sortie de l'égout. Boucard avait essayé une fois, Valjean lui avait cassé le nez. Il avait pris trois ans de double-chaîne pour ça mais on l'avait laissé en paix.

Jean-Le-Cric n'était pas de la jacquette ! Qu'on se le dise !

Valjean avait aimé des femmes, il n'avait jamais touché d'hommes à Toulon, n'ayant que mépris pour cette parodie de l'amour. M. Madeleine n'avait qu'un désir, celui de satisfaire tout le monde et de racheter ses péchés. Javert ne signifiait rien ! Quant à M. Fauchelevent, le couvent l'avait marqué, il était si pieux, si tranquille, une âme vouée à Dieu. Embrasser Javert ne signifiait rien !

Tout comme embrasser Pierre dans un salon privé de la Paimpolaise.

N'est-ce-pas ? RIEN !

« Il n'est pas jaloux ton journaliste ?, souffla Pierre tout contre la joue de Valjean.

- Un vrai tigre. Un peu étouffant. Je n'ai jamais vu quelqu'un de si possessif. »

Pierre était gentil et Valjean avait mal de le tromper ainsi. C'était cela le jeu d'un mouchard ? Javert avait-il déjà joué ce genre de scène ?

Valjean songea à sa grâce. Peut-être pourra-t-il quémander auprès du baron de Pontmercy le droit de revoir Cosette ?

Il fallait juste jouer un rôle ce soir. Celui d'un séducteur. Et imaginer que la bouche qu'il embrassait était celle d'une femme. Valjean avait envie de vomir...et de fracasser le visage de son vis-à-vis. Calme Le-Cric !

M. Madeleine n'avait jamais fait cela. Il innovait ce soir.

Cela avait été plus facile avec Javert finalement.

« J'ai vu pire, opposa Pierre. C'est un homme doux. Il y a des hommes au sang chaud. »

Javert pouvait-il le regarder avec cette adoration ? Personne n'avait jamais regardé Valjean ainsi. Les filles de ferme n'aimaient Valjean que pour sa force et sa bite. Pour sa douceur aussi...

« Ce Victor peut-être ?, » murmura Valjean en souriant.

Bon acteur. « Tu vois Javert ? Espèce de salopard ! »

« Oui. Il a failli se battre en duel contre un des clients. George. Mais Marc a réglé cette histoire.

- C'est dangereux ! Comment Marc peut-il accepter de les laisser revenir ? »

Une caresse timide le long de sa joue. Pierre souriait, un peu triste.

« Tu n'as pas assez vécu Jean. Ces hommes sont mauvais. Ils font peur à Marc. »

Il fallait donner quelque chose à Pierre pour le remercier de ses informations. Valjean l'embrassa encore. Pierre gémit de plaisir lorsque la bouche de Valjean se posa dans sa gorge. Dieu du Ciel ! Qu'on lui pardonne ! C'était pour Cosette !

« Pourquoi ne pas faire appel à la police ?

- C'est un cabaret pour les pédérastes. La police n'est pas une protection pour nous. Plutôt une nuisance.

- Donc Marc sait où habitent ces malotrus ?

- Certainement. Je ne sais pas. Je suis fatigué de parler d'eux. J'ai envie de toi. »

Cette fois, Valjean était perdu. Il se recula, douché. Pierre le contempla, un peu penaud mais compréhensif. Sa main caressa à nouveau la joue de Valjean, se perdant dans la barbe.

« Je sais. Jacques ! Mais pourquoi es-tu venu ce soir ?

- Je ne sais pas. Pour le punir ?

- Je ne serais pas l'instrument du mal dans ce cas. Rentre chez toi, Jean, et attend ton Jacques. Ne revenez plus ici ! Et si un jour, tu décides de quitter ton compagnon, sache que je suis là et que tu me plais.

- Merci Pierre. »

Un dernier baiser et Valjean s'en alla.

Ce soir Valjean se sentit tellement mal qu'il comprit l'attrait que pouvait avoir une bouteille de vin. Il y succomba.

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