Chapitre 12 - Un Italien

- Encore quelques minutes et on peut y aller.

Les vacances d'automne  viennent à peine de débuter et pourtant, je suis loin de me reposer au soleil comme me l'ont conseillé les collègues et parents d'élèves. 

Aujourd'hui est une journée cruciale. Si on se plante, on risque tous très gros. 

Je suis assise dans la voiture et tapote nerveusement sur mon volant, mon regard tourné vers le poste de police.

- Tu stresses comme une dingue alors que c'est pas à toi de faire l'acteur.

Théo est assis à mes côtés sur le siège passager. Il se regarde dans le rétroviseur et tente de replacer sa perruque blonde platine comme il se doit. 

Lorsqu'il se retourne vers moi, avec une mine sérieuse, je m'esclaffe : 

- Je suis désolée Théo, mais je ne sais pas te prendre au sérieux avec ce look.

Il se joint à mon rire et approuve ma réponse par un signe de la tête. C'est ce que j'apprécie chez ce garçon : son optimisme et sa gentillesse lui vaudront certainement une belle place au paradis. 

Déjà ce matin, il n'a éprouvé  aucune gêne lors des essayages. Théo nous a offert un défilé digne d'une Miss Univers. 

J'ai emprunté à l'école divers perruques et accessoires. Il était incontestable pour nous que Théo soit déguisé pour se protéger de tout soupçon. 

 Alors, quand il s'est ramené dans le salon de Ken (qui m'a gentiment proposé de faire ça chez lui afin que nous puissions jouer les Christina Cordula du bled), avec une longue perruque blonde et une fausse poitrine, nous n'avons pu retenir nos larmes très longtemps.

Hakim, qui se trouvait dans le canapé juste à côté avec sa Playstation, n'a rien dit mais semblait apprécier le spectacle. Je le voyais jeter de nombreux coups d'oeil dans notre direction, un petit sourire aux lèvres. 

Idriss passait sa tête de temps à autre. Il riait, lançait des blagues à tout va comme il a l'habitude de le faire... Mais je sentais au plus profond de moi que quelque chose clochait. Toutefois, je ne lui ai pas demandé, cela ne me regarde pas après tout. Je suis là uniquement pour l'innocenter. 

- Si ma femme me voyait comme ça...

Théo me sort de mes pensées avec cette phrase. 

Qu'est-ce qu'il vient de dire ?

- Tu es marié ?

- Ouais, ça te choque ?

Il semble fière de son anecdote. 

-  Et bien...

- J'sais ce que tu vas dire. Dans le S-crew on a pas une tête à se marier. A part peut-être Nek.

- Je n'ai pas dit ça !

-  Mais tu le penses. T'inquiète, je juge pas. Moi aussi je vois pas Mekra et Fram se marier.

Il éveille ma curiosité. 

- Pourquoi ça ?

- Ils savent déjà pas se caser et c'est pas dans leurs plans. Alors que Ken, ça reste un sentimental t'sais.

Je lui souris.

- Ta femme sait ce que tu es en train de faire ?

- Nan, je vais lui raconter ce soir, elle va me tuer à coup sûr...., Il inspire et expire aussi vite, Tu sais quoi Lana ? Je pense que je vais faire exprès de me faire prendre. La prison, ça fait moins peur.

Nous rions à nouveau, cela permet de détendre l'atmosphère. Il reprend toutefois : 

- Lana, je voulais te dire, au nom de tous les gars, merci de nous aider.

Je suis assez surprise par cette nouvelle déclaration...

- Il ne faut pas me remercier. Je n'aime pas l'injustice, c'est tout.

- T'es une vraie samaritaine ma parole.

Si seulement il savait que je fais ça uniquement pour Mekra, pour ne pas qu'il vive la même chose que moi. 

- Ca va pas ma belle ?

Théo semble réellement inquiet. Je me rends compte à cet instant que je tremble légèrement. Il faut que je le rassure à tout prix. 

- Si si ! Juste, quand je vois ta tête dans ce look, ça me fait pleurer.

- Tu fais ta maligne, mais je pense vraiment adopter ce style au quotidien.

- Tu vas être magnifique sur scène.

-J'ai toujours été le beau goss du S-crew, ça risque pas de changer !

Nous rions et discutons encore durant quelques instants. Soudain, mon téléphone vibre, c'est le signal : 

"Nous sommes en pause ;). Je garde ton père loin du bureau. Love you. Shannon."

Plus tôt dans la semaine, J'ai envoyé un message à  Shannon. Il avait pour objet une demande... Celle de  m'envoyer un message à l'heure de la pause déjeuner. J'ai prétexté une surprise à déposer pour mon paternel sur son bureau. Elle a adoré l'idée. 

Je suis tellement désolée Shannon... 

