14 au 20 janvier 2015


Aurae, qui ne se réveillerait pas avant de nombreuses heures, était portée par Artiom. Sean le suivait de près, ainsi que les deux combattants qui avaient survécu à leurs blessures. Péniblement, ils atteignirent le grand portail du château de l'Agence et le conseiller eut une montée de panique en apercevant le trou au premier étage du bâtiment. Les lieux avaient été attaqués avec une grenade magique au vu des dégâts ciblés. Il priait pour qu'ils aient tous eu le temps d'évacuer. Youri... Tout, mais pas ça.

Artiom pressa le pas, aussi vite que lui permettait le peu d'énergie qui lui restait. La porte d'entrée avait été défoncée et il la passa avec prudence, avant d'emprunter immédiatement les escaliers. Il y perçut quelques cadavres. Les vampires qu'ils devaient protéger. En voilà un mauvais augure. Il avança encore, enjambant les cadavres et les vit enfin. Kiara, assise à côté d'Hayden et dont le bras semblait être en train de cicatriser. Liz, juste en face d'eux, qui se maintenait son poignet avec son écharpe et Youri, juste à côté d'elle. Artiom poussa un soupir de soulagement.

— Nous sommes rentrés.

Le groupe se tourna vers lui et il comprit bien vite les regards effrayés portés à Aurae.

— Elle allait mourir. Sa Majesté n'a eu d'autres choix que de la transformer pour la sauver. Elle se réveillera d'ici cinq à dix heures. Clifton est à l'hôpital pour soigner ses nombreuses blessures. Sa Majesté reviendra avec lui dans quelques jours. Sean et deux survivants sont juste là, ils arrivent. Nous n'avons pas pu sauver les autres non plus.

Il posa délicatement Aurae sur le sol et sa tête sur les genoux de Liz.

— Youri, je peux te parler une minute ?

Le jeune vampire acquiesça et suivit son aîné dans la bibliothèque.

— Tout va bien, Artiom ?

— Beaucoup de pertes, mais les ennemis sont morts et la famille de Sa Majesté est en vie. Et toi aussi. Le constat est malgré tout satisfaisant.

— Oui.

— Tu as dû tuer un assaillant, n'est-ce pas ?

— Oui, mais ce n'est rien ! Cela fait partie de mon travail.

Artiom posa ses mains sur ses épaules.

— Je suis sincèrement désolé Youri. Vraiment. J'ai tout fait pour éviter ça. Sa Majesté aussi.

— Je vais fêter mes trois cent soixante ans, tu sais. Je ne suis plus un enfant innocent depuis très longtemps.

Artiom soupira.

— Ça, je le sais. Tu es un excellent conseiller royal. Mais tu appartenais à ces vampires auxquels on avait pu offrir l'idéal de paix de Doma. Tu faisais partie de ceux qu'on avait pu préserver de la violence... Car même si tu as vu le massacre ce jour-là, tu étais de ceux qui n'avaient jamais eu à faire couler le sang, de cette nouvelle génération de vampire qui, on l'espérait, n'aurait jamais à se battre ni à se salir les mains pour survivre. En simulation de combat, tu étais très doué, mais, honnêtement, on souhaitait que cela reste une simulation. Alors oui, je suis sincèrement désolé que tu aies été obligé de devenir comme nous. Cela n'aurait pas dû arriver.

Youri attrapa doucement les poignets de son aîné et lui sourit.

— Je ne mentirai pas. Oui, cela m'a affecté. L'espace de quelques secondes, j'ai eu l'impression d'incarner ce monstre dont tout le monde a peur. Pourtant, bien vite, j'ai réalisé que je ne regrettais pas. J'ai tué cet homme pour protéger la vie de Liz, Hayden et la mienne. J'ai tué pour protéger la famille de Sa Majesté. J'ai tué pour respecter sa volonté. Alors tout va bien.

— Je vois. Tu as sans doute raison.

Artiom se dégagea, mais Youri lui attrapa de nouveau le poignet.

— Maintenant que Sa Majesté a officiellement son nouveau départ avec Aurae, qu'en est-il de toi ?

— Pardon ?

— Qu'en est-il de ton nouveau départ à toi, Artiom ?

— Je suis trop vieux pour ça.

Il se dégagea pour de bon et quitta la bibliothèque sous le regard épuisé et attristé de Youri. Quand les conséquences du drame seraient officiellement derrière eux, le jeune vampire parlerait de ça à Sa Majesté. Elle pourrait surement le conseiller. En attendant, il rejoignit les autres, prêt à aider.

