5. Causalité (Amanda)
Est-ce que j'ai vraiment fait ce que je pense avoir fait ?
Non. Impossible. Je n'aurais jamais laissé cet enfoiré me bouffer la chatte à l'heure du déjeuner. Putain, il ne manquerait plus que je devienne son plan baise du samedi.
La bonne blague ! Il rêve, lui !
La prochaine fois qu'il me touche, je lui enfonce mon talon dans les couilles. On va voir s'il trouve ça toujours aussi drôle.
Connard de queutard de merde !
Quatre fois que je regarde mon téléphone.
Qu'est-ce qu'elle fout ?
Je fais signe au serveur de m'apporter un autre verre de vin blanc. Je sais, je ne devrais pas. Mais j'en ai clairement besoin, là.
– Amanda ! Qu'est-ce qui t'arrive ? J'ai fait aussi vite que j'ai pu.
Caroline, ma petite sœur, s'installe à mes côtés. Je soupire, bois mon deuxième verre d'une traite et cache mon visage entre mes mains.
– J'ai fait la plus grosse connerie de ma vie.
– Oh, souffle-t-elle. Plus grosse que la fois où tu as failli foutre le feu à ton bureau ?
– Oui...
– Et lorsque tu as embouti la seule voiture du parking... et que c'était celle de ton Boss ?
– Oui.
– Et que...
– Oui, Caro ! La plus grosse de toutes !
– Merde, c'est si grave que ça ?
Je m'enfonce dans ma chaise.
Petit signe au serveur de remettre deux autres verres.
– Maman est passée au travail, ce matin, je lâche en serrant les dents.
– Oh, mon Dieu... Elle va bien ?
– Comment ça, elle va bien ? C'est à moi que tu devrais demander ça !
– Désolée, c'est un réflexe, soupire-t-elle. Après ce qu'elle t'a fait, j'ai imaginé le pire.
– Maman va très bien. Elle a même encore assez de culot pour faire la salope devant mon patron.
Elle grimace.
– Au moins, ça t'évitera d'épouser un enculé.
J'attrape mon verre, elle me retient.
– Arrête de boire, tes yeux sont déjà tout vitreux.
– J'ai besoin d'oublier. Ça... et tout le reste.
– C'est quoi le reste ? Parle-moi, Amanda ! Qu'est-ce qu'il y a de si grave ?
J'inspire profondément et me lance :
– Disons que j'ai eu une... faiblesse, au boulot.
Une gorgée de vin pour me donner contenance et, surtout, pour prononcer plus facilement les mots que je m'apprête à formuler à haute voix.
– Accouche, bon sang ! s'impatiente Caroline.
– Je ne saurais pas te dire comment c'est arrivé, mais je me suis retrouvée, un peu par hasard, dans le bureau de mon boss et...
– Oh, putain ! Vous avez baisé !
Elle frappe dans ses mains en hurlant, comme si elle venait d'ouvrir le cadeau qu'elle attendait depuis toujours. Je vais la tuer, elle aussi.
Famille de dingue.
Tiens, c'est bien la première fois que je suis d'accord avec le Parfait Connard. – Non, on n'a pas baisé, Caro.
– Alors quoi, vous avez joué aux cartes ?
Je ris. Ça me fait cet effet-là quand je suis nerveuse. Un rire gras, profond et terrifiant. Mes yeux parcourent le restaurant à la recherche de quelque chose qui soit capable de me faire oublier ses doigts qui remuent en moi, me caressent, me contrôlent. Sa bouche, chaude et gourmande, qui me bouffe comme s'il n'avait jamais rien goûté d'aussi bon. Sa langue...
– Amanda ? T'es toujours là ?
Bordel, je suis vraiment dans la merde.
***
Je lui ai tout raconté... Je n'ai pas vraiment compris pourquoi elle était si enthousiaste, mais elle n'a pas arrêté de sourire pendant tout le repas. Enfin, mon menu à moi consistait à boire une gorgée de vin et une gorgée d'eau à intervalles réguliers pour ne pas mourir de soif ni rouler sous la table. Et il faut dire que son visage radieux compensait ma gueule d'enterrement.
