Chapitre 24 - Une actrice

Décembre 2016

Depuis la dernière soirée passée au studio, j'ai rencontré, à plusieurs reprises, les garçons pour discuter de la suite des événements.

Avec Idriss, on agit comme si rien ne s'était passé. Et c'est bien mieux comme ça. 

Je n'explique toujours pas ce qui a pu déconner dans nos têtes... Pour la deuxième fois.

De toute façon, je lui en veux toujours pour les mots qu'il a employés. J'étais faible et alcoolisée. Mais, je n'ai rien oublié. 

Hakim, quant à lui, me regarde avec insistance, bien plus qu'à son habitude. Il examine chacun de mes gestes. Il a failli nous surprendre et je pense qu'il se pose pas mal de questions.

Quand il ne s'énerve pas sur moi, il me scrute. C'est toujours un plaisir d'être en sa compagnie...

Heureusement, il y a Ken et Théo. Les seuls avec qui je peux discuter sans me sentir, constamment,  mal  à l'aise. 

Medhi, par contre, je l'évite du mieux que je peux. 

Lui aussi, est maintenant en colère contre Idriss. Même s'ils ont essayé de discuter, il leur faudra un petit peu plus de temps pour se pardonner l'un l'autre. 

Si  je ne parle plus a Medhi, ce n'est pas à cause d'Idriss. C'est une décision personnelle. La soirée que nous avons passé tous les deux était plutôt sympa... Mais c'est tout. 

Je n'ai rien ressenti de particulier, même lorsqu'il me tenait la main ou me touchait la joue.  

Cet événement m'a surtout rappelé pourquoi je déteste les rencards. C'est inutile et ça nous pousse au mensonge. On montre le meilleur de nous-même (alors que nous n'agissons pas du tout comme ça  dans la vie de tous les jours), et, paradoxalement, nous pratiquons des activités si ennuyeuses.... 

De toute façon, aujourd'hui est une journée paisible... Loin des garçons et de leur histoire. 

J'en profite pour me rendre au poste de police, emmitouflé dans ma veste d'hiver. Le mois de décembre a pointé le bout de son nez et avec lui ses températures négatives. 

-"Lana, comment tu vas ma belle ?"

Je salue Lily. Je me retiens de rire lorsque je pense à son échange avec Théo. Ce type est complètement fou. On aurait pu se faire prendre avec son accent pourri. 

Je me dirige, ensuite, vers le bureau de mon père.

Luke est concentré, il vérifie des documents sur son ordinateur. La fatigue peut se lire sur son visage. Il s'implique tellement dans son métier qu'il ne prend ni la peine de dormir ni la peine de manger. C'est pourquoi, je viens à sa rescousse avec des pizzas maisons.

L'odeur envoûtante de la sauce tomate éveille ses papilles. Il lève enfin la tête et remarque ma présence : 

-"Ho chérie. Il ne fallait pas. Viens près de moi ."

Je ne me laisse pas prier. Mon père libère de la place sur son bureau. Je sors les assiettes en carton et m'installe à ses côtés.

-"Sur quoi tu travailles ?"

-"Je termine un document sur un vol à l'étalage, puis, je m'occupe de notre unité anti-drogue et de notre affaire en cours.  "

J'acquiesce et en profite pour l'interroger. 

-"Il y a du nouveau avec cette histoire ?"

Il n' y a rien de mal là-dedans. Ce n'est qu'une question. 

Il se coupe un morceau de pizza, avant de me répondre.

-"L'enquête avance doucement... Mais, bientôt, on aura l'autorisation d'interroger davantage le suspect,  et, de fouiller un peu plus autour de lui. Son avocat nous a dit qu'il niait les faits quoi qu'il arrive. On a, aussi, reçu une liste de témoins à interroger. Mais bon, ça reste entre nous chérie, je n'ai pas le droit de te dire ça normalement."

Je ne réponds toujours pas. Mon père  se contente de mes hochements de tête.

-"Sinon, j'ai parlé à  Shannon, tu lui manques beaucoup. Elle dit que tu es souvent occupée ces derniers temps."

Shannon aussi me manque. C'est une personne formidable avec un grand cœur, une personne a qui je pourrais confier ma vie...

Mais ici, c'est différent. Si je décide de lui parler de tout ça , elle devra faire un choix entre son métier et notre amitié. Je ne lui en voudrais pas si elle nous dénonçait... Mais, je ne veux pas risquer d'aggraver la situation pour Idriss.

-"Elle est au poste aujourd'hui ?"

Mon père me répond par la négation.

Tant pis, je l'inviterai plus tard.

Je m'apprête à reprendre la conversation lorsque la sonnerie aigrelette du téléphone retentit. 

-"Je prends le coup de fil."

Alors qu'il communique avec l'un de ses collègues, je peux observer le visage de mon père qui se transforme. Ses yeux s'agrandissent et il se lève avec précipitation. Il ne finit pas son morceau.

