12 janvier 2015


Après leur retour de Russie, Janna n'eut que deux jours de répit avant de devoir rencontrer les deux chefs vampires. Clifton lui avait proposé d'utiliser la salle de réunion et elle l'avait déjà remercié un nombre incalculable de fois. Elle s'en voulait d'envahir ainsi l'Agence d'une activité si vampirique et n'ayant aucun rapport avec l'archéologie, mais Janna se sentait rassurée de pouvoir recevoir ces gens chez elle, en terrain connu. Elle était suffisamment anxieuse ainsi à l'idée de devoir redevenir la reine Jannochka l'espace de quelques heures, inutile d'en rajouter.

Trente minutes avant le rendez-vous, Janna savait qu'elle devait se lever de sa chaise et quitter le confort de sa chambre. Selon le protocole, Artiom s'occupait des invités tandis que Youri lui ouvrirait la voie. Il ne devrait donc plus tarder à frapper. Et voilà, il était là.

— Majesté, il faut mettre votre couronne.

Janna lui jeta un regard suppliant et Youri haussa les épaules.

— Désolé Majesté, c'est le protocole. Et surtout, Artiom va m'étrangler si vous ne la portez pas.

Janna soupira, mais savait que le jeune conseiller avait raison. Elle récupéra sa couronne, rangée dans un coffre au fond de son armoire et la déposa sur sa tête. Et dire qu'à une époque elle la portait plusieurs fois par semaine. Elle arrangea ensuite ses cheveux, laissa transparaître ses iris orange et hocha la tête.

— C'est bon Youri.

— Non. Non non non. Je veux dire, vous êtes magnifique Majesté, votre maquillage, vos ongles et votre coiffure sont parfaits, mais... êtes-vous certaine pour la tenue ?

— Oui. Nous sommes au vingt et unième siècle. Sur mon lieu de travail en tant qu'archéologue. J'ai mis un tailleur pantalon et des talons, Artiom devra s'en satisfaire. J'avais pensé m'y rendre en jeans et chemisier.

Youri éclata de rire.

— Dans ce cas, allons-y.

— Je te suis.

Dans le couloir, elle croisa ses amis ; ils voulaient la voir avec sa couronne, mais elle ne s'arrêta pas pour leur parler. Janna fila directement vers la salle de réunions, souhaitant se débarrasser de cette corvée le plus rapidement possible, avant de revenir à sa vie normale.

Lorsque Youri ouvrit la porte, elle aperçut d'abord Artiom, debout à côté de là où elle s'assiérait, avant de voir que les deux chefs vampires s'approchaient d'elle. Ils s'agenouillèrent, tête baissée, et, le plus vieux des deux vampires comme le voulait la coutume, l'homme, parla.

— Majesté, nous vous sommes infiniment reconnaissants de nous recevoir. Et nous nous excusons de vous importuner alors que vous rentrez à peine de voyage.

— Relevez-vous, déclara Artiom. Installez-vous. Sa Majesté va s'asseoir.

Les deux chefs acquiescèrent. Janna suivit Youri, mal à l'aise, mais ne laissant rien paraître. Elle gagna son siège et posa ses yeux sur ses invités. Ce fut Youri qui enchaina.

— Présentez-vous, je vous prie.

L'homme arrangea sa cravate, il ne semblait pas y être habitué et se racla la gorge.

— Je me prénomme Sean. Je suis le chef vampire du territoire de Dublin.

La femme replaça une de ses mèches très courtes derrière son oreille et lissa sa robe rose poudré.

— Je suis Kiara, chef du territoire londonien. Enchantée.

D'un geste de la main, Artiom les invita à exposer leurs doléances.

— Étant le plus âgé, je suis censé vous exposer les faits Majesté, mais si vous le permettez, Kiara est bien plus habile que moi dans ce genre d'exercice, car elle travaille avec la police.

Janna acquiesça d'un hochement de tête et Sean la remercia. Kiara se leva, brancha son ordinateur portable au rétroprojecteur de la salle de réunion et lança sa présentation.

