Maladresse
Les jours passèrent. Valjean se sentit mieux chaque jour. Il n'avait jamais reçu de blessures aussi graves. Même à Toulon. Le médecin, grassement payé par le baron de Pontmercy et dûment chapitré par le chef de la Sûreté, n'avait rien dit des cicatrices. De la marque au fer rouge. Il soignait, le visage impassible, un ancien forçat, mais aussi un homme courageux qui avait sauvé un agent de la Sûreté et une petite fille. Cela méritait une compensation et l'argent contribuait à obtenir le silence.
Donc, Valjean était bien soigné, étroitement surveillé et se remettait doucement.
Vidocq ne vint plus le voir mais un homme devint un visiteur régulier. Roussin !
La première fois, Valjean observa avec surprise et joie l'arrivée de l'agent de la Sûreté.
« Alors Le-Cric, comment tu vas ?, demanda Roussin avec une telle chaleur dans la voix que cela fit rayonner de plaisir Valjean.
- Bien mieux. Merci Roussin.
- Alors tu as ta grâce il paraît ?
- En effet.
- C'est quoi ton bague alors ?
- Jean Valjean.
- Joli ! Cela te va mieux que Le-Cric. Moi, c'est Louis-Marie Delchamps. On m'appelle Roussin rapport à mes cheveux. Je m'y suis habitué, c'est devenu mon nom de guerre.
- Je préfère Valjean pour ma part.
- Alors je vais t'appeler Valjean. »
Et la conversation porta très vite sur la Sûreté. Valjean fut surpris d'apprendre la démission de Vidocq. A cause de « l'état maladif de sa femme ». Cela fit rire Roussin qui lança :
« Quand on connaît la Fleuride-Albertine, on voit à quel point Vidocq s'est foutu de leurs gueules.
- Son épouse ?
- Sa troisième épouse. Le Mec est un Lovelace. »
Ce terme bien choisi fit rire les deux hommes. Vidocq n'avait pas été arrêté par le bagne, il avait vécu une vie, il s'était marié, il avait aimé... Valjean n'avait cessé de se cacher et de se faire oublier, ratant ainsi toute sa vie. Cela laissa un goût amer dans la bouche de Valjean, pire que le laudanum.
« Et toi ?, reprit le forçat nouvellement gracié.
- Allard a pris la tête de la brigade de la Sûreté, il va y avoir de l'épuration dans les troupes. Surtout avec son second, l'inspecteur Canler. La préfecture nous a informé que « tout agent déjà atteint par un jugement quelconque sera renvoyé automatiquement ».
- Que devient Vidocq ? Et toi ? Que deviens-tu ?
- Vidocq s'est installé au numéro 12 de la rue Cloche-Perche, près de la rue Saint-Antoine. Il a créé un Bureau de renseignement pour le commerce.
- Qu'est-ce que c'est ?
- J'en sais foutrement rien. Mais le Mec a repris l'essentiel de son équipe. J'en suis ! Il doit vouloir continuer à jouer le cogne mais sans le titre officiel.
- C'est possible ?
- J'en sais rien mais avec le Mec, tout est possible ! »
Oui, tout est possible.
Les jours, les semaines passaient. Roussin venait régulièrement et faisait régulièrement le point avec Valjean sur les ragots, les dernières affaires en date, la nouvelle organisation. On n'était plus de la Sûreté mais on était du Bureau. Pour le reste, rien de vraiment changé. Mais les cognes étaient plus durs avec eux aujourd'hui, plus pointilleux. On était plus prudent.
Un jour, Valjean fut surpris d'apprendre qu'un nouveau meurtre d'enfant avait eu lieu.
« Javert est sur l'affaire. Il n'en dort plus. Déjà qu'il était pas commode mais là on dirait un vrai argousin à gueuler sur tout le monde comme un putois.
- Javert est de retour à Paris ?
- Cela fait deux semaines, en effet. L'est pas venu te voir ?
- Non. Il n'est pas venu.
- Il attend le bon moment peut-être. Mais vu ce que tu lui as dit, je doute qu'il vienne jamais te voir.
- Ce que j'ai dit ?
- Tu étais blessé, en train de t'évanouir mais c'était clair.
- Qu'est-ce que j'ai dit ?
- Tu lui as dit que la Seine avait fait du mauvais travail et que tu voulais qu'il y retourne.
- Merde ! Mais j'étais inconscient !
- Peut-être que Javert viendra quand même, qui sait ? »
Une parole de consolation. Roussin avait compris qu'entre les deux se passait une drôle d'histoire d'amitié et de haine. Pas clairs les deux gonzes.
Le bon moment ? Quel bon moment ?
Valjean avait envie de revoir Javert, de discuter avec lui, de s'excuser de ses paroles inconsidérées. Il était inconscient, ou quasiment, c'est la colère qui a parlé pour lui.
« Tu pourras lui demander de venir me voir ?, demanda Valjean, un peu penaud.
- Sûr Le-Cric. Je vais affronter la bête pour toi. Allez remets-toi vite ! »
Roussin vint régulièrement rendre visite à Jean Valjean, apportant des nouvelles de la brigade et de Javert en particulier.
Javert qui avait épinglé Roussin contre un mur pour lui ordonner d'arrêter de lui parler de Jean Valjean. L'ancien forçat avait eu sa grâce, leur accord était terminé, ils n'étaient plus obligés de se côtoyer. Roussin plaida quand même pour Valjean, insistant sur le fait que Valjean avait sauvé la vie de l'ancien inspecteur et qu'il méritait bien une récompense pour cela. Une visite ce n'était pas la mer à boire !
Javert grogna qu'il avait l'habitude des miracles de Saint-Jean et qu'il n'avait pas de temps à perdre avec des visites.
Le corps se remettait bien mais le moral n'allait pas vraiment. Cosette passait du temps avec son père, à lui faire la lecture. Bientôt, Valjean put descendre dans le jardin, passer quelques heures au pâle soleil de janvier, à regarder l'hiver endormir le jardin tout doucement. Tandis que sa fille lui parlait des futures plantations, consciente, la maligne, que l'ancien jardinier du couvent du petit Pic-Pus serait heureux de se charger d'elles.
Maligne...
Mais le cœur n'y était pas.
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