Mort

Six mois. Il ne fallut que six mois pour que tout soit brisé.

Valjean contemplait le jardin rue Plumet. Le printemps était là. Les fleurs s'ouvraient, les arbres étaient magnifiques, bientôt il allait falloir gérer le jardin. M. Fauchelevent !

Le silence était profond dans la maison. Un silence consternant.

Six mois.

Il fallait toute la piété de M. Fauchelevent, toute la ferveur de M. Madeleine pour trouver le courage de prier...car la haine de Jean-Le-Cric menaçait de tout balayer.

Six mois.

Cela avait commencé par une toux. Une toux venue tout à coup sur les trottoirs de Paris. Valjean avait attisé le feu, il faisait si chaud dans la maison ! Il avait acheté des couvertures, une chaufferette de voyage, le thé était toujours prêt, chaud, avec de la sauge, du tussilage, du thym...

Tous ces préparatifs firent rire le principal intéressé.

Valjean avait fait tout ce qu'il a pu.

Puis ce fut le tour du médecin. Le docteur Vernet était venu au chevet du malade. Il était content de rembourser sa dette à l'inspecteur. Son fils avait été libéré de prison pour bonne conduite. Le commissaire Javert avait fait plusieurs demandes en ce sens jusqu'à obtenir la relaxe.

Le médecin fit tout ce qu'il put.

Lorsque le sang commença à tâcher les mouchoirs, on sut que l'espoir n'était plus de mise. Valjean ne dit rien.

Il ne pouvait rien dire.

« Nous allons nous voir souvent, avait dit Javert. Je te promets que tu ne seras plus seul. Je serais là ! Toujours ! »

Le policier n'était pas un menteur, mais un jour il avait promis qu'il attendrait. Parfois il ne tenait pas toutes ses promesses.

C'était douloureux. Javert ne se plaignait pas. Jamais. Mais il accepta de prendre du laudanum et cela seul prouva à quel point il était dans la souffrance.

Javert ne reprit jamais le poste de commissaire. Il avait démissionné il y a longtemps, il resta sur ses positions.

Vidocq vint le voir. Leur relation avait pris un autre tournant suite à l'affaire Montparnasse.

L'ancien forçat fut horrifié en voyant l'état de Javert. Leur amitié n'était pas morte, les secrets étaient dissous, les dettes payées et les pardons tacites.

Vidocq ne dit rien et passa quelques heures régulièrement avec son ami. Des heures de silence et de consternation. Des heures de souvenir.

« A Toulon, tu te souviens de Varlin ?, demanda une fois Vidocq.

- C'était un con, » souffla Javert.

Parler était douloureux, même cela lui était retiré.

« Il m'a proposé de lui faire une fellation, un jour.

- Non ? Je l'ignorais.

- Tu sais pourquoi ?

- Allez impressionne-moi le Mec.

- Il croyait que c'est ce que je te faisais lorsque nous nous rencontrions.

- C'était vraiment un con. »

Et les deux hommes riaient. Se fixant intensément. Sachant qu'il ne leur restait plus beaucoup de temps.

Javert passa de nombreuses heures, lorsqu'il n'était pas sous l'emprise de la drogue, à dessiner. Il dessina tout ce qu'il put.

Valjean se retrouva avec des portraits de Cosette, de Jean-Luc, de Marius...de lui-même. Javert continuait à dessiner sans faire de concessions. Valjean se vit vieilli, plus gris, plus ridé. Les soucis rendaient son regard plus terne.

Javert dessina Roussin, Vidocq...

Javert dessina sa chambre, sa fenêtre...

Javert se dessina. De mémoire.

Un homme grand, imposant, tout de noir vêtu et les yeux étincelants. Toujours en colère. Le visage renfrogné. N'est-ce-pas ainsi qu'il était apparu à M. Madeleine ?

Ce fut son dernier cadeau. Qu'il offrit à Valjean.

La maladie l'emporta une nuit. Une dernière fièvre violente et le sang encombra sa bouche. La pneumonie était devenue une infection pulmonaire mortelle. Les poumons n'assuraient plus leur rôle efficacement.

Ces mois de fièvre tropicale avaient brisé la résistance du vieux policier. Il ne fallut pas longtemps pour le briser définitivement.

Six mois !

Valjean contempla tout cela.

Horrifié.

Perdu.

Inutile.

Ce jour-là, Valjean comprit l'attrait que pouvait avoir la Seine...mais il n'y succomba pas !

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top