Le Baron Thénard
Il faisait jour et le soleil était haut lorsqu'ils arrivèrent à Nantes. La ville était assez belle, en pleine croissance avec une architecture en train d'être rénovée. Le commerce atlantique connaissant un important essor, la ville en profitait. De plus, M. Madeleine songea à sa chère Montreuil en apercevant les quartiers récents liés aux usines récemment fondées. Une ville portuaire, riche et dynamique. Les remparts et les tours médiévaux donnaient un petit air nostalgique à la jolie ville de Nantes. On en oubliait la « baignoire nationale » et les horreurs de Jean-Baptiste Carrier... On en oubliait le choléra, endémique, et les épidémies régulières, liées à la pauvreté et à la saleté des vieux quartiers... Une ville à deux visages... Il valait mieux naître du bon côté.
Les deux hommes étaient épuisés en arrivant.
Valjean ne songea pas à s'opposer lorsque Vidocq l'entraîna dans le premier hôtel venu, avec l'intention de manger, de se laver, de se changer. C'était vital.
Devant un plat copieux de galettes accompagné de cidre brut, Vidocq se sentit revivre. Il servit Valjean avec entrain.
« Mange Le-Cric ! Je vais commencer mon enquête ! »
Et joignant le geste à la parole, Vidocq appela l'aubergiste pour de l'encre et du papier. Un message fut envoyé par porteur et Vidocq attendit la réponse en s'attaquant à un autre plat, cette fois-ci de coquilles Saint-Jacques baignant dans la crème.
Valjean mangeait. Il était aussi un homme robuste et, même si les années lui avaient appris l'abstinence et la retenue, il avait faim et faisait honneur à la cuisine de l'auberge. Même si l'apathie de Vidocq le surprenait. N'aurait-il pas fallu courir après Javert ? Faire le tour des auberges ?
Puis, alors que les deux hommes sirotaient une ultime tasse de café, un policier demanda à les voir. Valjean envia Vidocq pour l'aisance avec laquelle il vivait et acceptait les échanges avec la police. Alors que lui-même se troublait et pâlissait, Vidocq sortait son passeport sans aucune gêne. Son passeport annonçait son statut d'ancien forçat gracié sur décision royale. Comme Valjean.
Le policier fronça les sourcils en examinant les papiers d'identité de ces anciens fagots puis il fut décontenancé en reconnaissant le nom de l'un d'entre eux.
« M. Vidocq ? Le Vidocq de la Sûreté ?
- C'est lui-même, en effet, sourit Vidocq, tellement heureux d'affecter autant ce simple cogne.
- Vous avez besoin de notre aide ?
- Je ne suis plus le chef de la Sûreté mais un de mes agents a du passer vous voir il y a quelques jours.
- Oui-da. Un dénommé Jacques. Il a prévenu que vous pourriez venir à Nantes pour parler au détenu.
- Le détenu ?
- M. Thénardier. Il est en cellule. Si vous voulez bien me suivre ?
- En fait, j'aurai aimé parler à mon agent.
- Il est parti hier, monsieur. Il a dit qu'il avait une mission à tenir.
- Fort bien, soupira Vidocq. Voyons le détenu. »
Le détenu était bien ferré. Thénardier n'avait rien perdu de sa superbe, il était juste plus vieux, plus maigre. Le temps avait filé depuis la Maison Gorbeau. L'ancien sergent de l'armée de Napoléon dardait ses yeux petits et méchants sur les deux nouveaux arrivants puis son regard s'éclaira en voyant Jean Valjean.
« Tiens, tiens ! Qui voilà ? Notre ami le Philanthrope ? Si tu veux échapper à Javert, tu ferais bien de te secouer les miches, il était encore là hier soir.
- Je n'ai pas besoin d'échapper à Javert, je suis un homme gracié.
- Ton petit baron de gendre s'inquiétait de ton passé, pourtant, Jean Valjean, le forçat. Au fait, comment va l'Alouette ?
- Comment oses-tu parler d'elle ?, » gronda Valjean.
Un ricanement salua cette menace. Vidocq, plus pragmatique, déclara simplement :
« Comment Javert t'a-t-il trouvé ?
- Aucune idée mais ce salopard a prévenu les cognes de m'enchaîner le jour et la nuit. J'ai même droit à une garde. En attendant le transfert à Paris.
- Il a peur que tu ne te donnes de l'air. Tu l'as fait à la Force après l'affaire de la Maison Gorbeau, rappela Vidocq.
- C'est vrai...
- Et ta fille ?, demanda Valjean.
