Chapitre 1

Mix Editions vous propose de découvrir gratuitement le premier chapitre de ce roman.

L'illusion d'une vie parfaite,

N'est rien d'autre que ce qu'elle semble être.

Assis sur le canapé, emmitouflé dans un plaid chaud, je souffle sur mes doigts, essayant de les réchauffer. Malgré la chaleur provenant du feu de cheminée, je ne peux empêcher mon corps de frissonner ni stopper les tremblements qui parcourent mes mains. Tout est calme ce soir, en dehors du bruit provoqué par les folles rafales de vent qui soufflent à l'extérieur. Loin du sentiment qui, à l'époque, me réchauffait le cœur en cette période de l'année, ce soir, la lassitude s'empare de moi. J'ai l'impression d'être un mur dont les couches s'effritent les unes après les autres, tentant désespérément de m'abattre, souhaitant me laisser à nu. Je lutte depuis tellement longtemps que parfois j'ai peur de ne plus savoir ce qu'est la vie sans cela. Mon regard ne peut se détourner des nuances changeantes de l'arbre qui orne un coin du salon. J'essaie désespérément de me souvenir comment est la vie lorsqu'on la voit avec autant de couleurs, pourtant l'unique chose dont j'arrive à me rappeler, c'est le vide. Ce vide laissé par son absence, par leur absence, ce sombre chemin sans fin sur lequel j'erre depuis bien trop de temps déjà. Autrefois, j'aimais rire, je savourais la moindre émotion ainsi que chaque moment de ma vie. Aujourd'hui, j'ai beau me trouver entouré de plusieurs personnes, je me sens plus seul que jamais. L'unique lumière qui éclaire la pièce provenant des chandelles et du sapin, que j'ai pris le temps de décorer avec lui et surtout pour lui, est un rappel constant de ce qui manque à ma vie, mais aussi de ce pour quoi je continue de me battre.

Mon impuissance face à la détresse dans laquelle je me trouve me tourmente plus que je n'ose l'avouer. Cependant, à qui puis-je en parler ? Et à quoi bon en discuter ? Qu'y a-t-il vraiment à dire quand au fond vous savez avoir tout pour être heureux, ou du moins ce qui est le schéma du bonheur pour la plupart des gens qui vivent sur cette planète ? Une vie de couple, qui dans l'ensemble se révèle à la fois satisfaisante et agréable. Une petite tornade d'innocence et de rires qui vous booste de la plus simple des manières. Une maison tout aussi accueillante, de son jardin en passant par les immenses pièces aux décors insolites. Ainsi que nos familles qui sont là pour nous entourer. Un soupir teinté de dépit et d'amertume s'échappe de mes lèvres. Pourquoi je n'arrive simplement pas à poursuivre ma vie auprès des personnes qui disent m'aimer ?

— Jehan !

La voix de Gregory me fait quitter ces petites illuminations des yeux.

— Cela fait plusieurs fois que je t'appelle, tu pourrais au moins faire attention quand on te parle !

Même son agacement et son exaspération ne parviennent plus à m'atteindre. Il y a bien eu une période où je détestais que nos rapports en viennent aux conflits. Sauf que désormais, comme le reste, cela appartient au passé.

— Que veux-tu ?

Ignorant son regard à la fois désapprobateur et irrité, je m'efforce de prononcer ces mots. Au fond de moi, rien ne m'importe plus que l'envie d'être seul et de pouvoir m'enfermer dans ma bulle.

— Carine et Madeline t'attendent en cuisine. Elles ont besoin d'un coup de main pour préparer les apéritifs.

Il ne me vient pas à l'idée de l'envoyer sur les roses pour rester tranquille. Tel un robot, je repousse le plaid à côté de moi et pars rejoindre celles qui, d'après le sang qui coule dans mes veines, font partie de ma famille. Que vous dire d'elles ? Carine se trouve être ma sœur aînée. Nous sommes aussi opposés physiquement qu'au niveau de nos caractères, rien ne nous unit en dehors de notre ADN. Elle est aussi blonde que je suis brun, les yeux aussi foncés que les miens se révèlent d'une rare clarté. Rien à part sa famille – comprenez par là son mari et ses enfants – ne l'intéresse. Tout du moins, c'est de cette façon que je la vois. En ce qui concerne Madeline, elle n'est personne d'autre que la femme qui m'a mis au monde. Est-ce une bonne chose ? Pour moi probablement, étant donné que je respire grâce à elle. Pour elle ? Je penche du côté négatif. Vu les circonstances de ma venue au monde, il y a de fortes chances pour que vous soyez d'accord avec moi.

