Chapitre 1 - Une arrestation
Septembre 2016.
Une sonnerie stridente vient perturber le calme jusqu'alors installé par la contemplation des calculs réalisés au tableau noir. Je ne peux retenir un soupire avant d'abandonner la craie. Je remercie et souhaite une bonne soirée aux quelques enfants qui ont attendu mon autorisation pour ranger leurs affaires.
Vingt-trois ans, un premier mois dans l'enseignement primaire...et j'en arrive déjà à soupirer.
Ce n'est pas logique.
Pourtant, être entourée de tous ces bambins peut être aussi paradisiaque que cauchemardesque.
Certains enfants ont véritablement envie d'apprendre : ils participent, viennent te câliner pour te remercier car, grâce à toi, ils ont appris à conjuguer correctement ou à calculer une somme qui leur semblait pourtant impossible... Mais d'autres, comme le petit Samir, refusent catégoriquement que tu les approches.
Je l'observe à travers la fenêtre de ma classe. Il attend ses parents sur un banc, perdu dans ses pensées. Ses cheveux noirs tombent négligemment sur son front alors que ses yeux ronds et noirs scrutent le mur face à lui. J'aimerais rentrer dans sa tête, découvrir ce qui le tracasse... Pourtant, c'est pratiquement impossible. Ce petit garçon a une carapace d'acier impossible à défaire.
En cours de math et de français, il réalise ses exercices mais ne me pose jamais aucune question. Il ne me sourit pas non plus lorsque je le félicite et il refuse toujours de participer aux projets de classe.
Je voudrais tellement trouver un moyen, quelque chose pour le faire parler...
Mon portable vibre dans mon sac. Je détourne brièvement le regard vers celui-ci. Quelques secondes à peine qui suffisent à faire disparaitre le jeune enfant...
Demain est un autre jour, on essayera une nouvelle fois. Il finira par apprécier son environnement scolaire, je m'en fais la promesse.
***
- Excusez-moi Madame Rousseau. Avez-vous bientôt terminé ?
Je sursaute lorsque la femme de ménage apparait dans l'embrasure de la porte.
- Oui, je suis désolée Luciana. Je sors tout de suite, lui réponds-je.
La dame de quarante ans, fausse blonde décolorée me remercie par un furtif signe de la tête. Elle est encore jeune et pourtant elle semble déjà si fatiguée. Je lui souhaite une bonne nuit et m'aventure dans les rues de Paris.
Nous ne sommes que mi septembre mais déjà l'air frais d'un automne glacial se fait ressentir dans la capitale. Le vent souffle comme un soir de tempête et je suis obligée de m'emmitoufler dans mon écharpe pour aller jusqu'à la pizzeria.
Jeudi soir est synonyme de dîner en tête à tête avec mon père au bureau de police. Son travail lui prend beaucoup de temps et ma mère n'a jamais fait partie de notre vie. Quant à mon frère...
Mon père s'est toujours sacrifié pour moi. Aujourd'hui, avec ma situation actuelle, c'est moi qui prends soin de lui. Il a été convenu que je le rejoindrai au commissariat tous les jeudis soirs , ce sont généralement des soirées plus calmes où nous pouvons prendre un peu plus de temps pour discuter de nos vies.
Lorsque j'arrive sur place, je me présente à Shannon qui se trouve à l'accueil. Ses cheveux bruns et bouclés sont attachés en un chignon strict. Quant à sa peau bronzée, elle se marie parfaitement à son uniforme. Elle semble s'ennuyer et un grand sourire illumine son visage lorsqu'elle m'aperçoit. Shannon est une jeune inspectrice et ce qui se rapproche le plus d'une amie. On passe énormément de temps ensemble lorsque son job le lui permet.
J'ai tellement d'admiration pour ces agents.
- Lana Rousseau ! Comment s'est passée ta journée aujourd'hui ?
Je lui souris à mon tour tout en cherchant mon père du regard :
- Il y a des jours avec et des jours sans... Papa est à son bureau ?
Shannon s'exclame :
- Il a du sortir exceptionnellement... Grosse affaire, il risque de gagner une récompense.
- Tu rigoles ?
Ce serait tellement formidable pour lui.
- Non, je t'assure ! Ils ont des informations sur un trafiquant de drogue, ils sont partis l'arrêter. L'équipe de ton père le cherchait depuis des mois.
Effectivement, cela me dit brièvement quelque chose.
- Ça pour une nouvelle. Je vais peut-être rentrer chez moi dans ce cas...
Je m'apprête à faire demi-tour mais Shannon me retient :
- Lana ! Viens t'asseoir, s'il te plait. Tiens moi compagnie. Ton père ne va pas tarder à arriver et tu pourras l'applaudir avec nous.
- Tu marques un point, soupiré-je.
Je m'installe avec Shannon à son bureau et nous échangeons quelques banalités sur nos métiers respectifs. Une demi-heure plus tard, un brouhaha retentit à l'extérieur du bâtiment. J'entends quelques agents dirent que mon père vient d'arriver. Ils se rassemblent tous près de la porte d'entrée. Même Shannon s'est déplacée sans que je ne le remarque. Moi, je reste à l'écart, malgré tout, cette histoire me rend mal à l'aise.