- Azelma ? Elle est partie avec Javert. Le cogne a obéi à tes ordres. »
Puis voyant que personne ne lui répondait, Thénardier se mit à rire.
« Tiens ! On dirait que le chien de Vidocq a pris une initiative ! Cela m'étonne de lui.
- Et ta fille a accepté de le suivre ?
- Elle n'a pas eu le choix, le Mec. Elle doit avoir suivi Javert. Ils font un beau couple, le cogne et la vipère. Mais j'espère que Javert tiendra sa promesse.
- Laquelle ?
- S'occuper de la petite. Je me suis livré contre ça. Que je sois poissé, c'est dans l'ordre des choses, mais la gosse... Eponine est canée à la barricade, Gavroche a du crever je-ne-sais-où, mes autres mômes ont disparu depuis des lustres. Restait Azelma. C't'une brave gosse, pas très maligne mais chouette. Le mieux pour elle ce serait que le cogne la fourre dans son pieu, au moins elle finira pas putain sur le ruban. Mais je vois pas Javert la prendre. Il est un peu toqué, le cogne, depuis qu'il est veuf, hein le Mec ?
- Attention à ce que tu dis Thénardier !, menaça Vidocq.
- Tu sais que Javert m'a juste collé les poucettes sans me cogner, ni me buter ! Il est devenu doux en vieillissant. Ou alors le fait d'être cané cela aide ! J'ai eu les grelots quand je l'ai vu débarquer dans ma piaule avec son feu pointé sur moi. Un fantôme le Javert ! Il a profité de mon éblouissement pour me poisser. Saloperie de cogne ! Increvable !
- Il ne souhaite que la justice. Et comme tu as déjà été condamné à rencontrer la Veuve, il ne veut que faire appliquer la sentence. Il est dévoué, l'inspecteur. »
Thénardier cracha sur le sol, dans un souverain mépris. Vidocq se décida à partir, Thénardier l'arrêta en lançant d'une voix goguenarde.
« Il a pas aimé perdre sa femme, le cogne, hein ? Que croit-il que j'ai ressenti en perdant la mienne ? Morte aux Madelonnettes ! Je lui souhaite de vivre avec sa Justice, cela doit bien lui tenir chaud la nuit ! »
Vidocq ne répondit pas, serrant les poings, serrant les dents.
« Pourquoi Nantes et pas Le Havre ?, reprit Valjean.
- Parce que c'est un port négrier.
- Mais c'est interdit depuis 1831 !
- On croirait entendre Javert ! C'est interdit. Comme de bien entendu. »
Thénardier se mit à rire. Il s'était pourtant bien vu négrier, il attendait juste un rafiot pour l'embarquer vers les Amériques et là-bas, il aurait fait dans la vente de nègres... La loi de 1831 ne changeait rien aux besoins des colonies, si ce n'était pas dans les Antilles françaises, il y avait d'autres îles, d'autres lieux... Et Thénardier avait déjà trouvé que le baron Thénard faisait un nom bien convenable pour un vendeur de singes.
Et voilà Javert ! Merde l'homme ! Il n'était pas censé être cané dans la Seine ? Peut-être aurait-il du écouter les élucubrations de Montparnasse ? Mais le gonze était parfois un peu trop près du laudanum. On ne croyait pas tout ce qu'il disait.
L'apparition du policier à l'hôtel avait été aussi dramatique que comique.
Thénardier, encore au pieu, avait envoyé Azelma ouvrir la porte dés qu'on avait frappé. Qu'au moins la gosse se rende utile. Ce fut sa première erreur. Azelma n'était pas Eponine, elle n'avait que seize ans et n'a pas reconnu l'inspecteur Javert. Elle l'a laissé entrer dans la chambre. Et Javert a toisé Thénardier avec un sourire magnifique, horrible, rempli de joie.
« Bonjour Jondrette ! Content de te voir !
- Merde ! »
Ce fut la seule chose que réussit à dire Jondrette, il s'était précipité sur sa culbutte pour y prendre son feu mais Javert fut le plus rapide. Il se jeta sur lui, serrant ses doigts sur ses poignets. A les voir lutter ainsi sur le lit, on aurait pu croire une querelle d'amoureux, voire un enlacement. Javert au-dessus de lui, le dominant de toute sa taille, un genou sur le matelas et Jondrette, étendu sous sa stature, torse nu, se tortillant dans l'étreinte du policier.
« Azelma ! Bouge godiche ! Mon feu ! Dans mon pantalon ! ALLEZ ! »
Mais Azelma était livide de peur. Elle n'était pas Eponine. Elle avait vécu dans des taudis, avec son père, après la prison pour femmes, dans la peur éternelle.