Alors que je m'approche de la cuisine, j'entends quelques bribes de conversation entre elles, telles que « tu l'as vu... il ne fait plus attention... il n'aurait jamais dû... ». J'ai beau n'avoir aucun doute sur le sujet de leur discussion, je serre les dents plutôt que de rentrer dans leur méchanceté. Pourquoi ai-je une fois de plus accepté de passer les fêtes de fin d'année avec eux ?

Jusqu'à ce que le rire mélodieux de la petite tornade m'en rappelle la raison. Du haut de ses quatre printemps, Jacy n'est qu'innocence, pureté et bonheur. Avoir perdu ses parents est déjà une épreuve terrible, peu importe son âge. Et comme chaque année, je m'évertue à lui offrir des fêtes familiales dignes de ce nom. Un lent sourire recourbe mes lèvres en sentant ses petites mains se refermer autour de ma jambe. Je me baisse afin de pouvoir l'enlacer tendrement. Le nez plongé dans son cou, je respire avec plaisir son odeur de bébé, de petit garçon. Ses boucles blondes m'effleurent le visage lorsqu'il se met à gigoter en riant.

— Papa noyel il vient bientôt ?

Ses grands yeux marron si expressifs me supplient d'acquiescer. Il en vient presque à battre le regard du chat Potté tant il paraît à la fois malicieux et implorant.

— Il viendra quand tu seras au dodo, mon ange, lui dis-je.

L'expression de son visage, si semblable à celui de son père, manque d'avoir raison de moi, je réussis à résister tant bien que mal. Gregory vient à mon secours en me voyant grimacer.

— Et demain matin, tu pourras ouvrir tes cadeaux..., renchérit-il.

— Tu crois qu'il va m'en apporter tout plein ? demande Jacy, les yeux pétillants de gaieté.

J'adore le voir comme ça. Si heureux, si confiant, si libre et insouciant. Et peu importe ce qui m'attend, je me battrai afin qu'il devienne la personne bonne et courageuse qu'il se doit d'être. Pour eux, mais surtout pour lui. Je veux qu'il soit fier de qui il est, qu'il n'ait aucun doute sur les personnes qui l'entourent. Je veux qu'il se sente aimé et soutenu.

— Jehaaaaaan !

Le cri de Carine me vrille les tympans. Remettant Jacy dans les bras de mon mari, je me retiens de soupirer. La cloche vient de sonner, Cendrillon n'a plus qu'à rappliquer, c'est ça ? Laissez-moi vous dire, j'ai beau ne pas porter mes plus beaux vêtements ce soir, je n'en reste pas moins un homme. Rien que cela est censé m'éloigner du statut de Cendrillon. Aucune citrouille, aucune pantoufle de verre ne m'attendent quelque part. Et le prince charmant ? Je l'ai déjà trouvé, non ? Enfin, je crois. Même de cela, je n'en suis plus si sûr.

Pourtant quand mes yeux se posent une nouvelle fois sur la silhouette athlétique de Greg... De ses cheveux bruns coupés court, ses yeux – posés sur le bambin dans ses bras – emplis de tendresse, à la courbure de ses lèvres. De ses épaules carrées à son ventre plat, ce corps qui n'a plus aucun secret pour moi après ces cinq années passées ensemble, les seuls mots qui me viennent à l'esprit sont : « tu es injuste ! ».

Nos regards se croisent l'espace de quelques secondes et je retiens inconsciemment ma respiration. Ridicule n'est-ce pas ? Je me sens tellement tourmenté que j'en viens presque à croire qu'il arrive à lire tous mes doutes dans mon regard, ou alors est-ce simplement un souhait inconscient de ma part ? Une question muette au fond de ses iris, je me contente de me détourner et de rejoindre les femmes qui font partie de ma vie.

