Chapitre 13
La pluie ne cesse de s'abattre sur ces contrées.
De temps en temps, il a l'étrange sensation que ce cycle paraît durer une éternité, alors que l'eau immerge la totalité de ces terres. À la manière d'un éternel recommencement, qui ne connaît jamais une finalité, quelle qu'elle puisse être.
Ce n'est pourtant pas la première fois qu'il vit la saison de moussons de cette façon. Ils en ont pris l'habitude depuis quelques années maintenant, de profiter de cette période pour les ravitaillements ainsi que leurs échanges commerciaux. Parce que de cette manière, il a la certitude que personne ne pourra venir attaquer son île lorsqu'il aura le dos tourné.
Si eux sont coincés quelque part, alors cela signifie qu'il en est de même pour tout le monde, et que ses sols sont inaccessibles.
Et c'est évidemment un soulagement, surtout depuis les événements qui se sont écoulés il n'y a pas tout à fait deux années. Bien que cela s'avère terriblement risible pour un pirate, depuis ce temps, Izuku présente quelques difficultés à s'absenter aussi sereinement qu'autrefois. Pas qu'il doute des capacités de ses hommes, et de leur mesure à protéger ce qu'ils ont construit.
Mais simplement parce que tout ceci a laissé des traces malgré tout, et que ses craintes sont occasionnellement trop lourdes pour être supportables.
Pesant sur ses épaules, qui ne sont pourtant pas si frêles, jusqu'à lui causer des douleurs qui viennent irradier tous ses muscles en menaçant de briser son dos en minuscules morceaux. Peut-être aussi en faire des miettes, qui seront tout juste bonnes à être becquetées par les mouettes.
Il en a mené des batailles qui se sont avérées rudes et délicates. Il peut même avouer sans peine qu'il a pensé à quelques reprises qu'il ne s'en tirerait pas, ou que les chances de pouvoir en être victorieux relevaient de la folie pure et simple.
Pour autant, dans ces moments, Izuku n'a jamais cessé de croire. Exploitant la moindre faille, n'importe quel registre pouvant le conduire à la réussite. Se battant jusqu'au sang s'il le fallait, afin d'en ressortir triomphant.
Mais celle-ci est bien plus difficile.
Terriblement éprouvante et véritablement ardue à encaisser. Le mettant à terre dès que possible. Parce que finalement, son pire ennemi reste d'abord lui-même, et que ce qui lui coûte le plus, c'est cette guerre acharnée qui se déroule dans son esprit.
Prête à lui porter le coup fatal dès qu'il baissera la garde, et sera sans aucune défense. Lorsqu'il se retrouvera exténué à force de tenter de répliquer. C'est sans doute pour cela que ses pas l'ont guidé jusqu'ici, devant le porche de l'auberge au beau milieu de la nuit. Parce qu'il est épuisé, fatigué et ignore comment tout traverser.
Alors il reste là, sous cette averse incessante, tandis que les trombes d'eau se chargent de tremper ses vêtements. Ses cheveux sont tellement humides que ses boucles ont perdu toute forme, et viennent goutter le long de son visage, se mêlant à cette pluie dégoulinant contre ses traits.
Izuku n'est pas certain de percevoir le froid des petites heures, et de cette atmosphère qui paraît pourtant terriblement fraîche. Son cœur et son corps y sont hermétiques, sans qu'il en saisisse la raison. Malgré tout, il sent sa peau réagir à ces basses températures, tout comme il voit les frissons s'imposer le long de ses bras qui sont découverts. Mais rien de plus.
Comme si absolument tout le reste était purement superficiel, et ne présentait aucune forme d'importance à ses yeux, ou à ceux de son esprit.
Il n'entend pas non plus ce capharnaüm, qui n'est rien d'autre que le résultat de ces cascades qui s'abattent contre la toiture qui tient encore bon, ou sur ces multiples rochers qui sont aux alentours.