Ça tangue un peu dans l'ascenseur. Je crois que j'ai merdé. Maintenant, en plus de devoir faire semblant que ma petite culotte est toujours intacte, je vais devoir masquer le taux d'alcool qui tord mon estomac.
Vivement la fin de cette journée de merde !
J'arrive au troisième étage. Les portes s'ouvrent. Un coup d'œil à droite, un coup d'œil à gauche, pas de Dorian en vue. Je me précipite à mon bureau, atterris pile-poil sur ma chaise et allume mon écran tout neuf. Je vais enfin pouvoir rattraper mon retard dans les dossiers.
– Ah, mademoiselle Vernin ! Vous vous êtes finalement souvenue que vous étiez attendue sur votre lieu de travail.
Ou pas.
Je serre les dents. Les frissons qui parcourent ma colonne vertébrale sont aussi délicieux qu'affreusement gênants. Piquants. Une plume avec des épines.
Beaucoup d'épines.
Je ne lui réponds pas et prie pour qu'il lâche l'affaire. Me voiler la face ne me sauvera pas. Je suis foutue.
Il est juste à côté de moi, se penche sur mon bureau, les mains à plat devant mon ordinateur.
– Je peux savoir où vous vous croyez ?
Je tourne lentement la tête, mon visage n'est plus qu'à quelques centimètres du sien. Sa proximité m'ôte le peu de capacités de raisonnement que l'alcool avait épargnées. Je me demande s'il utilise un gommage spécial pour avoir le grain de peau aussi lisse et impeccable. Et de l'anticerne ? Comment se fait-il que je doive me battre tous les matins avec ces monstrueuses poches sous mes yeux alors que lui semble avoir un teint toujours si proche de la perfection ? Une délicieuse odeur de menthe se diffuse tandis que sa respiration s'accentue et qu'il fait glisser sa langue à la commissure de ses lèvres. Ses mâchoires se crispent, je m'oblige à remonter vers ses iris sombres. Je n'avais jamais remarqué son petit gain de beauté sur sa pommette gauche ni la densité fascinante de ses longs cils noirs. Ses sourcils se froncent, il a l'air furieux, tout à coup. Je me fige.
Aucun mouvement brusque.
Il recule, horrifié :
– Est-ce que vous avez bu ?
– Qui ? Moi ? Vous plaisantez !
Mmh. Même pour moi, ce n'est pas très convaincant ! Alors pour lui...
– Dans mon bureau.
Tous les regards sont fixés sur nous. Amélie, la chargée de communication, est sans doute la moins discrète des trois. Elle mâchouille négligemment son chewing-gum, le menton calé dans sa paume, le coude sur la table et un demi-sourire aux lèvres. Dorian, lui, a déjà disparu, laissant la porte ouverte derrière lui. Je m'engouffre à sa suite dans son bureau, avec autant d'enthousiasme qu'un condamné s'avancerait dans le couloir de la mort.
***
Dorian est appuyé sur son bureau, exactement où j'étais il y a quelques heures. Il le fait exprès ou quoi ?
Dès qu'il remarque mon trouble, il se relève et se place devant la fenêtre. C'est mieux... Beaucoup mieux !
– À quoi vous jouez, mademoiselle Vernin ?
Son regard est froid, sa voix plus profonde que d'habitude. Le contre-jour accentue l'ombre sur son visage. Il en impose, quand même. Je déglutis.
– Ça va, on ne va pas faire tout un cirque pour deux verres de vin.
Quatre, en réalité. Mais il n'a pas besoin de le savoir.
Il me toise en relevant un sourcil.
– Prenez vos affaires et rentrez chez vous.
– Quoi ? Vous me virez ?
Ma voix monte dans les aigus. Je panique.