« Bouge idiote !
- La ferme Jondrette ! »
Cette fois, le policier avait parlé et les mots étaient crachés avec colère.
« Tu vas me suivre gentiment au poste, Thénardier, la partie est finie.
- Dans tes rêves, Javert !
- Patron-Minette est fini. Je vais me faire le plaisir de te présenter moi-même à la Veuve. Ou alors... »
Puis le criminel eut peur. Peur en voyant le regard fou de Javert. Le policier perdait pied. Et Jondrette reconnut ce regard, Montparnasse avait le même. Juste avant de suriner un cave.
« J'y suis pour rien, Javert. Tu le sais ! Hein ? J'étais pas à Paris ! Merde ! C'est Gueulemer ! Javert ! »
Le policier ne l'entendait pas, ne le voyait pas. Il devait être perdu dans les souvenirs d'un fiacre... Un fiacre perdu dans la neige...
« JAVERT !, hurla Jondrette, fou de panique.
- Quoi ?, » répondit l'inspecteur en se reprenant.
Puis l'incongruité de la scène dut toucher Javert, il se redressa, gardant une main de fer sur Jondrette et sortit ses poucettes de sa poche. En un tour de main, il menotta Thénardier puis quitta le lit. Il sortit ensuite son pistolet et tranquillement il visa Jondrette.
« Maintenant la police. Je connais Nantes. Une petite promenade sur les quais. Tu auras le temps de réfléchir à ta déposition. Et si tu tentes un seul geste pour m'échapper, je vais te montrer comment on utilise un feu et crois-moi, je ne vais pas te rater, moi.
- Et ma fille ? »
Un regard méprisant sur la gamine. Toujours immobile, blanche de peur, elle tremblait. Elle devait se souvenir de la prison, des Madelonnettes, de sa mère morte, de sa sœur morte... Elle avait aussi ses démons à combattre.
Javert et la Seine, Marius Pontmercy et la barricade, Azelma et la prison... Et Valjean ? Valjean devait rêver de Toulon...
L'ancien inspecteur se serait contenté de serrer la fille aussi. Tel père, telle fille ! On envoyait aussi les femmes à la guillotine. Mais parfois il était bon de se rappeler que l'inspecteur s'était noyé dans la Seine il y avait un an.
« Je ne sais pas, Jondrette, fit Javert doucement. Qu'en penses-tu ? »
Javert acceptant de discuter, c'était du jamais vu ! Il fallut quelques instants à Thénardier pour saisir sa chance.
« C'est qu'une gosse. Pas une pute, ni une guinche. Juste faire le pet de temps en temps.
- Donc tu proposes ?
- Tu la prends avec toi, tu la ramènes à Paris, tu lui sauves la mise.
- Et en échange ? »
Azelma réagissait enfin, quittant son immobilité de statue de sel, elle regardait les deux hommes discuter d'elle et de son avenir avec désinvolture. Elle s'approchait de Javert, les yeux agrandis par l'horreur.
« Je me laisse arrêter. »
Javert rit, sincèrement amusé.
« Comme si tu avais le choix !
- Je te donne Gueulemer. »
Le rire s'éteignit. Le fiacre revenait...
« Gueulemer... Je pensais que tu l'avais suriné après l'évasion de la Force.
- Non, Gueulemer est une brute idiote mais qui a son utilité.
- Où est-il ?
- Son nom est Pierre Tourneur. Il vivait à Montmartre il y a quelques mois. Aujourd'hui, je ne sais pas.
- Pierre Tourneur... »
Javert baissa la voix, répétant doucement Pierre Tourneur...
Ainsi un de ses cauchemars avait un nom...
« Javert !
- Javert !!
- JAVERT !!!
- Quoi Jondrette ?, » grogna le policier, revenu une fois de plus des limbes de son esprit.
Voir l'inspecteur Javert n'était déjà pas un plaisir mais le voir avec ce regard fixe était effrayant...et Dieu sait si Thénardier avait été confronté à des choses effrayantes dans sa vie.
« Tu me laisses m'habiller avant de m'emmener chez les cognes ? »
Un sourire, un peu d'amusement, Javert eut tellement envie de lui refuser ce privilège mais il n'était pas cruel. Il lui jeta son pantalon, une fois les poches et les coutures bien vérifiées et vidées, puis sa chemise, puis il lui retira les menottes et permit à sa fille de l'aider.
Une fois vêtu, Jondrette, à nouveau bien entravé, s'apprêta à suivre Javert jusqu'au poste de police.
