Convalescence 1
Ce rituel dura des jours, des jours, des jours. On allongea l'heure de visite. Une heure, deux heures, une matinée... Mais Valjean n'osait plus venir chaque jour. Il savait qu'il allait tomber sur M. Chabouillet ou sur Vidocq, sur un des collègues de Javert ou sur Mme Lévi. On commençait à le connaître comme un ancien forçat, ami de l'inspecteur et comme un excellent jardinier. Tout le monde avait goûté ses fraises et les roses qu'il apportait à Javert faisaient des envieuses parmi les infirmières.
D'ailleurs cela fit rire l'inspecteur.
« Arrête de m'amener des fleurs, Valjean, on commence à croire que tu me fais la cour.
- Pourquoi pas ?, répondit l'ancien forçat. Tu me dois toujours une danse à la Paimpolaise.
- T'es jobard. »
Valjean ne venait plus tous les jours mais il envoyait des messages au policier, poursuivant leur étrange correspondance. Il parlait du jardin, de sa sœur, de Cosette, du passé et Javert répondait en critiquant la nourriture de l'hôpital, en rappelant des souvenirs à Valjean, même des souvenirs de Toulon qui faisaient grimacer l'ancien forçat, en parlant des étoiles, en évoquant même sa femme, son fils. Ce fut une des rares fois que l'ancien forçat lut le prénom du fils de l'inspecteur Javert, Louis...
Une fois, Valjean écrivit, un peu inquiet, au sujet de ses propres enfants.
Javert,
Cosette veut absolument te rendre visite avec Marius. Crois-tu qu'un ancien révolutionnaire risque quelque chose au chevet d'un inspecteur de police ?
VALJEAN
La réponse qu'il reçut le fit rire mais il ne l'aurait jamais montrée au principal intéressé.
Valjean,
Ton gendre ne risque rien avec mes collègues. C'est un révolutionnaire raté, on n'arrête que les vrais révolutionnaires. Crois-tu qu'il aurait vraiment fait sauter la barricade ?Je ne sais même pas s'il a su utiliser mes coups-de-poings !
JAVERT
Cosette vint avec Marius, Valjean les accompagna et la conversation fut aussi futile que guindée. Mais Valjean ne quittait pas des yeux Javert et tout un discours était transmis à-travers le gris perçant des yeux de l'inspecteur.
« J'ai tué votre mère, j'ai harcelé votre père. Voulez-vous que je vous raconte cette histoire ? »
A quoi répondait dans une supplication Valjean : « Non Javert, je t'en prie, tais-toi ! »
Alors Javert souriait, son sourire avec trop de dents, si moche à contempler, et supportait patiemment le discours lénifiant de Marius et Euphrasie de Pontmercy. « Oui, la santé s'améliore, le médecin a fait des merveilles, dans un mois je serais debout... Bla bla bla... »
Un mois se passa, puis un deuxième. Septembre se profilait à l'horizon. Un beau mois de septembre, doux et venteux.
Valjean ne venait plus tous les jours mais il essayait de passer à l'hôpital au moins trois fois dans la semaine. La chambre du policier était maintenant encombrée de livres, de journaux, de fleurs, de paquets de gâteaux. Mme Levi gâtait l'inspecteur, elle venait accompagnée de sa fille et apportait des galettes à la cannelle. Jeanne, la sœur de Valjean, n'était pas en reste. Elle aimait visiter l'inspecteur qui lui avait permis de retrouver son frère, oubliant qu'il s'agissait aussi du policier qui l'avait remis au bagne. Valjean rit aux larmes en voyant Javert décontenancé lorsqu'il reçut pour la première fois Jeanne Dumars dans sa chambre.
La vieille femme ne parla pas beaucoup mais elle donna une brioche à la crème au policier, l'obligeant à la manger, elle retapa son lit, elle prit son linge sale, elle virevolta partout dans la chambre, la retournant comme une tempête.