— Majesté, messieurs les conseillers, je me suis permise de préparer des diapositives sur le modèle de celles que je montre lors des réunions avec la police humaine, car cela est un modèle, ma foi, assez explicite.

Un graphique apparut sur l'écran.

— Il s'agit du nombre de disparitions de vampires au cours du temps; ces trois derniers mois sur Dublin, Londres et leurs banlieues. Nous en sommes à quinze adultes et dix enfants. En dessous, nous avons ajouté les disparitions non déclarées, c'est-à-dire les vampires qui n'avaient pas de proches pour les chercher. Nous avons découvert leur absence en enquêtant sur les lieux de travail connus des vampires du secteur. Et nous sommes aussi allés nous renseigner à l'orphelinat de créatures surnaturelles. Ainsi, à ce jour, nous en sommes à soixante vampires disparus, enfants et adultes mélangés. Soixante en trois mois. Et les disparitions arrivent peu à peu vers chez vous, passant vers Glasgow et Newcastle. Il y a deux jours, un kidnapping a d'ailleurs été signalé à cinq kilomètres d'ici. Un épicier vampire de deux cents ans.

Kiara passa à la diapositive suivante, une liste d'hypothèses.

— Au départ, nous pensions qu'il s'agissait de nouveau d'une récolte de cobaye, mais cela ne colle pas. Il n'y a aucune trace de lutte et surtout aucun mort humain recensé. Nous avons donc pensé à des démons ou des sorciers. Mais nous n'avons trouvé aucun résidu de sortilège ni de présence infernale. De plus, les deux seuls sorciers de Grande-Bretagne sont actuellement en vacances en Asie. Et enfin, je m'excuse d'avance pour cette horrible image.

Elle passa à la troisième diapositive. Il s'agissait de la photographie d'un cadavre atrocement mutilé et torturé à l'argent.

— Il s'agit du corps, ou du moins ce qu'il en reste, du premier vampire porté disparu. Il a été retrouvé dans une ruelle avec un mot dans sa poche, qui disait « vous serez les prochains ».

Kiara éteignit l'écran.

— Sean et moi avons vu ce cadavre et il sentait l'humain. Nous n'avons pas encore les explications, mais, croyez-nous Majesté, ce sont des mortels qui enlèvent actuellement les nôtres pour les torturer avant de les assassiner. Aidez-nous, je vous en prie.

Artiom avait instinctivement posé une main sur l'épaule de Janna. Des humains capables de tuer des vampires... Ils ne savaient que trop bien à quel point cette menace était réelle. Pour la première fois depuis le début de la réunion Janna prit la parole. Elle eut envie d'ajuster sa couronne pour se donner du courage, mais cela n'aurait pas eu l'air très professionnel.

— Sean, Kiara, pour commencer je vous remercie de vous être déplacés jusqu'à moi afin de me faire part de vos inquiétudes et surtout de me prévenir qu'un danger dont je n'avais point connaissance rôdait actuellement non loin de moi.

Elle inspira profondément.

— Je crains malheureusement que votre hypothèse des humains qui enlèvent les nôtres dans le seul et unique but de les massacrer soit la triste réalité. Ça ne serait pas la première fois, l'histoire nous l'a durement appris. Quoi qu'il en soit, nous ne pouvons pas laisser davantage de vampires se faire assassiner. Nous devons trouver au plus vite qui est ce groupe de meurtriers. Et les arrêter.

Sean entortilla sa cravate autour de son doigt.

— Avez-vous déjà des idées Majesté ?

Janna avait fortement envie de lui répondre que non, elle n'avait aucune piste et qu'elle souhaitait qu'on la laissât tranquille. Elle voulait que Kiara et Sean s'en aillent, et ensuite oublier la menace qui pesait dehors. Janna ne désirait pas reprendre son rôle de reine. Le nouveau chapitre de sa vie ne devait pas débuter par une bataille. Toutefois, au fond, elle savait qu'elle n'avait guère le choix. Si les disparitions se rapprochaient de chez elle, Artiom et Youri étaient en danger. Et ça, c'était inacceptable. Et puis, malgré tout, il s'agissait là de son devoir, de l'héritage qu'on lui avait laissé. Janna se devait de protéger les vampires où qu'elle soit. Peu importait l'époque. Elle but une gorgée de café afin de se redonner contenance.

