Représentation nocturne
Qu'est-ce qui le réveilla ?
Valjean sursauta, affolé de se retrouver dans un environnement inconnu. Ce n'était pas sa chambre, ce n'était pas son lit. L'ancien forçat passa quelques secondes dans une panique folle avant de se rappeler. Il était chez Javert...et il était en sécurité... Aussi étrange que cette pensée soit.
Il retrouva son souffle sans même s'être rendu compte qu'il l'avait gardé.
Alors qu'est-ce qui le réveilla ?
Il eut la réponse lorsqu'il vit le policier, assis à table, le journal dans les mains, une tasse devant lui. Javert prenait tranquillement son petit-déjeuner. Le bruit qui l'avait réveillé devait être celui de la tasse reposée sur la table, un peu trop brutalement.
Valjean se redressa et se frotta les yeux. Il avait besoin d'un bain, de vêtements frais et d'un coup de peigne.
« Café ?, lança une voix lointaine.
- Ce ne serait pas de refus. »
Et Valjean se traîna jusqu'à une chaise remerciant distraitement Javert pour la tasse.
« Leroux a tort de s'inquiéter autant, le sujet principal en ce moment se résume à la duchesse de Berry. Encore et toujours.
- Cela vous chagrine ?
- Cela m'amuse. Je vais peut-être bientôt changer de maître. Je n'ai jamais obéi à une reine. »
Un reniflement de dédain conclut cette phrase un peu agacée.
« Qu'avez-vous fait cette nuit ?
- Nous attaquons notre deuxième jour. J'ai besoin désespérément de quelque chose pour satisfaire Leroux.
- Javert ! Qu'avez-vous fait cette nuit ?
- Montparnasse a été signalé. Brunette n'a pas menti dans sa déposition.
- Dieu ! Vous l'avez vu ?
- Vu et filé, et perdu. Montparnasse est une anguille, il me glisse si facilement entre les doigts. Gueulemer est plus abordable, mais je ne l'ai jamais retrouvé depuis le fiasco de la Maison Gorbeau. Je soupçonne Jondrette de s'en être débarrassé définitivement.
- Le fiasco ?
- Tous ces messieurs n'ont pas daigné rester à la Force, ils se sont évadés. Une arrestation ratée. Vous l'ignoriez ?
- Je crois que j'ai vu Thénardier aux égouts.
- Vraiment ? Ce serait l'homme que je suivais ? Il possédait une clé officielle pour ouvrir les grilles.
- Il m'a permis de sortir des égouts.
- Et de tomber sur moi. Beau cadeau qu'il vous a fait. »
Javert se tut, finissant son café. Valjean aperçut tout à coup le bras de Javert, le tissu du costume faisait un pli étrange. Un autre bandage ? Mais Valjean sut se taire.
Rue Petite-Sainte-Anne, Vidocq accueillit Javert et son acolyte avec humeur.
« T'étais où le rabouin ? Je t'attends depuis une heure !
- Je ne me savais pas si important, le Mec.
- Il y a un message pour toi. Un de tes mouchards a vu quelque chose cette nuit.
- Qui ?
- Le boucher.
- C'est quelqu'un de confiance. J'y vais. »
Avant de les laisser partir, Vidocq lança :
« Leroux a fait savoir que le daron demande des comptes. A tous les deux.
- Pourquoi ?
- Tu vieillis Javert...
- La duchesse de Berry est à la Une du Moniteur.
- Et combien tu crois que cela a coûté à Gisquet ?
- Merde ! Je ne suis pas un magicien ! »
Valjean collait Javert comme son ombre. Javert réquisitionna un fiacre et se fit transporter dans un quartier assez bourgeois de la ville. Les deux hommes faisaient déplacés, pas assez habillés pour être là, surtout Valjean et sa tenue défraîchie.
Une marche de quelques minutes, une demeure assez cossue. Valjean resta interdit devant le portail, Javert l'attira pour entrer par la porte de service.
« Qui est le boucher ?
- Un docteur, bien sûr. Et un mouchard à mon service.