-"Papa qu'est-ce que tu fais ?"

Je me lève à mon tour. 

-"Lana, la personne qui nous a appelé anonymement à propos de la drogue...Elle est venue voir la police. Elle est prête a nous rencontrer en personne. On va pouvoir avancer pour de bon dans cette enquête! "

C'est quoi ce bordel ?

Est-il possible que nous apprenions la vérité sans avoir à espionner tout l'entourage des garçons ?

Si seulement je pouvais entrevoir cette personne... Tout serait fini aujourd'hui. 

-"Papa , c'est génial ! Je peux venir avec toi ? J'ai trop envie de voir comment ça se passe quand vous recueillez un témoignage."

Mon père prend une mine sérieuse et pose sa main sur mon épaule.

-"Non, tu ne peux pas. Déjà comme ça, il risque sa peau venant nous parler. Personne ne doit savoir de qui il s'agit. On a peut-être trouvé un  agent double. Tu comprends ?"

Risquer sa peau ?  Idriss tueur ? Cette histoire est ridicule. Comment papa, ne peut-il pas s'en rendre compte ? 

-"Et pourquoi ne serait-ce  pas lui le coupable ? Vous allez essayer de creuser de ce côté là ? "

J'aurais dû me taire. 

Son sourire disparaît.

L'expression de sa voix me donne l'impression  d'être un enfant que l'on gronde pour avoir cassé le vase sur l'étagère du salon : 

-"Ton boulot c'est d'être maîtresse d'école. Pas policière. Alors, laisse-moi faire mon travail. C'est urgent Lana. Il se trouve actuellement dans  un poste voisin. Je dois y aller immédiatement."

Il dépose un baiser sur ma joue.

-"Rentre bien. On se voit demain."

Je reste, paralysée,  près du bureau,  à réfléchir à une solution. Comment prévenir les quatre rappeurs ? Je ne sais même pas où se trouve ce fameux poste de police...

Puis, de toute façon, j'ai dit que cette journée serait calme et paisible, loin de cette enquête. 

Mais mon corps n'est pas d'accord. Une idée complètement stupide me traverse l'esprit. Je n'ai pas le temps de réfléchir. Je cours jusqu'au parking. J'abandonne les pizzas en cours de route. 

Je monte dans la voiture et je prends la folle décision de suivre mon père.

Je ne suis pas une pro pour ça, loin de là. Je laisse une distance de deux voitures entre nous comme on peut le conseiller dans les films. J'espère que ce ne sont pas que des conneries. 

Je remercie, également,  le ciel : mon père n'a pas mis les gyrophares. 

De plus,  j'ai la chance d'avoir un paternel que l'on peut qualifier d'aveugle lorsqu'il conduit. De temps à autre, des collègues klaxonnent pour le saluer, mais, mon père ne les reconnait jamais... Alors qu'ils sont dans leur voiture de police. C'est toujours à moi de lui expliquer. 

Au bout de vingt minutes, nous arrivons près d'un poste de police où des agents l'attendent à l'extérieur. Nous sommes assez loin du centre ville. Je patiente, un instant, avant de sortir à mon tour du véhicule. 

Je dois rentrer le plus discrètement possible et trouver une excuse valable. Ici, personne ne me connaît. Je ne peux pas débarquer en me présentant comme la fille de Luke Rousseau.

Réfléchis Lana, plus vite, plus vite.

C'est alors qu'une petite plaque sur la façade attire mon attention : "Bâtiment appartenant au courant Rococo. Pour plus d'informations, venez visiter nos locaux sur rendez-vous."

Bingo. Je retourne, le plus vite possible, jusqu'à ma voiture pour en sortir des lunettes, une casquette et l'appareil photo de mon meilleur ami. 

Raphy, j'aime ta faculté à tout oublier chez moi. 

Je me déplace, lentement, jusqu'à la porte d'entrée. Je passe ma tête dans l'embrasure de la porte. Mon père a bien disparu vers l'une des salles d'interrogatoire.

Je rentre, enfin, dans l'édifice et y trouve un jeune officier en train de manger un croissant.

Tellement cliché.

-"Excusez moi Monsieur. Avec mon partenaire, Raphaël Gomez, nous tenons un blog sur internet où nous partageons nos coups de cœur mais aussi nos découvertes architecturales. Me permettez-vous de prendre en photo les lieux ? Je m'intéresse à votre plafond et à ces magnifiques  meubles".

Le garçon semble hésiter.

-"Je ne sais pas trop si je peux Madame. Je dois d'abord demander l'autorisation..."

-"Ho non... Mon collègue va être furieux. J'ai fait trois heures de route pour venir jusqu'ici... Laissez-moi cinq minutes, pas plus !  Promis. Regardez  ces lignes courbes et asymétriques, ça rappelle tellement  les volutes des coquillages ou bien les feuillages...."