Izuku se contente d'inspirer profondément, emplissant ses poumons de cet air marin qui les encerclent, alors que l'océan s'étend à perte de vue autour des terres qui délimitent l'île. Cette fragrance salée et prenante, qu'il côtoie depuis tant d'années désormais, est semblable à une couverture réconfortante dans laquelle il n'a aucun mal à s'enrouler. La froideur de l'atmosphère pourrait pratiquement glacer ses bronches, tandis que sa respiration n'en finit pas d'être intense et poussée. Mais c'est tout ce dont il a besoin, pour se sentir vivant et réceptif. Pour pouvoir remettre un peu d'ordre dans ses idées et parvenir à déterminer ce qui reste de plus important.
Inlassablement, il s'applique à ignorer ses pensées qui tentent de le rapprocher une nouvelle fois de la présence de Katsuki, qui doit certainement dormir paisiblement entre ses draps, sans se soucier de quoi que ce soit.
Le forban l'a quitté quelques heures plus tôt, non sans l'avoir embrassé encore un peu, ravivant légèrement la flamme qui s'est amusée à les embraser le temps de quelques heures. Et Deku s'est laissé enivrer juste un instant de plus, avant que la bulle n'explose brutalement et qu'il ne revienne à sa réalité avec une douleur terriblement étrange et inconnue.
Il aurait tout aussi bien pu tomber lamentablement sur le sol, où se prendre la porte en plein visage, que le choc aurait été d'une violence totalement similaire.
Malgré tout, le jeune homme essaye de réfléchir de façon rationnelle, et d'adopter le chemin le plus adéquat pour la situation actuelle. Sa colère a déjà bien failli le desservir une fois, menaçant de faire éclater un conflit entre eux durant cette petite réunion. D'ailleurs, sans la présence d'Hitoshi pour le contenir, il aurait certainement fait des choix déplorables qui auraient pu s'avérer catastrophiques.
Une énième preuve que bien trop d'aspects lui ont échappé contre son gré, démontrant l'urgence de se ressaisir, et sans attendre.
Maintenant, reste encore le moment de prendre une décision concernant la suite des événements, et la façon dont il va vouloir les traverser. Sa raison pleine et entière à ses côtés pour l'accompagner, après en avoir ramassé les morceaux qui se sont disséminés un peu partout, le forban espère ne pas se diriger vers la mauvaise voie qui pourrait tout faire déraper.
La présence de Toga dans cet équipage a été le coup de fouet nécessaire pour le rappeler à l'ordre et lui mettre en avant ses objectifs. Ceux qui sont terriblement primordiaux à ses yeux, et qui ne cesseront d'avoir cette importance probante et indéniable. Parce que rien ne peut compter davantage que ce désir de se venger de ces âmes cruelles qui sont venues bafouer l'honneur de ses hommes, et leur arracher ce brin de vie, les menant dans les limbes des enfers. Au creux de ces terres sombres et particulièrement effrayantes, sans que ceux qui restent puissent savoir s'ils ont sincèrement trouvé le repos.
C'est certainement ce qu'il y a de plus difficile et d'étouffant. L'absence de quelconques informations à ce sujet, laissant libre cours à l'imagination d'aller où bon lui semble. Qui fait tantôt penser que ces malheureux ont rejoint un lieu sacré, où tous leurs souhaits leur seront accordés, afin de récompenser la bravoure dont ils ont fait preuve durant leur vivant.
Ou simplement croire qu'ils ont pu être l'esclave d'une vile créature, qui se délecte de leur souffrance et s'assure de ne jamais leur offrir une seule seconde de répit.
Izuku ne peut plus compter le nombre de fois où il s'est réveillé en sursaut, au beau milieu de nuits semblables en tous points à celle-ci, après avoir été témoin de tortures immondes infligées à ceux qu'il n'a pas pu protéger.