***

Quatre heures plus tard, après avoir survécu à la voix stridente de ma sœur, racontant les divins exploits de ses enfants et de son mari en long, en large et en travers, ainsi que les remontrances déguisées de ma mère, je peux enfin poser mes fesses tranquillement sur une chaise. Seigneur, ce que je peux détester ces fêtes ! Au fil des années, la magie de Noël a perdu de son éclat. Est-ce la seule chose qui ait changé ? Certainement pas. Si j'en crois les derniers dires de la seule amie qui me reste à présent, mon comportement lui aussi fait partie du lot. Ah, c'est sûr, contrairement aux jeunes de mon âge, je ne vais jamais en boîte de nuit ni ne passe mon temps à fumer joint après joint et à me taper tout ce qui a le « malheur » d'avoir un trou à boucher. Ne me regardez pas comme ça, j'ai certainement l'air vulgaire en disant ça, mais prouvez-moi par A+B que j'ai tort, et on en reparlera ! Le cliché du gay qui baise tout ce qui est baisable est tellement ancré dans la tête d'Izie, qu'il m'arrive parfois de me demander pourquoi elle fait partie de mes proches.

L'arrivée impromptue de Jacy dans ma vie a tout chamboulé. Personne, moi encore moins, n'aurait pu prédire que j'allais me retrouver père à l'âge de dix-neuf ans. À ce moment-là, j'avais d'ailleurs fait une croix sur une possible paternité. Bataillant avec des études pour finir par exercer des boulots plus ingrats les uns que les autres durant les premiers temps. Et à devoir me battre contre les préjugés et les insultes injustes auxquelles j'ai eu droit. Tout ça est bien loin maintenant.

La soirée passe plus rapidement que je n'avais osé l'espérer Ou est-ce moi qui ai décroché ? À en juger par le regard noir de Gregory, j'imagine que la deuxième option est la bonne. En tout cas, tout juste ai-je eu l'impression de m'asseoir que, déjà, le repas est terminé. Les douze coups de minuit ont sonné depuis un moment, les invités partent sur les paroles coutumières, échangeant ces accolades qui m'ont toujours paru un tantinet hypocrites. Je laisse Gregory raccompagner nos invités à la porte et me dirige vers la cuisine, commençant à ranger ce qui traîne ici et là.

Tandis que je dépose une énième assiette dans le lave-vaisselle, je peux sentir sa présence à l'entrée de la cuisine. Il ne dit rien, ses yeux suivant chacun de mes mouvements. Je me retiens de tressaillir lorsqu'au bout d'un certain temps, j'entends sa voix souffler mon prénom. Ce n'est jamais bon quand il commence de cette façon. À quel reproche vais-je avoir le droit aujourd'hui ? Sans doute les même que d'habitude. C'est dans ces moments-là que Greg me fait penser à un disque rayé. Toujours les mêmes mots, les mêmes réflexions qui pourtant devraient me faire réagir, me blesser. Seulement, ça ne m'atteint plus. Je suis enfermé dans cette bulle, impénétrable à tout ce qui m'entoure.

— Je n'en peux plus, Jehan.

Il chuchote à mon oreille. Tellement pris dans mes pensées, je ne me suis pas rendu compte qu'il s'est approché. Je me demande comment on peut être à la fois si proche et si loin. Je ne fais pas semblant de ne pas comprendre. Je sais que c'est moi, mon comportement qui est en cause. Pourtant je n'arrive plus à y faire face. Je suis comme un nageur qui se fait peu à peu ensevelir par les vagues. Secoué dans tous les sens, je lutte pour reprendre ma respiration et empêcher l'eau d'entrer dans mes poumons. Ses lèvres déposent un tendre baiser dans le creux de ma nuque. Un frisson parcourt mon échine.

— Allons nous coucher. Tu finiras ça demain, fait-il.

Je secoue la tête. Ses mots me surprennent, mais je ne réponds rien. Ne montre rien. Sinon je suis bon pour l'inquisition.