Lorsque tout fut bien rangé, propre et net, elle se tourna vers son frère et clama d'une voix fâchée :
« Tu aurais du me dire que le policier avait besoin d'aide pour gérer son ménage, Jean ! Je vais venir tous les jours pour m'en charger.
- Non, madame !, rétorqua Javert, alarmé. Ne prenez pas cette peine !
- Jeannette, je pense que l'inspecteur aime beaucoup son calme. Mais tu peux venir de temps en temps si tu le souhaites.
- Je le souhaite ! Comment un homme aussi grand peut être aussi maigre ! Je vais m'occuper de lui et il va devenir formidable. Tu verras Jean.
- J'ai hâte ma Jeanne ! »
Et Valjean sourit en captant le regard angoissé du policier.
Il y avait d'autres personnes qui s'intéressaient à l'inspecteur Javert. M. Chabouillet lui donnait des rapports à vérifier, histoire de faire travailler le policier, Vidocq passait discuter quelques heures avec son ami et bien sûr Jean Valjean... Jean Valjean aimait ces échanges aigre-doux avec François Javert.
Puis un jour, Valjean découvrit Javert debout au-milieu de sa chambre. L'homme, habillé de sa simple chemise de nuit, vacillait, la main sur le pommeau plombé de sa canne.
« Dieu ! »
Ce fut le seul mot que réussit à crier Valjean avant de saisir les coudes de Javert et de le soutenir. Javert gela sous le toucher puis le toléra. Il n'était pas stupide, il se sentait fragile.
« Es-tu inconscient ?
- Non ! J'en ai soupé d'être étendu sur un pieu. Je veux marcher !
- Javert ! »
La voix autoritaire de M. Madeleine. Tiens ! Il y avait longtemps. Javert eut un petit sourire amusé.
« J'ai l'aval du médecin, monsieur le maire. Je peux et je dois me lever !
- Pas tout seul ! Pas sans aide !
- Alors aide-moi Jean-Le-Cric ! Prête-moi ta force ! Je veux aller dans le jardin de l'hôpital.
- Tu veux aller trop vite surtout ! D'abord la chambre et si c'est possible le couloir !
- Seigneur ! Tu me fais penser à ta sœur !
- C'est une femme pleine de bon sens !
- Je suis à tes ordres, Jean Valjean. »
Valjean saisit la robe de chambre du policier qu'il glissa sur ses épaules. Il faisait doux mais Valjean n'oubliait pas les recommandations du médecin. La prudence s'imposait. Puis il plaça délicatement un bras sur les épaules de l'inspecteur Javert, le sentant se crisper sous le toucher avant de partir courageusement en promenade. Un pas après l'autre. La sueur coula très vite sur le front du policier, en gouttes assez fines et le souffle se brisa aussitôt.
« Toujours aussi impatient !, gronda Monsieur Madeleine. Déjà à Montreuil...
- Vous...ne vous en êtes jamais...plaint..., souffla Javert.
- Vraiment ?
- Je ne suis pas un impotent !
- Dieu en soit remercié ! »
Monsieur Madeleine et sa piété ! Javert serra les dents pour ne pas répondre et se concentra sur la marche. On les regarda passer lentement dans le couloir. Les infirmières et les médecins étaient fâchés de les voir ainsi mais comment lutter contre la volonté du policier ?
Ce fut Valjean qui força l'inspecteur à faire demi-tour et à retourner dans la chambre. Là, il aida le policier à se recoucher. Javert était pâle de fatigue et de douleur.
« Tu vois ?, murmura Valjean. Ce n'est pas raisonnable.
- Au contraire, répondit Javert. C'est la première chose censée que je fais depuis des semaines. Tu reviendras demain ?
- Si tu le souhaites.
- J'ai besoin de quelqu'un de fort pour m'aider à descendre dans le jardin. Rien de tel qu'un cric.
- Javert... »
Un dernier rire et Javert se laissa doucement s'endormir.
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