Chapitre 23 - Un toit

Je reste assise au bar du Crew qui est, pour l'occasion, ouvert à tous (à l'exception de certaines bouteilles où une étiquette "Capital de Mekra : tu touches, t'es mort" nous convainc de ne pas les vider sans l'autorisation de leur propriétaire).

Je n'ai pas envie de m'amuser. Les garçons sont introuvables et, Medhi, quant à lui, est avec des amis de l'université. 

De temps à autre, quelques têtes, plus au moins connues, viennent me saluer comme Mohamed que je n'avais plus vu depuis la dernière soirée. Il est accompagné de ses inaltérables amis et je prends, enfin, connaissance de leur nom et du lien qui les unie avec les garçons.

J'en profite, donc, pour leur demander s'ils savent où sont passés les quatre rappeurs.

Là tout de suite, Je ne dirais pas non à la bonne humeur de Théo.  

C'est le prénommé Ivan (rappeur ressemblant étrangement à mon meilleur ami ) qui m'explique : 

-" Ho les gars, ils sont sur le toit. Ils font un peu de freestyle."

-" Tu penses que je peux  les rejoindre ?"

-" Bha ouais ! Plus ils ont du public, plus ils sont chaud !"

Ivan propose de m'accompagner. J'accepte et vide mon verre avant de le suivre. 

Nous nous dirigeons vers la sortie et montons à l'échelle. Nous arrivons sur une petite terrasse aménagée pour l'occasion. On y trouve une dizaine de chaises, un petit frigo et des couvertures sur lesquelles on peut s'installer. 

Il y a tellement de monde là-haut. On ne ressent plus la fraicheur de l'automne. 

Un petit groupe s'est déjà formé autour des garçons qui, quant à eux, se sont lancés, sans merci,  dans un rap enragé. C'est Hakim qui est au commande lorsqu'Ivan m'indique une place, sur une couverture, à côté d'un garçon que je ne connais pas encore. 

Une ambiance bonne enfant règne sur les lieux. Certains dansent, d'autres bougent leur tête au rythme de la musique pendant que les derniers les accompagnent, de temps à autre, sur certains freestyles. 

Un homme, que je pense reconnaitre comme un ami du Crew, propose des sons audacieux sur lesquels les quatre rappeurs déversent leur talent. 

C'est ensuite autour de Ken. Ivan m'explique qu'il improvise souvent et que c'est un champion dans sa catégorie.  

- "Tu veux essayer de les accompagner ? "

-"Moi rapper ? T'es malade !"

Il hausse les épaules : 

- "Ce serait drôle."

Je les observe encore en silence durant quelques minutes. Je suis impressionnée par leur énergie et leur volonté. 

On peut lire sur leur visage à quel point ils sont dans leur élément. 

Si on leur enlève la musique, on leur ôte, également, une partie importante de leur âme.  

Ken laisse place à Idriss et mon coeur fait un raté.

Lui qui, sur toutes les musiques que j'ai pu entendre, semble si calme et séducteur, est aujourd'hui complètement fou alors que les paroles s'enchainent. Son ton est agressif et son débit bien plus rapide que ce qu'il a l'habitude de nous offrir. 

Les murs sont tapissés de nos têtes
On a signé plus que ces putains de notaires
J'ai vu trop de détails qui ne sont pas notés
Un autre freestyle ou bien un autre thème
Ça varie selon l'humeur on peut s'en douter....

J'entends les gens autour de moi crier ou chuchoter : " Putain, Fram est en feu ce soir !"

C'est alors que l'inconnu qui se trouve à mes côtés m'interpelle : 

-" Hey, t'es la meuf de Medhi ? Je vous ai vu rentrer tous les deux."

Je me retourne vers mon interlocuteur. C'est un garçon souriant avec des cheveux blonds et des lunettes de vue. Je devine, immédiatement, à son style BCBG qu'il s'agit d'un ami de l'homme d'affaire. 

- "Pas du tout. On a juste passé la soirée ensemble. "

Le jeune homme prend une grande inspiration avant de reprendre la parole : 

-"T'as envie de boire un coup ?"

Il me montre le petit bar aménagé. 

-" Ho, ce serait super gentil. Tu peux me ramener une bière ? "

Le garçon acquiesce. 

Idriss termine son couplet et tend le microphone à Théo. 