— Jacy..., commencé-je.

— Je viens de le mettre au lit, cela fait un moment qu'il s'est endormi sur le canapé du salon.

Je crois discerner un soupçon d'irritation dans sa voix... Peut-être est-ce moi qui vois le mal partout et qu'en réalité, il ne tient qu'à ce que je me repose. Il m'a déjà surpris une fois ce soir, peut-être ne suis-je pas au bout de mes peines.

— Je te rejoins...

Un soupir de lassitude lui échappe.

— C'est toujours pareil. J'aimerais bien me coucher avec toi pour une fois !

— ... je vais passer voir Jacy dans sa chambre avant, continué-je, ignorant le fait qu'il m'ait coupé la parole.

Je sens bien plus que je ne la vois, sa grimace contrite contre mon cou. Il ne s'attendait vraisemblablement pas à ce que je capitule aussi vite. Il faut dire que les moments où l'on se couche en même temps se font de plus en plus rares. Quand est-ce que nous sommes restés enlacés à savourer simplement la présence l'un de l'autre ? Bien trop longtemps pour que je n'arrive à m'en souvenir.

Un dernier baiser, un effleurement de sa main sur ma hanche et il s'éloigne. Je ne peux m'empêcher de ressentir un soupçon de soulagement. Pour une fois, je n'ai pas eu droit à son éternel refrain. Mon comportement est exécrable, et je me déteste pour cette façon que j'ai d'agir avec lui. Je n'aime pas être soulagé lorsqu'il s'éloigne de moi, je ne supporte pas cette façon que j'ai de maintenir cette distance que je n'arrive plus à franchir. J'ai l'impression de creuser ma propre tombe et d'y plonger tête la première. Plus que tout, j'ai en horreur le fait de me lamenter autant sur moi-même. Où est passé mon rire ? Où sont passés tous ces intenses moments de bonheur que j'ai vécus ? Que l'on a vécu ensemble ? Je suis plus perdu que jamais. Ces sentiments d'incompréhension et de solitude en viennent à me faire suffoquer, tant j'ai la sensation de ne plus arriver à respirer librement.

Entrouvrant la porte de la chambre de Jacy, un sourire effleure mes lèvres en le voyant allongé sous sa couverture Flash Mac Queen qu'il adore. Barbapapa, sa peluche préférée, tendrement serrée entre ses bras, il semble apaisé. M'approchant de lui, je remonte sa couverture sous son menton pour le border. Du bout des doigts, je balaye les mèches bouclées qui lui tombent sur les yeux. Il est si petit, si fragile et, contre toute attente... tellement fort.

Survivre à un tel accident ne l'a pas laissé sans traces, comme le prouve la fine cicatrice sur sa poitrine, cachée par le haut de son pyjama. J'ignore comment j'ai pu m'attacher si vite à ce petit être, mais la réalité est là. Jacy fait partie de moi, de ma vie. Il est celui qui me donne la force de me lever chaque matin. Il aurait certainement eu une vie bien meilleure avec ses véritables parents, toutefois je ne peux qu'être comblé de l'avoir à mes côtés. Le souvenir de ses parents m'annonçant sa naissance à venir refaisant surface, ma vue se brouille. Je me rappelle du sourire incertain de Stacy, sa mère, ainsi que du rire empli de joie de Jack, mon meilleur ami. Petit être tout juste conçu, mais qui rendait déjà ses parents si fiers, si heureux et surtout si gaga.

— Un p'tit gars, Jehan, tu te rends compte, je vais avoir un p'tit gars !

— Hey, c'est moi qui vais avoir le plus de boulot ! Ce serait sympa de ta part de ne pas oublier de m'inclure dans ton schéma !

Les paroles de Jack et Stacy me viennent par rafales et je suffoque sous le poids des souvenirs. Pendant l'espace d'un instant, j'entends leurs rires flotter autour de moi. L'air se fait plus lourd et j'ai la sensation qu'il se raréfie. Je m'éclipse rapidement, souhaitant m'éloigner de ces réminiscences, de leurs fantômes. Tête basse, je cours si vite en traversant la maison que je manque de rentrer en plein dans le torse de Gregory, s'il ne m'avait pas retenu à bout de bras.

