Janna pénétra dans ses appartements et sortit le coffret contenant sa couronne de sous son lit. Elle l'ouvrit et en caressa les joyaux. Elle se souvenait parfaitement du jour de son couronnement, du jour où Mikhaïl lui avait remis ce symbole devant tout Doma. Ce symbole que sa mère et sa grand-mère avaient porté avant elle. Ce symbole dont sa fille Lilivia aurait dû hériter un jour. Au fond du coffret reposait l'alliance de Yakov, mais aussi la sienne, qu'elle n'avait retirée que cent quarante ans après le drame de Doma. Janna n'était plus cette reine. Son trône et son royaume n'étaient plus. Ses idéaux de contes de fées, à jamais envolés. Elle referma le coffret et posa la couronne sur sa tête. Elle ne retournerait probablement jamais au lac Ilmen, ni même en Russie, hormis le jour de sa mort. Son avenir se trouvait désormais ici, en Angleterre, et elle ferait de son mieux pour offrir aux vampires la meilleure éternité possible.

Lorsque Janna retourna dans la salle de réunion, Artiom avait déjà demandé à Youri de relancer la visioconférence avec Kiara et Sean et il sourit dès qu'il aperçut la couronne. Les deux chefs vampires la remercièrent chaleureusement avant de lui proposer que l'un de leurs journalistes, qui travaillait toutefois dans le journal humain The Daily Telegraph, afin que l'annonce se retrouve à la Une, ce que Janna approuva. Tout était prêt pour la suite. L'Agence allait pouvoir, enfin, commencer l'analyse des échantillons récupérés à Doma puis accepter de nouveau d'autres projets. Les travaux ne tarderaient pas à débuter. La vie reprenait son cours.

À la fin de la réunion, Artiom fit signe à Aurae de rester un instant. Elle s'exécuta, légèrement stressée.

— Sa Majesté m'a demandé, malgré le protocole, de continuer à te tutoyer pour ne pas te mettre davantage mal à l'aise, je vais donc obéir.

— Merci.

— Aurae, je suis désolé si je te semble effrayant.

La jeune femme écarquilla les yeux de surprise.

— Non, non, pas du tout ! Enfin, lors de notre première rencontre, effectivement, j'ai eu très peur. J'avais aussi peur que tu me détestes d'oser sortir avec Janna.

— Je vois. Je voulais simplement te remercier de lui offrir une nouvelle chance pour la suite de son éternité... Te remercier de l'aimer. Sur ce, je vais rejoindre Youri. À plus tard.

Aurae sourit. Le vieux conseiller n'était pas si méchant finalement.

Vers vingt et une heures, la neige avait remplacé la pluie et Janna s'était installée sur le balcon de la salle de repos.

— Majesté ?

— Artiom ! Je t'en prie, rejoins-moi.

Il lui tendit une bouteille de sang et s'assit à côté d'elle.

— Je suis fier de votre décision Majesté.

— Moi aussi je suis fière de la tienne.

— Pardon ?

— Youri.

— Oh. Merci. C'est la dernière chance que je m'octroie.

— Tu n'en auras pas besoin de plus. Nous fêterons ton millénaire tous ensemble, Youri, Aurae et moi. Je suis certaine que Kiara et Sean viendront aussi. J'ai l'impression que nous allons devenir de bons amis dans les prochains siècles.

— Youri les apprécie beaucoup, probablement parce qu'ils sont de la même génération, surtout Sean et lui. Leurs discussions sont assez drôles.

— Il a raison, tu parles comme un vieux.

— Je suis vieux, Majesté. Et, si je puis me permettre, vous allez fêter vos cinq cents ans dans quelques jours... Vous commencez à ne plus être de première jeunesse non plus.

Janna éclata de rire et tira la langue à son conseiller qui leva les yeux au ciel.

— Majesté... puis-je vous poser une question indélicate ?

— Toi ? Toujours.

— Cherchez-vous encore sa main dans votre sommeil après tout ce temps ?

Janna tourna ses yeux vers le ciel.

— Non, plus maintenant. Je le cherchais de moins en moins depuis mes débuts à l'Agence, mais depuis que j'ai enfin pu lui dire adieu, ce n'est plus arrivé.

— Et vous ne vous sentez pas coupable ?

— Vis à vis d'Aurae ?

— Oui.

Janna savait qu'Artiom lui demandait ça, non pas par curiosité malsaine, mais parce qu'il s'inquiétait pour lui-même. Lui aussi avait été marié il y avait fort longtemps. Lui aussi avait perdu son premier amour. Et maintenant, il aimait enfin de nouveau.