Shoto en tout premier, dont le visage est maculé de sang, tandis que la vie le quitte peu à peu. Ses yeux vitreux le fixent, dénués de ce souffle propre à l'existence, et dont les couleurs ont été effacées sans se soucier de savoir si elles manqueront à quelqu'un. Le bleu et le gris si distinctifs de ses iris, envolés et balayés comme une mince poussière dans laquelle quelqu'un aurait donné un coup.
Et si le jeune homme s'assure de résider en son nom, et de faire perdurer son souvenir à travers le temps, la peine ne prend jamais une autre route. Elle reste là, gravée dans la pierre, comme si elle y avait trouvé sa place et que personne ne pourrait la déloger d'ici. Alors Deku a dû apprendre à broder avec, acceptant la lourde sentence qui lui a été incombée. En échouant dans ses fonctions, il est condamné à errer dans un monde différent de celui de cet homme, en voyant toute trace de bonheur s'évader de sa destinée, qu'il le veuille ou non.
Parce qu'il n'a absolument plus le droit d'être heureux, ni maintenant, ni jamais.
C'est inéluctable, et les astres s'assurent de le lui rappeler chaque jour sans exception aucune. Peu importe ce qu'il pourrait désirer, cela ne ferait aucunement le poids face à sa peine, qui le maintient à ses chaînes, celles qui sont solidement menottées à ses poignets.
Toute trace de gaieté et d'euphorie ne relèverait simplement que d'une tentation envoyée par une quelconque divinité, à l'origine du malheur de son sort, s'amusant à le narguer sans honte. Uniquement pour lui rappeler ce qu'il ne peut pas brûler d'obtenir ou de chérir, ce qui restera désespérément hors de sa portée malgré le moindre de ses souhaits.
Dès lors, le jeune homme l'accepte sans broncher, et se contente d'avancer ainsi sans chercher autre chose. De détourner le regard lorsqu'un appât de ce genre lui est présenté, tout en serrant la mâchoire de douleur.
« - Tu vas choper la mort à rester sous la flotte. »
Malgré le silence qui prime sur les lieux, Izuku ne sursaute absolument pas lorsque ces quelques mots s'adressent à lui, comme s'il s'attendait à entendre une voix surgir dans son dos. Il soupire à peine dans un geste réellement imperceptible, laissant vaguement ses épaules suivre le mouvement, avant d'ouvrir enfin la bouche tandis que son visage reste tourné vers le ciel.
En raison de l'affluence d'eau qui recouvre ses traits, il n'a d'autre choix que de fermer ses paupières, bien contre sa volonté. Mais cette sensation étrangement salvatrice arrive à le maintenir éveillé, et le faire légèrement vibrer, impression essentielle en cet instant. Comme s'il en avait besoin, pour s'assurer qu'il est encore en vie et qu'il n'a pas lui aussi quitté cette existence qui se plaît à le torturer de cette manière.
« - Ouais, je sais. »
Il sourit brièvement, seulement l'espace d'une seconde, amusé de remarquer que son camarade ne vient pas prendre place à ses côtés, certainement bien trop prudent pour risquer volontairement de tomber malade. Le froid qui s'empare de ces terres est amplement suffisant pour faire trembler n'importe qui, et inciter à se pelotonner sous une couverture ou près des feux de cheminée, qui continuent de crépiter dans la bâtisse. Ce serait sans doute tellement plus chaleureux et agréable.
Mais Deku préfère rester ici.
Alors, le garçon finit par se retourner tout en logeant à sa place, et jette une œillade en direction de son petit frère qui lui adresse un faible sourire en coin de là où il est.
Il n'y avait pas d'autre hypothèse plausible, que la présence de cette personne qui semble pouvoir lire en lui comme un livre ouvert, et déterminer sans faille les moments où il se sent réellement dépassé.
« - J'irais pas te rejoindre là-dessous, j'préfère me les geler d'ici. »
Sa franchise arrache un modeste éclat de rire à Izuku, qui reçoit cette conversation comme une bouffée d'air frais, parvenant elle aussi à lui apporter un léger brin de réconfort.
