Montparnasse

L'inspecteur Javert ressuscita une deuxième fois. Ce ne fut pas pour une longue durée. Il n'en dit rien à Jean Valjean. Le laissant à sa fille, à son petit-fils, à ses tournées de charité auprès des pauvres.

Javert se rapprocha de Vidocq. Le Mec n'apprécia pas du tout la demande.

« Tu m'emmerdes Javert ! Il n'y est pour rien, tu le sais ?!

- Je m'en fous, je le veux.

- Pourquoi ?

- J'ai mes raisons.

- Elles ne sont pas toutes bonnes.

- Cela ne regarde que moi ! »

On tournait en rond. On revenait en 1826. Avait-on vraiment quitté cette nuit de décembre et ce fiacre abandonné dans la neige ?

« Je ne sais pas où il est !

- J'ai mes mouchards, Vidocq ! Je les ai depuis des années ! »

Javert menaçant, ce n'était pas à prendre à la légère, même s'il n'était plus dans l'active, il avait encore l'oreille de certains policiers, dont Leroux et le jeune inspecteur Durand.

« Montparnasse tient le quartier Saint-Jacques !

- Je vais ratisser tout le secteur !

- Dans ton état ? »

Vidocq contemplait Javert avec dépit, avec consternation, avec tristesse...avec compassion.

Javert était fragilisé, maintenant la toux était permanente et il avait du mal à la cacher,

Même si l'hiver s'éteignait.

Javert savait qu'il ne lui restait plus beaucoup de temps. Il fallait régler ses dettes. Enfin !

Vidocq contemplait son ami, car Javert était son ami !, et il comprit.

Lui aussi savait maintenant !

« Que veux-tu exactement ? Montparnasse ne se laissera pas arrêter sans rien dire ! Il a des hommes avec lui.

- Je sais que tu le rencontres de temps en temps pour monter tes coups fourrés. Tes fausses arrestations, tes manipulations de la presse. »

C'était dit sans concession mais sans haine, bizarrement.

Javert n'avait plus de temps à consacrer à la haine !

Vidocq se soumit.

Une rencontre fut organisée.

« On m'a dit que tu étais en vie le cogne ! Je me suis souvent posé des questions !

- Je ne me suis jamais vraiment caché.

- C'est ce que j'avais compris ! Mes hommes ont été désolés de te rater quartier Saint-Michel ! »

Un sourire mauvais. Montparnasse était si beau. Il rappelait Lacenaire à Javert. Même intrépidité. Montparnasse allait finir comme lui.

Javert répondit par le même sourire. Il était déjà mort, non ? Même si une pensée dérangeante le retenait dans cette vie.

Jean Valjean ! Encore et toujours !

« Et maintenant ?

- Tu me racontes ? »

Montparnasse hésita.

Il était sur un terrain neutre. Un estaminet appelé le Café de l'Archange. Les seuls clients attablés étaient des hommes à lui, mêlés aux hommes de Vidocq. Roussin parmi eux.

Et on attendait.

Montparnasse était cruel, n'est-ce-pas ?

« Pourquoi devrais-je le faire ? »

Javert était cruel aussi. Montparnasse devint livide lorsqu'il vit le canon d'un pistolet apparaître face à lui.

« Pourquoi ne le devrais-tu pas ? Je ne suis plus un cogne, je ne te poisserais plus.

- Que veux-tu ?

- Ce soir-là. »

On se comprit. Javert arma le chien et Montparnasse mangea le morceau. Non, décidément, il n'était pas à la hauteur de Lacenaire. Il avait fui Maison Gorbeau.

« Je n'y étais pour rien !, » lâcha-t-il.

La main trembla et Javert se mit à rire.

« Tes surins ! Tu les as donnés à Gueulemer ! Tu ne voulais pas te salir les mains ?

- Je n'étais pas là ! MERDE JAVERT !

- Tu es resté contre ce lampadaire combien de temps ? Veux-tu encore pouvoir baiser une femme ? »

Montparnasse chercha des yeux Vidocq mais le Mec se tenait dans un angle, contre un mur, indifférent. Tout le monde devait payer une dette, ce soir le Mec payait la sienne.

« J'ai donné mes surins à Gueulemer car lui voulait étrangler ta femme et ton môme. C'est plus rapide d'égorger quelqu'un. »

Javert accusa le coup sans broncher.

Fanny avait seulement une vingtaine d'années, Louis quelques mois.

Son sourire était tellement laid.

« Et le fiacre ?

- Le fiacre ?, » répéta Montparnasse, stupide.

