6 janvier 2015 (1)
Tandis que Clifton et Liz luttaient pour ne pas pleurer, Hayden ne cessait de renifler face à cette scène déchirante. Aurae, désespérée devant la douleur de Janna, s'était approchée pour la serrer dans ses bras. La vampire accepta l'étreinte, elle qui désormais n'avait plus personne d'autre pour la consoler. Parce que pour les vampires comme pour les humains, il n'était pas naturel que les enfants partent avant leurs parents. Janna remarqua le squelette de Yakov dans une position telle qui signifiait qu'il avait tenté de protéger leurs enfants jusqu'au bout. Ils étaient une famille comme les autres. Papa, maman, deux enfants. Une famille heureuse dans le havre de paix qu'était Doma. Une famille royale qui vivait en harmonie avec les autres vampires.
Janna serra la robe de feu sa fille. Alors pourquoi ? Pourquoi la guerre ? Pourquoi la haine ? Pourquoi, du sanctuaire de Doma, n'étaient-ils désormais plus que trois ? Pourquoi ... Ou plutôt comment leur paradis s'était-il mué en un champ de désespoir en quelques heures à peine ? Regrets de ne pas avoir su les protéger, de ne pas avoir pu anticiper. Culpabilité du rescapé.
Janna se laissa aller à ses pleurs dans l'étreinte d'Aurae. Les chasseurs, c'était vrai, elle les avait tués. Elle, la reine pacifique, avait assassiné des humains. Mais quelle mère lui en voudrait d'avoir vengé les siens ? Plus jamais, ces monstres, ne séviraient. Plus jamais d'autres familles ne seraient brisées. Doucement, Janna s'extirpa des bras de son amie, les joues teintées de sang et tendit la main vers les restes de son époux.
Jusqu'à ce que la mort nous sépare.
Cette promesse possédait une signification toute particulière entre deux vampires éternels.
Jusqu'à ce que la mort nous sépare, mais toi, ma douce Jannochka, tu ne devras pas me rejoindre avant ton heure.
Parce qu'elle était la reine, elle avait dû survivre. Pour le bien des vampires, pour le salut de tous. L'héritière de Ludmilla Nikitovich ne pouvait s'éteindre. Alors, contrairement à Mika qui avait rejoint Alak dans la mort, incapable de supporter la perte de son compagnon après trois cent vingt ans d'amour, Janna, elle, avait dû laisser partir Yakov.
Jusqu'à ce que la mort nous sépare.
Une promesse terrible pour les amants vampires. La perspective d'une éternité ensemble, de siècles traversés main dans la main. Mais Yakov n'était plus là. Parce que la mort, cette nuit-là, les avait séparés à jamais. Un trépas imprévu, une guerre impitoyable, rapide et sans merci.
Bien que ses larmes coulaient encore, les sanglots de Janna s'étaient apaisés. Lentement, elle se releva et Aurae fit de même. Elle lui tendit un mouchoir afin d'ôter le sang sur ses joues pâles.
Jusqu'à ce que la mort nous sépare.
Parce que son bien-aimé Yasha ne reviendrait plus. Pas de miracle ni de résurrection surprise. Plus de deux siècles auparavant, on lui avait à jamais volé son sourire. Aujourd'hui, elle se devait de lui dire adieu. De leur dire adieu. À son époux. À ses enfants. Mais aussi à ses pères, dont, elle le savait, les dépouilles devaient reposer dans la pièce adjacente. Mais aujourd'hui, encore plus que des adieux, il était temps pour Janna de les laisser partir. Tourner la page et avancer. Elle savait que Yakov, Sasha et Lilivia l'attendaient sur l'autre rive en compagnie de Mika et Alak. Elle était certaine qu'un jour, dans cent ou mille ans, elle finirait par les revoir. Mais d'ici là, elle se devait de les laisser partir.
Janna se tourna vers ses amis, un sourire triste sur son visage.
— Vous pouvez déballer le matériel funéraire. Je suis prête à les quitter.
Clifton acquiesça et ouvrit son sac. Il tendit à la vampire des urnes gravées, de celles que l'on trouvait par dizaines dans les boutiques spécialisées.
— Pendant que je m'occupe de ça, je vous laisse visiter. N'hésitez pas à récupérer les objets et les livres qui vous intéressent. Je ne bouge pas d'ici.