Après plus de deux heures de discussion avec Janna, la police quitta les lieux de l'attaque en direction de l'Agence. Là-bas, ils purent s'entretenir avec les survivants et compléter le dossier. Comme l'avait anticipé la reine, tout était en règle au niveau légal. L'équipe de nettoyeurs agréés enleva les cadavres et, dès le lendemain, un expert vint leur donner une attestation de constatation de dégâts causés par une arme magique. Liz se proposa de se charger des papiers pour l'assurance, en attendant le retour de Clifton.

Ce fut finalement vingt heures après l'attaque qu'Aurae se réveilla.

— Yo !

— Hayden ?

— En chair, en os et en barbe ma belle ! J'envoie un message aux autres pour les prévenir de ton réveil.

— Que s'est-il passé ?

Elle posa une main sur son cœur.

— Il ne bat plus. J'ai été transformé ?

— Janna a été obligée pour te sauver. Juste à temps, il paraît. Artiom te donnera les détails, je n'étais pas là-bas moi. Mais tu as bien meilleure mine que quand il t'a ramené, maintenant que tes blessures ont presque disparu. Pendant un instant, j'ai vraiment pensé qu'il portait ton cadavre. On a eu très peur pour toi.

— Oui, je me doute.

La porte s'ouvrit sur Youri, Artiom et Liz. Kiara et Sean se reposaient dans les appartements réservés habituellement aux archéologues invités pour des séminaires. Le plus vieux des vampires lui tendit une poche de sang, qui ne ressemblait en rien aux bouteilles qu'elle avait vu Janna boire. Devant son air surpris, Artiom se décida à lui offrir une explication.

— Le premier repas d'un humain transformé en vampire doit être du vrai sang humain. On est allé à la banque d'urgence pour t'en chercher. Après cette poche, tu pourras vivre comme nous. Une à deux bouteilles de sang synthétique par jour ou juste les comprimés si tu préfères. En plus de la nourriture classique si tu souhaites continuer à en manger. Mais il serait dommage de t'en priver, plus tu t'en nourris moins tu as besoin de sang. Mais Sa Majesté t'expliquera ça en détail.

Il lui tendit la poche et y planta une paille.

— Bois, tu dois terminer de guérir. Liz, Hayden, un médecin humain viendra vous examiner et vérifier les pansements que l'on vous a faits hier soir. Liz, il te dira si ton entorse au poignet nécessite une immobilisation. Kiara et Sean vont rester avec nous encore une semaine, le temps de récupérer, avant de rentrer chez eux. Clifton va bien, il ne souffre d'aucun dommage irréversible. Sa Majesté et lui reviendront dans deux jours.

— Merci. Je suis contente de savoir que tout le monde va se remettre. Je suis tellement rassurée.

Au même moment, dans sa chambre d'hôpital, Clifton fixait le plafond, heureux de porter de nouveau son monocle. Artiom avait eu la gentillesse d'en récupérer un dans son bureau et de le faire passer à Janna. Il revoyait enfin correctement et n'avait plus une horrible migraine qui le hantait. Par contre, il portait une sorte de corset afin de maintenir ses côtes, car il n'avait pas écouté les recommandations de ne pas bouger. L'interne lui avait dit qu'il avait eu de la chance et qu'il s'en était fallu de peu pour qu'il hérite d'autres fractures ou pire, d'une perforation pulmonaire. Depuis son arrivée ici, Clifton n'avait vu personne des siens. Même pas Janna. Elle lui avait laissé un simple mot avec ses affaires. Apparemment tout le monde était en vie et Liz s'occupait des déclarations de dégâts causés à l'Agence. Il se sentit soudain seul et exténué. Il leva péniblement un bras et observa l'hématome qui encerclait son poignet, cadeau des menottes sur lesquelles il avait tant forcé. Il posa sa main sur son cœur. Il battait encore. Cette fois, il avait pu protéger sa famille et il avait survécu. Tant d'années après, il avait eu sa revanche sur la vie, revanche qu'il n'imaginait pas vouloir. Des coups à la porte le tirèrent de ses pensées.

— Bonjour chef.

Clifton sourit à Janna. Elle entra, déposa un énorme panier sur le sol et l'aida à s'installer dans une position demi-assise.

— Je ne savais pas vraiment quoi t'amener. Il y a de la nourriture et des fleurs.

— Merci ma petite.

— Je t'en prie, c'est la moindre des choses. Tu es un héros toi aussi. Ça va aller ?

— Oui, ne t'inquiète pas. Les nôtres sont en vie. L'Agence n'a qu'une pièce de détruite et ce n'est même pas celle avec nos échantillons ou nos archives. J'aurais probablement des rhumatismes plus tôt, mais ça valait le coup.

La vampire rit. Elle avait eu si peur. Elle avait encore du mal à croire que c'était terminé, mais que cette fois, en dépit des quelques morts, le bilan n'était pas celui de Doma.