Un dernier regard sur Azelma. La fille devait rester à attendre le retour du policier puis elle devait partir avec lui, rentrer à Paris, obéir à Javert. A sa place, Eponine se serait enfuie, à sa place Gavroche aurait ri à en perdre haleine, à sa place... Azelma n'était pas comme Ponine, ni comme Gav'... Mais c'était sa fille, son dernier enfant, pas que Thénardier ait détesté ses enfants. Quand il avait son auberge, ses filles ne manquaient de rien, les mignonnettes, avec leur robe rose et leur bonnet. Elles l'appelaient « papa » et il y avait toujours un sourire réjoui qui naissait sur les lèvres de sa femme. Et il y avait l'Alouette... Il n'aimait pas Cosette, la petite pouilleuse, mais elle était là et chantait joliment en passant le balai et il appréciait de l'entendre. Qu'est-ce qui avait dérapé à un moment ? Qu'est-ce qui avait fait disparaître cette vie ?
Maintenant Azelma était une grande fille, maigre et noiraude, les yeux toujours effrayés.
Peut-être y était-il pour quelque chose ?
Et M. Thénardier disparut de la vie de sa fille...
Avant d'attendre de disparaître de cette vie...
Sur le chemin, Javert se tourna vers Thénardier et lui lança, tout à coup menaçant :
« Tu tiendras ta gueule sur Gueulemer. Sinon, je te jure que tu préféreras rencontrer la Veuve que moi. Il est sûr que le Mec ou un de ses gonzes va venir t'interroger.
- On s'inquiète pour toi le cogne ?, demanda la voix dégoulinante de sarcasme de Thénardier.
- Il me reste Gueulemer... Un dossier à clore. »
Et le sourire de Javert fut éblouissant, dévoilant ses dents, tellement heureux de vivre tout à coup mais les yeux restaient vides et froids. Déjà morts en fait. Thénardier baissa la tête et acquiesça, il se tairait sur Gueulemer...
Thénardier raconta cela d'une voix terne à Vidocq et à Valjean. Et soudain, Thénardier eut envie d'étrangler le vieux forçat, l'homme de Montfermeil. Tout était de sa faute après tout ! La descente aux Enfers avait débuté lorsque le gentil grand-père était venue chercher sa petite-fille chérie et que tout le village avait compris que la gamine avait été vendue. Plus de clients, plus de recettes, la faillite et la faim.
Valjean devait lire sa haine dans les yeux du sergent de Waterloo.
Il l'avait déjà vue dans la Maison Gorbeau. Le vieux drôle et son tisonnier ! Thénardier regretta de ne pas le lui avoir enfoncé dans la gorge. Au diable l'argent et l'Alouette. Il aurait eu la vengeance.
D'ailleurs, il se demanda comment Javert ne les avait pu tous tués Maison Gorbeau ? Sachant que l'un d'eux avait assassiné sa femme et son fils. La justice ! Thénardier baissa la tête et ricana tout bas. Il en avait soupé de les voir tous les deux. Il n'avait plus rien à avouer. Le reste se passera entre lui et la Veuve.
« Thénardier, souffla tout à coup la voix douce de Jean Valjean.
- Qu'est-ce tu veux ?
- Je vais m'occuper d'Azelma. Elle n'ira pas en prison, je te le jure.
- Parole de forçat ?
- Parole de Jean Valjean.
- Quelle est la différence ? Allez décarre Valjean, j'en ai assez de voir vos gueules. »
Le silence revint dans la cellule...seulement brisé par le bruit des pas du policier revenu le surveiller... Thénardier put reprendre la conversation avec les fantômes de son esprit. « Oui, ma douce. Les rognons du chat et la vessie de génisse, c'est excellent fourrés dans une saucisse. Ils n'y verront que du feu. Les pauvres caves. ». Le cabaretier, le maître de la maison...
Ils allèrent à l'auberge où avait logé Thénardier. L'homme avait lâché l'adresse et de toute façon Javert avait rempli un procès-verbal pour l'arrestation. Parfois, l'ancien inspecteur se permettait de ressusciter le temps d'une enquête avant de disparaître dans les limbes. Et Paris était si loin. On préféra se charger du criminel en fuite que de questionner un honnête inspecteur de la police parisienne. Mais là, Thénardier avait du mentir et Javert se tromper. Ce n'était pas possible que ce soit là.
Car c'était un bel hôtel situé dans un beau quartier, un « hôtel garni » nommé Hôtel Henri-IV. Un hôtel si magnifique et luxueux qu'ils restèrent un instant ébahis devant la porte, sous le regard suspicieux du portier vêtu d'une magnifique livrée.