Le blondinet revient quelques minutes plus tard. Je le remercie. Il s'installe à nouveau à mes côtés et vide sa première bière en quelques secondes. 

Il reprend : 

-"C'est quoi ton nom ?"

-" Lana. Et toi ?"

-" Nolan."

Il ingurgite son deuxième verre presque aussi rapidement. 

-" Tu avais soif !"

Je tente l'humour mais je remarque, à ce moment précis, que ce garçon n'est pas dans son état normal. Ses joues sont roses et ses yeux injectés de sang. 

-" Lana, j'ai envie de toi."

Non mais je rêve. 

-" C'est une blague j'espère !"

Je lève les yeux au ciel. On croise des mecs comme lui à tous les coins de rue. A peine un petit verre dans le nez et ils se prennent pour les rois de la drague. 

Il tente, à nouveau, l'expérience : 

-" S'il te plait Ma belle, t'as vu ta robe ?"

Je connais déjà la suite de sa phrase avant qu'il la prononce  :

-" Elle te fait un corps de malade ! Si tu voulais pas exciter quelqu'un, tu ne l'aurais pas mise !"

Le coup part tout seul. Je lui assène une violente claque. 

Je ne m'en rends pas compte tout de suite. Mais,  tout le monde a cessé de s'amuser. Ils  nous observent alors que je lui réponds : 

-" Putain, mais t'es vraiment un connard toi ! J'ai mis cette robe parce que je l'aime bien ! C'est vous qui devez apprendre à garder vos couilles dans votre pantalon  !  Maintenant, tu vas dégager tout de suite ou sinon..."

Je n'ai pas le temps de finir ma phrase. 

Idriss a foncé sur lui. Il le pousse violemment. Nolan se rattrape comme il peut à d'autres invités. 

-" T'as essayé de faire quoi avec Lana là ?"

Il s'apprête à le rouer de coup. 

Mais le garçon déguerpit en empruntant l'échelle.  Idriss se lance à sa poursuite. 

Putain, il était obligé d'intervenir celui-là. 

Hakim se place à mes côtés et  me fait, soudainement, réaliser quelque chose  : 

-" Il a pas le droit de se faire remarquer maintenant avec l'enquête en cours !"

Idriss, t'es vraiment un imbécile. 

Je pars, à mon tour à la poursuite des garçons. 

Je rentre à nouveau dans le studio. Il n'y a plus beaucoup de monde à l'intérieur. Il ne me faut pas plus d'une seconde pour retrouver Idriss. 

Mais, contre toute attente, il n'en a pas après Nolan... Mais après Medhi.  

Son cousin est recroquevillé sur lui-même. Il a du recevoir un gros coup de poing. Son nez est en sang. Ses amis sont tout autour de lui, près à se défendre comme ils peuvent. 

Soyons réalistes, ces personnes ne se battent pas. 

Idriss par contre, montre toujours les poings. 

Hakim passe à côté de moi et empoigne son petit frère qui ne se laisse pas faire pour autant.

-" Frère tu fous quoi là ?"

Il ne l'écoute pas, il est toujours en train de s'en prendre à Medhi.

-" Tu sors avec elle un soir et tu la laisses déjà se faire emmerder par un de tes potes ! Putain, tu sais pas t'occuper d'elle ou quoi ?  !"

Hakim le pousse vers la sortie mais Idriss refuse de coopérer. 

Il hurle des mots en arabe. 

Je suis obligée d'intervenir. 

Alors qu'Idriss est près à bondir à nouveau, Je me jette, désespérément, entre les deux cousins. 

Quand il me voit, le rappeur est obligé de s'arrêter. 

Je le dévisage et je tente de m'exprimer le plus calmement possible : 

-" Toi, tu viens avec moi."

Il est, dans un premier temps, résistant. Ses yeux expriment toujours du dégoût.

Je m'approche et m'agrippe à la tirette de sa veste Fila. 

-" S'il te plait Idriss."

Il ferme les yeux avant de me demander :

-"Tu veux aller où ?"

-"Je pense que tu le sais déjà."

Il me fait signe de le suivre et nous nous dirigeons vers la cabine d'enregistrement. 

Une fois à l'intérieur de notre bulle, Idriss s'installe, à même le sol,  comme la dernière fois et me fait signe de le rejoindre. 

Sauf que je suis incapable de retenir davantage mes émotions. 