— Alors, dis-moi ma petite Janna, prête à retrouver ta princesse devenue vampire ?

— Oui, j'ai hâte de la revoir, même si une infime partie de moi craint qu'elle ne m'en veuille de l'avoir transformée.

— Tu lui as sauvé la vie en plus de lui avoir offert l'opportunité de demeurer avec toi pour l'éternité. Je vois mal pourquoi elle t'en voudrait.

— Merci Clif. Et pardon.

— Pardon de quoi ?

— Toi et Aurae avaient été kidnappés, car vous étiez proche de moi.

— Tu n'es coupable de rien. Tu ne peux être tenue responsable de la folie de ces meurtriers.

— Merci. Merci pour tout chef.

Clifton lui sourit. Cette terrible histoire ne se terminait pas trop mal.

Kiara et Sean quittèrent finalement l'Agence dès le lendemain. Ils devaient rentrer chez eux, les leurs s'inquiétaient, et convinrent d'un rendez-vous virtuel la semaine suivante. Après un tel accident, en tant que chefs vampires, ils devaient discuter de certains points avec la reine. Liz, un poignet emprisonné dans une attelle pour les huit prochains jours, s'occupait déjà de l'assurance et de contacter des professionnels qualifiés pour la rénovation de la salle de bal. Hayden, Youri, Artiom et Aurae, quant à eux, faisaient le ménage. L'entrée, le couloir, la bibliothèque... Tout avait besoin d'être nettoyé de fond en comble et surtout d'être exempté des traces de sang et de débris.

Ce ne fut pas avant le matin du sixième jour après l'accident que Janna et Clifton retournèrent à l'Agence. Ce dernier marchait pour l'instant avec une canne, son genou mettrait encore plusieurs mois à se rétablir. Les médecins lui avaient prédit qu'il boiterait sans doute à vie, mais l'archéologue s'en moquait pas mal. C'était un faible prix à payer. La neige avait été déblayée de l'allée leur permettant d'avancer plus facilement. Ils n'étaient qu'à mi-chemin lorsque Liz et Hayden se précipitèrent sur Clifton. Hayden, de par sa carrure, fit bien attention de ne pas les écraser dans une étreinte trop forte.

— Je suis rentré les enfants. Mais il m'en manque une !

Liz et Hayden se décalèrent et firent signe à Aurae d'avancer. Elle attendait timidement plus loin avec Youri et Artiom. Elle les rejoignit, les larmes aux yeux. Clifton lâcha sa canne et l'enlaça fortement.

— Merci Chef de m'avoir protégé. Merci, merci, merci.

— Il faut bien que je protège mes enfants, non ?

Aurae rit à travers ses larmes et redonna à Clifton sa canne.

— Bon retour parmi nous, Clif.

Sentir que le cœur d'Aurae ne battait plus, lui avait offert un infime regret bien vite effacé lorsqu'il la vit se jeter dans les bras de Janna en souriant. Lorsqu'elles s'embrassèrent, Liz et Hayden se mirent à siffler et Youri applaudit. Clifton croisa alors le regard d'Artiom, qui hocha la tête. Tout allait vraiment bien désormais. Leur famille improbable était réunie.

Le soir même, alors que tout le monde préparait le repas de retrouvailles, même Artiom participait en dégelant attentivement des petits fours, Youri fit signe à Janna. Elle posa les assiettes sur la table et le suivit à l'extérieur de la grande salle à manger. Il ne s'arrêta que lorsqu'il fut certain de ne plus être à portée d'ouïe des autres vampires.

— Désolée de vous déranger dès votre retour Majesté, mais j'espérais vous parler.

— Tu ne me déranges jamais. Tout va bien ? Artiom m'a parlé de l'attaque-surprise de l'Agence. Je suis désolée que tu aies dû tuer.

Youri leva la main pour l'interrompre.

— Ce n'est rien. Artiom s'est excusé pour vous deux, alors qu'il n'y avait pas besoin. Par contre, c'est bien d'Artiom dont j'aimerais vous parler.

Le petit sourire en coin de Janna n'échappa pas à Youri qui, malgré tout, continua.

— Majesté... Pensez-vous, alors que nous sommes éternels, que l'on puisse être trop vieux, à un moment donné, pour refaire notre vie ? Pensez-vous qu'il compte poursuivre son éternité tout seul ?

Janna poussa un soupir et leva la tête pour croiser le regard de Youri.