— La seule façon pour des humains de s'en prendre à des vampires sans risques est de les affaiblir au préalable. Il faut donc trouver par quel moyen les victimes ont été contaminées par de petites doses d'argent pendant plusieurs jours voire semaines.

Artiom et Youri ne pouvaient croire que le cauchemar recommençait.

— L'eau est un excellent vecteur. Mais vérifiez la nourriture aussi. L'alimentation classique tout comme le sang. Trouver la source permettra de distribuer des antidotes et d'ainsi limiter les enlèvements. J'aimerais, si possible, que vous vous occupiez de ça avec Artiom et Youri. Pendant ce temps, je vais chercher où les agresseurs se cachent.

Janna prit une nouvelle gorgée de café.

— Une fois les lieux localisés, nous serons dans l'obligation de nous débarrasser d'eux. Ils ont enfreint plusieurs lois et nous avons donc légalement le droit de les tuer. Toutefois, nous discuterons de la phase d'attaque une fois que nous aurons davantage d'informations à leur sujet. Des questions ? Des suggestions ?

Sean hocha négativement de la tête et se tourna vers Kiara. Celle-ci prit alors de nouveau la parole.

— Merci Majesté. Nous vous tiendrons informée en temps réel de notre avancée.

— Moi de même. Youri va vous raccompagner.

Les deux chefs vampiriques saluèrent Janna et quittèrent la pièce. À peine la porte fut-elle fermée, que la reine retira sa couronne et la posa sur la table.

— Artiom, pourquoi ?

Ce dernier lui jeta un regard désolé.

— Parce que certains humains nous vouent toujours une haine sans pareille. Dîtes-moi Majesté, êtes-vous sûre de souhaiter les traquer seule ? Ce n'est guère prudent. Je ne suis pas certain de pouvoir autoriser une telle folie.

Janna sourit tristement à son conseiller.

— Je les traquerai d'ici.

— Oh. Je vois. Dans ce cas, j'aiderai les autres dans l'enquête.

— Merci, Artiom.

— Je vais rejoindre Youri. Appelez-moi au besoin.

Janna hocha la tête avant de s'avachir sur sa chaise. Elle envoya un message à Aurae, demandant si elle pouvait lui imprimer différentes cartes de Dublin, Londres et Alnwick, plus ou moins détaillées. Et une globale. La vampire souhaitait profiter de cette occasion inattendue pour dévoiler l'autre partie d'elle à sa petite-amie. Petite-amie. Janna ne réalisait pas encore très bien. Fatiguée, elle posa la tête sur la table et ferma les yeux. Elle pouvait bien se reposer cinq minutes.

Aurae fronça les sourcils en recevant le message de Janna, mais se mit immédiatement au travail. Il était extrêmement rare que la vampire demande de l'aide ou même un banal service, alors Aurae n'allait certainement pas rater cette opportunité. Et puis cela lui donnerait une occasion de demander à Janna comment s'était passée la réunion. Elle imprima toutes les cartes, probablement plus que nécessaire, et se dépêcha de rejoindre la reine dans la salle de réunion. Aurae frappa, mais, n'obtenant aucune réponse, elle ouvrit doucement la porte. L'anthropologue vit alors Janna endormie. Elle sourit et s'approcha.

— Janna. Janna. Réveille-toi.

La vampire ouvrit lentement ses yeux qui revêtaient toujours leur teinte orangée, avant de s'étirer et de sourire à Aurae. Par principe, Janna replaça la couronne sur sa tête, car elle n'était pas censée la laisser traîner ainsi.

— Salut toi. Merci pour les photocopies.

— Avec plaisir.

— Je peux t'aider à autre chose ? Tu veux ou tu peux me raconter ta réunion ? Après je comprends tout à fait si le contenu est confidentiel !

Janna soupira. C'était maintenant ou jamais.

— Assieds-toi. J'aimerais te montrer quelque chose.