– Je bosse soixante heures par semaine sans jamais rien demander et, parce qu'une seule fois j'ai merdé, vous me virez ? C'est à propos de ce qui s'est passé tout à l'heure, c'est ça ? Parce que si c'est à cause de ça, je vous rappelle que c'est vous qui avez...
– Fermez-la.
Je m'exécute et refoule un frisson monstrueux qui longe ma colonne vertébrale. Il avance avec sa grâce habituelle et me fixe de son regard sombre et pénétrant. Un flash de sa bouche luisante de mon excitation traverse mon esprit. La sensation de sa langue sur moi réapparaît entre mes cuisses. C'est violent, puissant et terriblement inapproprié.
Concentre-toi, Amanda !
– Ce qui s'est passé ici, ça ne doit pas se reproduire.
Quelque chose cloche. C'est peut-être à cause du vin, de sa façon de me regarder ? L'intonation dans sa voix ou l'attraction de mon corps vers le sien ? Peut-être même tout ça en même temps ? Je n'en sais rien, mais j'ai l'impression qu'il vient de me poser une question plus que d'affirmer un fait.
Tu te fais des putains de films !
Sa mâchoire tressaille, ses longs doigts glissent dans ses cheveux. Il est magnifique, c'en est presque écœurant ! Ça le serait beaucoup moins si sa beauté le rendait plus sympathique.
– Prenez votre après-midi, ça nous fera du bien à tous les deux.
Il s'éloigne.
Boum.
Un sentiment étrange dans la poitrine, que je me refuse à éprouver.
– Vous ne...
Son portable sonne. Il répond sans me quitter des yeux. Je me prépare à sortir de la pièce, mais je me fige à ses premières paroles.
– Bonjour Laura. Oui, c'est gentil de me rappeler. Je...
Nos regards se croisent. Il place sa main sur le combiné, sourcils relevés, et s'adresse à moi d'un ton condescendant :
– Autre chose, mademoiselle Vernin ?
Une remarque cinglante, une insulte, un coup de pied dans les couilles ?
– Non, monsieur Evans.
Je tourne les talons.
– Oh, Amanda ? m'interpelle-t-il une nouvelle fois. Refaites ça encore une fois et vous êtes virée.
Enfoiré.
C'est moi qui mérite un bon coup de pied où je pense.
À quoi je m'attendais, au juste ?
Je m'active pour rassembler mes affaires et me tirer d'ici en vitesse. Elle le rappelait ? Ça veut dire quoi, ça ? Que c'est lui qui l'a appelée en premier ? Pour lui dire quoi ? Et c'était avant, ou après qu'on... enfin qu'il...
Je râle. Ça ne fait pas loin de quatre fois que je pousse un soupir aussi bruyant que la photocopieuse et ça ne va toujours pas mieux.
Je ne sais même pas pourquoi je me torture l'esprit avec ce genre de conneries. Dorian est un queutard, ce n'est pas nouveau. Six mois que je le connais, au minimum quatre plans baise par semaine. Hors de question que je devienne un de ses plans réguliers. Ni occasionnel, d'ailleurs. Je ne veux rien du tout venant de lui, à part sa signature sur mes chèques.
Je me sens vraiment stupide tout à coup. Mon fiancé qui se tape ma mère, ma mère qui se tape mon fiancé, moi qui enlève ma jupe dans le bureau du patron, mon patron qui rappelle son plan cul juste après m'avoir...
Merde.
Et s'il m'avait trouvée ridicule ? Pire... pas à son goût ?
Mon Dieu. Je suis morte de honte maintenant.
Il faut que je me casse d'ici tout de suite. J'ai envie de pleurer et, vu la vague d'angoisse qui me retourne l'estomac, je ne vais pas pouvoir me retenir encore longtemps.
Putain de sensibilité à la con.
Mes dossiers sous le bras, je me précipite jusqu'à l'ascenseur et martèle le bouton « P » pour aller récupérer ma voiture. Les portes se ferment, je souffle et m'appuie contre la paroi.