- Comment c'est possible ?
- Tout est possible quand on est dans ma dette. »
A peine entrés, les deux hommes furent accueillis dans le cabinet du médecin. C'était un homme riche, manifestement et cependant quelque chose détonait. C'était peut-être la décoration, beaucoup trop simple pour un homme de cette valeur.
« Ha inspecteur ! Vous voilà enfin !
- Veuillez me pardonner, docteur Vernet, j'ignorais que vous m'attendiez.
- J'ai eu des informations sur le tueur d'enfants.
- Vrai ?
- Une de mes patientes était dans la rue de la Huchette. Elle a remarqué un homme étrange. Il lui a fait peur. Puis elle l'a vu piétiner un enfant sans même s'arrêter.
- Comment cela piétiner ?
- L'enfant, un aveugle, mendiait, assis sur le sol, l'homme a fait exprès de passer sur lui en marchant. Il a sauté sur les jambes du gamin et a poursuivi sa route.
- Un salopard, sans nul doute, mais en quoi pensez-vous que c'était notre tueur ?
- Il a dit au gamin qu'il était trop vieux pour tâter de sa bite mais qu'il le serrerait volontiers.
- Cela pourrait être notre homme en effet. Description ?
- Un grand, chauve, avec une barbe.
- Ce serait trop beau pour être une coïncidence. Où crèche la patiente ?
- Inspecteur, fit l'homme, passablement ennuyé. J'ai promis à la dame en question la sécurité vis-à-vis de la police.
- Elle l'aura. Où crèche-t-elle ? »
Une voix plus dure, Javert montrait les dents. Le médecin soupira et lâcha :
« 43, rue du Petit-Pont.
- Merci docteur.
- Merci à vous, inspecteur. Comment va-t-il ?
- Aux dernières nouvelles, il allait bien. Il s'endurcit.
- Encore quatre ans...
- Je vais tout faire pour qu'on lui fasse une remise de peine.
- Mais vous êtes mort !!!
- Mon patron est toujours en vie, lui.
- Merci inspecteur, merci pour tout.
- A votre service. »
Et les deux hommes repartirent par la petite porte de service. Javert s'élança à grands pas, dominant sa jambe malgré la douleur. Un fiacre et, à la grande surprise de Valjean, retour à la Sûreté.
« Mais nous n'allons pas rue du Petit-Pont ?
- Trouver une grue en plein jour ? Sûr que le nid est vide.
- Une grue ?
- Le docteur Vernet te plairait Valjean, il est aussi fou que toi. Il s'est spécialisé dans les soins aux pauvres. Gratuitement. Il a essayé d'ouvrir un hôpital de charité mais son histoire a tout gâché.
- Son histoire ?
- Son fils a été envoyé en prison pour escroquerie.
- Seigneur !
- Logiquement, il aurait du être envoyé au bagne mais je lui ai sauvé la mise.
- Toi ?
- Il était juste complice et stupide. Il était amoureux d'une fille dans la combine. Il n'a pas compris de quoi il était question. Un pauvre jobard. Il a été condamné à sept ans de prison à la Force.
- Et tu l'as cru ?
- On me ment difficilement, monsieur le maire, comme vous devriez vous en souvenir. Et je suis arrangeant avec ceux qui se plient à mes exigences.
- Vous êtes trop sûr de vous, inspecteur.
- Je l'étais, oui. Dans une autre vie. »
Valjean dut attendre le retour de Javert, tandis que celui-ci entrait dans le bureau de Vidocq. Roussin était là et vint aussitôt lui tenir compagnie.
« Des nouvelles Le-Cric ?
- On aurait vu le tueur.
- Le rabouin doit être jouasse.