Je me retourne vers mon compagnon de route : 

- C'est parti... Toujours prêt 2zer ?

- Toujours là pour les potos ma ptite.

Il sort de la voiture, je le rejoins. 

- On y va MAIS Théo...

J'attends qu'il arrête de se relooker dans le reflet de son écran de téléphone. 

Il fait semblant de rien  mais je suis certaine qu'il se kiffe en blond. 

- Ouais ?

- Pas d'accent !

Un grand sourire s'affiche sur son visage.

- Pas d'accent.

Je rentre première dans le commissariat. Comme je le pensais, seuls deux agents sont présents.

 Samuel, un jeune officier un peu maladroit et Lily, une des coéquipières de mon père depuis le début de sa carrière. Ses cheveux noirs sont parsemés de mèches blanches. Lorsqu'ils me voient débarquer, ils viennent me prendre tous les deux dans leur bras. 

Lily me demande : 

- Lana  ! Qu'est-ce que tu fais là ?

- Je viens voir papa.

- Mais, il est en pause ma chérie. Il revient seulement dans une heure.

Lily me connait depuis toujours et me considère, encore parfois, comme une enfant. 

-  Oh non...

J'indique son bureau avec mon index. 

- Je peux l'attendre là ? J'ai un cadeau pour lui.

- Je ne sais pas ma belle...

Je mime la tristesse comme le font les enfants lorsque je refuse qu'ils s'asseyent les uns à côté des autres. Je croise les bras, baisse la tête et soupire. 

Elle hésite quelques instants, ça se voit aux traits de son visage, ses sourcils se froncent et des rides apparaissent. Elle finit par concéder à ma demande : 

- Bon d'accord ma jolie, tu peux y aller.

Bingo. 

Merci les enfants, vous êtes de super profs de techniques d'attendrissement. 

- Lily, t'es la meilleure !

Je me dirige vers le bureau de papa. Je fais mine de chercher quelque chose dans mon sac à main alors que j'en extrait mon téléphone pour envoyer un message à Théo. Je lui indique que c'est à son tour d'agir. 

Faites que tout se passe bien. S'il vous plait, mon Dieu. 

2zer ne se laisse pas prier. Il rejoint le poste quelques secondes après avoir reçu mon feu vert. Sa carte routière entre les mains et ses chaussures de marche  "Décathlon" aux pieds, il a l'air ridicule. Pourtant, je vois à sa posture qu'il adore ça. 

- "Excouza-miiii !"

Qu'est-ce qu'il fout ? Je lui lance mon regard le plus noir. Il a un horrible accent italien ! 

Il sourit davantage en me voyant réagir. Saloperie de rappeur. 

-" Je souis perrrrdou."

Théo est à fond dans son rôle et demande un chemin compliqué à Lily et Samuel. Les deux tentent de l'aider comme ils peuvent.

J'en profite donc pour rentrer le mot de passe dans l'ordinateur. Mon coeur bat la chamade, je dois me dépêcher. 

Les fichiers sont à peine protégés, c'est d'un ridicule. Je les envoie vers ma clé USB. Cela prend beaucoup trop de temps. 

Je vois que Théo est en perde d'idées mais il doit continuer. 

Je prie pour que ses talents d'improvisation se révèlent.

Encore quelques minutes et on sera bon. 

- Lana ?

Je sursaute à l'entente de mon prénom. C'est Samuel qui me fait signe de les rejoindre.

Merde merde merde.

- Viens deux minutes s'il te plait.

Je n'ai pas le choix. J'enlève rapidement la clé de la tour. Faites que l'enregistrement ce soit fait correctement.

- Oui ?

- Monsieur ici présent désire se rendre à cette adresse mais je n'arrive pas à lui expliquer. Tu as des notions d'italien non ?

- Heu...

- Grazi Madame.

Ça l'amuse tellement.

- Où devez-vous vous rendre Monsieur ?

Théo me montre le point sur la carte. J'improvise comme je peux. 

- Tu sais quoi Lily ? Je vais revenir tout à l'heure. Monsieur a besoin qu'on le conduise jusqu'à cette adresse. Ce sera plus simple.

- Tu es si gentille Lana.

Je les salue et sors précipitamment du bâtiment, Théo sur les talons.

Lorsque nous atteignons la voiture, je lui lance mon regard le plus noir  :

-  Quand on rentre, je te tue la première !

- Bonne chance, il faudra passer sur les gars avant de m'atteindre...

- Dans tes rêves. Ils ne me font pas peur.

Il me lance un clin d'oeil avant d'ajouter :

- Dis moi qu'on a l'enregistrement.

Je regarde la petite clé présente dans mes mains, notre seule chance d'avancer dans cette enquête. 

- Je l'espère de tout coeur.

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