Les portes s'ouvrent brusquement et mon père, Luke Rousseau, apparait. Il tient un type par les poignées. Mon père est acclamé et sourit comme un enfant. Je lui ressemble énormément : des cheveux blonds, une peau blanche et des yeux sombres, presque noirs, une bouche pulpeuse et un petit nez retroussé. La seule chose qui nous différencie est notre taille. J'ai hérité du petit mètre cinquante-six de ma mère alors que mon père est un géant. il domine d'ailleurs le jeune homme menotté qui n'est pourtant pas gringalet.
Je réalise soudainement ce qui est en train de se passer. J'ai l'impression de voir un rat pris au piège par des chats sauvages et ça me fend le coeur.
Le garçon baisse la tête. Pourtant, en me faufilant, je parviens à apercevoir sa mine sérieuse. Ses dents sont serrées, il fait tout pour se contrôler et ne pas péter un câble. Ce jeune homme me fait penser à Samir lorsque je tente de communiquer avec lui.
Les quelques agents présents suivent mon père jusqu'à la salle de garde à vue et je me rends compte soudainement du silence qui vient de s'installer.
Il ne reste que moi dans le hall et je frissonne.
Je dois partir de là. Je laisse un mot à mon père pour le féliciter tout en lui indiquant que je suis rentrée chez moi et que sa pizza l'attend dans le petit frigo. Il risque de finir tard. C'est une affaire importante.
Mais alors que je m'apprête à franchir la porte de sortie, un homme me bouscule tout en hurlant comme un putois :
- Espèce de connard de fils de pute ! Il va me rendre mon frère tout de suite !
Pour accompagner son geste, il frappe dans le distributeur de l'entrée, une légère fissure se dessine sur la vitre.
Pour qui se prend-il ?
Je m'avance vers lui pour le remettre à sa place alors qu'il continue de s'énerver dans une langue étrangère, certainement de l'arabe vu son teint halé. Ce n'est ni sa carrure ni sa taille qui vont me faire peur. L'homme porte une casquette noire et un jogging gris, une barbe dessinée sculpte son visage. S'il se fait trop remarquer, les collègues de mon père ne vont pas hésiter deux fois avant de l'arrêter.
- Excusez-moi Monsieur, mais vous allez devoir vous calmer. Un agent va vous recevoir dans quelques instants.
Lorsqu'il se retourne vers moi, je recule instinctivement. Je pensais que mes yeux étaient sombres mais ça n'a rien avoir les siens. Ils inspirent la haine et la colère.
- Tu te fous ma gueule ? Pour qui tu te prends ? ils viennent d'embarquer mon pti'frère sans aucune raison !
-Peut-être que vous ne savez pas tout sur sa vie privée.
C'est la phrase de trop. Il remet un coup dans la machine. Je pense qu'il l'a fait par principe, pour ne pas frapper une fille.
- Hakim calme toi s'te plait, c'est pas le moment de déconner. On va le sortir de là !
Deux hommes viennent de rentrer et tentent de maitriser leur ami. Ils ont le même style que lui mais leur expression est plus douce. Le premier, qui a parlé, a un visage fin et une drôle de coloration blonde dans ses cheveux qui lui tombent dans la nuque. Le second est un peu plus rond, des cheveux bruns, plus courts qu'il place également en arrière. Il se place juste à côté de moi alors je m'adresse à lui directement :
- Vous devez le faire sortir tout de suite sinon lui aussi il va finir par se faire arrêter.
Le brun n'a pas le temps de me répondre car son pote parvient à se défaire de leur étreinte :
- Putain mais elle est conne celle-la !
Il s'avance et m'agrippe le bras, m'obligeant ainsi à lui faire face.
- T'as pas l'air d'une flic mais tu ressembles quand même à une nana à qui la vie sourit tout le temps. C'est ce qui explique sûrement pourquoi tu te ranges de leur côté...MAIS mon frère n'a rien fait alors vous avez intérêt à le relâcher sur le champ !
Mon coeur bat la chamade mais je ne baisse pas les yeux pour autant. Je dois me montrer plus forte que lui.
- Ecoutez... Monsieur... Je suis également de votre côté car je vais vous demander de me lâcher. Vous pourrez ainsi retourner chez vous. Si un policier vous voit violenter une civile, c'est vous qui allez finir la soirée derrière les barreaux.
- Elle a raison mec. Lâche-la maintenant, le supplie presque le blond.
Le prénommé Hakim finit par me relâcher mais ses poings restent fermés. Je m'aperçois qu'il tente de contrôler ses tremblements. S'il croise mon père, cela risque de dégénérer. Je me retourne vers ses amis :
- Faites le sortir s'il vous plait. Je vais voir ce qu'il en est. Je vous retrouve sur le parking d'accord ?
L'homme aux cheveux ondulés me sourit timidement et me demande intrigué :
- Vous pensez sincèrement qu'ils vont tout vous dire à vous ?
- Oui, faites moi confiance.
Après tout, je suis la fille du responsable de la brigade des stup...
- Pourquoi on devrait la croire celle-là ? demande le frère en colère.
- Faites-le c'est tout, je me contente de murmurer.
Hors de question de leur dire que mon père est responsable de l'arrestation de leur ami. Je n'ai pas envie de me retrouver au milieu d'une bagarre. Je sais gérer des enfants de huit ans... Pas des hommes de cette posture.
Le garçon aux cheveux blonds me fait signe d'agir alors qu'il tire son pote vers la sortie.
J'expire un peu trop bruyamment et passe une main sur ma jupe pour effacer des plis qui n'existent pas réellement.
Il est temps de demander des explications à mon père.
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