Alors, j'hurle : 

-" Putain Idriss, c'est quoi ton problème ? Je gérais la situation ! "

Il se redresse et tente de crier aussi fort que moi. 

-" Quoi t'es sérieuse ? Il te traitait comme de la merde et Medhi était même pas là pour te défendre !"

Sauf qu'à ce jeu, personne n'est capable de battre une maitresse en colère. 

-" C'est toi qui ose dire ça ? Regarde-toi dans un miroir avant de critiquer les autres ! Il avait juste trop bu. Je savais le gérer toute seule !"

Idriss me regarde interloqué : 

-" Comment ça, c'est moi qui ose dire ça ?"

-"Pour toi je ne suis pas Lana si  ? Mais plutôt, ta carte sortie de prison. "

Son visage se transforme et je peux y lire du regret.

C'est pas comme ça que tu m'auras Idriss. 

 Il murmure : 

-" Mais Lana... Je disais ça ainsi, c'était pas méchant. Je savais juste pas comment expliquer que tu m'aidais à m'en sortir, tu vois."

Mon rire à son égard se veut méprisant : 

-" Mais il y a pas que ça Idriss..."

Je me dirige vers la sortie et pose une main sur la poignée. 

-" Je ne suis pas un objet que tu peux prêter aux membres de ta famille. Tu sais à quel point ça fait mal de s'entendre dire, quelques heures après avoir couché avec toi, que je devrais donner une chance à ton cousin ? "

Il ferme les yeux. Il ne répond rien alors j'entrouvre la porte. 

Je suis prête à la franchir mais il me rejoint, subitement, et la referme avant que je puisse passer. 

-" C'est pas ça Lana. Juste, t'étais tellement mal. Je pensais que t'avais besoin de quelqu'un pour veiller sur toi. Et je suis pas ce genre de mec moi. Je vais pas m'occuper de toi comme si t'étais ma meuf."

Il tente d'approcher mais je recule. 

-" J'ai pas besoin de quelqu'un pour me protéger Idriss. J'ai toujours su me débrouiller seule. C'est pas parce que j'ai couché avec toi une fois que je m'attends à ce que tu me cours après. T'as rien compris. J'ai juste besoin que tu me respectes un peu. Maintenant, laisse moi retrouver Medhi. Je vais voir si tu l'as pas trop abimé." 

-"Lana, attends..."

Il pointe ma main écorchée :

-" Ca va mieux ?"

-" Oui, ça guérit et alors ?"

Il dépose sa main sur la mienne. 

-" Est-ce que je peux t'embrasser pour me faire pardonner ?"

Je m'attendais à tout sauf à ça. Mon coeur s'arrête de battre pendant un instant. 

 Il profite de ma surprise pour se rapprocher. Nos visages ne sont plus qu'à quelques millimètres l'un de l'autre. Je sens son souffle chaud contre mes lèvres. 

Il attend que je fasse le dernier pas. C'est tout ce qui manque... et c'est à moi de le franchir. Il ne bougera pas si je ne lui en donne pas l'autorisation. 

Pourquoi est-ce que je le ferais ? C'est un enfant, c'est un peu comme mon client, c'est un imbécile de première. 

Je ne dois pas le faire. 

Non, je ne le ferai pas. 

Mais mon corps agit contre ma volonté. 

Il n'y a plus de distance entre nous. 

Ses lèvres ont un léger goût d'alcool, mais, elles réalisent des mouvements , à la fois, doux et sauvages. 

Je sens ses mains qui se déplacent dans mon dos et ses doigts délicats qui font des va-et-vient le long de ma colonne vertébrale. 

Les miennes viennent se perdre dans sa nuque. 

Mon coeur  bat beaucoup trop vite. Mon ventre se tord. 

C'est alors que la porte s'ouvre brusquement. Je me détache, le plus rapidement possible, de son étreinte. 

-" Qu'est-ce que vous foutez ? Medhi veut te parler." 

Hakim nous dévisage avec méfiance. 

-" Rien. On est venu ici pour qu'il se calme. " je réponds. 

Nous le suivons et retournons auprès des autres. 

J'ai l'impression d'être dans un rêve, que rien de tout ça ne vient vraiment de se produire. 

Pourtant, tout est réel... et mon corps, encore brûlant, est là pour me le confirmer. 

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