Un des rares passe-droits qu'il s'accorde sur cette route qui n'offre que peu de rayons lumineux pour lui réchauffer un instant le cœur.
« - Je t'oblige pas à rester, Hitoshi.
- Déconnes-pas. Si j'te laisse là-dessous sans te ramener au chaud, Ochaco finira par l'apprendre et aura ma peau. »
Le capitaine approuve d'un hochement de tête cette affirmation, et franchit la maigre distance qui le sépare de son bras droit. Celui-ci attend, appuyé contre l'une des poutres en bois qui soutiennent la devanture, encore bien au sec.
Les bras croisés sur sa poitrine, Shinso a l'expression des bons jours et endosse sa couverture de confident, prêt à accueillir les moindres états d'âme de son grand frère, qui se fait bien trop souffrir à son goût. Une fois que Deku est arrivé à sa hauteur, il lui tend un linge propre, au moins pour éponger cette eau ruisselant le long de son visage et s'envelopper dedans, le temps de rentrer pour se délester de ses vêtements qui sont aussi imbibés que la végétation aux alentours.
Le forban ne se fait pas prier pour le mettre sur sa tête, et venir essuyer énergiquement sa chevelure, qui commence progressivement à retrouver forme. Ses ondulations apparaissent naturellement, le tout ponctué de pommettes rougissantes au possible, en raison du froid qui lui a considérablement agressé l'épiderme des joues.
« - T'as peur à ce point-là d'Ocha ?
- Elle pourrait avoir ma peau si elle le voulait. Et j'suis certain que Tsuyu et Kyoka se joindront à elle. »
Izuku approuve d'un hochement de tête, tout en léguant une pensée pour ses camarades qui constituent son équipage. Aussi fortes et courageuses que n'importe quel homme, leur bravoure n'a cessé d'être démontrée à mesure que leurs quêtes avançaient, pour devenir l'un des groupes les plus craints du territoire.
Si certains estiment aisément qu'une femme n'a pas sa place dans un navire, et encore moins pour ce type de tâches, Deku reconnaît sans une once de difficulté que ceux-là ne sont que des idiots qui se laissent embobiner par des principes stupides, et sincèrement désués. Seules les capacités de chacun comptent pour pouvoir aller au-delà des limites, et briguer la "couronne" des meilleurs. Depuis petit, il n'a jamais fait de différences sous ce simple prétexte, et son ressenti a été considérablement accentué lors de son arrivée dans ce qui est devenu son chez-lui. Toshinori réfléchissait également de cette manière, et lui a inculqué les valeurs qu'il jugeait comme sincèrement vitales à l'évolution d'un excellent capitaine.
Alors le jeune garçon s'en est contenté, refusant de chercher plus loin que ce fait, constituant sa flotte de la façon qu'il estimait la plus appropriée. C'est ainsi que ces trois demoiselles sont devenues, au même titre qu'Hitoshi et Mezo Shoji, un autre de ses hommes, les personnes dont il s'entoure systématiquement à chaque traversée. Tandis qu'il se sait relativement peu enclin à s'ouvrir au monde, ce petit groupe fait partie des quelques privilégiés qui en connaissent davantage à son sujet et en qui il peut avoir une confiance aveugle. Habitués à fonctionner ensemble, ils sont totalement au fait de la manière de procéder pour venir à bout de n'importe quel ennemi, peu importe la trempe de celui-ci.
« - Elles forment un sacré trio, c'est indéniable... »
Inséparables depuis leur enfance, les trois demoiselles brillent par leur faculté à réfléchir comme si elles n'étaient qu'une seule et unique personne. Un tout complet, que beaucoup ont tendance à sous-estimer, ou même ignorer.