— Hé, calme-toi. Où vas-tu comme ça ?

D'une stature égale à la mienne, je n'ai pas besoin de lever les yeux pour rencontrer ses iris bleus. Ma bouche s'ouvre, néanmoins aucun son n'arrive à sortir. Un sanglot m'étouffe et tout ce que je peux faire, c'est laisser les larmes rouler le long de mes joues. À travers ma vue brouillée, je vois ses sourcils se froncer. Jamais je ne me suis laissé autant aller devant lui.

— Qu'est-ce qui te met dans un état pareil ? souffle-t-il, décontenancé par mon attitude.

Ce n'est pas mon genre de pleurer aussi facilement, encore moins devant quelqu'un d'autre, quand bien même il se trouve être l'homme qui partage ma vie. J'aimerais pouvoir lui répondre, lui expliquer ce qui ne va pas, ce qui cloche chez moi, sauf que je n'y arrive pas. Je suis bloqué dans ma confusion. Noyé par les souvenirs, étouffé par ces vagues de sentiments contradictoires.

N'obtenant aucune réponse de ma part, il me serre dans ses bras. Bien que je ne m'y sente pas aussi à l'aise que par le passé, j'accepte son étreinte, sa chaleur, cherchant ce réconfort qu'autrefois je savais apprécier. Mes pleurs finissent par se tarir. Et je prends de courtes inspirations pour me calmer. Nos yeux se croisent, et l'inquiétude sincère que je lis dans les siens me persuade d'essayer de faire un pas. La première confidence se déloge plus facilement que prévu de mes lèvres.

— Ils me manquent...

Il ne fait pas semblant de ne pas saisir de qui je parle. Évidemment qu'il le sait. J'ignore à quoi je m'attendais... Certainement pas cette réaction. L'inquiétude est tout de suite remplacée par... de l'agacement ? De l'énervement ?

— Ils sont morts, Jehan, enfonce-toi ça dans le crâne. Ils ne reviendront pas. Cela fait plus de trois ans, qu'est-ce qui te met dans cet état ?

C'est la vérité. Pour autant, je ne comprends pas son attitude. Je ne réponds pas. En vérité, je l'ignore moi-même. Certes, Jack et Stacy nous ont quittés depuis plus de trois ans, et je pensais réellement avoir fait mon deuil depuis longtemps. Alors pourquoi cela remonte-t-il à la surface maintenant ? Seigneur, qu'est-ce qu'il m'arrive ?! Je me reconnais de moins en moins, et c'est ce qui m'effraie le plus, je pense. Je le regarde, les yeux étrangement vides alors que je sens les tourments ronger mon âme.

Passant un bras autour de mes épaules, je laisse Gregory me conduire vers notre chambre dans un état second. Effectuant une toilette sommaire dans la salle de bain attenante, j'évite autant que possible d'observer mon reflet, que le miroir au-dessus du lavabo ne manquerait pas de me renvoyer. À quoi bon regarder l'épave que je suis devenu... À part me faire déprimer un peu plus.

Je finis par le rejoindre sous les draps. À peine ma tête se pose-t-elle sur l'oreiller que je sens les mains de Greg passer sous mon sweat pour caresser ma peau. Ses longs doigts fins effleurent mes côtes, remontent sur mon torse, provoquant d'interminables frissons sur leur passage. Sa bouche dépose des baisers le long de mon épaule, glissant jusqu'à ma nuque. Mon corps frémit sous son toucher. Son début d'excitation se frotte lascivement contre ma cuisse, et il gémit de plaisir lorsque ma main se pose sur sa hanche.

Cependant, loin d'être excité, à l'intérieur je me sens glacé. Plus il me touche, plus j'ai froid. Je le repousse de ma main, embrassant le sommet de sa tête en une excuse silencieuse. D'où vient ce besoin de m'excuser ? Je n'en ai aucune idée. Je me tourne sur le côté opposé, ignorant une fois de plus l'énervement qui grandit en lui. Souhaitant de nouveau m'enfermer dans cette bulle, où rien ne se ressent, où tout est figé. Mes paupières se ferment et, pour une fois, je m'endors rapidement.