- Difficile à dire. »
C'était difficile à dire, en effet, vus les éclats de voix qui s'entendaient. Vidocq haussait le ton, essayant de faire plier Javert et le policier répondait. On ne comprenait pas de quoi il était question mais le rabouin se faisait vertement tancer. Valjean se souvenait de Montreuil, de leur dispute devant les officiers de police, devant Fantine. Javert s'excusant de résister mais résistant tout de même, Valjean lui assénant les textes de loi pour finalement le soumettre. Un forçat soumettant un policier. Javert avait peut-être des raisons de le haïr tout compte fait. L'écho de leur dispute d'il y a quelques nuits retentit à son oreille.
Le bureau s'ouvrit, laissant passer Javert, le visage pâle de colère, les yeux brûlants.
« Le-Cric, Roussin, Cador. Ce soir rue du Petit-Pont. On part chasser l'ogre.
- Seulement nous quatre ?, demanda Roussin, surpris d'un si petit nombre.
- Il est seul. Il se croit en sécurité. Il se laissera cueillir.
- Qu'a-dit le Mec ?
- Je me fous de ce que dit Vidocq. »
Et Javert fila se cloîtrer dans son bureau.
Roussin haussa les épaules et voyant Valjean ne sachant pas quoi faire, il lui dit en souriant :
« Tu as relâche aujourd'hui. Profites-en pour faire un brin de toilette et roupiller un peu Le-Cric, tu fais négligé.
- Mais ?
- Reviens vers vingt heures, pas avant. Quand le rabouin nous entraîne faire une nocturne, on part pas plus tôt. Habille-toi chaudement, les nuits d'octobre sont froides.
- Oui, Roussin, » répondit Valjean, amusé de tant d'attention.
Et Valjean rentra chez lui.
Il fit semblant de ne pas remarquer le long regard suspicieux de sa logeuse tandis qu'il lui demandait de l'eau chaude, du savon... Un bain...
La journée fut tranquille. Valjean s'assit et essaya de ne pas penser au soir, à cette nuit, aux enfants disparus... A la petite fille aux cheveux noirs bouclés... Il pria de longues heures.
Vingt heures. Valjean était là, frais, dispos. Il avait réussi à sommeiller quelques heures. Il avait mangé un repas consistant. Il s'était efforcé de ne penser à rien d'autre qu'à son repos et à son estomac. Roussin l'accueillit avec empressement. Un homme, encore un inconnu, le salua et se présenta, Cador, de Rochefort. On se sourit et on se serra la main.
« Toulon, c'est ça Le-Cric ?
- Toulon, en effet.
- Roussin m'a parlé de tesigue. T'es un daron de la cavale si j'ai bien saisi le résumé de ton affe.
- Tu as bien saisi, mais je ne suis pas un daron... Plutôt un arpette.
- Faut dire que t'avais Javert qui te collait aux miches, renchérit Roussin, conciliant.
- Ça n'aide pas, » conclut Cador.
Non ça n'a pas aidé...
Les hommes discutaient tranquillement lorsque Javert sortit de son bureau. Impassible, le policier les entraîna dans la rue. Il faisait nuit, froid, humide. Une fine neige s'était mise à tomber. On prit un fiacre et direction rue du Petit-Pont.
Chacun était vêtu sans ostentation. Tout à coup, Javert se mit à parler.
« Notre type doit se terrer dans ce quartier. Je n'espère pas l'arrêter ce soir mais nous faisons une reconnaissance. J'ai divers témoignages concernant un homme grand, chauve et barbu. Un homme très doux au demeurant mais solitaire et un peu inquiétant.
- Des témoignages ?
- Je ne me suis pas roulé les pouces aujourd'hui. Je suis allé me promener dans ce coin-là. J'ai interrogé quelques personnes. J'ai vu notre homme et j'ai préparé le terrain pour notre représentation de ce soir.
- Mais il a peut-être été prévenu ?, s'écria Valjean, surpris par cette bêtise monumentale.
- Val...Le-Cric, le monde est pourri jusqu'à la moelle, mais il y a encore une chose que les gonzes ont encore du mal à accepter. Ce sont les tueurs de mômes. Non, notre homme est seul et bien tranquille dans son repère.
- Mais Javert ! Comment choisit-il ses proies ? Nous sommes bien loin des camps gitans.