Au grand dam de leur ancien capitaine, qui a pourtant essayé d'encourager la progression de leurs capacités respectives et de les faire travailler en solitaire afin de les forger au mieux, elles sont désespérément restées dans ce cas de figure, sans en démordre. Et le temps leur a finalement donné raison, puisqu'elles sont devenues une arme redoutable, qui a d'ores et déjà fait ses preuves. Tous leurs comparses ont été forcés de s'incliner devant cette réussite évidente, et d'admirer leur fougue ainsi que la ruse dont elles sont pourvues.
Ochaco et son minois angélique, serti d'une bouille légèrement ronde, mais aussi d'un regard relativement pétillant que la vie ne lui a pas retiré. Ce détail en particulier lui attire aisément la sympathie d'autrui, incitant de nombreuses âmes éprouvées à s'épancher sur son épaule. Sans même se douter qu'il ne s'agit que d'une vile créature, accompagnée de ses fidèles acolytes, qui n'attendent que le moment propice pour frapper.
Et elles sont finalement toutes aussi redoutables. Tsuyu, femme magnifique au regard ébène ainsi qu'une longue chevelure verdoyante, et une souplesse sans égal, elle est semblable à l'une de ces créatures amphibiennes qu'ils ont déjà aperçues dans certaines îles visitées.
Cette pirate suit l'exemple d'Izuku sur la voie de la sournoiserie, privilégiant l'usage de ses connaissances en botanique ainsi que de divers poisons, pour ôter la vie à ceux qui se dressent en travers de son chemin. C'est là que résident ses préférences et ce qu'elle aime faire par-dessus tout.
Kyoka, celle qui clôture ce trio infernal, est une combattante acharnée qui manie le sabre comme personne. Nullement craintive et sincèrement déterminée, elle s'assure d'entraîner ses compagnes d'armes lorsque leur courage commence à s'essouffler, ou que le doute s'immisce d'une manière ou d'une autre. Comme si elle seule était en mesure de s'adresser à ces deux-là, et de trouver les bons mots.
Beaucoup se sont déjà questionnés quant à l'existence de ce lien étroit qui les unit. Elles sont cependant demeurées silencieuses sur leurs origines et les raisons qui les poussent à agir de cette façon. Cela reste un secret, jamais divulgué...
« - Dangereux, le trio...
- Tu veux que je demande à Mezo de te protéger peut-être ? »
Cette proposition arrache un petit sourire à Izuku, tandis qu'Hitoshi est traversé d'une moue boudeuse qui pourrait dévoiler à quel point il est vexé. Malgré tout, le garçon a conscience que ce n'est là qu'une boutade sans importance, ne remettant aucunement ses capacités en doute.
Bien qu'il soit le plus jeune, et incombé d'une tâche à haute responsabilité, découlant de son poste de bras droit, personne n'a jamais eu à se plaindre de son travail. Au contraire, celui-ci agit avec implication et semble être le plus adapté à ce rôle, parvenant à comprendre sans peine les humeurs et les comportements de son supérieur hiérarchique. De plus, ses aptitudes en tant que forban ne sont plus à démontrer, alors que Deku s'applique à continuer de le former à chaque traversée, tout comme Toshinori le faisait autrefois avec lui.
Et, venant compléter ce petit groupe, Mezo brille également par ses propres capacités.
Homme de 28 ans, et donc légèrement plus âgé que son capitaine, c'est une personne particulièrement discrète qui ne s'impose jamais, malgré un physique qui en a déjà rebuté plus d'un. Son immense silhouette, avoisinant les deux mètres de haut, est ponctuée d'une chevelure blanche relativement courte, le tout accompagné d'un regard aux iris aussi noirs que ses pupilles. Blessé ardemment au visage lors d'une bataille qu'il a disputée quelque temps plus tôt, signant la chute d'All Might, il en a gardé des stigmates indélébiles qui ont autant marqué sa peau que son esprit.