— Je sais à quel point le premier amour... notre premier partenaire d'éternité est important, car il est censé être le seul. Toutefois, quand le pire arrive, j'ai fini par comprendre qu'accepter une deuxième chance est une bénédiction. Artiom, nous avons trainé nos deuils pendant des siècles. Toi, bien bien plus longtemps que moi. Avec une nouvelle stabilité dans ce beau foyer, on mérite le bonheur et de ne pas rester seul pour la suite de notre éternité.

Elle se tourna vers son conseiller.

— Tu sais, Aurae et Youri n'effaceront jamais les souvenirs de Yakov et de ta femme. Ils ne prendront jamais leurs places. Ce sont de nouvelles histoires.

— Merci Majesté.

Le silence demeura quelques instants, avant que Janna ne le brisât d'une voix faible.

— Puis-je te dire un secret ?

— Je vous écoute Majesté.

— Les enfants.

— Pardon ?

— Mon éternité, je ne vois plus aucun enfant dedans. Ni à adopter, ni... La simple idée me serre le cœur. Cette partie de moi, celle qui voulait être mère est partie avec Lilivia et Sasha.

— Ça ne fait rien Majesté. Personne ne vous en tiendra rigueur. Jamais.

— Merci, Artiom. Merci.

Ils demeurèrent ensuite dans un silence confortable, observant la neige, jusqu'à ce que Youri et Aurae les appellent pour manger.

Quelques jours plus tard, Liz et Hayden déboulèrent dans la bibliothèque, le journal à la main, en criant « c'est un scandale ! ». Aurae l'attrapa et Clifton lut l'article par-dessus son épaule. Eux aussi se tournèrent vers Janna. La vampire releva la tête de son rapport de recherche, un air interrogateur sur le visage. Sa compagne s'avança et lui mit l'article sous le nez.

— Pourquoi on n'est pas au courant hein ? Tu ne voulais pas de fête ? Et le gâteau ? Comment va-t-on faire ? C'est un scandale !

— Une traîtrise, ajouta Hayden.

Devant l'agitation, Youri récupéra l'article du The Daily Tele­graph et rit en le montrant à Artiom.

« La Dr Janna Nikitovich, archéologue de l'Agence Dig The Dead, annonce aujourd'hui officiellement reprendre sa position de reine vampire. Le château d'Alnwick est désormais sous la protection de Sa Majesté Jannochka. Pour toutes questions, veuillez vous en tenir aux protocoles préexistants.

Nous en profitons, puisque nous sommes le premier février, pour souhaiter un joyeux anniversaire à Sa Majesté qui passe le cap des cinq cents ans ! Félicitations Majesté ! »

Janna s'enfonça dans son fauteuil, l'air gêné, devant la moue mi-accusatrice mi-boudeuse d'Aurae.

— J'ai plus ou moins oublié que c'était aujourd'hui mon anniversaire. Désolée.

Aurae se pencha et l'embrassa.

— Et bien, bon changement de siècle à toi.

— Merci bien.

Tout le monde lui souhaita un joyeux anniversaire et Youri leur révéla alors qu'Artiom et lui avaient déjà commandé le repas à un traiteur pour ce soir, car ils étaient absolument certains que leur reine oublierait. Parce qu'elle oubliait toujours.

Quand la douceur du printemps arriva, les travaux de l'Agence s'achevaient et le calme revint. Janna profita que ses conseillers étaient partis faire des courses et que Clif, Hayden, Liz et Aurae discutaient de la dernière fouille préventive à laquelle l'Agence avait participé pour entamer un projet qu'elle avait plus ou moins promis à Sean et Kiara. Les deux chefs lui avaient fait remarquer que, malgré la présence de nombreux livres d'Histoire pour vampires, écrits par des vampires, il en manquait un qui raconterait les détails de la monarchie vampirique, de la fondation de Doma à aujourd'hui. La reine avait alors accepté et Artiom avait promis de lui fournir des détails sur un passé qu'elle-même n'avait pas connu. Elle ouvrit son traitement de texte et commença à taper la préface.

Je suis Sa Majesté Jannochka Nikitovich.

Je suis le docteur en archéologie, le Dr Janna Nikitovich.

Je suis Janna, reine d'un monde disparu, souveraine d'un avenir d'éternité et d'espoirs, pour tous les vampires.

Je suis Janna, la dernière reine des vampires.