- Des enfants plus faciles à capturer, peut-être parce que leurs parents ont trop peur de la raille... Mais ton idée est bonne... »
Javert se mit à réfléchir, laissant ses doigts tambouriner contre la cloison puis il frappa un grand coup sur le plafond du fiacre. Le cocher s'arrêta, indécis. Javert se tourna vers le dénommé Cador.
« Tu connais bien les cochemars de la Grande Vergne ?
- Sûr, j'en suis un ancien.
- Il me faut le fiacre qui a emmené notre escarpe jusqu'à ses terrains de chasse.
- Tu crois qu'il prendrait un fiacre ?!
- L'idée est à creuser.
- A cette heure ?
- Il n'y a pas d'heure pour les railles. De toute façon, je vois mal le type violer et tuer des mômes de jour. Il a commis ses crimes de nuit, ou aux petites lueurs du jour.
- Ou alors chez lui ? »
Une fois de plus, Valjean avait parlé. Ouvrant un champ de possibilités pour le policier.
« Un complice ?, murmura Javert.
- Pourquoi pas chez lui ?
- Un deuxième appartement ?
- Javert, fit Valjean, énervé d'être ainsi ignoré.
- Merde Valjean! Je ne suis pas un magicien ! Gardons un esprit méthodique ! Ce soir, nous poursuivons notre tâche. Cador, nous te laissons le fiacre, tu te feras rembourser les frais par le Mec, nous nous allons marcher jusqu'à la rue de la Huchette. Là-bas, il y a un estaminet appelé le Coq Hardi. Tu nous y retrouveras si tu as besoin de nous, sinon, demain à la Sûreté, je veux un rapport complet. Débrouille-toi pour me ramener quelque chose.
- Sûr le rabouin, je sais faire de la magie, moi. »
Javert ne répondit pas, il descendit du fiacre, accompagné de Roussin et de Valjean. Cador les suivit mais pour rejoindre le cocher sur le siège du conducteur.
« Cador est bon. Espérons qu'il trouve une piste. S'il y a des complices, nous les aurons aussi. En route les hommes. »
Javert avait-il dormi ? Valjean ne savait pas quoi en penser. Le policier marchait droit, raide, vite. Puis le chien se mit à chercher la trace.
Plus calme, plus tranquille, Javert reprit sa promenade. Sans se concerter, Roussin quitta le trottoir pour celui d'en face et se mit à parler aux filles qui attendaient un client. Valjean sentit son cœur se serrer en se souvenant de Fantine, il y avait de la neige, elle portait une robe rouge... Des prostituées essayaient de se vendre.
Il ne fit pas attention la première fois mais le deuxième appel le réveilla :
« T'as l'air gentil, mon mignon. Un gentil barbon, non ? »
Une femme l'interpellait. Il s'apprêtait à refuser, choqué lorsque Javert s'interposa :
« Pas de ça la punaise.
- C'est bien ma veine d'être tombée sur deux tantes. Alors c'est toi la suceuse ou il te prête sa rosette ? »
L'attaque fut aussi rapide que vicieuse, Javert avait épinglé la femme contre le mur et ses doigts lui serraient le cou. Valjean posa aussitôt une main sur le bras du policier, sentant le muscle se crisper sous le toucher.
« Tu vas fermer ta gueule la putain ou je te jure que tu regretteras de ne pas l'avoir fait toute seule, souffla Javert tout contre l'oreille de la prostituée.
- Javert, lâche-la, ordonna Valjean, accentuant la force dans sa main, conscient de laisser des ecchymoses dans la chair du bras.
- Un dernier mot, la fille. On cherche le tueur de mômes, mais je peux quand même me pencher sur ton cas.
- T'es de la rousse ? »
La voix était rauque et effrayée. Javert obéit enfin à la prise de Valjean et relâcha la fille.
« Je suis avec le Mec.
- Je ne savais pas, monsieur. Je croyais que vous étiez des michetons. Faut bien vivre.
- Ça va, ta gueule. Où est la Joséphine ?
