Interlude : Ça pétille
Prodige
Je zappe machinalement pour faire passer le temps. Au loin, j'entends Cerise jurer. Ça fait vingt minutes qu'elle essaye de raser sa barbe. Elle sort de la salle de bain, et j'admire le résultat. Je pouffe le plus discrètement possible. Ce n'est pas une franche réussite. Elle se renfrogne.
— Tu fais ça tous les jours, bien sûr que c'est facile pour toi !
Elle se rend dans la cuisine, ouvre la porte du frigo et sort une bouteille de cola. Elle n'a même pas le temps de l'ouvrir que je remarque un problème sur la tond.
— T'as oublié une partie en dessous de la mâchoire.
Je passe le doigt sur la touffe en trop et me marre. Elle ne ressemble à rien. Je ne ressemble à rien.
— C'est la dernière fois que je fais ça, marmonne-t-elle.
Quelques secondes plus tard, le bruit de la tondeuse camoufle tous les autres sons parasites. C'est le moment idéal pour opérer.
Dans l'armoire à bonbons, je chope un rouleau de mentos, menthe extra-fraîche. J'en ingurgite un, ouvre la bouteille de soda et y dispose le reste. La mousse se forme et je ferme la bouteille. Après l'avoir secouée et reposée comme si de rien était, je me replace dans mon fauteuil face à l'écran. J'appuie sur les boutons de la télécommande pendant que la menthe me laisse un effet froid dans la nuque. Je siffle, ne trouve rien d'intéressant, mais continue de regarder la télé pour faire style que je suis occupé.
Cerise revient. Je n'ai jamais eu la barbe aussi courte. Je suis presque à blanc.
— Mais qu'est-ce que t'as foutu ?
— Si t'es pas content, c'est la même chose. La prochaine fois, tu m'aideras.
— Il n'y aura pas de prochaine fois, Minier. Je t'interdis de t'approcher de ma barbe.
— Ici, on est en démocratie, pas en dictature. N'impose pas tes choix.
— Alors, votons.
— Saint Gabriel, on n'est que deux.
Je claque la langue contre mon palais.
—Tut tut tut. On est trois avec le chat. Et je suis sûr qu'il est de mon côté.
— Entre démons, vous vous reconnaissez.
— Normalement entre garces, ça devrait le faire aussi.
Elle s'apprête à ouvrir sa bouteille quand elle se fige.
— Je ne sais pas si je dois m'indigner pour moi ou le pauvre chat au maître aigri et connard.
— Putain, Minier a dit un gros mot.
— Tu comptes les répertorier ?
Je n'ai pas le temps de répondre. Elle ouvre enfin sa boisson. La bouteille s'échappe de ses mains et valdingue dans tous les sens à travers l'appartement. Elle arrose tout sur son passage, mais c'est surtout Minier qui en fait les frais. Le contenu continue de se déverser pendant que Minier hurle à la mort. Elle se protège de ses bras et se prend du pétillant dans les yeux et dans bouche. Elle tousse, en recrache et finit par se coucher sur le sol en attendant la fin du spectacle. Pour elle, c'est sans doute un désastre ; moi, je jubile.
Le soda finit sa course dans le salon, près de la table basse, non loin de mes pieds. Il tressaute une dernière fois et le liquide finit de se répandre sur le sol. Ça a duré moins d'une minute. Pour Minier, ça a été la plus longue de sa vie. Elle se relève. Les mèches qui pendent habituellement sur son front ressemblent à des dreads collés sur le haut de sa tête. Elle avance vers moi, mais doit lutter contre l'effet collant qui la maintient au sol.
— Bah alors, Minier, je ne te savais pas aussi maladroite. Je vais me coucher, je suis fatigué par cette journée de folie. N'oublie pas de nettoyer tout ton bazar avant de faire de même.
Elle serre tant la machoire que ses dents grincent. Sa respiration est plus forte et ses yeux... Si elle pouvait me tuer – ou plutôt me torturer jusqu'à ce que mort s'ensuive – elle le ferait.
— C'est toi. C'est toi le responsable.
— Tu as des preuves ?
Le silence occupe une place centrale. Je reprends :
— C'est bien ce que je pensais. Arrête d'accuser les autres et prends tes responsabilités en main. Il serait grand temps que tu grandisses, Minier.
Si elle avait des supers pouvoirs, Minier ferait craquer vitres et miroirs. La pression est telle que tout exploserait. Au lieu de cela, elle ferme les yeux, serre les poings le long de son corps et quitte la pièce la première.
Je suis un peu déçu. Je hausse les épaules et me rend dans ma chambre.
Le jeu ne fait que commencer.
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