Tous acquiescèrent et même s'ils hésitaient à la laisser seule, surtout Aurae, ils savaient que c'était pour le mieux. La vampire en avait besoin.
Lentement, Janna étala sur le sol un tissu bordeaux orné de runes démoniaques signifiant « éternité » et « repos ». Des larmes emplissant à nouveau ses iris orange, elle y déposa les os de Sasha, Lilivia et Yakov. Dans la mort, elle ne séparerait pas sa famille. Une fois tous les ossements en place, elle referma le tissu selon un pliage traditionnel et attrapa ensuite la petite masse rituelle.
— Maman ne vous oubliera jamais. Ta femme adorée ne t'oubliera jamais.
Janna donna son premier coup de masse.
— Attendez-moi sur l'autre rive, un jour nous nous reverrons.
Deuxième coup.
— D'ici là, vivez sans moi, comme je vivrais sans vous.
Troisième coup.
— Et que par delà le voile, le fil des souvenirs nous relie pour l'éternité.
La vampire asséna ensuite une succession de coups violents dans différentes directions et dans un ordre précis. Finalement, elle ouvrit l'urne, et y fit glisser la poussière d'os, avant de plier le tissu et de le loger également à l'intérieur de l'urne ; qu'elle referma. Janna attrapa un pot d'encre démoniaque, utilisé par les vampires depuis plus de mille ans pour sa longévité et nota les noms et dates de naissance sur le vase funéraire.
Yakov 1613-1758
Sasha 1750-1758
Lilivia 1752-1758
Janna déposa à côté de l'urne les deux jouets préférés de ses enfants et l'alliance de Yasha, seuls souvenirs qu'elle conserverait. Essuyant tant bien que mal ses larmes de sang, elle se fraya un chemin dans la salle adjacente, celle qui fut la bibliothèque royale. Au milieu des débris et des ouvrages éparpillés, elle ne tarda pas à repérer les deux squelettes entrelacés, avec leurs alliances et leurs médaillons si reconnaissables. Mika et Alak. Malgré la situation, la vampire sourit. Ses pères avaient pu partir ensemble. Pour eux aussi, elle répéta le rituel funéraire.
— Papas, merci pour tout. Amusez-vous bien avec Yakov et vos petits-enfants sur l'autre rive.
Elle referma l'urne.
— Je... Au revoir.
Mikhaïl 1108-1758
Alakseï 1402-1758
Janna récupéra les bijoux et l'urne et retourna dans la pièce précédente. Elle s'installa alors sur le sol accidenté, se remémorant ce jour terrible où tout avait changé.
**
1er décembre 1757
Depuis quelques jours, plusieurs enfants montraient des signes d'une maladie étrange à Doma. Ils toussaient et avaient de la fièvre, tandis que d'autres ne cessaient de vomir. Jannochka avait été immédiatement avertie et une enquête avait été ouverte. En deux semaines, quinze cas supplémentaires furent à déplorer et de nombreux adultes commencèrent à montrer des signes d'une fatigue intense et inhabituelle. Artiom et Youri, les deux conseillers royaux, poussèrent un soupir désespéré en annonçant les dernières nouvelles à leur reine bien-aimée. Aucune des potions utilisées depuis des siècles ne semblait fonctionner. Mika, Alak et Yakov avaient fouillé toutes les archives et n'avaient rien trouvé non plus. Un mal inconnu dans leur sanctuaire. Un mal inconnu qui menaçait le bien-être du royaume. Jannochka discuta longtemps avec les conseillers, sa famille, la prêtresse et les habitants. Tous, que ce soit les vampires bien plus âgés qu'elle ou des plus jeunes pensaient à la même chose : une malédiction d'un sorcier. Et contre un sorcier, seule la magie d'un de ses pairs pouvait le contrer. Tous, encore plus que d'habitude, portèrent leurs espoirs en leur souveraine, à moitié sorcière. Jannochka s'évertua alors, jour et nuit, à poser des pièges magiques aux alentours de Doma afin d'attraper l'ennemi puis tenta de trouver un anti-sort.