— C'est... compliqué. Tout premier conseiller royal, il perd sa femme, assassinée par des humains de Staraïa Roussa. Ma grand-mère, plus qu'une reine était devenue sa meilleure amie et sa confidente. Comme tu le sais, elle est morte quelques mois après ma naissance. Quelques années plus tard, ce fut autour de mes parents. Et puis, après des siècles, le drame de Doma qui a emporté ce lieu où il est né et a toujours vécu, mais aussi, ses parents, sa sœur.

Elle soupira de nouveau.

— À Doma, j'ai tout perdu, c'est vrai, mais ce fut heureusement le seul drame de ma vie. Artiom, lui, au fil des siècles, il n'a cessé de voir ceux qu'ils aimaient s'en aller, d'assister à la fragilité de notre éternité. Doma a été la fois de trop pour lui. Je pense qu'il est fatigué de tout ça, mais aussi, probablement, qu'il a peur. Il a dépassé les huit cents ans, la nouveauté, quelle qu'elle soit, l'effraie. Malgré tout, il commence à s'adapter à l'Agence et à ses humains. Il a été impressionné par leur courage et de leur loyauté lors de cette attaque. C'est un bon début. Mais pour ce qui est de lui faire comprendre qu'il ne risque rien en s'accordant une autre chance dans son éternité, ça ne tient qu'à toi.

Youri baissa la tête, embarrassé.

— Vous pensez vraiment Majesté ? Je veux dire... Même si pour moi le drame de Doma est un souvenir atroce, je n'avais que cent trois ans à l'époque. J'ai vécu les deux tiers de ma vie en dehors de Doma finalement. Et là-bas, hormis votre famille et Artiom, je n'avais personne. Croyez-vous que je suis capable de lui offrir la présence qu'il mérite ?

— Youri, je suis en train de refaire ma vie avec une femme de trente-quatre ans, qui n'est un vampire que depuis une semaine. As-tu pensé, une seule seconde, qu'elle ne devrait pas m'aimer ou que je ne devrais pas être avec elle ?

— Bien sûr que non !

— Alors pourquoi ça serait différent pour toi ? Ça fait plus de deux siècles et demi que tu vis tous les jours avec Artiom. Avant ça, il t'a appris le métier pendant des années et des années. Vous avez vécu énormément de choses ensemble. Je ne vois vraiment pas le problème. Si tu estimes que le moment est venu pour toi de te caser parce que tu sens que tu as trouvé ton partenaire d'éternité, dis-le-lui. Je pense que tu le sais déjà, mais nous ne quitterons plus l'Angleterre. Ce château, l'Agence, est littéralement notre maison désormais.

Youri comprit l'implication de telles paroles. Il réalisa que Clifton avait déjà prévu de léguer les lieux à la reine afin que l'Agence ne quitte jamais leur famille.

— Je vois. Je vais tenter de trouver comment aborder le sujet alors. Merci Majesté.

— Je t'en prie. Allons retrouver les autres, ils vont croire que nous nous sommes échappés pour éviter de mettre la table.

Youri lui sourit et ils regagnèrent la salle à manger.

Le repas commença dans la bonne humeur la plus totale et même Artiom participait aux conversations. Hayden posa alors son verre, les sourcils froncés. Youri, face à lui, avait les joues rouges.

— Mec, ça va ?

Le vampire lui offrit un grand sourire, tous crocs dehors et hocha la tête.

— Il est trop bon ton jus de fruit !

— Mon jus de fruit ?

Janna et Artiom écarquillèrent les yeux et la reine se tourna vers Hayden.

— C'est de la sangria ? Avec de l'alcool ?

— Oui, oui. Je l'ai même un peu trop dosé d'ailleurs. Pourquoi, tu en veux ?

— Oh mon Dieu. Les vampires n'assimilent pas l'alcool et sont complètement bourrés avec une dose très faible. Ce n'est pas dangereux, mais par principe, on n'en boit jamais. Désolée Aurae chérie.

— Ça ne fait rien, j'en buvais déjà très peu.

Youri se leva brutalement et passa ses bras autour du cou de Janna.

— Vous êtes gentille Majesté ! Tellement gentille ! Gentille ! Oui, oui, oui !

Janna se mordit la lèvre pour ne pas éclater de rire. Les vampires n'avaient jamais l'alcool violent, juste triste ou joyeux... et très honnête. Hayden s'excusa.

— J'ai complètement oublié de te prévenir et surtout je pensais que cet idiot sentirait l'odeur de l'alcool avant de boire. Mais ce n'est pas grave.

Youri lâcha la reine et passa ses bras, cette fois, autour du cou d'Artiom qui grogna.

— Monsieur ronchon est trop canon !

Cette fois, personne ne put se retenir de rire et Liz dégaina très peu discrètement son téléphone pour filmer la scène. Janna lui fit signe de lui envoyer la vidéo par la suite. Cette soirée était décidément parfaite. 

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top