Cela dit, j'aurais dû m'en douter, n'est-ce pas ? Dormir une nuit complète est trop demander pour moi... Comme souvent ces derniers temps, je me réveille en sursaut au beau milieu de la nuit. Mon cœur bat à mille à l'heure tant les derniers vestiges des cauchemars qui me hantent, résistent. Au bout d'une heure à me tourner et me retourner dans toutes les positions possibles dans le lit, j'abandonne la partie et décide de me lever.

Un coup d'œil sur la silhouette allongée à mes côtés m'informe que je n'ai pas réveillé Gregory. Heureusement. Vu l'heure, j'aurais eu droit au couplet « je me lève tôt, j'ai besoin de ma nuit de sommeil ! ». Rabattant la couverture sur le côté, je me glisse hors du lit. Un coup d'œil dans la chambre de Jacy, histoire de vérifier que tout va bien, un rapide détour par les toilettes et je me retrouve à errer dans notre immense salon. À ce jour, cela fait presque trois ans que l'on vit ici. Depuis notre emménagement, la déco n'a pas changé. Toujours ce même grand canapé en cuir gris, ces murs beiges, ce tapis dans les mêmes tons, ainsi que la table basse ronde. Tout est similaire, des rideaux aux toiles accrochées.

Un « couic » me sort de ma contemplation, et je souris, attendri, en ramassant l'objet du délit. Jacy était tellement épuisé qu'il n'a pas pris le temps de ranger ses jouets, contrairement à d'habitude. Petit garçon timide et agréable, je n'aurais pu rêver mieux. Je ne dis pas que tout est rose, loin de là. Bien que depuis le début, j'ai toujours eu droit à plus de sourires de sa part que de larmes, il n'en reste pas moins un petit garçon âgé de quatre ans avec sa propre personnalité, son caractère et ses humeurs.

N'ayant rien d'autre à faire à cette heure de la nuit, je me mets à ranger ce que je n'ai pas terminé de débarrasser la veille. J'ai beau sentir mon corps fatigué, ma tête refuse obstinément de se déconnecter. Chaque fois que mes yeux se ferment, les souvenirs affluent, se mélangeant avec tout ce qui me dérange dans ma vie d'aujourd'hui. Peut-être ai-je simplement besoin de reprendre une activité ? De trouver un nouveau but, un nouveau sens à ma vie ? Passer mon temps à errer de cette façon, sans rien, sans but – en dehors d'éviter les disputes avec Gregory – ne me correspond pas. J'ai toujours été une personne vive d'esprit, à qui il est nécessaire de bouger sans arrêt, d'être occupée, d'essayer de nouvelles choses. Seulement après mon dernier contrat et les arguments de Greg, j'ai cessé toute activité. Je voulais être là plus souvent pour Jacy. Durant une période, il faisait sans arrêt des cauchemars, et demandait souvent après moi, j'avoue que c'est agréable de pouvoir être là pour lui quand il a besoin de moi. Toutefois, je ne peux me défaire de l'idée qu'une part de moi s'est perdue en chemin.

En vous racontant mon histoire, j'ai l'impression d'être un homme qui s'est transformé en vieille mégère.

— Au revoir douce virilité, bonjour talons hauts et rouge à lèvres, marmonné-je à haute voix dans le silence du salon.

Je dois lutter de toutes mes forces pour ne pas éclater de rire en m'imaginant dans une telle tenue. Vais-je me laisser porter par le temps et voir ce qu'il adviendra de ma vie et de moi ? Vais-je continuer à survivre ou arriverai-je à me prouver que je suis là, bien vivant, et à pouvoir simplement me dire : « j'existe » ? Je n'en sais rien. Parfois, j'en ai l'envie, mais la sensation ou la peur de ne pas arriver à me relever m'emprisonnent, tels les fers d'un esclave. Je suis comme l'oiseau dans une belle cage dorée. J'ai beau lutter, m'agiter, je reste perpétuellement enfermé.

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