Interlude : Ça chante
Cerise
J'étends mon corps dans les draps et perçois des craquements délicieux. Il est six heures du matin. Je ne me lève jamais aussitôt, mais aujourd'hui est une exception. Je lève ma carcasse et me traine jusqu'à la cafetière. Je me saisis de ma tasse préférée en provenance directe de mon appartement. C'est ma tasse porte-bonheur, fétiche. C'est Prune qui me l'a offerte lors d'une séjour à Disneyland. Elle provient du dessin animé Alice aux pays des merveilles. Je sirote ma boisson chaude, puis passe à l'action.
Je pose mon portable dans le socle de la chaîne-hifi, à côté de la platine vinyle et du poste télé. J'active Spotify et enclenche Maneskin, le volume sonore le plus fort possible. Les basses déclenchent un séisme dans tout l'appartement. Je ne perçois même plus les battements de mon cœur ou la faible circulation parisienne. J'installe un casque anti-bruits autour de ma tête et attends.
Saint Gabriel débarque, les cheveux ébouriffés et les yeux à peine ouverts. Je suppose qu'il essaye de communiquer car je vois ses lèvres bouger. Il se bouche les oreilles et tente de couper le son. Mais il n'est pas suffisamment rapide. J'atteins la sono, triture plusieurs boutons et la musique redouble. The Loneliest crache dans tout l'immeuble. Saint Gabriel s'accroupit sur le sol et appose ses paumes sur ses conduits auditifs.
Souffre, Saint Gabriel. Souffre.
Au bout de plusieurs minutes, Saint Gabriel tend les bras vers la porte et essaye de me faire comprendre quelque chose. Le casque sur mes oreilles m'empêche de savoir ce qu'il se trame. Il insiste tant que je le retire. Je baisse le volume et détecte des coups derrière la porte d'entrée. Les coups redoublent et je me presse afin d'ouvrir. Qui peut bien s'inviter chez nous à cette heure-là ?
— Bonjour Monsieur, police de Paris. Vos voisins se plaignent du bruit.
Flûte. Je n'ai pas pensé à cette donnée. Le voisinage, quelle plaie !
Je ferme les yeux et me concentre. Je pense à l'enterrement de ma grand-mère et les larmes affluent presque tout de suite. Bingo !
— Désolé, Monsieur l'agent, reniflé-je les sanglots dans la voix. Je viens d'apprendre que ma copine me trompe avec mon collègue de travail. J'ai vrillé. Je devais l'empêcher de dormir comme elle m'y empêche depuis que j'ai appris sa trahison.
J'exagère mon chagrin, pose ma main contre mon cœur et lance un regard vers Prodige alias la gourgandine infidèle.
— Non, mais je rêve... murmure-t-il.
— J'ai le cœur brisé, monsieur l'agent. En contrepartie, je voulais juste lui briser les oreilles.
— Elle me brise surtout les couilles, Monsieur l'agent, intervient Prodige.
Le policier lui lance un coup d'œil avant de revenir à moi, ma bouche tremblante et mes yeux larmoyants. Puis, il me tend la main afin que je la serre.
— Bon, on va en rester là pour aujourd'hui. Entre hommes, on doit se soutenir, n'est-ce pas ? Cependant, je ne veux plus avoir à intervenir. Plus de musique à six heures.
Je presse sa paume en retour et hoche vigoureusement la tête.
— Bien sûr, Monsieur l'agent. Merci beaucoup pour votre compréhension, reniflé-je, toujours dans mon rôle.
Je referme la porte derrière lui et m'accorde un sourire triomphant.
— Tu es une peste manipulatrice, clame Saint Gabriel dans un silence religieux.
— Et toi, un crétin arrogant. Et sans noisettes maintenant, d'après ce que j'ai ouïe dire. On peut dire que j'ai gagné.
— Tout ce que tu as gagné, c'est un Prodige bien énervé. Et crois-moi, tu vas le regretter.
Il claque la porte de sa chambre comme un ado prépubère en manque d'attention. Des petits ronflements sillonnent jusque dans le salon, une dizaine de minutes plus tard.
L'adage dit : qui sème le vent récolte la tempête. Suis-je prête à me prendre la tornade Saint Gabriel de plein fouet ?
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