- Avec un micheton. L'en aura pas pour longtemps, il voulait juste se faire tailler une plume.
- On va l'attendre derrière le Coq Hardi. Qu'elle traîne pas ou je saurais la retrouver. »
La fille hocha vigoureusement la tête et Javert s'éloigna d'elle.
Il ne fallut qu'un instant aux deux hommes pour se retrouver seuls dans une ruelle sombre, sale et vide. Juste derrière un café d'où parvenaient des bruits de voix, des cris et des rires. Le Coq Hardi.
« Javert, tu allais vraiment...
- Mon bague, merde ! Mon bague ! Essaye au moins une fois de pas l'oublier Jean ! Ils seraient trop contents de me casser la gueule. A coups de surin ou de lattes. A eux de voir. »
Javert se reprit, reculant lentement dans l'ombre, loin de Valjean, soudain suspicieux.
« Peut-être que c'est ce que tu souhaites ?
- Mais non. Je suis désolé.
- Tellement d'années à répondre à un alias et pas foutu de retenir un seul bague.
- Je suis désolé, répéta doucement Valjean en levant les mains.
- Si je vous dérange les mecs, je peux revenir plus tard, » lança une voix amusée.
Une femme, clairement une prostituée au regard de sa robe à moitié ouverte sur sa poitrine, se tenait non loin d'eux, le regard goguenard. Il est vrai qu'à se disputer ainsi les deux hommes devaient donner une drôle d'impression aux autres.
« Tu tombes bien Joséphine.
- Mais c'est de nouveau toi l'Apollon ? Tu veux une plume tout compte fait ? C'est gentil de m'avoir amené un pante. Deux mecs dans mon pieu, cela ne m'a jamais dérangée. En route les hommes !
- Non la fille. Je ne veux pas de ça.
- Ha. Contre un duraille, je dis pas non mais va falloir allonger la thune. Et pour deux pines, je ne suis pas une acrobate.
- J'ai dit que je ne voulais pas de ça.
- Tu veux quoi alors ? T'es un raille c'est ça ? Merde.
- C'est le boucher qui m'a parlé de toi et du déplumé.
- Le boucher ? Il m'avait promis de la boucler !
- Il ne t'a pas vendue, la fille, mais il faut arrêter ce tueur de mômes. D'où mésigue.
- Et t'es qui toi ? Et ton pote ?
- Deux gonzes du Mec. »
Cela remporta la mise. La fille s'approcha, intéressée.
« Il perche dans le quartier. C'est bien lui ?
- Je ne l'ai pas vu tuer de mômes, je ne peux pas certifier mais j'ai vu sa tronche, il convient bien au rôle.
- Moi je l'ai vu agresser le petit Dom. Un pauvre mômignard aveugle.
- Où est l'enfant ?, » demanda tout à coup Valjean.
L'interruption surprit la femme mais elle répondit en souriant gentiment. Dieu, elle avait un joli sourire, avec toutes ses dents. Javert en conçut un certain agacement. Ils avaient d'autres chats à fouetter qu'un pauvre gamin perdu.
« Chez la Veuve Lebut. Si vous voulez l'interroger.
- Nous n'y manquerons pas. »
Valjean répondit au sourire par le sien, bienveillant et doux. Cela surprit encore plus la prostituée.
« T'es pas de la raille toi ?
- Non, oui. Enfin, pas depuis un bail.
- Je m'en serais doutée.
- Allons l'homme !, coupa sèchement Javert. Son adresse ! Je l'ai vu mais il ne m'a pas entraîné chez lui.
- 24, rue de la Huchette.
- Bien ma fille. Tu as mérité ton petit cadeau. »
Javert glissa sa main dans une poche de son manteau et en sortit quelques pièces d'argent. La fille reçut le tout et se mit à roucouler.
« Merci mon prince, ce fut un plaisir.
- Tiens ta bouche, maintenant. Je ne veux pas de remous. »
La fille repartit dans sa rue, à son travail.
Javert se frotta les mains. Il jubilait.