Depuis, parce qu'il ne supporte pas le souvenir qui résulte de cet instant, Shoji porte un morceau de tissu se déployant à la manière d'un masque, venant dissimuler cette partie meurtrie de lui, comme pour enterrer cette période délicate.
Combattant stratège et fin limier, il use de ses talents sans limites pour faire fléchir leurs ennemis comme de vulgaires insectes, parfois avec quelques grands moyens... Il faut manier les explosifs et la poudre à canon avec beaucoup de minutie.
« - Ça va, j'pense être encore capable de me débrouiller. J'ai plus 10 ans, Deku. »
Le calme des alentours, toujours tranché par le capharnaüm incessant des pluies qui tombent sans interruption, leur octroie un moment de plénitude tout particulier, accompagnant étrangement cette conversation plus légère.
Après l'acharnement de ces dernières semaines, Izuku n'est pas certain d'avoir réellement levé le pied, ne serait-ce que quelques secondes. Son esprit s'est contenté d'être pris sans relâche par cette situation, sans même lui offrir une porte de sortie, ou un instant de répit.
« - C'est vrai, approuve le jeune homme. T'as bien grandi. »
Il se retient pratiquement de lui ébouriffer les cheveux, comme il le fait depuis qu'ils se sont rencontrés et se côtoient. C'est un geste qui s'est installé naturellement, à la manière d'une marque d'affection, tandis que Deku apprenait à le connaître et à le faire lâcher sa coquille. Aujourd'hui, bien que Shinso ne s'avance pas à l'avouer trop régulièrement, ni même à s'étendre sur ses ressentis, il n'en reste pas moins qu'il a conscience du rôle qu'à jouer ce grand frère dans sa propre construction. Et qu'il estime largement en être arrivé ici grâce à sa présence, ainsi que ses nombreux encouragements.
« - Allez, c'est bon...on va pas s'aventurer à se perdre dans nos souvenirs.
- C'est pas pour ça que t'es là ? Ironise Izuku.
- Au beau milieu de la nuit ? Non, vraiment pas. En fait, je suis surtout venu voir pourquoi t'es tout seul dehors. »
Légèrement surpris que la conversation reprenne une tournure visiblement plus sérieuse, il hausse un sourcil en détournant vaguement la tête. Un modeste sourire en coin, bien que terriblement faux et présent uniquement pour la forme, il surenchérit.
« - Pourquoi ? Tu t'inquiètes, Shinso ?
- Oui, Izuku. »
La réponse s'impose et officie sans qu'aucune hésitation ne soit perceptible. Percuté de plein fouet, le jeune homme serre vigoureusement la mâchoire en laissant son regard partir dans le vide. Il ne devrait pas être étonné après tout, puisqu'il s'agit seulement de la réplique émanant de sa propre question.Mais il ne s'attendait tout de même pas à une répartie aussi honnête et criante de vérité, allant jusqu'à le prendre en plein cœur.
C'est bien là la toute dernière chose qu'il souhaite, de provoquer une quelconque once d'inquiétude à son équipage et à ce garçon qui se soucie à ce point de son sort.
« - Il n'y a pas de raison que tu le sois.
- T'en es certain ? Parce qu'avec ce qui s'est passé avec les deux autres, et ta manière de réagir... Ça te ressemble franchement pas, Deku. Je t'ai jamais vu comme ça, avec qui que ce soit.
- Je suis désolé. »
Izuku soupire sans retenue, tout en s'appuyant pleinement contre l'une de ces poutres. En s'assurant de dissimuler la moindre ébauche d'indice ou de pensée qui puisse accentuer les craintes de son bras droit, il s'empresse ensuite de l'observer attentivement, en pesant chacun de ses mots.