- "Madame, stoppez-vous s'il vous plait !"

Je vois qu'il réfléchit. Je suis prête à continuer mes explications si ça peut le rendre fou. 

-"Très bien. Vous pouvez photographier dans le hall. Et, aussi, dans le couloir juste à votre droite. Interdiction de rentrer dans une pièce ou de publier une photo de l'un de nos représentants. C'est bien clair ?"

-"Comme de l'eau de roche ! Merci Monsieur le policier."

Je fais mine de photographier quelques éléments avant de me diriger, sur la pointe des pieds,  vers le couloir indiqué par l'agent. Je me laisse, ensuite,  porter par le silence. Je tends l'oreille. Mon père est là.

Je m'arrête lorsque  le son devient parfaitement audible. Mon coeur bat la chamade. 

Une nouvelle voix retentit. Mes poings se serrent. Il ne s'agit que d'un avocat.Il est en train de plaider les droits de son client. 

Espèce de traitre, tu vas te décider à parler ? 

Évidemment, il n'y a aucune fenêtre et je ne peux pas rentrer là-dedans sans me faire repérer. 

Prononcez un prénom au moins !

-"Madame ?"

Fais chier.

Je me retourne vers l'officier de l'accueil et lui offre mon plus beau sourire.

-"J'ai terminé. Merci infiniment."

Il me fait signe de le suivre vers l'entrée des bureaux.

C'est fichu. 

-" Merci beaucoup pour votre gentillesse. Au revoir. "

-"Madame, attendez !"

Il me désigne un post-it.

-"Vous pouvez noter le nom de votre site ? Juste pour vérifier tout ça."

-"Evidemment."

Raphaël va me tuer quand il va devoir réaliser un article sur l'architecture d'un commissariat paumé.

Je me rapproche du bureau avant d'y indiquer le nom du blog de mon ami. C'est alors qu'un papier attire mon attention... 

C'est le document des affaires à traiter, celui que l'on donne aux civiles quand il y a trop de monde et  qu'on souhaite avancer sur les affaires selon leur ordre de priorité. 

Je plisse les yeux et tente de lire ce qui y est  écrit : "Témoignage à propos de l'affaire d' Idriss Akrour."

C'est noté à la main. Le reste du papier n'est pas complété. On a, certainement, dû le faire passer en priorité quand ils ont appris la raison de sa présence. 

Je me redresse et passe de l'autre côté du bureau. Le jeune officier rougit instantanément.

-"Qu'est-ce que vous faites Madame ?".

-"Je voulais juste vous dire merci une dernière fois. Vous êtes formidable ... Monsieur ?"

-"Vous pouvez m'appeler Johan."

-"Enchanté Johan. Moi, c'est ... Angèle."

-"C'est vrai que vous ressemblez à un ange."

-"Ho si vous saviez..."

Le pauvre garçon est devenu rouge tomate. Je profite de son inattention pour fourrer le papier dans la poche de ma veste. 

La voix de mon père retentit à l'autre bout du couloir.  Il se déplace vers nous avec un autre policier. 

-"Excusez-moi, je dois vraiment y aller !"

Je me précipite vers la sortie. Mon père a, tout juste le temps,  d'observer une silhouette courir  à toute hâte jusqu'à la sortie. 

Le pauvre Johan est encore en train de m'appeler :

-" Et Angèle, attendez !"

Une fois dans ma voiture, je me mets en route immédiatement. Il faut que je parte loin de là. Et très vite. 

Je roule une dizaine de minutes avant de m'installer sur le bas-côté. 

Mes mains sont tremblantes et mon coeur bat la chamade. 

Putain Lana, on avait dit plus de connerie de ce genre.

Je sors le papier de ma poche... Il ne donne aucune autre indication.

Notre seul indice ? Une putain de calligraphie. 

Il n'y a même pas de signature. Pourquoi ne l'ont-ils pas laissé terminer sa fiche ? 

Le coupable était juste à côté de moi, et je n'ai pas su le voir. 

-" Bordel, c'est trop nul ! "

Reprends-toi Lana. On ne sait jamais... Peut-être que les garçons sont du genre à s'envoyer des lettres manuscrites pour les fêtes de fin d'année ? 

Laissez-moi rire. 

Je récupère mon téléphone et envoie un premier message à Ken :

"J'ai découvert un petit truc sur l'enquête. Rien de fou... mais c'est mieux que rien."

Puis à Raphaël :

"Je suis désolée mon pote... Mais tu vas devoir me rendre un petit service sur ton blog."

Les réponses ne se laissent pas attendre. Le premier me demande de venir le plus tôt possible pour en discuter. Le second également... mais lui, c'est plus pour me tuer.

Je dépose ma tête sur le volant et je soupire. 

Je me suis vraiment embarquée dans une histoire folle.

J'avais dit que cette journée serait tranquille. 

Suis-je capable de m'écouter de temps à autre ?  

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