Enfin à l'abri des regards, je ne retiens plus mes larmes. Elles ne sont pas nombreuses, mais nécessaires à évacuer ce trop-plein d'émotions qui s'est accumulé ces dernières quarante-huit heures.
Mais l'ascenseur ne bouge pas, pire, il s'ouvre à nouveau. Dorian apparaît ; il semble aussi surpris que moi. Je me retourne pour me cacher, essuie mes joues d'un revers de manche et inspire profondément. Hors de question qu'il me voie comme ça. Ce connard n'aura aucun scrupule à me le ressortir à la première occasion. L'ascenseur vibre, nous emmène au sous sol, silencieux. Enfin, presque. Dorian soupire dans mon dos. Deux fois.
– Amanda...
– Foutez-moi la paix.
Je sens sa main frôler mon épaule.
Ah non !
J'esquive. Au moment même où je me retourne, je sais déjà que c'est une idée de merde. Mais c'est plus fort que moi : j'ai besoin de voir sa tronche d'enculé pour me convaincre que tout ça, ce n'était rien du tout. Un moment de faiblesse. Une erreur.
Le truc le plus fou de toute ma vie.
Il est beau à en crever dans son costume bleu marine. C'est le même que tout à l'heure, mais les lumières de l'ascenseur accentuent la largeur de ses épaules et la finesse de ses hanches. Je me demande comment il fait pour avoir un torse aussi musclé alors qu'il passe son temps au bureau. Ses cheveux sont désordonnés, c'est comme ça que je les préfère. Surtout quand je me dis que c'est un peu de ma faute...
Il coupe le fil de mes pensées en s'approchant de moi. Les portes vont s'ouvrir dans quelques secondes à peine, mais je prie malgré tout pour que cela arrive le plus tôt possible.
Sa main remonte sur ma joue, je ne réagis pas. Elle me paraît si grande, comme ça, posée sur mon visage. Sa paume est chaude, douce. Son pouce essuie une larme que je n'ai pas su retenir. Son regard est intense, plongé dans le mien. Boum. Je ne suis plus si sûre de vouloir que ça s'arrête. Son doigt se perd ensuite sur ma bouche, en dessine le contour.
Putain... J'ai envie de...
J'entrouvre les lèvres.
Non, ne fais pas ça.
Ma langue part à la recherche de sa peau, d'un contact.
Stop !
Son regard est indéchiffrable, transcendant. Le voir ainsi me rend dingue, confuse, irréfléchie. Ouais, comme si tu ne l'étais pas déjà.
Il fronce les sourcils, s'approche encore.
Enfin, il glisse son doigt dans ma bouche, elle se referme sur lui. Il grogne, tente de ne pas perdre le peu de raison qu'il lui reste.
J'abandonne.
Ma langue se délecte de son goût mélangé à celle de mes larmes. J'aspire son pouce, le suce, le mords. C'est divin. J'ai envie de me nourrir de lui, entièrement, sans retenue.
Son corps rencontre le mien, il appuie son érection contre mon bas-ventre. Une onde de choc, un courant qui m'électrise des pieds à la tête. Je tremble d'excitation ; c'est fantastique, terrifiant.
– Qu'est-ce que vous me faites... murmure-t-il, perdu.
Je gémis pour toute réponse. Sa voix est une putain de torture, douce et cruelle à la fois. C'est mal, interdit, absurde et totalement déplacé. Nous le savons tous les deux.
Il mordille sa lèvre, donne un coup de reins. Son autre main remonte sur ma cuisse, je suis en feu. Bordel. Son odeur, son corps, son regard, le contrôle qu'il exerce sur moi. C'est tellement bon.
Pourquoi diable voudrais-je lui résister ?
Cette question ébranle mes pensées à l'instant où l'ascenseur s'arrête. Les portes s'ouvrent. Il recule, me détaille une dernière fois en passant sa paume sur ses lèvres, hors de lui, et s'en va sans un mot.
Tout fout le camp lorsque je le vois partir à la rencontre d'une femme. Grande, blonde, corps parfait, sa main nichée dans le creux de ses reins.
Laura.
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