Une semaine passa encore et le nombre de malades ne cessait de croître. Bien que personne ne soit décédé à ce jour, les habitants étaient terrifiés. Affaiblis, épuisés voire carrément malades et alités, comment allaient-ils faire fonctionner Doma à l'avenir ? Même Jannochka avait été vue titubante à l'entrée du palais, tant elle utilisait d'énergie magique pour chercher un remède en plus d'être elle-même contaminée. Plusieurs fois, elle se rendit sur la tombe de sa grand-mère, la priant de lui envoyer un signe, n'importe quoi qui pourrait la mettre sur la bonne voie. Malheureusement, rien ne vint. Ni signe ni amélioration. Seulement le froid d'un hiver plus glacial que les autres. Malgré tout, Jannochka ne perdait pas espoir. Son royaume, elle le protègerait.
**
4 janvier 1758
Contrairement à certaines légendes, les vampires pouvaient se promener sans problème en journée. Ils étaient simplement sujets aux coups de soleil, bien plus que la plupart des humains et leurs pouvoirs étaient aux plus bas à midi. À midi et lors des nouvelles lunes.
— Majesté !
Artiom avait hurlé en pénétrant dans le palais, réveillant tout le monde de leur sieste. Midi venait de sonner.
— Majesté, on nous attaque !
Jannochka lâcha son parchemin.
— Ce sont des humains. Des chasseurs de vampires.
Voilà donc pourquoi les pièges anti sorciers n'avaient pas fonctionné.
— Sonne l'alerte. Que tout le monde se barricade. Mikhaïl et moi allons nous en occuper. Ce ne sont que des humains.
— À vos ordres, Majesté.
Mika et elle récupérèrent leurs épées, au cas où, bien qu'en théorie leurs pouvoirs devraient suffire, et quittèrent le palais en toute hâte. La dernière attaque remontait à plus de trois siècles et n'avait fait absolument aucun blessé ni mort de leurs côtés. Ils n'étaient pas inquiets. Le duo courut et perçut très vite des hurlements. Une maison en flamme à leur droite, la prêtresse décapitée à leur gauche. Pourquoi ? Comment ? Ils avancèrent davantage vers l'entrée de Doma et Jannochka commença à tousser. Mika la rejoignit, trainant un humain.
— La vérité !
L'homme rit.
— Avec plaisir. On a contaminé votre eau avec de l'argent pour vous rendre malade sans vous tuer. Pour vous affaiblir. Et là, on a diffusé un gaz inflammable, préparé par un sorcier. Un gaz anti-vampire. Ça active les particules d'argent présent dans votre corps et les multiplie. On va tous vous crever espèce de monstre.
Mikhaïl lui arracha le cœur et se tourna vers sa fille.
— Il faut fuir Janna. Tu ne peux pas mourir ici. La reine ne peut pas mourir.
— Je dois sauver Doma !
— On n'a pas le temps. La base de l'antidote est notre eau. Ils sont contaminés. La ville d'humains nous déteste. Le camp de vampire le plus proche d'ici est à cent kilomètres. On n'a pas le temps d'aller chercher des antidotes pour sauver toute la cité. Et on ne sait pas dissiper ce gaz.
— Avec mes pouvoirs...
— Janna ! Tu as trop utilisé ta magie, tu es à bout. Tu ne peux pas sauver Doma. Personne ne le peut. On n'a pas d'antidote. Pas de sorcier. Pas de guerrier. On est tous affaiblis. Il faut rentrer au palais. On va se faire tuer.
Malgré son désaccord, elle acquiesça et suivit son père jusqu'à chez elle. Sur le chemin, ils parvinrent à tuer quelques assaillants, non sans mal, tant le gaz les avait fragilisés.
Une fois à l'intérieur, ils déposèrent leurs épées et expliquèrent la situation à tous, mais le calme fut de courte durée. Les chasseurs tentaient déjà de défoncer la porte.
— Va t'en ma douce.
— Yasha, non. Je pars avec toi et les enfants.
Il lui sourit.
— Dehors les enfants ne semblent pas survivre longtemps au gaz. Pas plus de quelques minutes. Au mieux. Les nôtres ne feront pas exceptions. Je vais rester avec eux pour les protéger, d'accord ?
Jannochka savait qu'il s'agissait là d'un adieu, que Yakov était bien trop affaibli et surtout trop peu entraîné au combat pour gagner contre leurs assaillants. Mais elle savait aussi qu'il avait raison. Sasha et Lilivia mouraient une fois à l'extérieur. Yakov aussi. Et elle n'était pas en état de tous les protéger.
Mikhaïl posa une main sur son épaule.
— Artiom et Youri vont t'accompagner.