« - Je suis vraiment désolé si ça t'a inquiété, et si j'ai agi d'une manière étrange. C'est...la présence de Toga qui m'a bien plus atteint que ce que je croyais. Et j'ai perdu mes moyens. Il n'y a rien de plus que ça, et je te remercie de m'avoir aidé autant que tu le pouvais à ce que la situation ne dérape pas. Mais je te promets qu'il n'y a rien de plus, et que t'as pas besoin de te faire du souci. »
Sous ses mots, emplis d'une sincérité qu'il espère perceptible. Et, surtout, il souhaite secrètement que cela soit suffisant pour atténuer cette inquiétude qu'il ne veut réellement pas provoquer. Alors, pour confirmer ses dires, il lui adresse un large sourire cette fois-là en concluant une bonne fois pour toutes.
« - J'ai la situation en main. »
Hitoshi ne répond rien de plus, et semble comprendre qu'Izuku n'est pas enclin à s'étendre sur le sujet. Alors, il se contente de hausser les épaules vaguement, tout en conservant le silence. En avisant l'heure tardive, il se dit certainement que l'heure n'est plus aux élucubrations, et qu'un peu de temps de repos ne serait pas un luxe sur lequel cracher.
« - Très bien... Je n'insiste pas, mais tu sais que je serais là pour toi. Si jamais il y a quoi que ce soit. »
Deku approuve d'un hochement de tête, appréciant à sa juste valeur cette sollicitude, bien qu'il ne la saisisse pas. Malgré tout ce qui peut en ressortir, il estime que la tâche de veiller sur autrui lui revient complètement et indubitablement.
C'est son rôle de tous les protéger et de s'assurer de leur sécurité. Alors il ne s'imagine pas un seul instant s'épancher sur ses propres émotions, qui sont de toute manière bien trop délicates à démêler. Lui-même ignore comment interpréter ce déferlement qui l'assaille de toute part, doutant affreusement de l'origine de ces sensations prenantes et douloureuses.
Lui qui n'a pourtant presque jamais failli à sa tâche, ne se détournant aucunement de ses objectifs. Izuku n'arrive pas à comprendre pourquoi tout ceci est différent aujourd'hui.
La présence de Katsuki semble l'affecter, d'une façon qu'il lui échappe terriblement, le tiraillant totalement sans qu'il ne puisse en décider autrement. Sa tête menace d'exploser, comme le bois des navires qu'ils ont détruit sans une once de remords.
Tout son corps le rend souffrant, s'exprimant d'une manière incohérente. Ses convictions se disloquent malencontreusement, tandis qu'il s'accroche désespérément à n'importe quel soupçon d'optimisme pouvant l'animer, et tentant de subsister entre ses côtes fragilisées.
Mais il n'y a que comme ça qu'il pourra savoir ce qui en retourne, et trouver les réponses à ses questions. Le degré d'implication de Katsuki dans ce massacre, la raison de la présence de Toga, ou encore le lieu où sont détenus les biens de son aimé...
Alors, comme d'ordinaire, Izuku inspire profondément et s'applique à tout enterrer si loin. Dans une part de son esprit qu'il enferme à double tour, et dont les parois sont suffisamment épaisses pour que le contenu ne s'en évade pas.
À l'intérieur, le forban s'assure d'y laisser ces impressions sortant de nulle part, et toutes ces choses concernant Katsuki. Le moindre détail qui a pu le marquer d'une quelconque manière. Que ce soit sa peau, son souffle et son regard, qu'il a tellement observés dernièrement. Ou seulement la sensation de ces mains sur son corps, sa présence contre lui. Tout ce qui peut échapper à son contrôle, et avoir un peu trop d'ascendance sur son âme, alors qu'il est pourtant réputé pour être celui qui joue des ressentis d'autrui.
En enterrant tout ce bel enchevêtrement, le dénuant ainsi de tout pouvoir, Izuku reprend sa puissance et sa mission.
Deku ne se perdra plus dans ces méandres sans fin, qui ont menacé d'avoir raison de lui. C'est une certitude inéluctable à ses yeux, quelque chose d'inaltérable. Et, c'est tout ce dont il a besoin pour avancer.
Redevenir celui qu'il était.
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