« Tu vas aller au Coq Hardi, Jean, demander s'il y a quelqu'un pour le rabouin. Je vais rue de la Huchette.
- Que se passe-t-il ?
- Juste de l'observation. File ! »
Valjean hésita puis obéit enfin à son supérieur.
Au Coq Hardi, la soirée était tranquille. Le vin coulait, l'eau d'affe aussi, des filles chauffaient quelques hommes, quelques seins étaient visibles et Valjean se concentra sur sa tâche. Il s'approcha du patron et posa les mains sur le comptoir. Un geste discret et l'homme s'approcha.
« Tu veux du picton vieux gonze ?
- Quelqu'un pour le rabouin ? »
Un regard suspicieux et l'homme secoua la tête.
« Pas aujourd'hui, le birbe.
- Bien... Bien... »
Ne sachant pas quoi faire de plus, Valjean se pressa d'aller rue de la Huchette. Dans l'ombre, il se heurta à Roussin.
« Où est le rabouin ?
- En observation.
- En observation ? Tout seul ?
- C'est ce qu'il m'a dit.
- Merde ! En vitesse, Le-Cric.
- Mais qu'est-ce qui se passe ?
- Javert va faire du regout. »
Rue de la Huchette, la nuit était profonde. Il y avait des filles contre un mur qui appelaient pour le client. Roussin soufflait comme un bœuf.
« Où il est ce mariole ?
- Le tueur est au 24.
- Allons-y ! »
Et ils y coururent. Roussin examinait de tous les côtés lorsqu'un sifflement, bref, le fit sursauter. Il se précipita dans une porte-cochère et une voix grave, pleine de colère se fit entendre.
« C'était quoi ça ? Tu veux nous faire repérer Roussin ?
- J'ai cru... Je croyais...
- J'ai dit à Le-Cric que j'étais rue de la Huchette.
- Oui... Et...
- Bon, on s'en fout. Ce soir, on chasse l'ogre. Roussin, change de planque. Le-Cric, tu me colles aux basques. Et on ouvre ses quinquets ou je vous fous au mitard.
- Mais oui l'argousin. »
Roussin était tellement soulagé qu'on l'entendait dans sa voix. Javert soupira avec exaspération. Roussin partit se mettre en position sans discuter et la surveillance commença. Valjean n'osait rien dire pour ne pas perturber Javert, ce fut le policier qui fit la conversation.
« Une surveillance est long et ennuyeux à tenir. Mais nous ne pouvons pas nous permettre de frapper à la porte pour lui demander s'il est bien un tueur d'enfants.
- Alors vous attendez qu'il sorte de chez lui pour le filer ? »
Javert, l'inspecteur, se mit à sourire, sans joie, juste un sourire carnassier.
« Je vais lui faire une offre qu'il ne pourra pas refuser.
- Plaît-il ?
- Vous n'allez pas aimer, M. Madeleine. Mais je suis pressé par le temps. Leroux a son poste à protéger.
- Je ne comprends rien.
- Alors taisez-vous et regardez ! »
Valjean était tendu. Il attendait mais ne savait pas trop quoi.
Et soudain, il sentit les poils de sa nuque se dresser.
Mariana était là-bas avec une petite fille, habillée d'une jolie robe. Les deux femmes passaient en se disputant puis la petite fille resta en arrière, se cachant avec espièglerie dans un renfoncement. Mariana ne s'en rendit pas compte et poursuivit son chemin. La petite fille sortit de sa cachette et se mit à courir dans la direction d'où elle était venue. Elle passa devant le 24 et s'arrêta, essoufflée.
« Mais Javert, vous n'avez pas... Elle ne va pas... Dieu !
- Chut ! Je suis armé et Leroux est dans l'arrière-cour avec ses hommes.
- Une gosse !
- Une surveillance peut durer plusieurs jours ou alors on peut forcer le loup à sortir du bois.
- Javert ! »
Et la porte du 24 s'ouvrit. Un homme grand, gros, barbu apparut. Javert sortit son pistolet et l'arma.