— Et toi ? Et Alak ?
Son père baissa les yeux.
— Alak est revenu trop tard de sa ronde. Il... Il ne passera pas l'après-midi même si les chasseurs partaient. Pardonne-moi princesse, mais...
Jannochka lui sourit.
— Il n'y a rien à pardonner, papa. Je vous aime tant tous les deux. Restez ensemble jusqu'au bout.
— Merci ma puce. Longue vie à la reine.
Alors que la porte du palais commençait à céder, elle embrassa une ultime fois Yakov et ses enfants. Elle voulut leur parler davantage, mais les chasseurs entrèrent. Mika et Yakov lui intimèrent de fuir, tandis que ses deux conseillers la prirent par la main pour l'obliger à courir et à emprunter la sortie arrière du bâtiment. La dernière chose qu'elle entendit fut Lilivia et Sasha qui l'appelaient, suivit d'un chasseur qui riait.
Des flammes, des débris, des cris et du sang.
Pendant leur fuite, Artiom, Youri et leur reine ne purent qu'assister, impuissants, à la destruction de Doma. Dans leur état, ils ne pouvaient sauver personne. Dans leur état, ils ne pouvaient que courir le plus silencieusement et rapidement possible, malgré la fatigue et la douleur perçante engendrée par le gaz. Par plusieurs fois, Jannochka fut tentée de venir en aide à des habitants, mais elle fut retenue de justesse par ses conseillers. La reine vampire n'avait pas le droit de mourir.
Des flammes, des débris, des cris et du sang.
Personne n'avait prédit un tel chaos. Jamais les humains ne s'étaient montrés si violents et si inventifs. Pourquoi cette haine ? Doma avait toujours été un sanctuaire où régnait la paix, une ville de vampires pacifiques. Ici, chacun vivait son éternité paisiblement. Alors pourquoi ? Pourquoi les mortels de la ville voisine les avaient-ils toujours haïs ? Pourquoi ce génocide aujourd'hui ?
Des flammes, des débris, des cris et du sang.
Artiom et Youri avaient réussi à guider leur Majesté jusqu'à l'entrée de la cité. Ils lui jetèrent alors un regard interrogateur lorsqu'elle s'arrêta net.
— Je vais sceller Doma.
Youri, de part sa jeunesse, fronça les sourcils d'incompréhension.
— Je ne peux pas laisser ce gaz se propager ni des humains venir piller l'endroit quand les flammes se seront éteintes. Je veux que Doma demeure endormie à jamais. Que les nôtres aient la paix.
Artiom se permit alors une question.
— Et les assaillants ?
— Comme ils seront à l'intérieur de mon sortilège, ils pourront en sortir. Je les attendrai. Nous allons établir un camp pas trop loin et nous régénérer tout en les surveillant. Dès qu'ils passeront à portée, avec ma force retrouvée...
— Vous les tuerez tous sans aucun problème.
— Oui. Je m'en excuse d'avance. Je sais que je suis censée représenter le pacifisme du monde vampirique, mais là... Là, je n'en suis juste pas capable. Je me dois de venger ma famille et les habitants. De venger mon royaume.
— Majesté, nous approuvons votre choix.
— Merci. Je vais utiliser mes dernières forces pour lancer le sortilège de bouclier autour de la cité. Si je m'évanouis, amenez-moi dans un lieu adéquat pour un campement.
Les conseillers acquiescèrent.
Doma fut scellée et, aux yeux des mortels, devint une zone vide dont ils ne voulaient s'approcher. Deux jours après, les assaillants furent éliminés par la reine du royaume qu'ils avaient dévasté.
**
— Janna ? Janna ?
La vampire sursauta et leva les yeux vers Aurae qui lui souriait. Elle tenait un tableau.
— Tu es superbe sur cette peinture.
— Je te remercie. Tu peux la garder si tu veux.
Janna se releva.
— J'ai terminé de tout préparer. Je vais disposer les deux urnes dans le cimetière derrière le palais. Je veux qu'ils reposent auprès de mes parents biologiques et de ma grand-mère. Après ça, j'en aurais terminé.
— Très bien. Nous t'attendrons ici.
La vampire acquiesça d'un signe de tête et Aurae la regarda partir. Elle posa alors ses yeux sur la peinture, la reine Jannochka dans toute sa beauté surnaturelle, ses iris orange luisant de bonheur.
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