Il était concentré sur le canon du pistolet. Ses hommes continuaient à ne rien remarquer. Mais, même si on se chargeait de Javert, il allait avoir le temps de lui tirer dans le ventre. Une balle mortelle.

Vingt minutes de souffrance avant la mort.

Montparnasse le savait, Javert le savait. L'ancien policier n'avait rien à perdre. Montparnasse avait sa vie !

« Le fiacre !, répéta plus durement Javert. Comment vous avez eu le fiacre ? Je ne crois ni aux coïncidences, ni au hasard !

- Tu aurais du être là.

- QUI M'A VENDU ? »

La voix avait hurlé. Javert perdait de son calme. Tout le monde sursauta et observa les deux hommes. Enfin, on remarqua qu'il se tramait quelque chose.

« UN COGNE ! C'est un cogne qui t'a vendu. Un de tes collègues ! Content ?

- Qui ?

- Soares. »

Aussitôt le souvenir d'un collègue. Un inspecteur comme lui. Lui revenait en mémoire. Soares avait une sœur à marier. Il avait besoin de thune, il tapait tout le monde, même Javert. Si Brunette ne l'avait pas tué...

« De l'argent ?

- Tu nous as coûté un beau paquet de thune, Javert, mais on a obtenu ton adresse.

- On ne connaissait pas mon adresse. Personne ! »

A part le Mec, poursuivit in petto Javert. Vidocq ne regardait personne dans les yeux.

« Il a du te filer. Qu'est-ce que j'en sais ? Un cogne est un cogne. »

Seul le Mec connaissait son adresse. A moins que...

« Quand l'avez-vous appris ?

- Figure-toi que l'information nous a été proposée pendant que tu étais à l'hôpital. T'étais mourant, saloperie de cogne. Increvable ! »

Sa femme était à l'hôpital à ses côtés. Un jour, elle a eu besoin de quelque chose resté à la maison... Javert avait oublié ce détail. Cela lui revenait comme une illumination. Elle avait demandé à Vidocq de faire le déplacement... Le Mec connaissait l'adresse des Javert. C'était le seul. Fanny était enceinte, fatiguée et inquiète pour son mari...

Le Mec avait du envoyer quelqu'un à sa place !

Il avait du demander à Soares.

Javert lâcha des yeux Montparnasse. Il avait compris l'essentiel. Il était fatigué et voulait relâcher la pression dans ses muscles.

« Pourquoi avoir attendu six mois ?

- On te voulait toi ! Mais tu es si prudent ! On a du attendre l'accouchement ! Tu étais plus accessible. Et quand on a vu le fiacre, on a cru à notre chance. On en avait marre de surveiller ton appartement. Tu aurais du être là !

- Pourquoi ma femme ?

- Gueulemer a perdu sa régulière pendant qu'il était à la Force. Tu l'avais poissé une fois mais sa gonzesse est morte. Maladie. Il te haïssait ! Lorsqu'il a vu que le fiacre ne contenait que ta femme et ton môme, il s'est déchaîné. Il avait trop bu et... »

Lorsque Javert l'a arrêté à Montmartre après avoir suivi la piste de Pierre Tourneur, bizarrement Gueulemer ne s'est pas défendu. Il était résigné. Peut-être le souvenir de la jeune femme assassinée avec son fils l'a marqué ?

Mais Javert avait su contenir sa rage et l'avait simplement arrêté. Dans un silence total. Puis il partit patrouiller dans les rues de Paris. Une dernière fois.

« Et ?

- J'avais pris du laudanum. Je ne l'ai pas arrêté.

- Tu les as touchés ?

- Je te jure que non Javert ! Je n'étais pas moi-même mais je ne tue pas les gonzesses et les mômes ! Tu le sais ! »

Un souffle. Les deux hommes se regardaient attentivement.

Montparnasse et le laudanum ! Il devait rêver de la Veuve. Cela soulagea Javert. Le pistolet disparut et on vit réapparaître un vieil homme fatigué et malade à la place de l'inspecteur Javert.

Le policier se leva et s'inclina. Il n'avait plus les moyens de rendre la justice, juste de satisfaire la vengeance. Il n'était pas tombé si bas.

« Adieu Montparnasse ! Je te souhaite un bon mariage.

- La Veuve m'attendra bien encore un peu, rétorqua Montparnasse, un peu plus sûr de lui, maintenant le danger immédiat écarté.

- Peut-être. »

On se mesura du regard et on se quitta.

Vidocq n'eut pas besoin de claquer des doigts, ses hommes le suivirent dans la rue.

Javert avait disparu.

On pensa à la Seine.

Mais il y avait toujours Jean Valjean et cette pensée dérangeait le bon arrangement des choses.

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