« Vous désirez ?, demanda le serviteur, un peu menaçant.
- Parler au patron, rétorqua Vidocq.
- Si vous voulez bien me suivre. »
On voulut bien, on s'empressa. L'intérieur de l'hôtel était aussi étincelant que l'extérieur. Le patron fut gêné de voir quelqu'un s'intéresser à cette malheureuse affaire, quelqu'un de la police, manifestement. Il craignait la mauvaise presse par dessus tout.
« Oui, nous avons reçu un baron Thénard dernièrement.
- Un homme riche ?
- Oui, reconnut avec réticence le patron. Il a payé rubis sur l'ongle pour quatre nuits, avec les repas compris. Il attendait un bateau qui devait l'emmener en Amérique. La Belle Province...
- Quel genre de bateau ?
- Un beau bateau de commerce, il fait la route des Antilles régulièrement...mais le capitaine n'est peut-être pas de toute première honnêteté. Il est bien riche pour un simple marchand d'ananas.
- Négrier ?
- Je ne saurais le dire... »
La question était comment Thénardier connaissait un négrier ? Mais il était trop tard pour le lui demander. Il devait avoir des contacts, c'était tout, comme Javert avait des contacts dans la marine marchande, comme Vidocq avait des contacts parmi les anciens forçats...
« Enfin, ce baron Thénard a été arrêté dans mon hôtel il y a deux jours. Je dois avouer que le policier qui s'en est chargé a été efficace et discret. Il est sorti par la porte de service et l'arrestation n'a dérangé aucun de nos clients.
- Et la fille ? »
Cette fois, un sourire égrillard apparut sur les lèvres du patron de l'auberge.
« Vous êtes au courant de cela aussi ? Elle est restée dans la chambre et le policier est revenu la chercher dans la matinée. Il l'a emmenée avec lui. Sans menottes. Enfin, un cogne est un cogne et la fille est jeune. On s'en sort toujours à cet âge-là. »
Que de sous-entendus ! Vidocq sourit à son tour, semblant donner son accord aux propos de l'homme.
« Mon agent les aime jeunes et farouches. Je lui en toucherais deux mots.
- Laissez ! La fille est bien jeune pour aller en prison. S'il ne verse pas dans le proxénétisme, il aura été bon pour elle.
- Et la chambre ?
- Le policier a payé tous les frais avec l'argent du baron. Il est honnête ce cogne, un bon point pour lui. »
Un rire méprisant. L'aubergiste devait penser que Javert était non seulement un libertin mais aussi un officier corrompu. Puis, le patron de l'hôtel se frappa tout à coup le front avec un regard illuminé.
« Mais je suis idiot ! Vous devez être M. Vidocq !
- Je le suis, en effet, répondit l'intéressé, un peu surpris.
- Le policier a laissé un message à votre attention. »
Un simple papier plié sur lequel se reconnaissait sans problème l'écriture de Javert.
Trouve quelqu'un d'autre pour la Sicile
« Nous retournons à Paris ?
- Je suis un peu fatigué pour repartir tout de suite. Javert doit être à la chasse.
- Mais Vidocq !
- Quoi Vidocq ? Tu crois pouvoir retrouver Javert dans Paris s'il ne le souhaite pas ?
- Et son appartement ?
- Tu veux penser comme un cogne ? C'est bien, Valjean. Mais je vais prendre quelques heures de repos avant de te donner la réplique. Il est trop tôt pour reprendre la diligence. Nous partirons cette nuit. Quarante heures de route ! Avec celles déjà effectuées ! Je vais te cogner Javert lorsque je l'aurais à ma botte. »
Valjean voulait s'opposer mais il devait admettre qu'il était épuisé, lui aussi, et qu'il n'était pas tout jeune. Il avait hésité à partir aussitôt mais il décida plutôt de suivre l'ancien chef de la Sûreté. Il était vrai que si Javert était à Paris et ne voulait pas être trouvé, cela ne servait à rien de le chercher partout.
Un temps de repos, un autre repas consistant, quelques minutes de promenade au bord de la mer depuis les quais, si vivants et si impressionnants.
M. Madeleine songeait à Montreuil, sa ville, son port. Comme il aurait été doux de vieillir là-bas, au-milieu des habitants qui l'appréciaient et des enfants qui le suivaient partout en espérant quelques petites pièces de monnaie ou des jouets en bois. Maudit Javert...
Puis le soir vint et ce fut le départ de la malle-poste.
Encore quarante heures de perdues...
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