Aurae acquiesça et s'installa à côté de la vampire.

— Te souviens-tu de ce que je vous avais dit à propos de mes parents ? Mes parents biologiques, j'entends.

— Ta mère était la reine vampire précédente. Et ton père... Le sorcier royal. Mais tu ne semblais pas très à l'aise avec ce sujet. Tu nous as vaguement sous-entendu avoir utilisé des sorts pour tenter de protéger Doma puis pour mettre le bouclier qui l'avait rendu invisible.

— C'est exact. Contrairement aux deux reines précédentes, je ne suis pas une véritable vampire. J'appartiens aux créatures hybrides. Les métisses vampires et garous sont les plus fréquents et les mieux acceptés, surtout de nos jours. Cela ne choque plus personne dans la communauté surnaturelle. Par contre, avoir du sang de sorcier c'est...

Janna soupira.

— C'est effrayant pour beaucoup. À Doma, je n'étais pas jugée, car mon père avait été le protecteur des lieux pendant longtemps. Le bouclier de la reine Doroteya. Pour les habitants, j'étais simplement le fruit de cet amour et surtout la petite-fille de leur bien-aimée Ludmilla. À leurs yeux, l'héritage de mon père représentait un atout supplémentaire pour apporter la paix à notre sanctuaire.

Janna arrangea correctement les cartes devant elle.

— Toutefois, quand nous avons fui Doma, je me suis rendue compte d'à quel point j'effrayais les autres. Les sorciers sont très proches des démons et la plupart d'entre eux sont des gens mauvais. Mauvais et dangereux. Certains sont simplement manipulateurs alors que d'autres deviennent des meurtriers. Bien sûr, dans l'Histoire, on recense de nombreuses exceptions. Des sorciers neutres, qui n'ont que faire du monde du moment qu'on les laisse tranquilles. Et des sorciers profondément bons qui vont aider les autres. Mais ça, les gens oublient.

Aurae posa sa main sur celle de Janna.

— Tu étais considérée comme un monstre ?

— En effet. Beaucoup pensaient que cette part de moi que je tenais de mon père me rendait maléfique. Maléfique et dangereuse. Pendant un certain nombre d'années, Artiom et Youri devaient tout faire pour moi, car personne ne souhaitait me parler. Ni m'approcher. D'autant plus que c'était une période très compliquée au niveau des relations entre les humains et les créatures surnaturelles. Il n'y avait plus aucune loi et aucun équilibre dans la cohabitation. Alors un cas comme moi était particulièrement mal vu.

— Comment la situation s'est-elle améliorée ?

— J'ai arrêté d'utiliser mon côté sorcier. Totalement. J'étais la reine vampire après tout, alors, à quoi bon ? Le temps a passé, les lois et les mœurs ont changé. Mais la réputation des sorciers, bien que très peu nombreux à l'heure actuelle, est restée la même. J'ai donc continué à faire comme si je n'étais qu'un vampire. Je suis certaine que les plus jeunes d'entre nous le pensent vraiment. Pour être tout à fait honnête, j'avais plus peur que toi et les autres appreniez pour mon côté sorcier que pour le fait que je sois un vampire.

Aurae serra la main de Janna et lui sourit, l'invitant à poursuivre.

— Mais aujourd'hui, je suis obligée d'utiliser cet héritage que j'ai renié si longtemps. Pour sauver des vies. Et je souhaitais, si tu es d'accord, que tu y assistes.

— Avec plaisir Janna. Si tu savais comme je suis heureuse que tu me fasses confiance à ce point.

Elle se pencha, embrassa la reine sur la joue et se rassit. Janna rit, soulagée.

— Tu vas devoir me rendre ma main par contre, ma belle.

Aurae rougit et retira sa main.

— Je vais lancer un sort de détection. Cela ne demande guère d'énergie, ce qui est parfait pour moi. Car comme mon cœur ne bat plus, je dispose de bien moins d'énergie magique que les sorciers classiques.

— Fais, fais, je t'admire.

Janna éclata de rire. Elle n'aurait jamais imaginé retrouver une telle partenaire pour partager sa vie.

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