« T'es perdue ma puce ?
- Oui, monsieur. Je cherche la rue du Petit-Pont.
- Si tu veux, je t'accompagne ?
- Merci, monsieur.
- Allons-y. Mais nous devons prendre un fiacre ! C'est loin la rue du Petit-Pont.
- Vrai ? Chouette. »
L'homme sortit de sa maison et prit la main de la gamine et tous deux partirent dans la direction contraire à la rue du Petit-Pont.
« Le loup est sorti du bois, souffla Javert.
- Un enfant ! Vous avez osé Javert.
- Aux grands maux les grands remèdes comme dit Vidocq.
- Et si la gosse est tuée ? Qu'allez-vous dire à ses parents ?
- Cela nous fera un magnifique flagrant délit. Ils pourront être fiers d'elle. En route ! »
Valjean était estomaqué par les paroles de Javert. Si insensible ! Si dur ! Peut-être était-ce un exemple de l'humour tordu de l'inspecteur de police mais cela ne fit qu'attiser la colère de Valjean. Il fut à deux doigts de le frapper. Il le retint par le bras, le serrant de toutes ses forces, l'obligeant à se retourner vers lui. Il devait parler !
« Tu ne vas pas t'en tirer comme ça Javert ! Tu es une ordure ! Tu...
- Vous m'insulterez tout votre saoul après Valjean ! La gosse ! Il faut suivre la gosse !
- Une ordure ! Tu ne sais pas ce que ça fait de perdre quelqu'un de cher, hein Javert ? Ni femme, ni enfant ? Rien ! Je me ferais un plaisir de te casser la gueule après tout ça. Il y a trop longtemps que quelqu'un aurait du le faire correctement !
- Après ! Par Dieu ! Après ! Je vous le permettrais ! La gosse ! »
Valjean le lâcha, il vit Javert se frotter le bras en grimaçant. La force de Jean-Le-Cric ! Valjean en fut tellement content. Il aurait voulu faire tellement plus. Mais il se contenta de serrer les poings et de le suivre. Se promettant d'avoir une explication claire et nette avec lui sur ses méthodes d'investigation.
Il fut une époque où 24601 était classé comme dangereux, avec un passeport jaune. Il avait frappé des hommes en prison, rêvé de tuer des gardiens. Il se sentait si proche de le redevenir ce soir. 24601 !
Valjean et Javert se placèrent à la suite de l'homme. Valjean entendait le bavardage de la petite fille, elle parlait de Mariana, demandant où elle était, si elle allait s'inquiéter en ne la voyant pas mais l'homme riait et jurait que tout se passerait bien. « Aie confiance, ma puce ! »
Un fiacre passait, Javert attendit que l'homme l'arrête pour intervenir.
« Maintenant ! »
Et l'homme se raidit lorsqu'il sentit le canon du pistolet dans son dos.
« Tu lâches la môme, gronda le policier.
- T'es qui le cave ?
- Tu...lâches...la...môme..., articula lentement Javert.
- Va te faire foutre ! »
L'action fut tout à coup précipitée. L'homme jeta la gamine sur le sol et sortit un couteau de sa poche. Valjean se jeta sur l'enfant pour la rattraper tandis que Javert paraît le coup. Le couteau se retrouva pointé vers la gorge de Javert.
« Tirez ! Bon Dieu, tirez Javert !, » hurla Valjean.
Puis, sans réfléchir un seul instant, l'ancien forçat s'interposa.
Il n'y eut pas de douleur lorsque le couteau pénétra dans la chair, il n'y eut pas de douleur tout de suite, mais au prochain souffle, elle fusa, indescriptible et Valjean se sentit tomber à terre. Sa tête heurta le sol, près de la gamine, effrayée qui cria. Un coup de feu résonna quelque part. Avant de sombrer totalement, Valjean sentit deux mains fortes le relever et il s'entendit murmurer quelque chose. Du diable, s'il comprit ce qu'il voulut dire. Il parlait de la Seine... La Seine... La Seine...
Rideau !
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